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Introduction et problématique

Les travaux les plus anciens sur les travertins remontent au XIXe siècle. Ces formations sédimentaires, formées de divers faciès calcaires (ou travertineux), détritiques et organiques (tourbes) constituent des systèmes travertineux (Vaudour, 1986 ; Magnin et al., 1991). Les empreintes végétales qu’ils renferment ont permis les premières observations sur les paléovégétations quaternaires (Saporta, 1860, 1867 ; Planchon, 1864 ; Fliche, 1904).

En dehors des pollens essentiellement présents dans les niveaux tourbeux peu fréquents, d’autres restes végétaux abondent dans les autres faciès. Les faciès travertineux comportent des empreintes de feuilles, fruits, cônes, aiguilles, troncs, branches ou brindilles, etc., tandis que les faciès détritiques renferment des charbons de bois. Cependant, malgré leur richesse et diversité en macrorestes végétaux, les systèmes travertineux restent peu pris en compte par les botanistes. En France, nous pouvons citer Farizier (1980) et l’ATP-PIREN (Action thématique programmée-Programme interdisciplinaire de Recherche sur l’Environnement), co-dirigée par J.-L. Vernet et J. Vaudour en 1990, comme principaux travaux où les macrorestes végétaux (principalement des empreintes) contenus dans des systèmes travertineux ont été étudiés afin de reconstruire des paléovégétations holocènes. Cependant, dans ces travaux antérieurs, les empreintes végétales récoltées ont été étudiées dans leur ensemble, et très rarement selon une chrono-stratigraphie (niveau par niveau) qui aurait permis une approche diachronique de l’évolution des paysages. Par ailleurs, les charbons de bois, qui abondent dans certains systèmes étudiés, ont été peu analysés.

À partir de l’étude de systèmes travertineux holocènes des domaines méditerranéens (Saint-Antonin, Bouches-du-Rhône) et subalpins (Queyras, Hautes-Alpes) du sud-est de la France, notre démarche se propose de caractériser les paléopaysages qui se sont succédé autour de ces dépôts. Dans cette optique, conjointement à l’analyse paléobotanique menée, niveau par niveau, sur les empreintes végétales et les charbons de bois, des études sédimentaires et géomorphologiques des différents dépôts ont été réalisées afin de caractériser la signification paléoenvironnementale des divers faciès observés. Couplée à des datations au radiocarbone (14C : charbon de bois ou faciès travertineux) ou à l’Uranium/ Thorium (faciès travertineux), cette double approche constitue notre méthode d’analyse de l’organisation spatio-temporelle des paléopaysages des sites étudiés. Nous la qualifions d’analyse géobotanique séquentielle.

Conditions de dépôts, lithofaciès et significations paléoenvironnementales des systèmes travertineux des milieux tempérés

On peut différencier deux types de systèmes travertineux : les uns ont pour origine les eaux météoriques enrichies en bicarbonate de calcium soluble après avoir traversé des massifs plus ou moins calcaires (karstiques), les autres sont issus d’activités hydrothermales profondes. Les premiers, plus directement sous l’emprise des facteurs environnementaux, constituent notre matériel d’étude. Leur dépôt est commandé par des processus physico-chimiques (dégazage de CO2), et biochimiques (intervention d’organismes tels que des algues et des bactéries) qui déterminent la saturation des eaux en bicarbonate de calcium soluble et la précipitation de la calcite. Pour de nombreux auteurs, le faciès travertineux correspondrait au faciès calcaire induré, d’aspect laminé (Adolphe, 1981 ; Casanova, 1981 ; Vaudour, 1986 ; Jiménez et al., 1992 ; Koban et Schweigert, 1993 ; Pentecost, 1995). Cette lamination résulte du développement progressif, suivant des rythmes de croissance biologique d’un tapis algo-bactérien calcigène qui favorise la précipitation de la calcite. Ces faciès sont qualifiés de stromatolithiques. Fixé sur différents supports (feuilles, branches, mousses, tiges de roseaux, etc.), ce même tapis algo-bactérien conduit aux divers faciès observables, plus ou moins indurés ou poreux. Le terme de faciès travertineux s’applique également à la plupart de ces faciès calcaires à empreintes végétales. D’après des auteurs comme Casanova (1981), Bakalowicz (1988), Pedley (1990) et Pentecost et Viles (1994), on distingue, selon leur situation géomorphologique et hydrologique, deux principaux types de systèmes travertineux :

  • Les systèmes de source, se développant à proximité immédiate des exutoires et alimentés par un système hydrologique unique, généralement karstique. Ils donnent souvent des amas en balcons et en cascades, suspendus au-dessus du fond des vallées (fig. 1).

  • Les systèmes alluviaux ou de vallées, qui se forment dans le lit principal des rivières, ont un bassin d’alimentation généralement mixte. Au drainage souterrain karstique, s’ajoute une part plus ou moins importante d’eaux de ruissellement. Ces systèmes présentent des faciès très variés avec des niveaux organiques et détritiques associés.

Tout en faisant partie de l’un ou l’autre de ces deux grands systèmes, les niveaux lacustres et palustres méritent d’être distingués. Ils se mettent en place lorsque les conditions hydrodynamiques s’atténuent. Ces niveaux sont souvent constitués de petites concrétions calcaires plus ou moins isolées, sphériques ou cylindriques : les oncolithes. Ces faciès sont considérés comme des faciès travertineux de type « crayeux », différents des faciès laminés et à empreintes végétales, appelés « faciès construits » (Geurts, 1976).

