Abstracts
Résumé
La logique cannibale – telle que l’interprète Montaigne – consiste à perdre son corps pour mieux cristalliser la parole et faire durer la mémoire. Bien plus qu’un simple mode de communication, pour les Tupinambas, le corps représente une véritable économie (un commerce) : il se transforme en un signe qui permet l’échange symbolique. Grâce à cette consommation absolue, la mort devient régénératrice. Les Essais de Montaigne sont eux-mêmes un corps vivant puisqu’ils servent de lieu de rencontre et synthétisent les échanges avec d’autres corps. Montaigne se « nourrit » littéralement de l’Autre afin d’affermir son propre corps et de l’empêcher de se dégrader. Comme le cannibale, les humanistes de la Renaissance pratiquent l’ « innutrition » : ils consomment le corps mort de leurs aînés (le corps textuel des Anciens) pour exister dans la postérité.
Mots-clés :
- Montaigne,
- cannibalisme,
- cadavre,
- corps,
- innutrition,
- mémoire
Abstract
Montaigne’s cannibal logic consists of losing the body to crystallize better the word and prolong the memory. For the Tupinambas, the body, much more than a simple communication medium, represents a real economy (a trade good) : it is transformed into a sign which enables a symbolic exchange. Thanks to this absolute consumption, death becomes regenerative. Montaigne’s Essays are themselves a living body ; they serve as a meeting place and synthesize exchanges with other bodies. Montaigne literally “feeds” on the Other to strengthen his own body and to protect it from degradation. Like cannibals, the humanists of the Renaissance practice “innutrition” : they consume the dead bodies of their elders (the textual bodies of the Ancients) in order to preserve themselves for posterity.
Keywords:
- Montaigne,
- cannibalism,
- corpse,
- body,
- innutrition,
- memory
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Appendices
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