Note critique

Primauté analytique de l’expérience et gradualisme historiqueSur les apories d’une certaine lecture historienne du passé[Record]

  • Jean-Marie Fecteau

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  • Jean-Marie Fecteau
    Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Tout article peut être un (pré)texte. Prétexte, à partir d’un cas donné, à réfléchir sur un espace, ou sur un temps. L’alibi à la base de la présente réflexion est constitué par le travail d’un collègue et d’un ami. Le livre de Donald Fyson est un travail important dont il faut souligner les énormes mérites. Il s’agit, disons le tout de go, d’une des plus belles monographies, à mon sens, à avoir été publiées sur le Bas-Canada depuis une ou deux décennies. Ce livre constitue une étude précise et d’une grande sensibilité historique du fonctionnement du pouvoir local au Bas-Canada entre la Conquête et les Rébellions de 1837. Plus précisément, Fyson s’attache à analyser en profondeur ce qui constitue peut-être l’élément essentiel de ce pouvoir, soit le système judiciaire et son représentant principal, le magistrat ou juge de paix. Nous avons ici une étude fascinante du fonctionnement « par le bas » de ce système, attentive à toutes les dimensions du maintien de l’ordre et de la résolution des tensions, tant en ville qu’à la campagne. À ma connaissance, jamais le pouvoir local au Bas-Canada n’a été analysé avec ce degré de finesse et d’érudition. Ainsi, alors que les travaux antérieurs s’étaient surtout concentrés sur les hautes sphères de l’appareil de justice (notamment le rôle des juges, la Cour du Banc du Roi ou la législation criminelle), Fyson part du « terrain » où se pratique le quotidien du droit et du maintien de l’ordre. Il illustre notamment le rôle important des juges de paix, agissant collectivement en Session de quartier ou à titre individuel. Il analyse leur rapport au pouvoir central mais surtout leur action auprès des justiciables. De même, son étude minutieuse du fonctionnement des forces policières permet de jeter un regard d’une précision inégalée à ce jour sur ce personnel souvent décrié ou raillé par les critiques de l’« ordre ancien ». Sa connaissance approfondie des dossiers judiciaires nous donne aussi un aperçu d’une grande clarté sur le recours à l’appareil de justice, notamment de la part des classes populaires. On a ici un exemple particulièrement éloquent de la pertinence d’une approche « from the bottom up » en histoire du droit. Une approche également sensible aux rapports de pouvoir, notamment symboliques, dont sont imprégnés tant les rituels de justice que l’architecture des cours. L’acquis principal de l’oeuvre de Fyson, qui fait se démarquer son livre de la littérature produite à ce jour sur la question, tant au Québec qu’au Canada, est la finesse et la précision avec laquelle il met à jour, à partir des témoignages directs issus de la pratique quotidienne de la justice, la logique sociale en opération en matière de pouvoir et de droit dans la société en transition vers la modernité. Contre les lectures trop rapides qui, voulant insister sur les mutations survenues au xixe siècle dans le monde occidental, n’ont souvent pas hésité à grossir le trait sur les « insuffisances » du système de régulation d’Ancien Régime, Fyson montre, avec grande éloquence, combien l’appareil de justice et les instruments de pouvoir mis en place sont sensibles au temps, savent se transformer pour affronter des défis nouveaux, et surtout relèvent d’une rationalité que des historiens trop pressés n’ont pas su repérer. L’auteur prend très au sérieux la logique opératoire derrière le fonctionnement de ce système, et montre comment elle s’exprime dans la pratique de tous les jours. C’est un acquis essentiel, que les remarques qui suivent ne doivent pas faire oublier, et qui fait qu’à mon sens ce livre deviendra une incontournable référence pour qui veut comprendre la société bas-canadienne …

Appendices