La travertinisation (dépôt de la calcite) est un processus discontinu. Pour qu’un édifice travertineux puisse se développer « il faut nécessairement que l’intensité de la précipitation des carbonates l’emporte nettement sur l’intensité de l’érosion » (Bakalowicz, 1988). En milieu méditerranéen, les différents faciès travertineux construits, ainsi que les éventuels dépôts crayeux, détritiques (argiles, limons, cailloutis) ou organiques, présentent une organisation verticale relativement constante (Magnin et al., 1991 ; Vaudour, 1994). Ainsi, dans une séquence type, après des épisodes détritiques de base (cailloutis, limons), la travertinisation débute progressivement, souvent par l’intermédiaire de faciès travertino-détritiques (petits amas de faciès travertineux à empreintes, inclus dans des limons ; craies argilo-limoneuses), jusqu’à atteindre un optimum représenté par l’accumulation de différents faciès travertineux, qu’ils soient crayeux ou construits. Le sommet de la séquence correspond à une dégénérescence de l’édifice carbonaté et au retour d’une sédimentation progressivement terrigène avant une phase d’incision et l’éventuel dépôt d’une nouvelle série d’accumulation travertineuse dans la séquence initiale.

Figure 1

Travertin actif de type source de la vallée du Peynin. Ce sont de petits gours peu profonds où des cônes et des aiguilles de Pinus uncinata sont en cours de fossilisation.

Active travertine deposit (spring type) in the Peynin Valley. It corresponds to shallow rimstone systems where cones and needles of Pinus uncinata are fossilizing.

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Analyse géobotanique séquentielle des systèmes travertineux

L’analyse morpho-sédimentaire

L’analyse morpho-sédimentaire consiste tout d’abord à étudier: 1) le contexte géomorphologique local et régional (mouvements de versants, processus d’érosion, glissements de terrain, terrasses et dynamique alluviales) ; 2) la place des édifices étudiés dans ce contexte ; 3) les relations entre les différentes formations travertineuses (emboîtement et passages latéraux). On obtient ainsi, d’une part, une chronologie relative des édifices qui permet d’orienter l’échantillonnage des macrorestes végétaux (empreintes végétales et charbons de bois) et, d’autre part, une première approche des conditions paléoenvironnementales locales et de leur évolution. L’interprétation des différents faciès en tant que marqueurs de la dynamique des versants, de l’évolution des systèmes hydrographiques associés et du contexte bioclimatique local, est ensuite confrontée aux résultats paléobotaniques obtenus.

L’analyse paléobotanique

Les empreintes végétales

Les spécimens récoltés sont dégagés à l’aide d’un petit burin, d’un marteau et d’une fraise de dentiste, puis dessinés à la loupe binoculaire équipée d’une « chambre claire. » L’identification est réalisée sur la base des différents caractères morphologiques discriminants que sont, par exemple, la forme, la marge, l’apex et la nervation chez les feuilles, le mucron et l’apophyse chez les cônes. Les collections de divers restes végétaux (Herbiers de l’Institut de Botanique de Montpellier et de l’UMR 5059) et les ouvrages systématiques (Cronquist, 1981 ; Rameau et al., 1989, 1993 ; Blamey et Grey-Wilson, 1991) sont indispensables dans cette démarche de détermination taxinomique. L’absence de clé d’identification des espèces ligneuses basée sur les caractères morphologiques des feuilles et les problèmes de polymorphisme et de convergence de forme, rendent l’identification des empreintes foliaires assez complexe. Malgré tout, les différentes caractéristiques morphologiques conservées sur les spécimens analysés permettent généralement, après description et multiples comparaisons, une identification à l’espèce.

Le nombre et la fragmentation des échantillons récoltés ne permettent que rarement une interprétation des résultats fondée sur l’évolution chronologique des fréquences relatives de chacune des espèces identifiées (approche qualitative et quantitative). Habituellement les paléoflores des systèmes travertineux sont interprétées qualitativement (Planchon, 1864 ; Saporta, 1867 ; Fliche, 1904 ; Farizier, 1980 ; Roiron, 1988). De cette approche, on obtient une liste floristique sans aucune information sur le statut écologique (dominant/subordonné) des espèces en présence. Lorsque les travertins sont riches en empreintes, une approche qualitative et quantitative est réalisable. En effet, dans ces gisements, un dénombrement des empreintes identifiées permet une étude diachronique de la dynamique de végétation le long des séquences stratigraphiques (Ali et al., 2003b).

Les charbons de bois

Les charbons de bois inclus dans les faciès détritiques des systèmes travertineux sont extraits par un système de tamisage à l’eau avec une colonne de tamis à mailles différentes (5 et 2 mm). La carbonisation préserve les structures anatomiques tri-dimensionnelles des essences ligneuses (Beal et al., 1974). L’observation de ces différents caractères anatomiques au microscope photonique à réflexion permet une identification taxinomique des charbons de bois basée sur leur comparaison avec des collections de référence de bois actuels carbonisés et sur la consultation d’ouvrages xylologiques (Greguss, 1955, 1959 ; Jacquiot, 1955 ; Jacquiot et al., 1973 ; Schweingruber, 1990 ; Vernet et al., 2001).

