Abstracts
Résumé
Après la déglaciation wisconsinienne de la zone côtière vers 12,6 ka, la région de Rivière-du-Loup a été submergée par les eaux de la Mer de Goldthwait. L’altitude maximale atteinte à l’époque avoisine 145 m ; les plus hautes plages fossilifères n’excèdent toutefois pas 135 m. Le relèvement isostatique des terres a été rapide au cours des trois premiers millénaires, totalisant environ 90 %. Entre 7 et 6 ka, il y a eu un bas niveau d’au moins 5 m inférieur au niveau actuel ; ce dernier a été suivi d’une seconde transgression entre 6 et 4 ka environ. De 4 ka à aujourd’hui, l’émersion des terres semble avoir prévalu ; mais il est aussi possible que cette période ait connu d’autres oscillations mineures (1-2 m), notamment lors de l’épisode Mitis daté à environ 2 ka. Les données marégraphiques récentes sont insuffisantes pour déterminer la tendance actuelle du niveau marin relatif (NMR). Toutefois, l’érosion rapide du schorre supérieur (3 m/an, en moyenne), semble indiquer une tendance à l’élévation. Une courbe de l’émersion des terres traduisant les principaux événements survenus durant l’Holocène dans la région de Rivière-du-Loup a pu être réalisée grâce aux nombreuses dates au 14C disponibles.
Abstract
Following the Wisconsinan deglaciation, the coastal area at Rivière-du-Loup was submerged by the Goldthwait Sea. The maximum level reached is approximately 145 m, the highest fossiliferous beaches, however, being at about 135 m. The isostatic land recovery has been rapid during the first three millennia reaching approximately 90 %. Between 7 and 6 ka, a low stand, at least 5 m below the present level, took place, and was followed by a second transgression between 6 and 4 ka. From 4 ka to present day, land emergence prevailed, although it is also likely that minor fluctuations (1-2 m) occurred, particularly during the Mitis stage dated circa 2 ka. The recent tide gauge data for the Rivière-du-Loup area do not permit to determine the present trend of the relative sea level. However, the rapid cut back of the edge of the upper tidal marsh at a mean annual rate of 3 m suggests a rising sea level. The numerous 14C dates available allowed to present a new sea-level curve showing the main geologic events that occurred in the Rivière-du-Loup area during the Holocene.
Resumen
Hace unos 12,6 ka, posterior al deshielo del periodo de Wisconsin, la zona costera de la región de Rivière-du-Loup fue cubierta por las aguas del mar de Goldthwait. La altitud máxima alcanzada en ese periodo se acerca a los 145 m; las playas fosilíferas mas altas no exceden los 135 m. En el transcurso de los primeros milenios el levantamiento isostático de las tierras fue repentino totalizando alrededor del 90 %. Hacia 7 y 6 ka, se llevo a cabo un descenso del nivel hasta unos 5 m por debajo del nivel actual que fue seguido de una segunda transgresión que ocurrió hacia 6 y 4 ka aproximadamente. Hace unos 4 ka la emersión de las tierras parece haber prevalecido, pero es posible también que este periodo haya presentado oscilaciones menores (1-2 m), sobre todo durante el episodio de Mitis que data de alrededor de 2 ka. Los datos de mareas recientes son insuficientes para determinar la tendencia actual del nivel relativo del mar. Sin embargo, la erosión rápida de la zona de marisma superior (3 m al año, en promedio) parece indicar una tendencia a la elevación. Una curva de emersión que traduzca los principales eventos acontecidos durante el Holoceno en la región de Rivière-du-Loup a podido elaborarse gracias a los numerosos datos de 14C disponibles.
Article body
Introduction
Depuis les années 1960, le Quaternaire de la région de Rivière-du-Loup a retenu l’attention de divers spécialistes et a donné lieu à deux excursions internationales (Lee, 1963a ; Gadd et al., 1972). On dispose maintenant de plusieurs dates au radiocarbone sur des coquillages, du bois et de la tourbe qui permettent de dresser une courbe de l’émersion des terres ou du niveau marin relatif à l’Holocène.
