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L’objectif de ce numéro est de lire, éclairer et analyser quelques-uns des liens entre épidémies et mort. Il ambitionne notamment de mieux comprendre les relations qui se construisent en période épidémique entre les vivants d’une part, et les proches en fin de vie ou décédés d’autre part. Comment, dans de telles situations de crise, les individus, les familles, les populations, adaptent-ils leurs pratiques d’accompagnement et de soins des morts; comment les autorités sanitaires et les acteurs institutionnels ou professionnels gèrent-ils cette articulation entre exigences biosécuritaires et impératifs funéraires.
Évènements majeurs dans l’histoire de l’humanité, les épidémies – dont la COVID-19[1] n’est que l’avatar le plus récent – induisent de multiples transformations des relations entre les vivants et leurs morts, et – par extension – avec la mort de manière globale. Bien des pays dits « riches », dans lesquels les États et les populations imaginaient que de tels évènements étaient enfouis dans les méandres de leur passé ou réservés à d’autres aires géographiques, viennent de vivre douloureusement – le plus souvent dans le silence du moment – ce que mourir en temps d’épidémie signifie. Plusieurs régions, notamment dans les Nords, ont été confrontées à des contextes de mort de masse. Des images insoutenables ont fait le tour du monde dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par exemple en Lombardie (figure 1) au nord de l’Italie (Alfieri et al., 2022, 2020; Sams et al., 2021). De nombreux pays qui n’avaient plus connu de tels évènements depuis bien longtemps viennent d’être confrontés à des récits de décès dans des conditions qui leur semblaient jusqu’alors inenvisageables, impossibles sous leurs latitudes, d’un autre âge. Beaucoup parmi les familles, les soignants ou encore les bénévoles d’associations ont été projetés, sans préparation, au coeur de la gestion de situations de mort à distance, de mort sans contact, de mort sans les proches, de mort sans rituel, de mort dans la solitude.
Les travaux produits depuis le début de la pandémie sur ce thème montrent la mobilisation des sciences sociales sur l’une des questions les plus polémiques de cette période pandémique. Ils dépeignent avec force la sidération des individus, des familles, des populations et des institutions de soins (par exemple : Gaglio et al., 2022 ou Hazif-Thomas et Seguin, 2022). Ils documentent également l’impréparation des États face à la violence de l’évènement dans le champ du funéraire (par exemple : Alfieri et al., 2022, 2020 ou Moulin, 2022 dans ce numéro) et ce, malgré les appels répétés de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plusieurs années à mieux se préparer aux éventuelles épidémies, notamment au travers du concept disease X (Sams et al., 2022). Or cette gestion improvisée des épidémies aboutit en général à une exacerbation de la situation de crise (Bolat et Bourmaud, 2021; Borraz et Bergeron, 2020). Paradoxalement, de tels bouleversements ne sont pas entièrement nouveaux. Il importera donc de lire et d’analyser les liens entre pandémies et mort à la lumière de ce qui s’est passé antérieurement ou ailleurs pour d’autres maladies infectieuses, ou en lien avec les canicules, les terrorismes, les guerres et conflits, les catastrophes naturelles, etc.
Il est impératif de mieux comprendre les effets des pandémies sur les pratiques funéraires et mortuaires sous contrainte biosécuritaire; les expériences pour les familles et les proches de ces morts avec des rites funéraires absents, altérés ou transformés; la construction du deuil qui s’ensuivra, les perceptions; ou encore les pratiques professionnelles des soignants et des accompagnants de la fin de vie. Il est tout aussi indispensable d’étudier les manières de raconter les morts brutales et les représentations sociales, artistiques et médiatiques liées à cette façon de mourir. Or, malgré les efforts déjà consentis depuis deux décennies, les institutions de santé globale – comme l’OMS – n’explicitent pas encore suffisamment les dimensions sociales et culturelles qui complexifient le travail de préparation et la mise en oeuvre des réponses (Desclaux et Touré, 2018), notamment dans le champ du funéraire.
C’est à cette approche en sciences humaines et sociales de la mort en période d’épidémie que ce numéro thématique de Frontières est dédié. Ce numéro cherche à appréhender le sens de cette brutalité imposée par les épidémies aux familles et la manière dont les accompagnants professionnels ou les proches vivent ces moments difficiles, douloureux, déstabilisants, intolérables et insupportables pour beaucoup. Il cherche à montrer comment ces acteurs sociaux construisent, souvent dans le désarroi et l’urgence, des pratiques de substitution. Il s’interroge sur l’impact à court et à long termes de ces formes de brutalisation sur le travail de deuil, sur la santé des personnes qui restent et sur la construction d’une dignité puis d’une mémoire des morts. Dans un souci d’application de la recherche et d’implication des chercheurs, ce numéro propose aussi de se projeter hors des contextes épidémiques afin de réfléchir sur la manière dont les sciences sociales aident à mieux se préparer à d’éventuelles épidémies sur cette question spécifique de la mort et de ses rituels.