L’abondance en restes carbonisés dans les systèmes travertineux permet de mettre en place une étude qualitative (présence/absence des taxons) couplée à une approche quantitative (fréquence relative des taxons identifiés) afin d’interpréter les assemblages charbonneux récoltés. Ce type d’étude est couramment employé en anthracologie archéologique (voir notamment Heinz, 1988 ; Figueiral, 1990 ; Chabal, 1991, 1997) et accessoirement, en pédoanthracologie (Tardy, 1998).

Choix des sites : les systèmes travertineux de Saint-Antonin et du massif du Queyras

Le présent travail est fondé sur l’étude de systèmes travertineux holocènes localisés dans les Bouches-du-Rhône (Saint-Antonin) et dans les Alpes internes du sud (vallée de l’Aigue Agnelle et du Peynin) (Ali et al., 2002 ; Ali et al., 2003a, b ; Guendon et al., 2003).

Parmi les nombreux systèmes observés sur le pourtour méditerranéen français, le système travertineux fossile de Saint-Antonin (Bouches-du-Rhône) fait figure de modèle régional. En effet, il présente à la fois une séquence stratigraphique distincte avec des enchaînements morpho-sédimentaires significatifs et un grand nombre de restes végétaux dans les différent niveaux. De surcroît, ce système est adossé à un secteur géographique dont on connaît les rythmes des occupations humaines. Ces informations sont indispensables à la caractérisation de l’impact anthropique sur l’évolution du paysage. Cet édifice avait déjà fait l’objet d’études paléobotaniques (Saporta, 1860, 1867 ; Fritel, 1920 ; Laurent, 1932) ainsi que géomorphologiques et sédimentologiques (Guendon et Vaudour, 1981). Cependant, les résultats obtenus par nos prédécesseurs ne permettaient pas, en l’absence de cadre chrono-stratigraphique, de caractériser avec précision les dynamiques de la végétation sur ce site.

Dans le Queyras, plusieurs études ont fait état de la présence de systèmes travertineux dans différentes vallées (Fliche, 1904 ; Martin, 1905, 1913 ; Brotto, 1986). L’étude de ces systèmes alpins placés dans un contexte climato-géographique en continuité avec celui des Bouches-du-Rhône (Méditerranée nord occidentale), nous a paru particulièrement intéressante. Les caractères climatiques du Queyras, notamment l’ensoleillement et la relative sécheresse estivale, évoquent ceux du climat méditerranéen. Un des objectifs de cette démarche fut la comparaison de l’évolution morpho-sédimentaire de ces systèmes travertineux alpins avec celle des systèmes qui se sont développés en plaine. Par ailleurs, dans ce secteur des Alpes, les principales données retraçant l’évolution de la végétation durant l’Holocène sont issues d’études palynologiques (de Beaulieu, 1977 ; Fauquette et Talon, 1995 ; Nakagawa et al., 2000). Les dynamiques de la végétation à l’échelle locale, qui permettent de mieux cerner la mise en place des structures paysagères actuelles au niveau d’un versant ou d’une vallée par exemple, sont de ce fait moins bien perçues. L’analyse des macrorestes végétaux contenus dans des systèmes travertineux offrait l’opportunité de comprendre les modifications de la végétation à l’échelle locale et pouvait donc apporter, dans ce secteur des Alpes, des données complémentaires à celles déjà obtenues grâce aux approches palynologiques.

Le système travertineux de Saint-Antonin

Situation biogéographique

L’édifice travertineux de Saint-Antonin (43° 31’ N ; 5° 35’ E) est situé sur le versant sud du massif de la Sainte-Victoire, à proximité de la ville d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) (fig. 2).

Plusieurs affleurements de travertins fossiles bordent le ruisseau du Bayon, qui prend principalement sa source sur le plateau du Cengle, dans une dépression fluvio-karstique plus ou moins marécageuse installée au pied des calcaires éocènes. Ces affleurements appartiennent à la même génération de dépôts. Ce sont des systèmes alluviaux stratifiés, formés entre la fin du Tardiglaciaire et le début du Subboréal (Guendon et Vaudour, 1981 ; D’Anna et Courtin, 1986 ; Jorda et Provansal, 1992). Ils sont totalement incisés par le cours d’eau actuel qui a sensiblement repris son profil initial. Plusieurs coupes verticales et longitudinales naturelles s’offrent ainsi à l’analyse. L’affleurement étudié (14 m de hauteur), se situe à 400 m d’altitude, dans un vallon encaissé à l’aval d’un secteur où le cours d’eau franchit en cascade une corniche calcaire. En amont du site de la cascade, les dépôts travertineux se réduisent et disparaissent rapidement. Ce système travertineux est établi sur un substratum de blocs et de graviers alluviaux calcaires. Il présente 12 niveaux construits, crayeux ou détritiques (fig. 3) dont une description détaillée est donnée dans Guendon et Vaudour (1981), Ali et al. (2003b) et Guendon et al. (2003).

