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Introduction

La contribution de diverses disciplines, dont celles composant les sciences sociales, a certes généré d’importantes avancées au regard de la compréhension des problématiques socio-environnementales contemporaines. Cependant, la juxtaposition des perspectives disciplinaires ne suffit pas pour en cerner toute la complexité. Une vision se situant au carrefour de plusieurs disciplines doit être construite pour fonder un passage à l’action en vue de remédier incessamment à la dégradation de notre biosphère (Montague, 2019; Morin, 2015). Le domaine de l’éducation pour un avenir viable (EAV)[1] se définit justement comme un domaine convoquant différentes disciplines et décloisonnant les barrières entre elles afin de favoriser des actions prenant en compte la complexité des enjeux socio-environnementaux (ACDE, 2022; Gouvernement du Québec, 2019). En l’absence de l’obligation d’intégrer l’EAV dans la formation initiale à l’enseignement (FIE) à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire des universités canadiennes et québécoises, cette proposition d’un écodispositif d’intégration se veut une initiative pour remédier à cette situation (Gilbert, 2021; Gilbert et Boutet, 2022), comme le recommandent Evans et al. (2017). Reposant à la fois sur des assises théoriques et des savoirs issus de la pratique, l’écodispositif offre une avenue porteuse pour la mise en relation des savoirs nécessaires aux futures personnes enseignantes désireuses de former les futures citoyennes et futurs citoyens dans une perspective de viabilité.

Former le futur personnel enseignant dans une perspective de viabilité 

Depuis le premier Sommet de la Terre (1972), l’éducation est reconnue comme un moyen à privilégier pour développer la citoyenneté et les savoir-agir liés à la perspective d’un avenir viable, notamment dans le contexte de la formation initiale à l’enseignement[2] (DEEPER, 2014; Evans et al., 2017; Walshe et Tait, 2019). Toutefois, l’EAV est encore peu intégrée dans les programmes de FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire (ESE-TE[3], 2023; Evans et al., 2017; Marques et Xavier, 2020) bien qu’elle soit en développement dans certains contextes. En effet, certains de ces programmes ont intégré l’EAV au moyen de dispositifs permettant l’ajout de contenus théoriques dans un ou quelques cours qui sont, dans bien des cas, optionnels (Sims, Asselin et Falkenberg, 2020; Sims et Falkenberg, 2013) ou par l’expérimentation d’approches pédagogiques (Evans, et al., 2017; Van Petegem et al., 2007). En dépit de ces ajouts à la composante théorique de la FIE, les savoirs liés à la pratique de l’EAV dans les milieux scolaires demeurent à développer (ESE-TE, 2023; Marques et Xavier, 2020). Devant l’absence d’obligation d’intégrer l’EAV en FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire, l’ajout d’une ou plusieurs activités de formation liées à l’EAV en FIE représente un défi persistant. Or, le contexte de la formation pratique offre des pistes prometteuses pour une telle intégration. C’est pourquoi nous avons mené une recension d’écrits pour en explorer les possibilités, ce qui était peu documenté en EAV.

Ce contexte de la formation pratique implique des stages (formation en milieu de pratique enseignante) ainsi que, généralement, des séminaires de stage (rencontres de réflexion collective sur les actions menées en stage). Des leviers à l’intégration de l’EAV auprès du futur personnel enseignant lors de leur formation pratique ont ainsi été identifiés (Gilbert, 2021). Ces leviers sont :

  • Le temps disponible. Les stages permettent la prise en compte de la réalité temporelle (expérience en temps réel) et le caractère multidimensionnel du temps (prise en compte de la complexité temporelle) (Glaymann, 2014). Ce temps disponible lors des stages permet notamment au futur personnel enseignant de créer des liens, d’échanger avec les personnes du milieu scolaire oeuvrant dans différentes disciplines et d’être ainsi en contact avec une diversité d’approches pédagogiques au carrefour de diverses disciplines, comme le soulève Pellaud (2014).

