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Les lecteurs de la Revue d’histoire de l’Amérique française le savent depuis longtemps : les archives notariales sont d’une richesse inouïe pour la poursuite de recherches en tout genre et la pertinence de les rendre plus facilement accessibles est indiscutable. À compter des années 1970 et jusqu’à la fin des années 1980, le dépôt aux Archives nationales du Québec (fusionnées à la Bibliothèque nationale du Québec en 2006 pour devenir Bibliothèque et Archives nationales du Québec ou BAnQ) de la plupart des greffes de notaires ayant terminé leur pratique avant 1915 a grandement facilité l’accès à ces documents. En plus de les rendre accessibles dans ses centres d’archives[1], BAnQ a toujours assuré leur conservation, en plus d’en favoriser une large diffusion[2].
À la suite de l’adoption de la Loi sur les archives[3], qui oblige les organismes publics à se doter de règles de conservation pour leurs documents, BAnQ ne pouvait plus recevoir d’archives notariales, en vertu de l’entente de dépôt conclue auparavant avec le ministère de la Justice. L’acquisition de greffes de notaires se terminant après 1915, tant souhaitée par de nombreux chercheurs, devait donc être régularisée par l’élaboration, l’approbation et l’inclusion d’une règle de conservation pour ces archives dans le calendrier de conservation de la Cour supérieure du Québec. En effet, la Loi sur le notariat prévoit que les greffes déposés auprès des protonotaires dans les chefs-lieux des districts judiciaires fassent partie des archives de ce tribunal[4].
Préoccupé par l’élaboration et la mise en application du calendrier de conservation des documents opérationnels des tribunaux judiciaires, le ministère de la Justice a jusqu’à tout récemment différé l’élaboration d’une règle de conservation pour les greffes de notaires du xxe siècle. Après analyse et discussions, une règle a été approuvée en janvier 2007 et intégrée au calendrier de la Cour supérieure du Québec. Selon cette règle, les palais de justice pourront à l’avenir verser le greffe d’un notaire à BAnQ 50 ans après la date de la rédaction de sa minute la plus récente[5]. Parallèlement à l’élaboration de cette règle de conservation, le ministère de la Justice a participé avec la Chambre des notaires du Québec à la rédaction d’un processus plus détaillé de dépôt des greffes dans les palais de justice par les notaires, par leurs héritiers ou par leurs cessionnaires. Lors de discussions sur ce processus, les représentants de la Chambre des notaires ont fourni des précisions au ministère de la Justice et, ultérieurement, à BAnQ quant aux subtilités inhérentes au secret professionnel liant les notaires et leurs clients. Ces précisions découlent de l’évolution de la doctrine et de la jurisprudence. En effet, si l’article 54 de la Loi sur le notariat rend explicite la nécessité de restreindre l’accès aux testaments des personnes vivantes, la portée spécifique du secret professionnel mentionné dans l’article 14.1[6] en ce qui concerne d’autres types d’actes notariés est moins évidente à première vue. Diverses dispositions des chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, du Code des professions et du Code de déontologie des notaires ainsi que plusieurs arrêts de la Cour supérieure du Québec ont permis de clarifier la portée du secret professionnel. Il appert que tous les actes non publiés aux bureaux de la publicité des droits – jadis les bureaux d’enregistrement – sont considérés par les tribunaux comme des actes privés et par conséquent visés par le secret professionnel. Qui plus est, la jurisprudence étend la notion de secret professionnel aux répertoires et aux index produits par les notaires[7]. Les représentants du ministère de la Justice et de la Chambre des notaires ont informé leurs vis-à-vis à BAnQ de cette nouvelle réalité qui pourrait avoir une incidence sur l’accessibilité des archives notariales. Devant l’imminence de versements de greffes de notaires du xxe siècle, BAnQ a immédiatement entamé des discussions avec la Chambre des notaires du Québec afin d’établir des règles d’accès aux archives notariales tout en faisant en sorte de concilier le respect du secret professionnel avec la mission de diffusion de BAnQ.
BAnQ et le milieu des chercheurs peuvent se réjouir du fait que les notaires sont conscients des richesses offertes par leurs archives en matière de recherche historique et qu’ils n’ont jamais envisagé d’appliquer le secret professionnel pour une durée illimitée. Leur rôle, à mi-chemin entre celui de conseiller juridique privé et celui d’officier public chargé de produire et de conserver des « actes authentiques » dotés d’une valeur probante devant les tribunaux, a sans doute contribué à cette ouverture d’esprit. Quoi qu’il en soit, la Chambre des notaires du Québec a consenti à fixer une échéance quant à la durée de la protection du secret professionnel. Une entente établissant des règles permettant de créer un équilibre entre la libéralisation de l’accès pour les uns et la protection des droits pour les autres a été signée et est entrée en vigueur le 6 juillet 2009[8]. Les éléments essentiels de ces règles se trouvent dans le Tableau des règles d’accessibilité aux actes notariés, répertoires et index, contenu dans l’annexe 1 de l’entente et reproduit ci-dessous.