La végétation environnant le site est caractérisée par des formations de chêne vert (Quercus ilex) et de chêne pubescent (Quercus pubescens). Le pin d’Alep (Pinus halepensis) occupe majoritairement les aires fréquemment incendiées. Le sous-bois est formé principalement de Quercus coccifera, Phillyrea angustifolia, Pistacia lentiscus, Ulex parviflorus, Rosmarinus officinalis, Juniperus oxycedrus, Rhamnus alaternus, Viburnum tinus, Smilax aspera qui constituent les principales espèces ligneuses.

Principaux résultats et interprétations

Sur ce site, 926 empreintes foliaires et 76 fragments de charbons de bois ont été examinés. La richesse en empreintes de ce gisement nous a permis de mettre en place une approche diachronique de la végétation le long de la séquence stratigraphique (tabl. I) fondée sur une analyse à la fois qualitative (détermination taxinomique) et quantitative (fréquence relative des taxa) des divers macrorestes récoltés. Les variations des fréquences relatives des différents taxa (Ali et al., 2003b) et les différentes analyses morpho-sédimentaires (Guendon et Vaudour, 1981 ; Guendon et al., 2003) dénotent l’existence d’au moins trois phases dans l’évolution locale du paysage (fig. 4). Les résultats obtenus ont été confrontés à ceux de l’étude malacologique du site (Magnin et Thinon, 1988).

En phase 1 (niveaux 1 à 4), après un épisode détritique tardiglaciaire, la travertinisation s’installe (niveaux 1 et 2), perturbée par des apports terrigènes (niveau 3). Au début de cette phase (niveau 1 : 8890 ± 70 BP) la flore est caractérisée par une végétation hydrophile pionnière (Populus alba, Salix viminalis, Salix purpurea, Salix cinirea, Phragmites communis), associée à quelques espèces mésophiles de la chênaie à Quercus pubescens (fig. 5). Les données malacologiques du niveau 3 corroborent ces résultats avec la dominance des espèces aquatiques, associées à quelques espèces terrestres de milieux ouverts. Le dépôt détritique du niveau 3, révèle que, durant cette période, l’érosion autour du site a été favorisée par la présence d’une végétation pionnière clairsemée. Sur les versants qui surplombent la ripisylve, Quercus pubescens commence à se développer, mais le milieu est encore relativement ouvert. La fin de cette phase (niveau 4 : 6700 ± 80 BP) est caractérisée par un important changement dans la végétation. On constate l’accroissement des espèces mésophiles de la chênaie pubescente (Quercus pubescens, Acer monspessulanum et Sorbus domestica) et la régression des espèces hydrophiles pionnières. La même dynamique est observée dans les résultats malacologiques de ce niveau, où les espèces terrestres deviennent prédominantes. Sur le plan morpho-sédimentaire, on observe le dépôt de faciès travertineux homogènes et la quasi-disparition des faciès détritiques (niveau 4). Durant cette période, Quercus pubescens, en pleine extension sur le plateau du Cengle, a probablement colonisé les abords du Bayon, entraînant parallèlement la régression des espèces hygrophiles pionnières. La fin de cette phase indique donc l’existence de conditions environnementales stables permettant à la fois une travertinisation optimale et la mise en place d’une formation à chêne pubescent.

Tout au long de la phase 2 (niveau 5 : 6700 ± 80 BP), la travertinisation reste optimale. On note pourtant une baisse de la fréquence relative des empreintes de Quercus pubescens. Les conditions climatiques étant favorables (optimum climatique de l’Holocène/Atlantique), la régression de ce taxon pourrait être la conséquence d’une exploitation de la chênaie dont on note les premiers signes. L’ouverture du milieu semble profiter aux espèces subordonnées, en l’occurrence, Acer monspessulanum. Néanmoins, un contexte forestier semble prédominer, comme l’atteste l’étude malacologique (dominance des espèces terrestres), d’autant plus que les données archéologiques montrent qu’à cette époque les abords de la Sainte-Victoire étaient peu fréquentés (D’Anna, 1992).

Figure 2

Localisation des sites étudiés : A) Massif du Queyras (Hautes-Alpes) ; B) Saint-Antonin (Bouches-du-Rhône).

Location of study sites A) Massif du Queyras (Hautes-Alpes) and B) Saint-Antonin (Bouches-du-Rhône).

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Figure 3

A

Saint-Antonin

Saint-Antonin

B

Vallée du Peynin

Vallée du Peynin

Systèmes travertineux de Saint-Antonin et du Peynin.

Saint-Antonin and Peynin travertine systems.

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Tableau I

Datations au 14C et U/Th réalisées sur les travertins étudiés

Datations au 14C et U/Th réalisées sur les travertins étudiés
a.