  • Le soutien au développement des savoirs du futur personnel enseignant. Ce soutien se traduit par un accompagnement du développement des savoirs sur, pour et par l’action s’inscrivant dans une démarche réflexive personnalisée et la prise en compte du processus de changement individuel (Beauvais, 2004). Cet accompagnement constitue un levier important pour soutenir l’exigeante évolution des pratiques d’enseignement inhérente à l’intégration de l’EAV (Evans et al. 2017 ; Pellaud, 2014).

  • Les possibilités d’articuler les savoirs théoriques et les savoirs pratiques. Compte tenu du grand nombre de savoirs disciplinaires mobilisés en EAV et du défi de les relier aux savoirs pratiques pour être en mesure de passer à l’action concrète, ce levier s’avère indispensable et fortement lié au type d’accompagnement offert aux stagiaires par les personnes mandatées pour les encadrer dans leur expérience de terrain (Boutet, 2008; Caron et Portelance, 2017; Van Nieuwenhoven et Colognesi, 2015) de même que lors des séminaires de stage (Boutet, 2000).

C’est pour profiter de ces leviers que nous avons choisi de situer dans le contexte de la formation pratique l’élaboration d’un écodispositif d’intégration de l’EAV en FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire.

Repères conceptuels

Bien que notre étude soit fondée sur plusieurs assises théoriques[4], seuls les principaux repères conceptuels liés au thème de cet article sont présentés dans cette section. Nous présentons d’abord, en amont de notre définition de l’EAV, les fondements généraux qui lui sont inhérents en continuité avec ceux de l’éducation relative à l’environnement (ERE) et de l’éducation au développement durable (EDD). Nous présentons ensuite notre vision de la formation pratique, où l’accompagnement réflexif est central, parce que nous reconnaissons ce contexte comme étant favorable à l’intégration de l’EAV. Enfin, des précisions au sujet de la notion d’écodispositif et de la typologie des savoirs utilisés sont exposées.

L’éducation pour un avenir viable (EAV)

L’EAV est à la fois héritière de l’ERE,[5] introduite dans les années 1970 lors de la Conférence intergouvernementale sur l’éducation relative à l’environnement tenue à Tbilissi en 1977, et de l’EDD, formalisée lors de la Décennie des Nations Unies pour l’éducation en vue du développement durable (2005-2014)[6]. Fortement influencée par les pionniers d’éducation en nature, dont John Muir (1838-1914), Margaret McMillan (1860-1931), Robert Baden-Powell (1857-1941), l’ERE vient inscrire l’EAV dans l’évolution historique de certains mouvements (ex. : le scoutisme, l’Adventure education, l’udeskole). Différents courants pédagogiques sont issus de ces mouvements, dont l’éducation en plein air inspirée des Forest Schools (O’Brien, 2009 ; Ogilvie, 2013), qui ont contribué à certains changements curriculaires. Toutefois, des efforts demeurent à déployer en ce sens (Nxumalo, Nayak et Tuck, 2022) pour atteindre les objectifs mondiaux[7].

Le point de départ pour amorcer notre réflexion sur le concept d’EAV se situe à l’intersection de ces visions. Nous nous inscrivons dans « une vision écocentrique de l’environnement, où l’Homme est l’une des formes interreliées de vie et non pas le centre de l’écosystème planétaire. Il est à la fois environné et environnant des autres éléments du milieu » (Sauvé, 1994, p. 44). Ce choix implique le développement de valeurs de respect envers tout ce qui constitue l’environnement global : « des valeurs telles que l’empathie, la solidarité et l’entraide, l’équité, la responsabilité sociale et individuelle, le respect de la nature et des êtres humains, l’ouverture à l’autre, la liberté d’expression et la créativité » (Gouvernement du Québec, 2019, p. 8). Pour arriver à développer des actions en cohérence avec ces valeurs, l’intégration d’une approche systémique en association avec la pensée critique et créatrice se révèle incontournable « pour rendre les individus capables de réfléchir à leurs propres actes, en tenant compte de leurs conséquences sociales, culturelles, économiques et environnementales présentes et futures, à l’échelon local et au niveau mondial, d’agir de manière durable dans des situations complexes » (Rieckmann, 2017, p. 6). De plus, la prise en compte de la nature multidimensionnelle de la complexité de l’environnement, qui implique les interconnexions entre les systèmes humains et ceux de l’environnement naturel (Morin, 1999, 2005, 2015), fait partie intégrante de notre conception de l’EAV.

