Présentation

Conceptions de la mort et rites funéraires dans les mondes autochtones[Record]

  • Laurent Jérôme and
  • Sylvie Poirier

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  • Laurent Jérôme
    Professeur au Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal

  • Sylvie Poirier
    Professeure au Département d’anthropologie, Université Laval, Québec

À travers une perspective anthropologique et des enquêtes de terrain, ce numéro de la revue Frontières propose un regard comparatif sur les pratiques, les savoirs et les conceptions de la mort et du deuil chez différents groupes autochtones d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud et d’Australie. En s’appuyant sur des récits, des observations et des analyses de première main, les auteurs réunis dans ce numéro montrent la richesse et la complexité des conceptions et des pratiques funéraires des peuples autochtones de différentes régions du monde, contribuant à enrichir le champ de recherche des études sur la mort et à élargir notre compréhension des phénomènes liés à la mort et au deuil. Considérant le rituel comme la pierre angulaire de ces pratiques et de ces savoirs, le numéro met l’accent sur les rites entourant la mort, révélateurs de conceptions singulières de la vie, de la mort et de la relation aux morts. Dans les mondes autochtones, et comme en témoignent les articles du présent numéro, la mort et les rites funéraires ont toujours été publics et collectifs. L'époque coloniale, les tentatives successives d’assimilation, la dépossession territoriale, les conversions à différents mouvements religieux (catholicisme, pentecôtisme, évangélisme) ou encore l’insertion dans les systèmes capitalistes et étatiques n’ont pas éloigné les sociétés autochtones de leur responsabilité face à leurs morts et face à l'ancestralité. Cette réalité se maintient face à la modernité et à la mondialisation. Les Autochtones ne semblent pas dépourvus face à la mort et reformulent constamment leurs pratiques visant à accompagner les défunts vers un monde-autre. Plus souvent qu'autrement, les rites funéraires sont aussi des occasions de consolider et de réaffirmer une identité collective distincte de la société dominante. Indissociables de leur dimension politique, les savoirs et les pratiques liés à la mort sont une occasion pour les Autochtones de réaffirmer une souveraineté et une autonomie qui ne leur sont pas reconnues par l'État; ces pratiques deviennent aussi parfois un lieu de résistance créatrice. Les rites funéraires révèlent aussi des distinctions au niveau de la notion de personne, des relations entre les vivants et les morts, des conceptions autochtones de la vie après la mort, ou encore des relations profondes au territoire. Les auteurs des articles rassemblés ici insistent sur les continuités, mais aussi sur les transformations de ces pratiques et de ces savoirs qui se sont renouvelés dans différents contextes politiques et qui semblent continuellement s’adapter à de nouvelles réalités. Le renforcement de réseaux d’échanges autochtones au niveau international, les dynamiques complexes entre communautés et milieux urbains ainsi que le développement des nouvelles technologies ont ainsi participé à la reformulation de certaines pratiques et conceptions liées à la mort. Les conceptions de la mort et les rites funéraires apparaissent également comme des thèmes privilégiés des expressions artistiques contemporaines, s’inscrivant dans les processus actuels de patrimonialisation des cultures matérielles et immatérielles autochtones. Ce numéro offre en outre une lecture dynamique, actuelle et internationale sur l’unité et la diversité des conceptions autochtones liées à la mort. L’anthropologie de la mort constitue un domaine d’étude classique de la discipline anthropologique. En règle générale, les anthropologues s’entendent à reconnaître que la mort est un fait social avant d’être un fait naturel. Dans toutes les sociétés, et cela inclut les sociétés occidentales modernes, la mort est appréhendée, vécue, et expérimentée sur la base de constructions sociales et culturelles complexes, inscrites dans une historicité et une dynamique particulières (Godelier, 2014; Robben, 2004). La mort est non seulement un fait social par excellence, elle est, pour reprendre l’expression de Marcel Mauss, un « fait social total ». En effet, une étude attentive des conceptions et des pratiques …

Appendices