C : Cerak ; Beta : Beta Analytic ; AA : Tucson, Arizona

b.

calibration (2σ) d’après le programme Calib. 4.2 (Stuiver et al., 1998)

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La phase 3 (niveaux 7 à 12 : 4840 ± 210 BP) est marquée par l’apparition brutale de chenaux d’érosion et le retour d’un important détritisme remaniant des vestiges archéologiques de la fin du Néolithique. Cette crise d’érosion accélérée coïncide avec une ouverture notable du milieu attestée par le développement de Rubus ulmifolius dans la flore foliaire, par la présence de Pinus halepensis et Juniperus sp. dans la flore anthracologique, ainsi que par la malacofaune dominée par des espèces terrestres de milieux ouverts. Les niveaux détritiques (8 et 11) de la séquence travertineuse contiennent des tessons de céramique et des rognons de silex de la fin du Néolithique moyen ou du début Néolithique final (A. D’Anna, communication personnelle, 2000). Ces artéfacts indiquent que les abords du site ont été fréquentés par des communautés humaines qui sont sans doute à l’origine de cette dynamique de végétation (exploitation de la chênaie) et des processus d’érosion qui en découlent. Dans toute la Provence, cette période est caractérisée par un essor démographique sans précédent, et les milieux jusqu’alors marginalisés, comme le massif de la Sainte-Victoire, n’échappent pas à la règle (D’Anna, 1992).

Le système travertineux du Queyras

Situation biogéographique

Les systèmes travertineux étudiés (Tioures 1 et Peynin) sont des édifices de petites dimensions (quelques dizaines de mètres de largeur sur quelques mètres d’épaisseur) localisés entre 2 000 et 2 200 m d’altitude dans les vallées de l’Aigue Agnelle et du Peynin (44° 44’ N ; 6° 53’ E) (fig. 2). Ces systèmes se sont formés à l’aval de petites sources naissantes sur les versants sud des vallées. Dans le Queyras, le substratum de ces dépôts est essentiellement constitué par la formation dite des « schistes lustrés » et par des accumulations morainiques. Les eaux qui alimentent ces systèmes travertineux traversent des formations gypseuses triasiques ou des calcschistes crétacés en écailles dans les schistes lustrés (Brotto, 1986).

Le système des Tioures 1 (vallée de l’Aigue Agnelle) est disloqué par des phénomènes de solifluxion (fig. 6). Les marques de diagenèse (dissolution et reprécipitation des carbonates) y sont abondantes, notamment sous forme de stalactites et de planchers stalagmitiques développés dans des cavités intra-travertineuses (Ali et al., 2002). La vallée du Peynin est distante de 5 km de celle de l’Aigue Agnelle (fig. 2). Le système étudié présente des alternances de faciès plus ou moins construits (faciès crayeux et travertineux) et de faciès détritiques (fig. 3).

Dans le massif du Queyras, la végétation actuelle est majoritairement composée dans sa strate arborée par trois espèces de conifères : Pinus cembra, Pinus uncinata et Larix decidua. La vallée de l’Aigue Agnelle présente un ubac couvert de quelques individus de Larix decidua parsemés, alors que l’adret est composé d’une pelouse alpine à Festuca type ovina dépourvue de toute espèce ligneuse. Dans la vallée du Peynin, la végétation autour du site est formée à la fois de Pinus cembra, de Pinus uncinata et de Larix decidua, ce dernier étant prédominant.

Les Tioures 1 : principaux résultats et interprétations

Ce système travertineux est formé de faciès travertineux très indurés. Il contient dans le niveau 6 daté par U/Th à 9800 + 100/- 200 BP (tabl. I), de nombreuses empreintes de cônes de Pinus uncinata et des aiguilles réunies par deux appartenant probablement à cette espèce (fig. 4). Des empreintes de feuilles de Betula cf. pubescens, de Populus tremula, de Salix cinerea, et de Salix sp. ainsi que de troncs d’environ 30 cm de diamètre sont également présentes. L’absence de niveaux détritiques dans ce système travertineux indique des conditions environnementales plutôt stables lors du dépôt. La couverture forestière était alors relativement bien développée, avec des individus érigés, matérialisés par la présence des empreintes de troncs (Ali et al., 2002).

Figure 4

Illustrations de quelques empreintes fossiles.

Illustrations of fossil imprints.

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Figure 5

Dynamiques de végétation sur le site de Saint-Antonin basées sur l’identification des empreintes végétales et charbons de bois (Ali et al., 2003b).

Vegetation dynamics of the Saint-Antonin area based on the identification of leaf imprints and charcoal fragments (Ali et al., 2003b).

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Figure 6

Système travertineux des Tioures 1.

Tioures 1 travertine system.

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Ces résultats sont assez surprenants, compte tenu de l’altitude (2 200 m) et de l’âge du travertin (ca 9800 BP). En effet, d’après les données palynologiques régionales de Fauquette et Talon (1995) et de Nakagawa et al. (2000), la limite supérieure des arbres était, à cette période, en dessous de 2 100 m d’altitude. Par ailleurs, les auteurs indiquent que cette altitude ne fut atteinte par des arbres qu’aux alentours de 8940 étal. BP, et uniquement par des angiospermes tels que Betula sp. Les conifères tels que Larix decidua et Pinus cembra ne sont observés vers 2 200 m qu’aux alentours de 7260 et 6380 étal. BP respectivement. Ces résultats mettent en évidence une différence de près de 2600 ans entre les enregistrements polliniques régionaux et les macrorestes végétaux contenus dans le système travertineux des Tioures 1.