Forte de l’évolution de certains travaux liés à une éducation en faveur de l’environnement global,[8] l’EAV figure maintenant en tête de liste pour favoriser le développement d’une citoyenneté tournée vers la viabilité (ACDE, 2022). Nous rassemblons sous l’appellation d’EAV des perspectives visant le développement d’une écocitoyenneté permettant aux êtres humains de cohabiter et d’interagir en harmonie, afin d’assurer la viabilité de l’humanité. Ainsi, nous définissons l’EAV comme étant :

un domaine lié au développement individuel et collectif mettant de l’avant une perspective interdisciplinaire, critique, systémique qui favorise la construction de savoirs coopératifs et non mercantiles afin d’établir une relation de parenté, d’empathie et de bienveillance à l’égard de l’environnement global (éco-socio-bio-physique). Elle repose fondamentalement sur la pérennité de la coexistence de la vie et du temps où le vivant et les composantes du temps (passé-présent-futur) sont en constante métamorphose renouvelant perpétuellement le devenir de l’environnement global. Elle vise la progression du processus de développement d’une citoyenneté dans, par et pour l’action environnementale globale.

Gilbert, 2021, p. 89

L’EAV est donc porteuse d’espoir, d’inspiration et de changement à l’égard du monde actuel et de demain (ACDE, 2022).

La formation pratique

De manière générale, la composante pratique de la FIE représente l’ensemble des activités de formation vécues par des stagiaires dans les milieux scolaires. Dans ce contexte d’apprentissage par l’expérience (stages) et de réflexion accompagnée (rencontres de rétroaction et séminaires), elles peuvent à la fois développer leurs compétences professionnelles (Chaubet et al., 2018) et en faire la démonstration (Caisse, 1984).

Les stages occupent une place centrale dans la composante pratique de la FIE, notamment en matière d’heures (un minimum de 700 heures est destiné à la réalisation des stages en milieu scolaire au Québec). Ils offrent un contexte permettant « d’apprendre en expérimentant, en faisant, en mettant “la main à la pâte”, en s’inscrivant “en vrai” dans des relations professionnelles […], mais aussi en observant et en ayant un recul réflexif sur ce que l’on fait et ce que l’on voit » (Glaymann, 2014, p. 63). Conséquemment, les stages en milieu scolaire misent sur l’apprentissage expérientiel, les situations réelles d’apprentissage, les interactions avec les diverses personnes impliquées ainsi que sur la réflexivité des stagiaires, tout en respectant l’esprit des curriculums prescrits (Boutet, 2000 ; Glaymann, 2014).

Les séminaires se définissent comme étant des activités complémentaires aux stages (Boutet, 2000 ; Desbiens, Molina et Habak, 2019). Ils sont constitués d’échanges réflexifs portant sur des « expériences individuelles qui peuvent être transformées, dans l’interaction réflexive, en un savoir plus généralisable » (Boutet, 2000, p. 65).

Les stagiaires sont accompagnées par une personne enseignante associée, praticienne chevronnée du milieu scolaire, et par une personne superviseure, mandatée par le milieu universitaire, afin de favoriser le développement de leurs savoirs de la profession. Dans le cadre de cette étude, nous considérons que l’acte d’accompagner implique « se joindre à quelqu’un […], pour aller où il va […], à son rythme, à sa mesure, à sa portée. Tel est le principe de base : l’action se règle à partir de l’autre, de ce qu’il est, de là où il en est » (Paul, 2009, p. 62-63). Cet accompagnement doit reposer sur trois dimensions : la dimension relationnelle (relation favorable au climat de confiance), la dimension située (partir de l’endroit où se situe la personne accompagnée pour aller dans la direction et vers la destination qu’elle souhaite) et la dimension temporelle (avancer au rythme de l’accompagné) (Paul, 2004, 2016).

La notion d’écodispositif

La notion d’écodispositif est centrale dans cette étude, pour orienter l’émergence de dispositifs d’intégration de l’EAV en formation pratique, lesquels se font encore attendre. L’écodispositif se veut un lieu de ralliement entre les différentes conceptions présentées plus haut et les cinq constituantes issues de cette étude.

