Comptes rendus

Thifault, Marie-Claude et Henri Dorvil (dir.), Désinstitutionnalisation psychiatrique en Acadie, en Ontario francophone et au Québec, 1930-2013 (Québec, Presses de l’Université du Québec, 2014), 196 p.[Record]

  • Julien Prud’homme

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  • Julien Prud’homme
    Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), Université du Québec à Montréal

Cet ouvrage collectif n’est pas le fruit d’une rencontre de hasard, mais d’un projet de recherche subventionnée qui a étoffé les liens entre des historiens de la psychiatrie et des spécialistes en intervention sociale. L’intention affichée est de proposer une réinterprétation du « champ francophone de la désinstitutionnalisation en santé mentale » (une formule intrigante dont le sens n’est jamais vraiment précisé) en mettant de l’avant le point de vue des patients psychiatrisés. Le livre regroupe six chapitres. Les trois premiers sont l’oeuvre d’historiens et décrivent les racines préalables de la désinstitutionnalisation. Le texte d’Alexandre Pelletier-Audet et d’André Cellard montre que l’idée que la maladie mentale puisse être largement répandue dans la population et traitée hors d’un hôpital fermé prend réellement forme durant la Seconde Guerre mondiale, à cause de l’expérience militaire et de certains succès psychiatriques près de la ligne de front. À ce titre, le projet d’une psychiatrie « hors des murs » naît non seulement avant la vague moderniste des années 1960, mais aussi avant l’introduction des premiers médicaments neuroleptiques. Le texte d’Isabelle Perreault et Michel Guilbault prend le relais en décrivant l’arrivée de ces médicaments qui, dans les années 1950, rendent plus accessible l’idéal d’un suivi extra-muros des personnes perturbées. Les « petites pilules », qui facilitent aussi la vie à l’intérieur des asiles, se répandent à une vitesse fulgurante, y compris dans un établissement québécois comme Saint-Jean-de-Dieu. Le troisième chapitre, signé par Marie-Claude Thifault et Martin Desmeules, est le plus original du lot : à partir de dossiers de Saint-Jean-de-Dieu, il décrit les appréhensions de patients psychiatrisés qui obtiennent leur congé de l’asile au début de l’année 1961, c’est-à-dire juste avant que le projet d’une psychiatrie hors-mur ne soit clairement formulé par le rapport Bédard en 1962. En analysant à la fois le regard des intervenants de l’asile et les inquiétudes des patients, Thifault et Desmeules montrent que la complexité inhérente à la réinsertion sociale des personnes était déjà bien apparente au moment où les tenants de la « psychiatrie moderne » s’apprêtaient à en faire leur cheval de bataille. Les trois chapitres suivants sont signés par des chercheurs en intervention sociale et suggèrent des voies différentes vers un même plaidoyer : mettre en avant l’expérience des patients psychiatrisés permet de révéler les vérités douloureuses qu’occultent trop souvent les vocabulaires médical ou institutionnel. Le texte de Sandra Harrison et de Marie-Claude Thifault, qui s’appuie sur une littérature associée aux sciences infirmières, tire profit d’une base de données décrivant le parcours des patients psychiatrisés ayant gravité autour de l’Hôpital Montfort d’Ottawa entre 1976 et 2006, soit au plus fort des politiques de dévolution des ressources psychiatriques de l’hôpital vers les milieux communautaires. Les auteures en tirent deux constats : les services psychiatriques généraux de Montfort connaissent un fort taux de réadmission (les mêmes patients se présentent encore et encore) et le profilage de ces patients révèle une clientèle de gens « normaux », entourés de proches, qui rompt avec le stéréotype du malade isolé ou déjà marginalisé par la délinquance ou la toxicomanie. Elles en déduisent que l’insistance des politiques de santé mentale sur le ciblage des populations « vulnérables » est mal avisée, servant à entretenir l’association d’idées entre trouble mental et stigmate social, et à justifier que l’on néglige la « maladie mentale ordinaire » au détriment des familles et, en définitive, des femmes qui servent plus souvent d’aidantes naturelles. J’ignore si cet appel en faveur d’une psychiatrisation plus suivie des problèmes humains est partagé par les auteurs du chapitre 5, Nérée Saint-Amand et Jean-Luc Pinard qui, en s’appuyant sur des entrevues, réfléchissent sur …