En Europe du Nord, on connaît des divergences du même type entre des données issues de macrorestes, en l’occurrence des troncs subfossiles, et celles provenant d’analyses polliniques (Kullman, 1992, 1998, 2000). Tout porte à croire que les analyses polliniques révèlent préférentiellement la limite des arbres producteurs de pollen comme l’ont déjà signalé Carcaillet et al. (1998). Sachant qu’à la limite des arbres (= limite potentielle de développement des espèces ligneuses), les individus se reproduisent essentiellement par voie végétative (Tranquilini, 1979 ; Arquilière, 1986 ; Kullman, 1992), les enregistrements polliniques ne peuvent pas, ou ne peuvent que difficilement détecter ces individus. En d’autres termes, la caractérisation de la limite supérieure des arbres durant l’Holocène nécessite de préférence la mise en place d’approches paléobotaniques indépendantes de la production en pollen des arbres, telles que celle de l’étude de macrorestes végétaux contenus dans les travertins ou dans les sols (charbons de bois) (Ali et al., 2003a).

Le Peynin : principaux résultats et interprétations

Ce système travertineux présente un niveau crayeux (niveau 1) et plusieurs niveaux détritiques (niveaux 2 à 4) riches en charbons de bois. Les variations des fréquences relatives des taxa identifiés lors de l’anthracoanalyse nous ont permis de distinguer au moins trois phases dans la dynamique de végétation en réponse à des perturbations par le feu (fig. 7).

La phase 1 (niveau 1 : 4080 ± 105 BP) est caractérisée par la prédominance des charbons de bois de Pinus cembra associés à ceux d’Ericaceae type Vaccinium. Cette formation végétale est contemporaine du dépôt de faciès crayeux indiquant des conditions environnementales globalement stables. Ce résultat est en conformité avec des données phytoécologiques actuelles (Ozenda, 1985, 2001) qui montrent que le développement de Pinus cembra à cette altitude dénote un optimum environnemental (peu de perturbations).

La phase 2 (niveau 2 : 3965 ± 95 BP ; niveau 3) est caractérisée par l’essor de cf. Larix. Ce taxon est une espèce pionnière qui colonise les espaces ouverts. Cette période coïncide avec l’installation permanente de communautés humaines dans le massif du Queyras (Barge et al., 1995, 1998). Le développement de cf. Larix dans la vallée est sans aucun doute la conséquence de l’exploitation de la pinède à Pinus cembra, notamment avec une utilisation récurrente du feu. L’apparition de matériel détritique à fort taux de charbons de bois dans la séquence corrobore cette hypothèse.

La phase 3 (niveau 4 : 3165 ± 150 BP) correspond au maximum de développement de cf. Larix, induisant la quasi-disparition de Pinus cembra. Durant cette période, les faciès détritiques prédominants indiquent d’importantes phases érosives autour du système travertineux.

À travers les quelques exemples présentés, le processus de travertinisation semble plus ou moins obéir au même schéma évolutif et dynamique, que ce soit en plaine ou en zone subalpine. Les différentes dates obtenues montrent que, dans les deux contextes biogéographiques, le processus de travertinisation postglaciaire débute entre ca. 10 000 et 9000 étal. BP. Cette période est caractérisée par une reconquête forestière matérialisée par l’installation de la chênaie pubescente sur le plateau du Cengle (Saint-Antonin) et de la pinède à Pinus uncinata dans la vallée de l’Aigue Agnelle. Des processus érosifs ponctuent cette période comme le montre le dépôt détritique du niveau 3 de la séquence travertineuse de Saint-Antonin. Le matériel détritique, directement emprunté aux formations géologiques du bassin versant, témoigne d’un substrat largement affleurant, sans doute lié à la présence de nombreuses ravines héritées des phases d’incision antérieures et non encore cicatrisées ou colonisées par la végétation. Après cet épisode détritique, au début de l’Atlantique (aux alentours de 8000-7500 BP), la travertinisation reprend rapidement ses droits et s’accompagne de changements sédimentaires et biologiques radicaux. L’accumulation travertineuse se développe selon un faciès qui dénote des écoulements plus laminaires et plus réguliers, tandis que les faciès détritiques deviennent épisodiques. Cette phase est donc caractérisée par une évolution conduisant à un optimum tant sédimentaire (travertinisation) que biologique. Autour du système travertineux de Saint-Antonin, la chênaie pubescente se développe, colonisant les abords du Bayon et entraînant la quasi-disparition des espèces hydrophiles pionnières (Ali et al., 2003b). Dans la vallée de l’Aigue Agnelle, on note le développement de Pinus cembra, espèce considérée comme climacique, au détriment de Pinus uncinata (Ali et al., 2002). Ces dynamiques géobotaniques résultent vraisemblablement d’un déterminisme climatique (Guendon et al., 2003).

La transition Atlantique/Subboréal (aux alentours de 6000-4000 BP) est caractérisée, dans les systèmes travertineux, par des crises érosives marquées. Dans les vallées du Queyras, on observe le développement de cf. Larix. Il traduit une ouverture notable du milieu et la régression de Pinus cembra. Aux abords du système travertineux de Saint-Antonin, la chênaie pubescente régresse en faveur d’espèces héliophiles et pionnières telles que Pinus halepensis, Rubus ulmifolius et Juniperus sp. Cette période charnière est concomitante à l’installation permanente de communautés humaines, à la fois dans le Queyras et aux abords de la Sainte-Victoire. Les dynamiques de la végétation observées sont probablement les conséquences directes des activités humaines, dont l’utilisation récurrente du feu à des fins agropastorales.