De manière plus spécifique, la notion d’écodispositif se situe à l’intersection de quatre propositions théoriques. Les trois premières sont liées à la notion de dispositif de Peeters et Charlier (1999), qui le décrivent comme un entre-deux se situant entre liberté et contrainte, entre réalité et imaginaire ainsi qu’entre sujet et objet. La quatrième est celle d’Albero (2010), qui définit le dispositif comme ce qui « englobe les lieux, les méthodes et l’ensemble fonctionnel des acteurs et des moyens mobilisés en vue d’un objectif » (p. 1). De plus, nous situons l’écodispositif de cette étude dans la typologie de dispositifs hybrides de formation en enseignement supérieur définie par Burton et al. (2011).

Notre ajout de la dimension éco tient à l’importance accordée à l’éveil d’une conscience écologique dans ce dispositif, soit celle qui priorise la « reconnaissance de la diversité, de l’interconnexion et de l’interdépendance entre les éléments des systèmes de vie » (Pruneau et al., 2017, p. 185). Ainsi, la notion de dispositif dans cette étude devient celle d’écodispositif, car elle est étroitement liée à l’interaction des systèmes, à l’environnement naturel ainsi qu’à la biodiversité.

Typologie des savoirs

Parce qu’elle est relativement connue en milieu de formation pratique en FIE, la typologie savoir, savoir-faire, savoir-être, qui correspond au développement des connaissances, habiletés et des attitudes (Jouquan et Parent, 2015), a été retenue pour classer les savoirs jugés importants en EAV par les personnes participantes. Les opinions qu’elles ont exprimées à ce sujet lors des divers entretiens sont fortement ancrées dans leur expérience professionnelle, ce qui nous a conduits à les considérer comme une explicitation de leurs savoirs pratiques, que nous avons pu situer par rapport à des savoirs plus théoriques, dans une perspective de liaison théorie-pratique (Chaubet et Gervais, 2014).

Objectifs spécifiques de recherche

Cette recherche avait pour objectifs spécifiques de :

  • dégager les savoirs spécifiques du domaine de l’EAV que devrait comporter un écodispositif d’intégration de l’EAV dans la formation pratique du futur personnel enseignant à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire ;

  • dégager les caractéristiques de l’accompagnement offert par les personnes enseignantes associées et les personnes superviseures de stage que devrait comporter un écodispositif d’intégration de l’EAV dans la formation pratique du futur personnel enseignant à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire.

Méthodologie

Nous avons opté pour une démarche de recherche collaborative pour nous rapprocher des situations de pratique et faire en sorte que nos résultats puissent se traduire plus facilement en actions éducatives en faveur de l’environnement global, lesquelles sont incessamment réclamées. Ainsi, la mobilisation de l’expérience significative des personnes praticiennes (en EAV ou en formation pratique) représentait une contribution indispensable, puisque la recherche collaborative « vise une médiation entre le monde de la recherche et celui de la pratique professionnelle, en vue d’étudier le savoir-faire qui sous-tend cette dernière dans le cadre d’une démarche de coconstruction » (Morissette, 2013, p. 41). De fait, elle concède une place importante à l’idée de lier les savoirs théoriques et pratiques, notamment en octroyant une place de choix à la voix des personnes praticiennes afin de produire un certain savoir lié à leur pratique (Couture, Bednarz et Barry, 2007). Ainsi, des zones de coréflexion, qui représentent de puissants leviers pour rallier théorie et pratique (Desharnais, 2021), ont été intégrées pour soutenir la coconstruction de nouveaux savoirs relatifs au terrain (Morissette, 2013) en EAV et favoriser ainsi l’articulation théorie-pratique en FIE.