En raison de l’évènement qui dure depuis fin 2019, plusieurs des contributions dans ce numéro nous parlent de la mort et des morts durant la pandémie de COVID-19. Bien qu’il faille rester prudent face à la production des chiffres et comprendre comment ces chiffres sont construits, surtout en « période exceptionnelle » (Gastineau et al., 2022), rappelons qu’au 16 janvier 2023, plus de 662 millions de cas confirmés ont été notifiés, avec un peu plus de 6,7 millions de décès[2]. L’ampleur de l’évènement explique cette focalisation et cette mobilisation des sciences sociales pour documenter et analyser ce qu’il s’est passé. Toutes les facettes des rapports entre la mort, les morts et les épidémies n’ont pas été abordées, ni par les programmes de recherche menés jusqu’à ce jour, encore moins par les contributions proposées dans ce numéro. L’espoir est que l’initiative de la revue Frontières de rassembler des contributions issues de différents horizons disciplinaires puisse aider une réflexion débutante et enrichir l’analyse d’une question complexe qui nous affecte et nous préoccupe tous pour différentes raisons, qu’elles soient personnelles ou professionnelles; et pour ces dernières, tant dans le domaine des recherches en sciences sociales que dans la conception et la mise en oeuvre par la santé publique de réponses aux épidémies. Il importe de réfléchir sur comment impliquer les sciences sociales dans la préparation aux épidémies en se servant des leçons apprises durant cette pandémie, mais aussi avant, ailleurs, ou pour d’autres maladies épidémiques. La question se pose également de savoir quelles seront les conséquences délétères que ces perturbations – surtout si elles sont négligées ou ignorées – pourraient avoir, en particulier sur la santé de ceux qui restent ou qui survivent. Du sida à la COVID-19 en passant par Ebola, les sciences sociales ont bien montré que la préparation et la réponse aux épidémies sont bien plus efficaces et humaines lorsqu’elles y sont associées (Kra et Schmidt-Sane, 2021; Bardosh et al., 2020, 2016; Taverne et al., 2015).
Les équipes et les chercheuses et chercheurs qui ont répondu à l’appel de la revue Frontières sont de différentes origines disciplinaires. Les lecteurs et les lectrices auront la chance de pouvoir cheminer en traversant successivement ou synchroniquement différents espaces de pensée et d’analyse. Les articles retenus, la plupart d’ailleurs transdisciplinaires, voire syncrétiques, reposent en effet sur des approches revendiquées par des anthropologues, des médecins, des philosophes, des psychologues, des sociologues ou des travailleurs sociaux (citées par ordre alphabétique). Pour autant, ces travaux s’inscrivent dans une lignée de travaux antérieurs, produits en partie par des disciplines qui ne sont pas toutes représentées ici. Les historiens et les historiennes sont absents sans grande surprise de ce numéro, tant il est difficile en histoire pour des spécialistes de périodes historiques déterminées d’analyser l’actualité dans une approche des évènements en cours qui se voudrait extemporanée (Beauvieux et al., 2022a). Il importait donc de rappeler, hélas trop sommairement, l’importance de leurs contributions dans la réflexion qui nous occupe.
La multitude d’interactions entre mort, morts et épidémies fut, et est toujours, le centre d’intérêt de nombre d’historiens et d’historiennes et d’archéologues. L’une des grandes figures parmi tant d’autres reste Mirko Grmek, historien des maladies. Son travail a utilisé la paléopathologie, la paléodémographie et l’ostéo-archéologie pour montrer comment les morts, au travers des ossements qu’ils nous ont légués, nous offrent un témoignage des maladies (notamment des épidémies) qui apparaissaient, existaient ou disparaissaient dans la Grèce antique (Grmek, 1983). Grâce à la valeur heuristique de son concept précurseur de pathocénose, Grmek (1969) a pu proposer dès la fin des années 1980 une première histoire de la pandémie de sida (Grmek, 1990).
Sans remonter jusqu’à l’Antiquité et convoquer ces morts qui, par leurs ossements, parlent aux vivants des épidémies du passé, d’autres historiens et historiennes se sont intéressés aux bouleversements des rapports entre vivants et morts lors des épidémies. Les travaux produits, par exemple, à propos des épidémies de peste évoquent notamment la variabilité de la terminologie utilisée pour qualifier les lieux d’inhumations improvisées dans des situations d’emballement de la mortalité lors des épidémies, ces « sépultures de crise » que d’autres qualifient de « charniers, fosses communes, sépultures de masse, sépultures de catastrophe ». Elles résultent d’un « phénomène adaptatif des vivants par rapport à une anormalité de la mort » induite notamment – mais pas seulement – par des épidémies (Signoli, 2008). Et ces crises de mortalité ont été particulièrement scrutées au prisme de « gisements funéraires » consécutifs à des épidémies (Castex, 2019; Castex et Kacki, 2013).