Figure 7

Dynamique de la végétation du versant sud de la vallée du Peynin d’après l’analyse de charbons de bois.

Vegetation dynamics of the southern slope of the Peynin Valley revealed by the charcoal fragments analysis.

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Il faut garder à l’esprit que les systèmes travertineux, surtout ceux de basse altitude, ont eu, de tout temps, un pouvoir attractif sur les populations humaines (Vaudour, 1994). En Espagne, l’Abric Romani, qui est un gigantesque système travertineux, a servi de refuge à des hommes du Paléolithique supérieur (Burjachs et Julià, 1994). Les sites travertineux ont également servi de lieux de culte et de sépulture de même que de point d’eau (Vaudour, 1986). Nombreuses sont les constructions (plusieurs monuments de la ville de Rome, par exemple) faites en pierre de travertin, laquelle constitue un matériau léger et facile à tailler. Dans le Midi de la France, durant la période gallo-romaine, des sources travertineuses ont été détournées afin d’alimenter en eau potable des villes comme Béziers (Hérault), Nîmes (Gard) et Aix (Bouches-du-Rhône) (Vaudour, 1994). Les zones karstiques à travertins ont été fréquentées depuis fort longtemps par les communautés humaines, car elles représentent des lieux privilégiés utilisés à des fins diverses. Malheureusement, ces activités humaines grandissantes depuis l’époque proto-historique ont eu pour conséquence le démantèlement des formations et l’arrêt progressif de la travertinisation, même si les eaux restent, de nos jours, riches en carbonates.

Synthèse et discussion : apports des systèmes travertineux à la caractérisation des paléopaysages holocènes

Une approche géobotanique à haute résolution spatiale des paléopaysages

Les systèmes travertineux sont des archives au sein desquelles sont enregistrées différentes modifications du paysage. « Le paysage n’est pas la simple addition d’éléments géographiques disparates. C’est, sur une certaine portion d’espace, le résultat de la combinaison dynamique, donc instable, d’éléments physiques, biologiques et anthropiques qui en réagissant dialectiquement les uns sur les autres font du paysage un ensemble unique et indissociable en perpétuelle évolution » (Bertrand, 1968). La caractérisation d’un paysage implique donc sa spécification sur les plans physique et biologique. L’approche géobotanique séquentielle réalisée sur les systèmes travertineux de Saint-Antonin et des vallées du Queyras nous a permis de retracer la dynamique physique (érosion des sols environnants, glissements de terrain) et biologique (évolution de la végétation) des sites. Cette approche transdisciplinaire à haute résolution spatiale (échelle locale) est à la fois basée sur la signification paléoenvironnementale des différents faciès morpho-sédimentaires observés, sur l’analyse de deux types de macrorestes végétaux (empreintes et charbons de bois) et sur des datations au 14C ou à l’U/Th des différents faciès (fig. 8).

Figure 8

Schéma synthétique de l’étude paléoécologique des systèmes travertineux.

Synthetic diagram of the palaeoecological study of travertine systems.

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Sur le système travertineux de Saint-Antonin, une analyse à la fois qualitative (présence des taxons) et quantitative (fréquence relative des taxons) des assemblages foliaires observés le long de la séquence a été menée. La difficulté était de s’assurer que les fréquences relatives des espèces observées dans les différents niveaux étudiés correspondaient à une réalité écologique. Autrement dit, une espèce caractérisée comme dominante en raison de sa fréquence élevée dans un assemblage foliaire l’était-elle effectivement sur le site ? D’après des études taphonomiques menées sur des grands lacs californiens, il n’existerait pas de lien direct entre les fréquences relatives des feuilles récoltées dans les lacs et la végétation environnante (Ferguson, 1985 ; Spicer, 1987). Ces études, qui pourraient être transposées aux systèmes travertineux, tendent à invalider l’approche quantitative que nous avons entreprise. Néanmoins, la cohérence écologique des assemblages foliaires observés avec des analogues dans la végétation actuelle (Birks, 1981), et la concordance de l’ensemble de nos résultats avec ceux issus d’études réalisées à l’échelle locale (Magnin et Thinon, 1988) et régionale (Triat-Laval, 1978, 1982 ; Nicol-Pichard, 1987 ; Thiébault, 1988), mais également avec les données sédimentologiques et géomorphologiques, nous font penser que notre méthode d’analyse est cohérente. Cependant, afin de valider la méthode, il est nécessaire de refaire l’expérience sur d’autres sites riches en empreintes de feuilles.

La détermination à l’espèce de la plupart des empreintes végétales permet de caractériser avec précision les paléovégétations. Dans la vallée de l’Aigue Agnelle, la présence de Pinus uncinata, dont la dynamique passée nous est peu connue, a pu être mis en évidence grâce à la présence d’empreintes (de cônes et d’aiguilles) dans le système travertineux des Tioures 1. Nombreuses sont les espèces qui dominent dans les formations végétales actuelles et sur lesquelles nos connaissances sont quelque peu disparates. Tel est le cas, par exemple, de Populus alba qu’on retrouve en abondance sous forme d’empreintes de feuilles à la base de la séquence travertineuse de Saint-Antonin, et dont l’indigénat dans le bassin méditerranéen nord occidental est sujet à discussion (Roiron et al., 2004). Ce manque de données à l’égard de certaines espèces clés qui composent la végétation actuelle, est totalement inhérent au matériel majoritairement étudié, c’est-à-dire les pollens et charbons de bois, pour lesquels la détermination spécifique des échantillons est parfois problématique.