À cette fin, les méthodes suivantes de collecte de données ont été sélectionnées : entretiens individuels, entretiens de groupe et échanges sur un forum électronique de coconstruction de connaissances. Ces méthodes ont permis de croiser leurs expertises et leurs savoirs expérientiels, au profit de l’identification des caractéristiques projetées de l’écodispositif d’intégration de l’EAV à la composante pratique de la FIE. Le potentiel de l’expérience et de l’action des personnes praticiennes à titre de coproducteurs de savoirs (Bourassa et al., 2007), pouvant nourrir à la fois les théories et les pratiques au même titre que la personne chercheuse, a ainsi pu être reconnu et exploité.

La collecte des données

Deux groupes (personnes expertes et praticiennes)[9] ont été formés pour recueillir les données de cette étude afin de croiser les savoirs spécifiques en formation pratique à l’enseignement et ceux spécifiques à l’intégration de l’EAV. Le groupe de personnes expertes en EAV était constitué de cinq personnes participantes, ayant une expérience de plus de cinq ans en formation en EAV (ayant déjà offert des activités de formation en EAV à des intervenantes, intervenants en éducation préscolaire et en enseignement primaire). Le groupe de personnes praticiennes de la formation pratique était formé de cinq stagiaires se reconnaissant un intérêt pour l’EAV et ayant une expérience de stage récente (moins de deux ans), et de trois personnes enseignantes associées ou superviseures de stage, se reconnaissant un intérêt pour l’EAV et possédant une expérience de plus de deux ans en accompagnement de stagiaires.

Afin de ne pas prédéterminer les propos des deux groupes de personnes participantes, nous avons tenu des entretiens séparés, même si l’objectif d’élaboration d’un écodispositif leur était commun. Ainsi, un entretien individuel semi-dirigé a été réalisé avec le groupe de personnes expertes dans un premier temps (fin mai et début juin 2019) et deux entretiens de groupe semi-dirigés[10] ont été réalisés avec le groupe de personnes praticiennes par la suite (en juin 2019, à la suite de l’entretien individuel avec les personnes expertes et, un second, à la fin juin 2019 à la fin des échanges sur le forum). Les questions composant les canevas de ces entretiens ont été élaborées à partir des objectifs de recherche et des principaux concepts théoriques de l’étude[11]. Comme nous souhaitions prélever des données mettant à contribution et en interaction les savoirs de tous, un forum électronique de coconstruction de connaissances[12] a également été tenu avec toutes les personnes participantes (juin 2019). Ce forum avait pour but d’établir une coconstruction de connaissances favorisant un avancement collectif (Scardamalia et Bereiter, 2003). De plus, un journal de bord a été rempli par la chercheuse principale[13]. Les notes se sont avérées utiles pour opérationnaliser la recherche.

L’analyse des données

Les données recueillies ont été traitées selon l’analyse de contenu par catégories (Bardin, 1989)[14]. L’analyse a été réalisée en fonction d’un design émergent, par contraste avec un design préétabli et fixe (Anadón et Guillemette, 2006), en cohérence avec la démarche collaborative de recherche.

L’analyse a conduit à l’identification de sept thèmes[15] regroupant par catégories stabilisées les divers propos tenus lors des entretiens ainsi que sur le forum. L’articulation des contenus associés à chacun de ces thèmes a permis de cerner cinq constituantes d’un écodispositif d’intégration de l’EAV[16].

Synthèse des résultats et des discussions en lien avec les cinq constituantes de l’écodispositif

Bien que cette étude ait généré plusieurs résultats (Gilbert, 2021 ; Gilbert et Boutet, 2022), dans cette section, ils sont présentés de manière synthétique sous l’angle des cinq constituantes (savoirs, approches, accompagnement, ressources, éléments transversaux) souhaitables d’un écodispositif d’intégration de l’EAV à la formation pratique du futur personnel enseignant à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire. Les résultats générés par cette étude[17] ont permis d’atteindre les objectifs de la recherche[18]. Plus précisément, c’est grâce à l’analyse des propos tenus sous les sept thèmes que les constituantes de l’écodispositif ont pu être dégagées. Les thèmes d’analyse ayant nourri ces dernières sont présentés dans le tableau 1, à la suite duquel des extraits de propos ayant alimenté les cinq constituantes sont exposés à titre d’exemples.