L’histoire des sociétés humaines est marquée de l’occurrence de nombreuses épidémies qui, en partie du fait des morts qu’elles ont provoquées, laissent des traces significatives, persistantes, parfois indélébiles dans les mémoires collectives. L’une d’elles, emblématique parmi d’autres, reste le « voeu de la peste », célébré chaque année depuis 300 ans en l’église Sacré Coeur du Prado, à Marseille. Les échevins de la ville[3], tenus en grande partie responsables de cette épidémie en 1720, formulèrent le 28 mai 1722 la promesse d’assister à perpétuité à une messe pour la protection de la ville. Pour honorer cet engagement, le maire de Marseille y participe jusqu’à ce jour chaque 28 mai (Signoli et al., 1998). Cette pratique fut d’ailleurs médiatisée en 2020 du fait du lien établi à 300 ans d’écart entre peste et COVID-19 à Marseille[4]. Un dénombrement des ex-voto relatifs à cette épidémie n’a retrouvé que 14 tableaux encore visibles mais qui témoignent que le « regain de la pratique votive » en 1720 mobilise des images de « mort violente », de « mort inattendue », qui n’étaient plus utilisées dans les pratiques votives antérieures (Fabre, 1991). Bien des ex-voto pour d’autres épidémies sont visibles aussi à l’intérieur de Notre Dame de la Garde, par exemple pour l’épidémie de choléra de 1884 à Marseille (figure 2) ou l’épidémie de fièvre jaune à Dakar en 1900 (figure 3).
À une époque plus tardive, alors que les miasmes étaient encore l’un des modèles étiologiques dominants dans l’interprétation des épidémies et que personne n’imaginait que des moustiques pouvaient être des vecteurs de maladies virales, les épidémies de fièvre jaune décimaient missionnaires et fonctionnaires de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire. Elles eurent, par exemple, des conséquences juridiques dans le domaine foncier avec l’interdiction de revendre des terres en cas de décès imputé à cette épidémie[5]. Mais elles eurent aussi des conséquences à l’échelle du pays, puisque le projet de faire de Bassam la capitale de la Côte d’Ivoire sera abandonné par l’administration coloniale (Wondji, 1976, 1972). La mémoire de ces morts est d’ailleurs gravée dans la pierre sur des monuments à la mémoire des victimes de la fièvre jaune (figure 4).
Des évènements plus récents, dans les années 1990, concernent des morts provoquées par la pandémie de sida. La biomédecine fut ébranlée par la survenue de cette « nouvelle maladie ». Elle le fut d’autant plus que la santé publique espérait en cette période de son histoire d’autres éradications d’épidémies après celle de la variole annoncée triomphalement en 1975, et que le succès de la vaccination concomitante de l’efficacité des antibiotiques avait permis de construire l’utopie d’une « santé pour tous en l’an 2000 », promue activement par l’OMS. Désemparées et inquiètes, bien des autorités sanitaires estimèrent nécessaire en ce début de pandémie d’inscrire le sida dans la liste des maladies à déclaration obligatoire. Cette inscription avait un corollaire juridique : elle instituait arbitrairement le caractère contagieux du VIH avec une conséquence redoutable pour les proches des personnes décédées : l’obligation de mise en bière immédiate, avec incidemment une impossibilité de réaliser nombre de rituels d’accompagnement du défunt et ainsi de construire correctement son deuil. Les associations de PvVIH lancèrent un débat que la biomédecine n’avait jamais vraiment traité jusqu’alors, celui de la différence entre transmission et contagion dans le registre des maladies infectieuses ou épidémiques (Broqua et al., 1998; Paicheler, 1998) et celui des effets de l’usage du concept de contagion, non seulement sur l’expérience de la maladie (stigmatisation, discrimination, rejet, etc.), mais aussi sur le vécu de la mort d’un proche et du deuil. Cette lutte pour la reconnaissance du caractère uniquement transmissible du sida et la revendication d’un droit à accompagner dignement ses proches avait alors donné lieu à des manifestations collectives de deuil, notamment avec les patchworks des noms (Broqua, 1998; Fellous, 1998; Gourarier, 1998; Hébert, 1998; Marty-Lavauzelle et Broqua, 1998).
Analyser les liens entre la mort, les morts et les épidémies impose de rappeler que dans de tels contextes, le réaménagement des pratiques funéraires est imposé par des normes de biosécurité. A minima, les mesures sanitaires visent à freiner la transmission par l’application du principe de distanciation physique. Elles se déclinent en interdiction des rassemblements et, notamment, des cérémonies familiales ou religieuses. Elles se traduisent aussi par une interdiction des visites dans les établissements de soins, empêchant l’accompagnement des personnes mourantes et l’exécution des premiers rituels funéraires. Pour certaines épidémies, l’agent infectieux est considéré comme transmissible par le corps et les fluides corporels des personnes décédées, par exemple pour la maladie à virus Ebola (MVE), Yersinia pestis en cas de peste, ou le SARS-Cov2. Les soins mortuaires sont alors considérés comme autant d’occasions de transmission.