La courbe proposée diffère de la courbe préliminaire publiée par Elson (1969), courbe basée sur les dates au 14C de Lee (1962) couvrant la grande région de Rivière-du-Loup. À l’époque, on ne disposait pas de dates pour la période postérieure à 7 ka et l’on pensait encore que l’émersion des terres avait été graduelle, bien qu’à des taux différents, du début de la déglaciation jusqu’à nos jours (Locat, 1977). La mise en évidence de l’existence d’un bas niveau marin relatif suivi d’une seconde transgression et d’autres fluctuations mineures (±1 m) remonte seulement au milieu de la décennie de 1980 (Dionne, 1985, 1988a, 1988b, 1988c, 1988d). Goldthwait (1911) et Lougee (1953) avaient pourtant évoqué cette possibilité dans le cas de la ligne de rivage Micmac (Dionne, 2002), mais sans fournir de preuves tangibles.
On sait aujourd’hui que le modèle de relèvement des terres proposé par Quinlan et Beaumont (1981) est nettement insuffisant parce qu’il est basé sur des données incomplètes. Comme ce travail est souvent cité, il paraît impératif que ce modèle théorique soit mis à jour en tenant compte des acquisitions des deux dernières décennies. En attendant, nous croyons utile de proposer une courbe de l’émersion des terres ou du NMR pour la région de Rivière-du-Loup ; cette dernière diffère sensiblement de la courbe théorique proposée par Peltier (1987).
Travaux de géologie sur le quaternaire
Le Quaternaire de la région de Rivière-du-Loup (fig. 1) a depuis longtemps retenu l’attention des chercheurs (Dawson, 1865 ; Chalmers, 1886, 1887, 1895, 1906 ; Coleman, 1927). Toutefois, la cartographie des formations meubles remonte seulement au début des années 1960 (Lee, 1962 ; Dionne, 1965, 1966). Une synthèse de divers aspects du Quaternaire (Dionne, 1972) a été publiée à l’occasion d’une excursion dans le cadre du XXIVe Congrès géologique international tenu à Montréal (Gadd et al., 1972). Par la suite, Martineau (1977) a publié un rapport préliminaire sur la géologie des dépôts meubles de la région de Kamouraska – Rivière-du-Loup comprenant une carte à 1/100 000. Certains aspects du Quaternaire ont aussi été abordés par Auer (1930), McCormack (1973), Lortie (1983a), Martineau et Corbeil (1983), Lortie et Guilbault, (1984), Chauvin et al. (1985), Lortie et Martineau (1987), Dionne (1990), Bélanger (1993) et Rappol (1993).
Déglaciation et submersion postglaciaire
Lee (1962, 1963a) fut le premier à mettre en évidence l’existence d’un front morainique (Moraine de Saint-Antonin) dans la région de Rivière-du-Loup témoignant d’un déglacement tardif dans ce secteur par rapport à la rive sud, en aval. Il fut proposé, notamment lors de l’excursion géologique de 1972 (Gadd et al., 1972) que le secteur oriental de cette moraine correspondait à un dépôt interlobaire (LaSalle et al., 1977). Reprise par Martineau (1977), cette interprétation a été revue et modifiée par la suite (Martineau et Corbeil, 1983 ; Chauvin et al., 1985). Ces auteurs soutiennent, en effet, que cette moraine a été mise en place par le glacier appalachien en contact avec la mer : phase I de la Mer de Goldthwait (Dionne, 1977). De son côté, Rappol (1993, p. 18-20) préconise une récurrence glaciaire après la submersion initiale d’un secteur côtier dans la région de Rivière-du-Loup.
On connaît mal l’altitude maximale atteinte par la transgression postglaciaire (Dionne, 1976, 1977). Chalmers (1886, p. 5-7, 1887) a d’abord signalé des terrasses marines jusqu’à 105 m d’altitude, puis il a reconnu la plus haute ligne de rivage à 127 m (Chalmers, 1895) avant de fixer l’altitude maximale de la mer postglaciaire à 145 m (Chalmers, 1906). De son côté, Goldthwait (1912, p. 222-225) a signalé des plages à une altitude de 113 m seulement, altitude voisine de celle mentionnée antérieurement par DeGeer (1892).