Tableau 1

Résultats généraux selon les sept thèmes d’analyse

Résultats généraux selon les sept thèmes d’analyse

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Selon l’expérience de certaines personnes participantes, l’écodispositif implique le développement de savoirs spécifiques, notamment des savoirs relatifs à certaines approches pédagogiques favorables à l’EAV : « […] de savoir que l’EAV peut être transdisciplinaire et de savoir comment l’appliquer au quotidien à travers les différentes approches que j’ai mentionnées et de connaître les approches […] »

L’écodispositif implique également des savoir-faire relatifs à l’EAV propices à la dimension motivationnelle de l’enseignement-apprentissage :

Le plaisir à apprendre où la notion de plaisir à transcender tout l’enseignement en EAV. On travaille sur des sujets sérieux graves […]. Les jeunes doivent trouver leur compte là-dedans. Ils doivent sentir qu’ils se réalisent, qu’ils ont du plaisir à le faire et qu’ils ont beaucoup de reconnaissance en retour…

Or, l’intégration de l’EAV lors des stages, exige certaines autorisations pour faire de l’EAV et un accompagnement spécifique de la part de la personne enseignante associée :

[…] la liberté, une permission de faire de l’EAV en accompagnant les recherches. Juste à être là, 100 %, là… et quand on est devant une impasse, on réfléchit ensemble avec l’enseignante associée et on trouve des pistes de solutions pour rediriger notre projet d’EAV.

et de la personne superviseure :

Les canevas de planification souvent qu’on nous donne… Il y a des superviseurs qui sont plus ouverts, mais pas d’autres et avec ces canevas souvent la pédagogie par projet n’entre pas dans ces canevas-là… ce n’est pas cela que je veux faire, mais je suis comme pris avec […].

Par ailleurs, l’écodispositf comporte l’accès à certaines ressources.

C’est sûr que si tu as un cours qui te dit « va chercher les ressources que tu veux » et […] qu’on met ensemble où on a trouvé nos ressources […] Un genre de nuage collectif pour les stagiaires, enseignants associés et superviseurs…

…avoir à l’université une cour extérieure pour amener des élèves pour se pratiquer à mettre en place des approches en EAV et du matériel pour explorer la nature, urbaine aussi…

Dans le tableau 1, comme dans les extraits, on peut observer que plusieurs thèmes ont pu être liés aux constituantes, savoirs et accompagnement, lesquels étaient étroitement associés aux objectifs spécifiques de la recherche. Quant à l’ensemble des résultats, ils ont permis d’atteindre l’objectif général de l’étude puisque les données se sont avérées suffisantes pour pouvoir dégager les caractéristiques souhaitables d’un écodispositif favorisant l’intégration de l’EAV visée.

La figure 1 offre une vue d’ensemble des constituantes émergeant des résultats de cette étude.

Figure 1

Constituantes d’un écodispositif d’intégration de l’EAV (Gilbert, 2021, p. 328)

Constituantes d’un écodispositif d’intégration de l’EAV (Gilbert, 2021, p. 328)

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À l’instar des propos formulés par les personnes participantes à la recherche, cet exemple d’écodispositif inscrit l’EAV dans l’action en faveur de l’environnement global dans les situations réelles avec, pour et par les milieux.

Constituantes-Savoirs

L’analyse des résultats a permis de préciser les savoirs (connaissances, savoir-faire, savoir-être) qui devraient circuler au sein d’un écodispositif d’intégration de l’EAV en formation pratique de la FIE, notamment : la connaissance des approches éducatives favorables au développement de l’empathie envers le vivant ; les savoir-faire relatifs à la prise en compte des besoins et capacités de tous les enfants, dont ceux ayant des besoins particuliers pour faire de l’EAV ; le développement d’attitudes collaboratives avec les différentes personnes et organismes intervenant en EAV.

Les savoirs spécifiques relevés dans le cadre de cette étude font écho à certains travaux réalisés en EAV dont ceux de Boutet (2008) au sujet du développement des composantes de la citoyenneté environnementale et ceux de Pruneau et al. (2017) au sujet du développement de la créativité et de l’ouverture d’esprit pour résoudre des problèmes liés aux enjeux environnementaux. Ils comportent de plus la particularité de s’inscrire dans la composante pratique de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire, au moyen d’approches favorables à l’EAV.