Ainsi, les soins habituels apportés aux personnes malades, aux mourants et aux défunts, les cérémonies, les rites funéraires, les soins mortuaires ainsi que les processus de construction du deuil sont particulièrement contrariés, altérés, voire impossibles (Kra et al., 2020; Faye, 2015; Epelboin, 2014, 2012, 2009; Epelboin et al., 2008). Les normes biosécuritaires appliquées aux rites funéraires – qui pour mémoire s’étendent de l’agonie jusqu’à l’ancestralisation (Thomas, 1985) – s’articulent difficilement avec les pratiques socioculturelles et religieuses. Or, dans toutes les cultures, ces pratiques servent, selon les représentations, à assurer le respect dû aux personnes décédées, à restaurer la dignité des individus et des familles endeuillés et – pour une grande majorité des acteurs sociaux – permettraient l’accession des défunts au monde de l’au-delà, voire au statut d’ancêtre (Abiven, 2004; Thomas, 1982, 1975). Les crises de mortalité par épidémie conduisent à une requalification sociale de la notion de « bonne » ou « mauvaise » mort (Simpson et al., 2021; Thomas, 1975), mais aussi de « mort digne », « mort acceptable » ou encore « mort paisible » (Messinger, 2019; Otani, 2010; van der Geest, 2004; Allmark, 2002; Coope, 1997; Ariès, 1975).
Au début des années 2000, des anthropologues sont invités par l’OMS à travailler au sein d’équipes d’intervention dans des foyers épidémiques de maladies hautement contagieuses et à fort taux de létalité (Ebola, Marburg) (Epelboin, 2009, 2004; Epelboin et al., 2008; Brunnquell et Epelboin, 2007; Hewlett, 2007, Boumandouki et al., 2005; Hewlett et Hewlett, 2005; Hewlett et al., 2005). Ces travaux insistent sur l’humanisation des mesures de biosécurité et le respect de la dignité des personnes malades et de leurs familles. L’OMS, puis la Croix-Rouge, s’approprient rapidement ces contributions pour élaborer une procédure de co-construction avec les familles d’Enterrements Dignes et Sécurisés (EDS). Elle permet de mieux articuler biosécurité et impératifs culturels et propose des pratiques de substitution voire des rites de réparation (Croix-Rouge française et al., 2016; OMS, 2014). Malgré les différences entre MVE et COVID-19, bien des questions éthiques sont similaires et les savoir-faire acquis lors des épidémies d’Ebola auraient pu souvent être mieux partagés (Hazif-Thomas et Seguin, 2022; Kra et al., 2020, 2018; Kra et Zran, 2017). En effet, l’interdiction des contacts et l’impératif de mise à l’écart des cadavres et des familles ne sont pas des spécificités de la COVID-19. Les corps morts immédiatement enfermés dans des housses sont loin d’être un fait nouveau, tout comme l’existence de troubles cognitifs et sensoriels ressentis par les soignants et les familles. Le fait que ces évènements surviennent dans les Nords n’en fait ni une nouveauté, ni une totale spécificité. En témoignent par exemple les récentes épidémies de choléra en Haïti (Piarroux, 2019), de peste à Madagascar (Sams et al., 2017), de MVE en Afrique de l’Ouest (Anoko et Doug, 2019; Faye, 2015; Le Marcis, 2015; Epelboin, 2004) et plus récemment en République Démocratique du Congo ou en Ouganda.
Les mesures dans le champ du funéraire se heurteraient à en croire la santé publique à ce qu’elle-même qualifie de « résistance » des populations (Sodikoff, 2019; Lee-Kwan et al., 2017; Moran, 2017; Anoko, 2014a; Andrianaivoarimanana et al., 2013; Epelboin, 2012; Fureix, 2011; Esoavelomandroso, 1981). Dans une logique épidémiologique, la légitimité, la pertinence et le bienfait des mesures de biosécurité limitant la propagation de l’épidémie et le nombre de malades ne peuvent être remis en cause par la santé publique. En revanche, les populations peuvent les percevoir comme une menace envers ce qu’elles considèrent comme des valeurs culturelles (Epelboin, 2014, 2009). Les malheurs potentiellement provoqués par la transgression de ces valeurs peuvent apparaître comme bien plus préoccupants que le risque épidémique. Un rituel absent ou mal exécuté induirait de possibles malédictions pour les individus, les familles, les lignages, voire des collectivités plus larges (Anoko et Doug, 2019; Fairhead, 2014; Thomas, 2013,1982). Cette crainte est collective et partagée, car les rites funéraires sont par excellence ce que Marcel Mauss qualifie de « fait social total » (1924). La transgression d’un rite funéraire peut ainsi avoir des impacts redoutés dans tous les espaces du social (religion, parenté, fertilité, économie, politique, foncier, etc.) (Jakšić et Fischer, 2021; Chrościcki et al., 2012; Fureix, 2011; Trompette, 2008; Larson, 2001; Verdery, 1999). Mais cette « prise en compte de l’environnement social et culturel » reste hélas « parcellaire » et « insuffisante » (Laflamme, 2020).