En définitive, cette entente rendra possible la communication des actes notariés de 80 ans et plus. Parmi les documents notariés de moins de 80 ans, tous les actes publiés ou enregistrés aux bureaux de la publicité des droits peuvent également être communiqués. Les actes non publiés demeurent confidentiels, sauf dans le cas de demandes de nature juridique. Malgré cette dernière restriction, les actes, répertoires et index rédigés il y a moins de 80 ans mais avant 1940 (c’est-à-dire entre 1929 et 1939)[9] pourront être consultés[10] par tous les chercheurs qui signeront un engagement de confidentialité, à l’exception des testaments et des contrats de mariage, qui demeureront confidentiels. Soulignons que si la période couverte par un index ou par un répertoire comporte ne serait-ce qu’une seule année touchée par la confidentialité, les chercheurs ne pourront pas consulter ces documents. Ces nouvelles règles d’accès peuvent paraître fastidieuses, mais il ne faut pas perdre de vue que cette entente permettra de communiquer une portion supplémentaire d’archives notariales tous les ans. Depuis 2007, BAnQ a déjà reçu 1,25 kilomètre linéaire d’archives notariales du xxe siècle ; dorénavant, les palais de justice lui verseront chaque année les greffes dont la dernière minute aura été rédigée 50 ans plus tôt. Ces versements systématiques ainsi que l’ouverture progressive de ces greffes en vertu de l’entente conclue entre BAnQ et la Chambre des notaires du Québec assureront l’accès à ces archives si riches pour la recherche historique et généalogique. Ils contribueront aussi à l’enrichissement constant de la collection numérique « Archives des notaires du Québec », mise en ligne par BAnQ en 2007[11]. À ce jour, les index et répertoires de plus de 270 greffes de notaires du Québec sont disponibles ainsi que plus de 280 000 pages d’actes de notaires ayant pratiqué dans différents districts du Québec.
Appendices
Annexe
Notes
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[1]
Le Centre d’archives de la Côte-Nord ainsi que le Centre d’archives de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec ne conservent pas encore d’archives notariales en raison du peuplement récent de ces régions.
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[2]
Soulignons notamment les collaborations continues de BAnQ avec la Société Archiv-Histo pour l’élaboration de la base de données notariales du Québec ancien Parchemin (1626-1789) ainsi qu’avec la Société généalogique de l’Utah pour la reproduction des archives notariales.
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[3]
L.R.Q., c. A-21.1, articles 7 et 15.
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[4]
Loi sur le notariat, L.R.Q., c. N-2, article 154.
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[5]
Précisons que c’est au comité exécutif de la Chambre des notaires du Québec, et non pas au ministère de la Justice ni à BAnQ, qu’incombe le pouvoir d’obliger les notaires cessionnaires d’anciens greffes à les déposer auprès du protonotaire de leur district judiciaire une fois la période de cession terminée, comme le prescrit l’article 69 de la Loi sur le notariat. La période initiale de toute cession est de 50 ans. Le comité exécutif de la Chambre des notaires du Québec peut, sur demande, prolonger ce délai d’une période supplémentaire de 50 ans. Voir L.R.Q., c. N-2, articles 147 et suivants, en ce qui concerne l’obligation de dépôt à la fin d’une cession.
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[6]
Le notaire doit conserver le secret absolu des confidences qu’il reçoit en raison de sa profession
L.R.Q., c. N-3, article 14.1 -
[7]
Lagacé c. Sous-procureur général du Canada [1960], C. S. 482.
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[8]
Notons que les restrictions seront appliquées uniquement aux documents dans les séries de la classe « CN ». Les copies d’actes trouvés ailleurs, notamment dans des fonds privés, ne sont pas couvertes par le secret professionnel en raison du fait que le donateur qui a en main une copie d’un acte peut en faire ce qu’il veut.
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[9]
L’instauration de cette période transitoire découle du fait que plusieurs notaires ayant commencé leur pratique au xixe siècle n’ont pas signalé l’enregistrement ni sur leurs actes, ni dans leurs répertoires ou index. Pour pallier les difficultés d’application des règles d’accès dans ces cas, la Chambre des notaires du Québec a accepté un allègement des restrictions pour cette période, qui prendra fin en 2020
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[10]
La consultation permise ici par la Chambre des notaires du Québec se comprend dans le sens le plus strict du mot « consultation » et ne s’étend pas à la reproduction des documents. Les chercheurs peuvent prendre des notes mais ne peuvent ni photocopier ni numériser les actes non publiés.
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[11]
Convivial, ce nouvel outil est accessible gratuitement sur le portail de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/notaires/index.html. Tous les documents de plus de 80 ans produits par les notaires (index, répertoires et actes) seront graduellement mis en ligne au cours des prochaines années.
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[12]
L’article 2.1B spécifie ceci : « L’acte est accessible au testateur lui-même, à une des parties à l’acte ou à une personne munie d’un mandat express du testateur. Dans le cas où le testateur est décédé, les règles suivantes s’appliquent : seul le dernier testament peut être consulté ; seul un héritier, une personne munie d’un mandat express ou le liquidateur de la succession, dont l’identité est préalablement vérifiée, est autorisé à consulter l’acte, ci-après appelé “le requérant”. Une preuve du décès du testateur émanant du Directeur de l’état civil doit être présentée lorsque le décès est antérieur au 1er janvier 1961. Lorsque le décès est postérieur au 31 décembre 1960, le requérant doit présenter un certificat de recherche au Registre des dispositions testamentaires et des mandats du Québec, autant pour un acte antérieur au 1er janvier 1961 que pour un acte postérieur à cette date. »