La constituante-Approches

Plusieurs approches ont été relevées dans cette étude comme étant favorables à l’intégration de l’EAV à la composante pratique de la FIE, notamment les approches : systémique, réflexive, créative, expérientielle, apprentissage par l’action, collaborative, interdisciplinaire, par projet, par enquête, par service communautaire, de la pédagogie par la nature, de l’apprentissage par le milieu.

Les résultats regroupés sous cette constituante sont en cohérence avec d’autres études qui ont identifié ces approches comme étant favorables à l’intégration des savoirs liés à l’EAV, dont celle de López-Azuaga et Suárez Riveiro (2018), ainsi que celle de Sims et Falkenberg (2013) au sujet des approches de : l’apprentissage par la nature, l’apprentissage interinstitutionnel, l’apprentissage par résolution de problèmes en situation réelle. Les résultats de notre étude concordent également avec la vision de Van Petegem et al. (2007) au sujet des approches participative et interdisciplinaire ainsi que ceux de Spektor‑Levy et Abramovich (2016) visant le développement du leadership environnemental en association avec une démarche d’apprentissage expérientielle, réflexive et collaborative. Par ailleurs, les travaux de Pruneau et al. (2014) enracinés dans la viabilité sont également en adéquation avec les approches mises de l’avant dans le cadre de cette recherche, soit les approches : systémique, prospective, de l’action stratégique, de la pensée design et de la planification collaborative.

Selon les résultats de notre étude, le développement des savoirs relatifs en EAV chez les stagiaires s’appuie à la fois sur l’utilisation des approches relevées et sur un accompagnement de la part des personnes formatrices de stage.

La constituante-Accompagnement

L’idée de l’accompagnement des stagiaires pour favoriser le développement des savoirs s’avère centrale dans cette étude, notamment l’accompagnement, qui implique de : participer avec les stagiaires et/ou le personnel enseignant aux communautés de pratiques liées à l’intégration de l’EAV; faire des rétroactions pour favoriser l’intégration de savoirs en EAV; faire preuve d’ouverture envers les stagiaires tout au long du processus d’accompagnement ; partir de situations réelles et signifiantes pour faire de l’EAV lors du stage; soutenir la capacité des stagiaires à développer un questionnement réflexif pour améliorer leurs pratiques en EAV.

L’accompagnement de la personne stagiaire dans l’approfondissement de sa réflexion représente, selon les résultats, un aspect indispensable pour favoriser le développement de compétences relatives à l’EAV. Cette idée rejoint celle de Pruneau et al. (2014) en ce qui a trait à un accompagnement permettant de réfléchir « à la manière et aux conditions dans lesquelles les actions seront faites » (Pruneau et al, 2014, p. 11), et ce, afin de mener des actions en cohérence avec la perspective de viabilité. Pour ce faire, certains aspects communicationnels ont été relevés par les personnes participantes comme étant à développer chez les personnes accompagnatrices et celles accompagnées, comme la communication empathique et bienveillante.

De plus, à l’instar de plusieurs (Boutet et Villemin, 2014 ; Desbiens et al. 2019 ; Van Nieuwenhoven et Colognesi, 2015), les résultats de l’étude réitèrent la nécessité de former les personnes formatrices de stage pour accompagner le futur personnel enseignant, mais, cette fois pour l’accompagnement du développement des savoirs spécifiquement liés à l’EAV ainsi que des compétences professionnelles à l’enseignement. Ainsi, le présent écodispositif devrait comporter des éléments de formation et de coformation.

La constituante-Ressources

Des ressources liées à l’EAV ont été mises en exergue dans cette étude, comme : le matériel pédagogique lié à l’EAV, les ressources pour ancrer les savoirs en EAV dans des situations réelles et signifiantes, des outils et documents informatifs pour les personnes enseignantes associées liés à l’intégration de l’EAV, un laboratoire réel et virtuel relatif à l’EAV, une classe-laboratoire relative à l’EAV à l’université (intérieure et extérieure). Cependant, c’est surtout l’importance des interactions entre les ressources et les constituantes de l’écodispositif qui a été soulignée. En effet, l’importance d’accompagner le développement d’une pensée connective, c’est‑à-dire celle qui est appelée parfois pensée systémique, relationnelle ou holistique et qui convoque « une réflexion sur les liens entre divers éléments d’une situation et sur les conséquences de ces liens » (Pruneau et al., 2014, p. 9), nous a menés à regrouper les éléments Ressources dans un centre de liaison que nous avons appelé EAV-LAB, dans le but de permettre l’accompagnement du développement de la pensée connective du futur personnel enseignant, comme l’ont suggéré les résultats de cette recherche.