Cette « hiérarchisation des risques et des priorités » (Kra et al., à paraître) autour des questions funéraires contribue parfois à une construction sociale de polémiques, aboutissant – fort heureusement dans de très rares situations – à des débordements d’une violence extrême (Anoko, 2014a, 2014b; Brunnquell et Epelboin, 2007), comme l’assassinat de 4 instituteurs à Kellé, au nord Congo en 2003 (Brunnquell et Epelboin, 2007; Berliner, 2004) ou le massacre de 8 membres d’une équipe sanitaire à Womey en 2014, durant l’épidémie de MVE en Guinée (Fribault, 2015; Anoko, 2014a). En temps d’épidémie, ces « conflits de valeurs » (Massé et al., 2005) enchevêtrés avec des « dynamiques de gestion multi-niveaux », allant des enjeux locaux aux « normes supranationales sur la prévention et la gestion de risque » (Milet, 2022) montrent bien, sur ce seul aspect très spécifique de la riposte, que la réponse aux épidémies ne peut se passer d’approches transdisciplinaires associant les sciences sociales.
Dans les sociétés humaines, « l’absence de toute ritualisation dans le traitement des morts […] correspond […] à un déni d’humanité » (Albert, 1999). Ne pas pouvoir accompagner ses proches dans la mort, exécuter les rituels ou respecter les impératifs culturels restent des épreuves marquantes, douloureuses, intolérables pour les familles, voire la collectivité, mais aussi pour des personnels soignants ou des professionnels de la thanatopraxie qui se retrouvent souvent en première ligne, démunis et seuls (Kra et al., 2020). Face à la « demande de rituels dans [ces] situations inhabituelles » (Gall, 2020; Hanus, 1998; Hébert, 1998), beaucoup parmi les familles, les soignants ou encore les bénévoles d’associations ont ainsi investi dans des pratiques de substitution.
Plusieurs contributions récentes, en psychologie notamment, examinent aussi la diversité des conséquences sur le deuil des mesures de santé publique dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Certes, certains travaux insistent sur le fait qu’il est probablement trop tôt pour se prononcer sur l’ampleur des conséquences de la pandémie sur des processus de deuil toujours en construction (Clavandier, 2020; Laflamme, 2020). Certains parlent de « deuil compliqué » (Eisma et Stroebe, 2021; Gesi et al., 2020), de « deuil inhabituel » (Corpuz, 2021) ou encore de « deuil non résolu » ou « incomplet » (Mortazavi et al., 2020), d’autres examinent l’hypothèse de « deuil complexe persistant », « alourdi » ou « prolongé » (Goveas et Shear, 2020; Kokou-Kpolou et al., 2020) ou évoquent des deuils « pathologiques » dans les suites d’un deuil « aigu » (Eisma et al., 2021), des deuils « impossibles », « brutaux » ou « traumatiques » (Veyrié, 2019). Ces blessures psychologiques, relevant souvent du domaine de l’intime, sont parfois peu évoquées, tues, voire masquées (Pearce et al., 2021). Pour autant, les conséquences de ces traumatismes sont souvent majeures au travers d’effets dramatiques d’un « deuil inhibé » ou absent (Burrell et Selman, 2020; Bacqué, 2006).
Les articles de ce numéro
En France, lors de la première vague de COVID-19, les Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) ont dû faire face à un risque de mort accru de leurs résidents et résidentes induit par l’entrée potentielle du virus. Frédéric Balard, Françoise Le Borgne-Uguen, Clément Desbruyères, Germain Bonnel, Vincent Caradec et Michel Castra expliquent comment les équipes de direction de treize EHPAD ont géré cette situation dans l’incertitude et malgré la pénurie criante de matériel de protection. Leurs stratégies d’adaptation mobilisaient notamment des ressources de proximité et des savoirs acquis par l’expérience d’épidémies antérieures, tout en conduisant un travail de veille, d’actualisation et de diffusion des connaissances médicales. L’intérêt de cet article au regard de l’objectif de ce numéro est indéniable car, en conclusion, les autrices et auteurs y énoncent que les morts liées à la COVID-19 n’étaient pas nécessairement dues à une cause virologique, mais aussi à des « phénomènes de désadaptation », un « syndrome de glissement » qui aboutissaient à des « décès prématurés des résidents dont l’état de santé était jugé plutôt stable en amont de l’épidémie ». La dimension biologique de l’épidémie n’est donc pas la seule « menace vitale pour des personnes âgées fragiles ». Une autre vient des conséquences sociales et psychologiques liées à la réorganisation du travail des soignants et des espaces de vie. En reprenant les mots de Olivier Giraud et Barbara Lucas, les autrices et auteurs déclarent que la « préservation de la “vie incarnée” » a prévalu et disent à la suite de Didier Fassin que le « biologique a pris le dessus sur le biographique ».