Bien que Lee (1962, 1963b) n’ait ni précisé ni discuté de la limite maximale de la Mer de Goldthwait dans la région de Rivière-du-Loup, sa carte des formations meubles permet de fixer la limite maximale de la mer postglaciaire à environ 137 m à Rivière-du-Loup et au Portage, et à 130 m à Saint-Épiphane. Des altitudes équivalentes ont été obtenues par Dionne (1966). Ce dernier n’a pas trouvé d’indice valable de submersion marine au-dessus de 135 m (Dionne, 1972, 1977, 1990).
Pour sa part, Martineau (1977, p. 8) estime que le delta de Saint-Modeste dont la surface culmine à 165 m d’altitude, ainsi que le secteur nord-est de la Moraine de Saint-Antonin ont été mis en place dans la Mer de Goldthwait ou à son contact. Une valeur semblable est évoquée par Lortie (1983b), alors que Rappol (1993, p. 18) a fixé à 170 m environ la limite maximale marine dans la région de Rivière-du-Loup. Malheureusement les plus hauts sites fossilifères observés jusqu’à maintenant sont à des altitudes bien inférieures. En l’absence de preuves plus convaincantes, cette altitude paraît nettement exagérée et ne peut être retenue comme valable. Seuls deux sites d’une altitude d’environ 130 m (tabl. I) ont pu être datés à ce jour. Dans l’état actuel des connaissances, on peut donc retenir que la limite maximale atteinte par la Mer de Goldthwait n’excède pas 145 m et se situe probablement entre 135 et 140 m. L’altitude de 170 m mentionnée par Rappol (1993) est probablement basée sur le vieux concept d’une élévation progressive du NMR de Gaspé à Québec et sur la présomption que les deltas de contact glaciaire de Luceville, Saint-Fabien et de Trois-Pistoles ont des altitudes maximales de 150 à 165 m. Hétu (1994, 1998) a déjà montré que ces hauts niveaux excèdent la limite maximale de la Mer de Goldthwait, alors que nous avons déjà évoqué la présence d’une ligne charnière dans le secteur de Rivière-du-Loup et proposé l’existence de compartiments traduisant un relèvement différentiel de l’ensemble de la rive sud entre Gaspé et Québec (Dionne et al., 1988).
Les courbes de relèvement des terres de la rive sud du Saint-Laurent
Comme nous l’avons précédemment mentionné, la première courbe de relèvement des terres (Elson, 1969) a été réalisée à partir des dates au 14C de Lee (Dyck et Fyles, 1963 ; Dyck et al., 1965). La courbe est présentée sous la forme d’une enveloppe (limbe minimal et maximal) et elle semble s’arrêter vers 7 ka. En effet, à ce niveau, il y a fusion avec la courbe pour la région de Montréal qui, elle, se poursuit jusqu’au zéro actuel. La courbe de Rivière-du-Loup emprunte-t-elle le même tracé que la courbe des basses terres du Saint-Laurent (Montréal) ou bien finit-elle réellement vers 7 ka ? Les opinions sont partagées. Comme l’auteur ne fournit pas la liste des dates au radiocarbone ayant servi à faire les diverses courbes présentées dans la figure 2, ni ne commente les diverses courbes des mers du postglaciaire au Québec, il est difficile de trancher. Dans le cas de la courbe de Rivière-du-Loup, l’auteur mentionne cependant qu’il s’agit d’un essai (suggestions).