La constituante-Éléments transversaux

Selon les résultats, différents contextes devraient coexister à l’intérieur du projet d’écodispositif. Ces éléments contextuels sont transversaux par rapport aux quatre autres constituantes, qu’ils sous-tendent et sur lesquelles ils ont des effets. Ce sont : le cheminement dans le programme, les modalités de la formation pratique (séminaires et stage), l’intervention de la triade (stagiaire, personne enseignante associée, personne superviseure de stage), les travaux liés aux stages et l’évaluation des compétences relatives à l’EAV des stagiaires. À titre d’exemples plus précis, les propositions suivantes ont été faites : des séminaires portant sur les liens entre les disciplines pour faire de l’EAV, la possibilité d’un cheminement flexible et personnalisé lié au degré d’intégration de l’EAV, la triade porteuse de l’intégration de l’EAV, les journaux réflexifs comme vecteurs d’EAV, des ateliers collaboratifs pour expérimenter l’EAV, la possibilité de développer des situations d’apprentissage et d’évaluation ou des projets interdisciplinaires favorables à l’EAV, l’environnement extérieur comme extension de la classe.

Ainsi, la présentation des résultats dans cette partie permet de dessiner les contours et de préciser plusieurs contenus d’un écodispositif d’intégration de l’EAV à la formation pratique du futur personnel enseignant du préscolaire et du primaire. Outre le fait que ces résultats sont en cohérence avec la volonté d’atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies et qu’ils s’inscrivent dans l’appel d’Evans et al. (2017) pour offrir au futur personnel enseignant des opportunités de développer leurs savoir-agir en EAV par l’intermédiaire de personnes formatrices en FIE, ces résultats rejoignent la volonté de favoriser le développement d’une citoyenneté dirigée vers la viabilité de l’environnement global (ACDE, 2022).

Conclusion et prospectives

L’analyse des données a permis de déboucher sur une proposition d’écodispositif d’intégration de l’EAV à la formation pratique du futur personnel enseignant de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire, en précisant notamment cinq constituantes et ce qu’elles peuvent contenir. Bien que cette étude ne puisse prétendre à l’exhaustivité ni à la généralisation de ses résultats, elle pourrait, selon certaines adaptations, s’étendre à d’autres contextes. Par ailleurs, elle ouvre la voie à diverses prospectives. En effet, la complexité et l’urgence des enjeux socio-environnementaux soulèvent la nécessité de poser le développement d’une écocitoyenneté permettant d’y faire face, en tant qu’objectif central de notre système éducatif. De plus, nous estimons que les résultats de cette recherche peuvent s’inscrire dans plusieurs aspects du Référentiel de compétences professionnelles à l’enseignement renouvelé (Gouvernement du Québec, 2020), dont la huitième compétence consistant à « soutenir le plaisir d’apprendre : Entretenir chez ses élèves le plaisir d’apprendre, le sens de la découverte et la curiosité en réunissant les conditions nécessaires à l’épanouissement de chacune et de chacun » (p. 64), car l’intégration des approches favorables à l’EAV proposées dans cette étude semble porteuse pour favoriser le développement du plaisir d’apprendre chez les élèves, notamment la pédagogie par la nature (Sheldrake, Amos et Reiss, 2023). Des études empiriques relatives à cette compétence et à cette approche en contexte de supervision de stage sont à déployer et à documenter afin de soutenir la formation d’un personnel enseignant apte à relever les défis complexes actuels et futurs, résilient face aux changements et pouvant exercer son agentivité pour l’avènement d’un monde écologiquement et humainement viable.