L’article de Valérie Bourgeois-Guérin, Dominique Girard, Carl Martin, Tamara Sussman, Éric Gagnon, Julien Simard, Isabelle Van Pevenage et Patrick Durivage invite les lecteurs et lectrices dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et des résidences pour aînés (RPA), cette fois au Québec durant la pandémie de COVID-19, dans une approche combinant gérontologie critique et psychologie humaniste. Les autrices et auteurs y examinent comment la brutalité de la pandémie ébranle les pratiques de fin de vie et le deuil du fait de l’absence des familles et de l’instauration des mesures sanitaires. La violence des expériences professionnelles est décrite par les sept répondantes comme une « tempête émotionnelle » et certaines « utilisent la métaphore de la guerre ». L’analyse des expériences de gestion des décès par le personnel met en lumière les ressentis d’impuissance et de confusion, la construction improvisée de formes de solidarité et le travail collaboratif induits par la crise pour se soutenir et soutenir les résidents et les résidentes. Les professionnelles insistent sur ces « initiatives collectives de soutien », ces « moments où elles se solidarisent » particulièrement appréciés; et qui – selon elles – « ont joué un rôle bénéfique ». Le personnel a fait « preuve de créativité et de persévérance », ce qui a permis de « “réhumaniser” les soins de fin de vie et le deuil malgré les contraintes ». L’analyse produite souligne « l’importance de la solidarité devant l’adversité, la mort et le deuil » et rappelle la nécessité d’insuffler du sens en période de crise, en insistant sur le « désir des êtres humains de resserrer les liens, de faire de leur mieux devant et après la mort ».
La contribution de Aline Chassagne, Florence Mathieu-Nicot, Hélène Trimaille et Elodie Cretin est une analyse associant anthropologie, sociologie, psychologie et philosophie à propos des expériences de décès durant le premier confinement lors de la pandémie de COVID-19, de nouveau dans les EHPAD en France, mais cette fois hors les murs des établissements avec un focus sur le vécu des proches endeuillés. Les autrices explorent des récits d’expériences de personnes ayant vécu la fin de vie d’un proche résidant en EHPAD. Elles soulignent leur présence très limitée aux côtés de la personne agonisante, le manque de communication et de contacts, leurs doutes sur les conditions du mourir, l’impossibilité de réaliser les rites habituellement valorisés ou souhaités ou encore le manque de considération et de reconnaissance des institutions à propos de ces situations douloureuses de mort. Les altérations de l’accompagnement dans la mort qui ont le plus affecté les proches sont le fait de ne pouvoir être témoin direct de la fin de vie d’un être cher, de n’être pas présent pour faire face à la mort avec la personne en train de mourir et de ne pouvoir organiser une cérémonie d’hommage. Cette recherche montre que les rites empêchés ou différés ont généré des réactions hétérogènes vis-à-vis du rapport au corps et aux rituels funéraires qui s’expriment dans la construction des récits de l’expérience de la mort. Les « différents niveaux de dépossession et d’exclusion » seraient ainsi susceptibles, selon les autrices, de produire des « complications » du travail de deuil.
Dans un hôpital parisien durant la pandémie de COVID-19, avec une exploration du réaménagement de la prise en charge des corps dans les hôpitaux et en chambre mortuaire au travers de ses aspects éthiques, psychologiques et moraux, Lisa Chotard, Valéry Ridde et Fanny Chabrol font le choix d’« approcher la gestion de crise par le prisme des corps ». La différence de prise en charge des défunts atteints ou non de la COVID-19 devient une entrée empirique mais aussi un outil analytique pour comprendre les perturbations engendrées par la pandémie en milieu hospitalo-mortuaire. Les données évoquent une disparition du « corps mort covidé » derrière la housse mortuaire, un corps présenté comme « désocialisé » et « déritualisé », du fait de l’objet qui l’entoure, mais aussi des impératifs logistiques qui accompagnent et rythment sa prise en charge. Les autrices et auteurs montrent comment les professionnels ont tenté de recréer du symbolisme, par de nouvelles pratiques et de nouvelles perceptions, mais aussi par des adaptations « sur le tas » qui associent entre autres de la flexibilité, de la compassion et une déontologie certaine. Ces aménagements improvisés sont d’ordre religieux ou laïques mais se font dans le respect de l’humanité et de la vie passée des personnes décédées. Leur analyse insiste aussi sur les « troubles cognitifs et sensoriels majeurs » des soignants confrontés à une perte de sens face aux nouveaux enjeux logistiques et biosécuritaires qui ont été mal vécus.
Sous le titre « La fin de la pandémie de COVID-19 : quel statut pour les morts de l’épidémie? », Anne Marie Moulin, philosophe et médecin, développe une réflexion sur le statut des morts d’épidémie, notamment après la fin de la pandémie, et sur ce qui ferait la particularité du « mourir d’épidémie ». Y aurait-il un devoir de respect envers les « disparus »? Cette catégorie permettrait-elle de « trouver un sens à un désastre autrement insupportable » en lien avec une gestion expéditive justifiée par l’urgence? L’autrice rappelle comment, en France, les décisions sanitaires ont été prises de manière autoritaire, sans réelle certitude sur les risques de transmission par les cadavres, selon une « verticalité regrettée et même dénoncée », sans tenir compte des analyses et des expériences antérieures, notamment en anthropologie, sur la question des morts en contexte Ebola. Contre toute attente, les « sciences sociales ont été initialement peu mobilisées » et peu intégrées dans les instances de gestion sanitaire alors que les expériences en Afrique auraient dû permettre d’« attendre de pied ferme “the next pandemic” ». Elle propose une analogie avec les commémorations collectives et les suites des morts de masse lors des guerres, qui compensent le traumatisme des survivants. Elle se questionne sur l’organisation institutionnelle d’une mémoire collective et sa capacité à « pacifier la douleur » ou « clore un deuil collectif ». Selon elle, la recherche de sens devrait se focaliser sur une analyse des mécanismes de décision plus « que dans la célébration d’un affrontement collectif à un virus » ou l’érection de dispositifs mémoriels qui ne sauraient faire oublier le traumatisme.