La courbe de Locat (1977) concerne la région comprise entre Trois-Pistoles et Baie-des-Sables. Elle propose un niveau maximal atteint il y a plus de 13,5 ka. À l’exception d’une date de 2,2 ka, les autres dates utilisées sont comprises entre 13,5 et 9,5 ka. Bien qu’une période de plus de 7 000 ans soit sans données, l’auteur a laissé filer sa courbe, au profil très redressé pour l’Holocène inférieur, jusqu’au niveau actuel, en passant par la date de 2,2 ka ; cette date correspond à l’événement Mitis (Dionne, 2002). La courbe de Locat épouse donc la forme classique d’un « J », forme commune aux régions côtières englacées au cours du Wisconsinien (Weichselien). À notre avis, la courbe de Locat aurait dû passer à proximité de la date de 9,5 ka obtenue sur des myes en position de vie, dans un dépôt intertidal, à Bic (Dionne, 1977). De même, l’auteur aurait pu tenir compte de la date de 6970 ± 100 BP (GSC-112) obtenue à la base d’une tourbière située à Cacouna-Est, à environ 12 m d’altitude (Dyck et Fyles, 1963), même si ce site était localisé légèrement en dehors de la région de Trois-Pistoles ; en effet, cette date précieuse indique sans ambiguïté que le niveau d’environ 10 m était déjà émergé vers 7 ka. Quoi qu’il en soit, cette courbe montre un relèvement rapide des terres au cours des trois premiers millénaires qui ont suivi le départ des glaces de la rive sud du Saint-Laurent estuarien.
La courbe proposée par Lortie et Guilbault (1984) pour la région comprise entre Saint-Eugène et Rivière-du-Loup ressemble à celle de Locat, bien qu’elle soit plus redressée et présentée sous la forme d’une enveloppe avec une courbe médiane au centre. Même si les dates utilisées sont toutes antérieures à 9,5 ka, les auteurs ont prolongé leur courbe par une ligne brisée jusqu’au zéro actuel. On constate cependant une nette inflexion vers 9 ka pour la courbe médiane.
Bien qu’elle soit à une échelle différente, la courbe présentée dans la synthèse du Quaternaire des basses terres du Saint-Laurent (Occhietti, 1989, p. 405) ressemble aux courbes de Locat et de Lortie et Guilbault.
Dionne (1988b, 1988c, 1988d) a proposé, de son côté, une courbe du NMR pour la rive sud du Saint-Laurent basée sur des données recueillies dans les régions de Saint-Fabien-sur-Mer, Rivière-Ouelle et Montmagny. Cette courbe met en évidence l’existence d’un bas niveau marin entre 7 et 6 ka et d’une transgression d’une dizaine de mètres entre 6 et 4 ka environ. D’abondantes données obtenues dans plusieurs localités de la rive sud, y compris Rivière-du-Loup (Dionne, 1990) et Matane (Dionne et Coll, 1995), confirment l’existence de ces événements (Dionne, 1998, 2001a).
Bélanger (1993, p. 223) a pour sa part proposé une courbe des fluctuations du NMR (fig. 2) pour la côte sud du Saint-Laurent, entre Montmagny et Trois-Pistoles, pour la période postérieure à 10 ka. Cette courbe laisse voir plusieurs oscillations du NMR entre 9000 et 500 ans BP. D’après cette courbe, la régression de la Mer de Goldthwait jusqu’au niveau actuel aurait eu lieu vers 9 ka et aurait été suivie par une première phase de la Transgression laurentienne, qui aurait atteint le niveau d’environ 7 m, vers 8 ka. Ce haut niveau aurait été suivi d’une brève et rapide régression, car vers 6,5 ka, le NMR aurait été d’environ 10 m sous le niveau actuel. De courte durée, le bas niveau aurait été suivi par la seconde phase de la Transgression laurentienne, qui aurait, cette fois, atteint le niveau de 12 m vers 5,5 ka. La côte sud se serait par la suite relevée progressivement jusque vers 3 ka. Entre 3 ka et aujourd’hui, le niveau aurait probablement fluctué légèrement (1 à 4 m) à trois reprises.
L’intérêt de cette courbe réside d’abord dans sa grande nouveauté, voire même dans son audace. Elle a le mérite de susciter des interrogations et de forcer la réflexion. Malheureusement, les données appuyant les nombreuses oscillations du NMR paraissent insuffisantes et peu convaincantes en regard des connaissances actuelles.
