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À l’occasion du tricentenaire du voyage de Samuel de Champlain sur le territoire de l’actuel Ontario, la chaîne TFO nous offre une série originale sur la vie de l’explorateur. Basée sur l’oeuvre de David Hackett Fischer, cette docufiction en six épisodes raconte la vie de l’explorateur de sa jeunesse encore obscure (il serait né vers 1570) jusqu’à sa mort en 1635. Notre objectif n’est pas ici d’évaluer la qualité scientifique du contenu – l’ouvrage de Fischer ayant déjà fait l’objet de plusieurs recensions – ou de la qualité télévisuelle de l’oeuvre – une nomination aux prix Gémeaux 2015 dans la catégorie docufiction l’ayant déjà soulignée. Notre intérêt a plutôt été suscité par le prix Gémeaux accordé à la série dans la catégorie « Meilleure production numérique (site Web et/ou application mobile) pour une émission ou série : documentaire ». Ce prix nous amène à réfléchir à l’utilisation de l’informatique pour rendre l’histoire accessible à la télévision et sur le Web.

La série est présentée sous forme d’enquête agrémentée de reportages sur le terrain, d’entrevues avec des spécialistes et de quelques reconstitutions de scènes importantes de la vie de Champlain. La trame générale de l’histoire, présentée par l’animatrice, est soutenue par le travail de trois « correspondants » qui nous font visiter des sites en France, au Québec et en Ontario. Anthropologues, muséologues, historiens – dont des Amérindiens et Fischer lui-même – apportent des analyses, des informations sur le contexte et nous rappellent, ce qui sera apprécié des universitaires, les lacunes des sources et les incertitudes qui subsistent. Les reconstitutions scéniques apportent un piquant dramatique en récréant la tabagie de Tadoussac, le combat contre les Iroquois, le voyage en Huronie, etc.

L’informatique facilite la superposition d’éléments complémentaires à l’écran, technique utilisée de manière efficace. Au besoin, la narration est accompagnée d’une ligne du temps pour bien situer les événements. Des statistiques et des images historiques illustrent le propos de certains spécialistes, réduisant l’effet « talking head ». Une restitution numérique du port de Brouage permet d’en découvrir l’apparence à l’époque de Champlain. La superposition d’un croquis de Champlain sur une carte moderne permet de démontrer visuellement la précision de son travail. Sans dominer le visuel, différentes technologies sont utilisées pour faciliter la transmission d’une histoire complexe.

Le site Web présente le contenu complémentaire habituel : bande-annonce, extraits, profil de l’équipe, crédits, médias sociaux. Le site est efficace et utilise les conventions actuelles de navigation, à la Flipboard. Bien qu’il n’offre pas (en octobre 2015) un guide pédagogique, le site propose une variété de contenus complémentaires qui peuvent intéresser le public et servir à l’enseignement.

Les capsules historiques – intitulées « Un peu d’histoire » – explorent des enjeux divers de l’époque, de la traversée à la cour d’Henri IV en passant par le défi du froid et la place des femmes dans la colonie. Elles peuvent facilement servir d’amorce à une discussion en classe, que ce soit dans un cours magistral ou dans un séminaire. Des séquences plus longues nous présentent « Les coulisses » de la production cinématographique : les armes et les stratégies, les défis de la réalisation avec des moyens limités, les décors, costumes et maquillages, voire les effets spéciaux. Les entrevues avec les Amérindiens qui ont participé au tournage (Innus, Anishinaabe, Wendats, Abénakis, Métis) nous éclairent un peu plus sur leur point de vue concernant Champlain.

Les « Saviez-vous que ? » sont de courts dessins animés mettant l’accent sur des anecdotes : Champlain parlait six langues, il n’a jamais été victime du scorbut, etc. On y remet en question l’hypothèse de Fischer selon laquelle Champlain serait le fils illégitime d’Henri IV. Le jeu « Le petit Champlain », destiné aux 5 à 8 ans, est une application pour les tablettes. On y retrouve sept activités de trois niveaux de difficulté recouvrant différents aspects de la vie de Champlain : la traversée, la culture matérielle amérindienne, les animaux à fourrures, les canots, la survie en la forêt, la construction de l’habitation et les réseaux de communication. Chaque activité utilise une technique de jeu différente, dont le labyrinthe et les objets cachés.

L’autre application mobile, « La tablette de Champlain », nous semble moins pertinente. L’objectif est d’offrir le contenu sous une autre forme, soit les aventures de Champlain racontées à travers les médias sociaux. Présenté sous forme de mises à jour de statuts, le contenu est organisé sur une ligne du temps pour la période 1602-1613 et comprend des textes, des cartes, des croquis, des illustrations, de la correspondance et des extraits vidéo de quelques secondes. On peut certainement admirer l’effort consacré à cette application agréable à consulter, mais ce n’est pas pour tout le monde. « Le portrait d’une nation » tente aussi de rendre Champlain plus moderne. Profitant de l’absence de représentations de Champlain lui-même, l’application propose de compiler des visages de Canadiens afin de « reconstituer le portrait de notre Champlain d’aujourd’hui ».

Le jeu le plus intéressant est, à notre avis, « Champlain 1603 », un jeu de stratégie en ligne qui utilise le plugiciel Webplayer Unity. Le joueur doit fonder sa colonie en veillant à son approvisionnement, faire la traite avec les Amérindiens, gérer les relations avec les autorités en France, etc. Il s’agit d’une manière simple et efficace de faire face aux défis posés par l’établissement d’un comptoir français en Amérique. En conclusion, la série Le rêve de Champlain et son site Web offrent un modèle d’intégration du numérique dans la diffusion de l’histoire à un public large. Souhaitons que d’autres maisons de production suivent cet exemple.