En plein COVID-19, Laurent Chiche, médecin interniste à l’Hôpital Européen de Marseille, dans sa contribution « Deuils compliqués et pathologies auto-immunes : l’autre épidémie? », s’inquiète des conséquences possibles du nombre de deuils pathologiques que la pandémie pourrait induire. Il travaille depuis longtemps sur l’hypothèse d’une causalité entre deuil compliqué ou persistant et maladies auto-immunes. Plusieurs recherches publiées ou en cours attestent d’un lien entre traumatisme psychique et survenue ultérieure d’une dysfonction immunitaire. Selon l’étude INSIDE, 86 % des malades montraient les éléments d’un deuil pathologique, qualifié ici de « deuil essentiel », avec des troubles hallucinatoires auditifs et visuels impliquant la personne défunte dans 20 % de ces cas et des manifestations d’affects démonstratives lors des évocations de ce deuil essentiel. La plupart des personnes souffrantes disent qu’elles « n’avaient pas pu assister à l’enterrement, ni se recueillir ultérieurement sur la tombe du défunt ». Les recherches attestent d’une alternance entre épisodes dépressifs, manifestations névrotiques, états limites plus sérieux et des poussées de maladies auto-immunes. Le deuil essentiel concernait un personnage familier dont le lien avec le patient était qualifié d’unique ou de très important avec évocations d’éléments d’identification forts à ce dernier. L’analyse interdisciplinaire qui est faite suggère que ces deuils compliqués concernant une personne proche ayant participé à la construction durant l’enfance de la personnalité expliqueraient en partie pourquoi système immunitaire et psychisme s’attaqueraient ainsi à la personne elle-même.
Firmin Kra, Francis Akindès et Marc Egrot, dans un article intitulé « Rites funéraires, fenêtres d’opportunité et politiques de co-construction des réponses sociales aux épidémies », mettent en perspective la nécessité de prendre en compte les dimensions sociales dans l’élaboration des politiques de préparation et de réponses aux épidémies. À partir d’une recherche réalisée hors épidémie dans le cadre du Réseau Anthropologie des Épidémies Émergentes (RAEE : www.raee.fr), ils analysent les enjeux liés au réaménagement des rites funéraires en contexte d’épidémie et discutent comment des contre-rites et des fenêtres d’opportunité peuvent servir de points d’ancrage pour co-construire avec les parties prenantes des réponses sociales aux épidémies. L’article indique que l’aménagement des rites funéraires – outils de contrôle social – compromet l’ordre des interactions et la construction d’enterrements culturellement dignes. Outre les rites de réparation ou de pardon, des rites propitiatoires préviennent les risques quand il faut modifier les rites funéraires. En outre, des entités nosologiques populaires liées aux cadavres offrent des opportunités de communication sur le risque. Ce texte montre que la mise en oeuvre des mesures sanitaires relatives aux rites funéraires impose de procéder à une analyse des impératifs funéraires : rechercher les interdits, les obligations et les permissions, selon les types de mort, les changements funéraires et les formes d’adaptation pour mettre au jour des champs de possibles aménagements en temps d’épidémie. En revanche, le texte souligne que l’opérationnalisation de ces savoirs socioanthropologiques nécessite la construction d’une anthropologie des épidémies ayant une culture de l’action et privilégiant l’approche systémique de la co-construction.
Les contributions de ce numéro sont issues de champs disciplinaires variés et d’horizons géographiques divers, avec des problématiques et des regards différents qui analysent un même objet de recherche « les épidémies, la mort et les morts », en projetant à chaque fois sur l’une de ses multiples facettes un éclairage original. Bien évidemment, les facettes n’ont pas toutes bénéficié de la même lumière et ce numéro thématique de la revue Frontières, malgré sa grande richesse, ne constitue que l’une des premières pierres d’un édifice qui reste à construire dans les années à venir. Cependant, ce numéro a permis d’explorer différentes questions de recherche autour des expériences d’accompagnement de la mort et des morts en contexte épidémique et montre bien la pertinence des approches interdisciplinaires dans un champ de recherche qui reste pour une grande part encore en friche.
Appendices
Notes
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[1]
L’orthographe en lettre capitale et le genre du terme COVID-19 relèvent d’un choix éditorial de la revue Frontières de suivre les recommandations de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Cette décision vise à assurer une présentation uniforme des articles. Les normes arrêtées par l’OQLF sont d’ailleurs identiques à celles de l’Académie française à Paris, formulées deux mois plus tard.