Récemment, Hétu (1994) a proposé une courbe du NMR ou du relèvement des terres dans la région de Rimouski qui ressemble à la courbe de Saint-Fabien-sur-Mer (Dionne, 1988b), première courbe[1] à mettre en évidence un bas niveau marin suivi d’une transgression à l’Holocène inférieur. En raison des nouvelles données complémentaires obtenues après 1985 (Dionne, 2001b), la courbe de Saint-Fabien-sur-Mer doit être revue pour mettre en évidence la Transgression laurentienne, événement non signalé sur la courbe originale ni sur la courbe de Hétu ; sur ces courbes, la remontée du niveau après le bas niveau concerne plutôt l’événement Mitis.
La courbe la plus récente pour la rive sud de l’estuaire (Dionne, 2001a, p. 281) fait voir les principales oscillations du MNR à l’Holocène ayant touché le Saint-Laurent estuarien.
Par ailleurs, il convient de mentionner que Peltier (1987, 1991) a, de son côté, publié deux courbes théoriques du relèvement des terres, l’une pour Rimouski, l’autre pour Rivière-du-Loup. Curieusement, ces deux courbes ne traduisent pas l’ensemble des événements survenus dans le Saint-Laurent estuarien à l’Holocène, vraisemblablement parce que l’auteur n’a pas tenu compte des données obtenues au cours des deux dernières décennies. Pourtant, dans des publications récentes (Peltier et al. 2002 ; Shennan et al., 2002), il reprend à son compte les courbes de Lambeck (1991) pour certains sites du nord-ouest de l’Écosse, alors que ces courbes ressemblent à celles de la rive sud du Saint-Laurent connues depuis une quinzaine d’années.
À signaler aussi la reproduction des courbes de Locat, Lortie et Guilbault, et Dionne dans un article d’archéologie (Stright, 1995, p. 137-139), dans lequel l’auteure semble douter des événements mis en évidence par la courbe de Dionne (1988d). Rien d’étonnant, car dans son tableau 2 (p. 140), Stright indique que dans l’estuaire du Saint-Laurent, entre 7 et 6 ka (BP), « the average rate of sea level rise was 2.5 to 5 m/100 years » alors qu’il s’agit du bas niveau marin relatif avant la Transgression laurentienne postérieure à 5.8 ka. À l’opposé, Barnhardt et al. (1995) ont utilisé la courbe du NMR de la rive sud du Saint-Laurent (Dionne, 1988d) en comparaison avec celle de la côte du Maine (Belknap et al., 1987 ; Shipp et al., 1991) et de la Nouvelle-Écosse (Stea et al., 1994) pour montrer la migration vers le nord du bourrelet périphérique et proposer un taux de migration de 7 à 11 km par année. De leur côté, Scott et Collins (1996) ont soutenu l’existence d’un niveau transgressif de la Caroline du Nord jusqu’au Saint-Laurent estuarien, à l’Holocène moyen.
Le bas niveau marin
Des tranchées pratiquées à la base du schorre supérieur en voie d’érosion (Dionne, 1990) ont permis de mettre en évidence l’existence d’un bas niveau marin relatif à Rivière-du-Loup, entre 7 et 6 ka environ (tabl. II). Elles ont aussi permis de situer le début de la Transgression laurentienne à une date postérieure à 5,7 ka, à partir des myes trouvées en position de vie dans un mince dépôt intertidal au-dessus de la surface d’érosion taillée dans l’argile de la Mer de Goldthwait, dans le secteur sud-ouest (fig. 3).
Récemment, on a pu dater la surface d’érosion exposée dans le secteur SO du schorre supérieur en voie d’érosion (fig. 4-6). En effet, à cet endroit, les dépôts intertidaux composant le schorre reposent directement sur la surface argileuse. Or, celle-ci est caractérisée par la présence de myes (Mya arenaria) en position de vie (fig. 7). De plus, un bout de bois partiellement enfoui dans l’argile a donné un âge semblable à celui des myes.