Les variations du couvert végétal distinguées à l’aide de l’analyse des empreintes et des charbons de bois sont également matérialisées par des indices sédimentologiques et géomorphologiques, contribuant à retracer l’évolution du paysage. Des correspondances entre dynamiques morphosédimentaires et changements de végétation ont ainsi pu être établies. Les faciès travertineux coïncident avec le développement d’espèces (Quercus pubescens, Pinus cembra, etc.) nécessitant des conditions environnementales stables, alors que les faciès détritiques correspondent à des végétations composées d’espèces indiquant des perturbations dans le milieu (cf. Larix, Rubus ulmifolius, Pinus halepensis, etc.).

Feux et dynamique de végétation : un enregistrement stratifié des paléofeux

Dans certains écosystèmes tels que les écosystèmes montagnards et subalpins, les feux naturels ou anthropiques sont considérés comme des perturbations majeures responsables des principaux changements de végétation (Carcaillet, 1996, 1998 ; Talon, 1997 ; Talon et al., 1998 ; Tinner et al. 2000). L’étude des niveaux charbonneux stratifiés du système travertineux de la vallée du Peynin nous a permis de mettre en évidence une dynamique forestière qui semble régie par les feux survenus dans la région.

Dans les systèmes travertineux, les niveaux détritiques au sein desquels sont emprisonnés la plupart des charbons de bois étudiés sont issus de processus d’érosion affectant les sols environnants après des incendies naturels ou anthropiques. Comme pour les empreintes foliaires, les assemblages charbonneux observés reflètent l’existence de formations végétales présentes dans l’environnement actuel (Birks, 1981). Par ailleurs, les différentes phases de la végétation observées dans la vallée du Peynin s’inscrivent dans une dynamique régionale (de Beaulieu, 1977 ; Nakagawa et al., 2000).

Les systèmes travertineux subalpins et la limite supérieure des arbres durant l’holocène

Le système travertineux des Tioures 1, situé à 2 200 m d’altitude dans la vallée de l’Aigue Agnelle, contient plusieurs empreintes de feuilles (Populus tremula, Betula cf. pubescens, Salix cinerea, Salix sp1 et Salix sp2), d’aiguilles, de cônes (Pinus uncinata) et de troncs d’environ 30 cm de diamètre. Cet édifice nous a permis d’estimer la limite supérieure des arbres au début de l’Holocène à au moins 2 200 m d’altitude (Ali et al., 2003a). La présence de cônes de Pinus uncinata dans ce travertin indique qu’il y a 9800 ans, à cette altitude, les conditions environnementales étaient propices à la fécondation, mais pas nécessairement à la production pollinique. En effet, le pollen des pins étant anémophile, cette production a pu se faire à plus basse altitude. Nos résultats confirment la nécessité de mettre en place des approches pluridisciplinaires (analyses d’empreintes végétales, de troncs, de charbons de bois, de pollen, etc.) quand il est question de caractériser la fluctuation de la limite supérieure des arbres durant l’Holocène (Ali et al., 2003a).

Conclusion

Les systèmes travertineux sont des biohermes naturels dont la genèse est à la fois régie par des facteurs biotiques (anthroposystème et biosystème) et abiotiques (géosystème) (fig. 9). L’abondance et la diversité des macrorestes végétaux (empreintes végétales et charbons de bois) qu’ils renferment, permettent de caractériser avec précision les paléovégétations avec, notamment, une identification à l’espèce de la plupart des empreintes (feuilles et cônes). Sur le site de Saint-Antonin, la détermination spécifique des empreintes de feuilles récoltées nous a permis d’identifier 31 espèces appartenant à la flore locale.

La stratification des restes végétaux subfossilisés offre la possibilité de mettre en place une approche diachronique de la dynamique du couvert végétal. Les charbons de bois inclus dans les niveaux détritiques nous renseignent sur les réponses de la végétation aux perturbations par le feu dans les écosystèmes où ce facteur joue un rôle prépondérant. Les systèmes travertineux se trouvant dans les zones subalpines contribuent de façon importante à la caractérisation de la limite supérieure des arbres durant l’Holocène.

Figure 9

Principaux facteurs biotiques et abiotiques commandant le dépôt des systèmes travertineux.

Main biotic and abiotic factors controlling the deposit of travertine systems.

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L’analyse morpho-sédimentaire est complémentaire de l’analyse paléobotanique. Chaque faciès et le contexte sédimentaire dans lequel il se situe ont une signification paléoécologique particulière, traduisant des phases de stabilité et d’instabilité environnementale. Les ouvertures du milieu (déforestation) qui ont généralement pour conséquence des processus d’érosion (dépôts dans les formations de matériel détritique) et des glissements de terrain (dislocation des formations), sont enregistrées selon une dynamique morpho-sédimentaire observable dans le temps et dans l’espace. En raison de l’étroite corrélation observée entre les variations du couvert végétal et les dynamiques morpho-sédimentaires, les systèmes travertineux offrent des matériaux d’étude de choix à la reconstitution des paléopaysages à l’Holocène.