Les coordonnateurs du présent numéro sont en désaccord avec cette orthographe pour différentes raisons. L’argument utilisé pour légitimer le genre féminin explique que les mots composés, les sigles et les acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme, même lorsqu’il est composé de mots étrangers (ici : corona virus disease). Les plus célèbres contre-exemples à cette règle restent le week-end, le laser ou le radar. Il eut donc été possible de respecter le choix populaire d’un genre masculin adopté en français dès l’apparition du terme COVID. En France, la procédure d’imposition de cette convention orthographique sans consulter les académiciens alors que l’institution ne fonctionnait pas normalement, fait l’objet d’une vive polémique (www.radiofrance.fr/franceculture/a-l-academie-francaise-on-refuse-toujours-la-feminisation-des-mots-sauf-pour-la-covid-3052951) Enfin, la langue française est une langue vivante et l’usage populaire en France est sans appel : 56 % de Français utilisent le masculin, 16 % seulement le féminin (www.ifop.com/publication/le-ou-la-covid-ce-que-disent-les-francais/). À ce titre, les différences dans les éditions 2020 du dictionnaire Larousse qui s’aligne sur les avis officiels et du dictionnaire Robert qui signale que covid peut être féminin ou masculin, est significatif de deux conceptions de la langue, normative et coercitive d’un côté, sensible aux usages de l’autre. Plus intéressant encore, l’édition 2022 du dictionnaire Larousse a été harmonisée avec celle du Petit Robert et signale aujourd’hui que covid est à la fois un « nom féminin » et un « nom masculin », avec une parenthèse qui précise que : « si l’Académie recommande de dire la COVID-19, l’emploi du mot au masculin est courant » (www.larousse.fr/dictionnaires/francais/COVID-19/188582). La plupart des chercheurs en sciences sociales utilisent le masculin, ou sont revenus à un usage du masculin.
Reste la question de l’écriture du terme COVID en lettre capitale. COVID n’est pas un sigle mais un acronyme. Pour les acronymes, si deux usages sont possibles (lettres capitales ou majuscule sur la première lettre et lettres en bas de casse ensuite), l’usage est de plus en plus de choisir la seconde option. Certains sites recommandent même l’usage exclusif de la seconde option : « les acronymes ne prennent une majuscule qu’à la première lettre [Exemples : Unesco, Onu, Nasa] » (www.lalanguefrancaise.com/articles/guide-complet-usage-majuscules-francais). Mais ici, le choix n’est pas uniquement d’ordre linguistique et orthographique. Cette question s’était déjà posée pour une autre pandémie baptisée elle aussi à ses débuts par un acronyme, initialement orthographié S.I.D.A. puis SIDA, avant de devenir Sida, puis actuellement sida. Derrière chacune de ces orthographes se cache une conception de la maladie et des représentations des personnes atteintes. Ce changement fut avant tout un fait sociologique construit sur des revendications d’associations de PvVIH qui entendaient faire sortir cette maladie de son statut d’exceptionnalité, et donc pour que les PvVIH ne soient plus des « exceptions ». Un nom de maladie est un nom commun dans la langue française (rhume, syphilis, lèpre, etc.) et à ce titre ne s’écrit pas avec une majuscule. Banaliser la maladie, diminuer les risques de stigmatisation, de discrimination et de rejet, remettre en cause l’exceptionnalité des mesures, imposaient alors de faire entrer le terme de désignation dans le champ des noms communs. Ces revendications des années 1990 furent adoptées par l’Onusida qui, dans son Guide de terminologie révisé régulièrement depuis 2001 (www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/2015_terminology_guidelines_fr.pdf), recommande d’écrire sida avec une minuscule (voir dans les termes « à éviter », l’entrée VIH/sida page 12 et l’entrée sida page 41 de l’édition de 2019). Conscient de l’importance de faire sortir le plus rapidement possible une pandémie de son statut d’exceptionnalité (pour les personnes qui en souffrent, mais aussi pour des raisons d’ordre sociologique, politique ou encore économique), nombreuses sont les équipes en anthropologie et en sociologie qui ont pris le parti d’écrire d’emblée « covid » comme un nom commun dans une démarche de science impliquée et engagée.
- [2]
-
[3]
« Ce voeu des échevins est représenté sur deux vitraux de cette église réalisés par H. Pinta » (Signoli et al., 1998, p. 103).
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[4]
Marc Leras, Le Parisien, 19 juin 2020 : « Commémoration : Marseille se souvient de sa grande peste il y a 300 ans », https://www.leparisien.fr/societe/commemoration-marseille-se-souvient-de-sa-grande-peste-il-y-a-300-ans-19-06-2020-8338506.php.
-
[5]
Entretien avec le curé de la cathédrale de Grand Bassam réalisé dans le cadre du programme EboCi, Ebola et la Côte d’Ivoire, coordonné (2015-2017) par Francis Akindès (CUB-UAO) et Marc Egrot (Mivegec-LPED), réalisé grâce à un financement d’Expertise France, de l’Unicef et de l’IRD, intégré dans la Programme Anthropologie Comparée d’Ebola (PACE) exécuté dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Expertise France) et intrégré dans les activités du Réseau Anthropologie des Epidémies Emergentes (RAEE : www.raee.fr ).
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