Dans le secteur SO, le contact entre la surface d’érosion et l’unité sus-jacente est généralement net. La base du schorre comprend une mince couche (15-20 cm) de vase argileuse (faciès de slikke) contenant parfois des coquillages. En général, la surface argileuse est aussi caractérisée par un dallage de cailloux (fig. 5). Plus épaisse dans le secteur nord-est du schorre supérieur en voie d’érosion (Dionne, 1990), cette unité a été datée de 700 à 900 ans BP (tabl. III). Malheureusement, dans le secteur SO, on observe rarement des dépôts intertidaux appartenant à l’épisode Mitis dont l’âge moyen pour l’estuaire du Saint-Laurent est de 2 ka environ (Dionne, 2002). La surface d’érosion dans l’argile marine se poursuit jusqu’au pied de la falaise Micmac. Il existe toutefois des dépôts intertidaux de limon argileux d’âge Mitis du côté est de la rivière, dans le quartier de Parc-Cartier (tabl. IV).
La nouvelle courbe pour Rivière-du-Loup
La figure 8 propose une courbe du NMR ou du relèvement des terres pour la région immédiate de Rivière-du-Loup. La presque totalité des dates (tabl. I à V) proviennent de la région immédiatement voisine, soit dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres seulement.
La limite marine maximale de la submersion postglaciaire a été fixée à 145 m. On a tenu compte des dates de 6 à 7 ka indiquant un bas niveau ainsi que des dates correspondant à l’événement Mitis. La date de 6970 ± 100 BP (GSC-112), obtenue par Lee (Dyck et Fyles, 1963) sur la base d’une tourbière à la surface de la terrasse de 10-12 m a été utilisée, mais se trouve à gauche de la courbe.
La première partie de la courbe est très redressée, indiquant ainsi un taux de relèvement des terres élevé situé entre 12 et 8 ka (90 %). En effet, entre 12,5 et 8,5 ka, le niveau est passé de 145 à 10 m, soit un taux moyen d’émersion estimé à 3,4 mm par an. Vers 8 ka, le NMR était semblable ou voisin du niveau actuel, alors qu’il a été inférieur de plusieurs mètres entre 7 et 6 ka. En l’absence de données pour la région de Rivière-du-Loup, nous avons estimé que l’isobathe de 10 m proposé par d’Anglejan (1981) pour La Pocatière était une valeur vraisemblable. Le niveau minimal atteint au cours de l’Holocène reste à déterminer, non seulement à Rivière-du-Loup, mais aussi dans l’ensemble de l’estuaire. On sait qu’à Montmagny, il a été au moins 5 m inférieur au niveau actuel (Dionne, 1988d), alors que des indices géomorphologiques (petit escarpement de la plate-forme infratidale au niveau de l’isobathe de 10 m) corroborent le bas niveau atteint à La Pocatière. Rappelons aussi que de leur côté, Praeg et al., (1992) à la suite de Silverberg, (1978) ont proposé un bas niveau de l’ordre de moins 25-30 m pour l’estuaire du Saint-Laurent. Dans l’état actuel des connaissances, ce très bas niveau demeure hypothétique et mal daté. En effet, l’âge de 5,5 à 5 ka proposé par Silverberg (1978, p. 1735) correspond plutôt à celui de la Transgression laurentienne (Dionne, 1988d, 1998, 2001a).
La période postérieure à 6 ka est caractérisée par une remontée du NMR dont témoigne une modeste falaise (3-4 m) taillée dans la terrasse argileuse de 8-10 m du côté est de la rivière (fig. 2). Ce haut niveau aurait culminé vers 4,5-4 ka, puis se serait par la suite abaissé progressivement jusqu’au niveau actuel. Pour l’instant, il est difficile d’affirmer qu’il y a eu un second épisode de bas niveau (Bélanger, 1993, p. 223) entre celui de la Transgression laurentienne et l’événement Mitis dont l’âge médian pour l’estuaire est d’environ 2 ka (Dionne, 2002).
Quant au niveau actuel ou récent, on sait que le schorre (faciès du schorre supérieur exposé dans la micro-falaise du schorre supérieur en voie d’érosion) a été édifié il y a moins de 300 ans (tabl. V) et que ce schorre recule à un taux supérieur à 3 m depuis plusieurs années (Dionne, 1986), ce qui pourrait traduire une tendance à la hausse du NMR. Malheureusement, les données marégraphiques pour Rivière-du-Loup sont insuffisantes pour préciser la situation. De son côté, Drapeau (1992) estime que le recul de la micro-falaise du schorre traduit plutôt un changement de profil longitudinal de la vasière (slikke ou batture), alors que Emery et Aubrey (1991, p. 203) ont calculé, entre 1970 et 1980, un taux d’émersion pour Rivière-du-Loup de l’ordre de 8 mm par an, avec un taux de confiance de 0,85. Ce taux très élevé, basé sur les données recueillies sur une seule décennie, a de quoi étonner ; il excède celui de Churchill, en Hudsonie, site réputé pour son taux d’émersion élevé (6,2 mm/an). Faut-il en conclure que le secteur de Rivière-du-Loup se comporte différemment des autres secteurs de la rive sud, en particulier celui de la région de Rimouski ? Selon les mêmes auteurs, dans cette région, à Pointe-au-Père, le niveau serait plutôt à la hausse à un taux de 0,5 mm/an. Selon d’autres auteurs, le NMR à Pointe-au-Père serait stable ou légèrement à la baisse, c’est-à-dire que l’émersion des terres se poursuivrait à un taux inférieur à 1 mm/an (Dohler et Ku, 1970 ; Pirazzoli, 1986 ; Anctil et Troude, 1992). L’absence de données géodésiques spécifiques à la région de Rivière-du-Loup n’autorise pas de conclure à une hausse ou à un abaissement du NMR dans ce secteur.
Discussion et conclusion
La courbe du relèvement des terres dans la région de Rivière-du-Loup reflète les événements géologiques mis en évidence dans plusieurs autres sites de la rive sud de l’estuaire du Saint-laurent au cours des deux dernières décennies (Dionne, 1985, 1988a, 1988b, 1988c, 1988d, 1990, 1998, 1999, 2001b ; Dionne et Coll, 1995). Au lieu d’un relèvement continu comme l’indiquent les anciennes courbes (Elson, 1969 ; Locat, 1977 ; Quinlan et Beaumont, 1981 ; Lortie et Guilbault,, 1984), il y a bien eu un double phénomène de transgression-régression. Ce type de courbe n’est heureusement ni exceptionnel ni exclusif à la rive sud de l’estuaire du Saint-Laurent. Plusieurs auteurs ont signalé des phénomènes semblables en Scandinavie, en Russie (péninsule de Kola), au Spitsberg, en Écosse et en Irlande (Dionne, 2001a, tabl. X).
À quoi attribuer le bas niveau de 7-6 ka dans le Saint-Laurent estuarien ? Nous avons d’abord pensé qu’il était lié à la migration du bourrelet périphérique (Dionne, 1988d) et qu’il y avait eu un décalage de plusieurs millénaires entre la côte du Maine (Belknap et al., 1987) et les rives du Saint-Laurent. Toutefois, la coupe plus complète de Montmagny (Dionne, 1988d, 1998, 2001a) nous porte à croire que le bas niveau lié à la migration du bourrelet périphérique est antérieur à 7 ka ; il serait plutôt survenu entre 9 et 8 ka. Compte tenu du caractère sismique et faillé du Saint-Laurent et des zones côtières, le facteur tectonique ne peut être ignoré comme l’ont souligné Dyke et Peltier (2000). Quant à la Transgression laurentienne, est-il nécessaire de rappeler qu’elle coïncide avec la disparition de l’Inlandsis laurentidien au centre du Québec ainsi qu’avec l’optimum climatique postglaciaire ? Dans de nombreuses régions du monde, le niveau eustatique a été plus élevé de quelques mètres (1 à 6 m) vers cette époque (Pirazzoli, 1991, 1996 ; Scott et Collins, 1996).
Quoi qu’il en soit, l’existence d’un bas niveau à l’Holocène, à Rivière-du-Loup, suivi d’une remontée de quelques mètres et d’une reprise subséquente de l’émersion des terres ne fait plus de doute. On pourrait alors penser que l’ensemble des oscillations du NMR sont maintenant suffisamment connues pour passer à autre chose. Nous croyons au contraire qu’il reste encore beaucoup à faire pour relater correctement les événements géologiques survenus à l’Holocène dans le Saint-Laurent estuarien. Des travaux de terrain additionnels sont indispensables. Pensons entre autres à la situation actuelle. Le NMR est-il présentement stable, à la hausse ou à la baisse ? Il est difficile de répondre d’une façon satisfaisante à cette question faute de données pertinentes. Alors qu’il existe des indices géomorphologiques indiquant une tendance à la hausse, l’analyse des données marégraphiques récentes a conduit Emery et Aubrey (1991) à constater plutôt une émersion relativement forte des terres dans la région de Rivière-du-Loup et de Tadoussac, en face. Que se passe-t-il réellement ?
Même si, dans l’ensemble, le Saint-Laurent estuarien est moins menacé par une élévation du NMR au cours des prochaines décennies en raison des changements climatiques en cours et prévus, il existe néanmoins des secteurs sensibles comme les marais intertidaux dont ceux de Rivière-du-Loup, qui pourraient être substantiellement réduits, voire même être éliminés, alors que d’autres secteurs en roches meubles comme la péninsule de Manicouagan – Outardes, les complexes deltaïques de Sept-Îles, Mingan – Havre-Saint-Pierre et Natashquan, secteurs déjà en voie d’érosion rapide, pourraient être sérieusement menacés (Dionne, 1999 ; Dubois, 1999). On doit donc s’en occuper avant que certains seuils soient dépassés. Il faut dès maintenant investir dans la recherche pour comprendre la situation et trouver des solutions. Une saine gestion des littoraux s’impose, mais pour atteindre cet objectif, il s’avère indispensable de connaître suffisamment le milieu et les facteurs de son évolution.
Par ailleurs, les fluctuations du NMR à l’Holocène sont d’une grande importance pour les recherches archéologiques dans la vallée du Saint-Laurent (Chapdelaine et LaSalle, 1995). Par exemple, la période de l’Archaïque supérieur (6-4 ka) coïncide avec la Transgression laurentienne. Les sites qui ont pu exister en bordure des rivages lors du bas niveau à l’Holocène moyen ont sans doute été détruits ou enfouis. Rien d’étonnant alors que cette période soit mal connue. De même, l’altitude décroissante des terrasses ou des plages soulevées ne permet pas forcément, en particulier sur la rive sud, d’obtenir une chronologie relative basée sur le vieux concept d’une émersion progressive des terres de la déglaciation à nos jours. Une meilleure connaissance des événements géologiques survenus à l’Holocène s’avère donc indispensable pour retracer les vestiges laissés par les premiers occupants des rives du Saint-Laurent.
Appendices
Remerciements
La présente contribution s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherches de l’évolution des rives du Saint-Laurent estuarien qui a été depuis le début des années 1980 en grande partie subventionné par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (Ottawa), et sur une courte période, par le programme de la FCAR (Québec). Une partie des dates au 14C de l’auteur ont été déterminées au laboratoire du Centre d’études nordiques de l’Université Laval. Les figures au trait on été réalisées par Andrée Gauthier du laboratoire de cartographie du Département de géographie, alors que le texte a été édité par Danielle B. Lambert. L’auteur remercie Carl Bélanger (Rivière-du-Loup) pour la figure 2, ainsi que les lecteurs critiques Roland Paskoff et Paolo Pirazzoli (Paris) pour les remarques faites à la lecture du manuscrit.
Note
-
[1]
L’article concernant le NMR à Saint-Fabien-sur-Mer aurait normalement dû paraître dans le Canadian Journal of Earth Sciences, en 1986. Le retard est attribuable à un long et pénible délai d’évaluation du manuscrit ayant conduit au retrait volontaire de l’article et à sa soumission à un autre périodique, ce qui explique la parution de quatre articles traitant de ce sujet en 1988 (voir les références).
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