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Il y a déjà plus d’une dizaine d’années, Valdman et al. (2005) indiquaient avec justesse dans un ouvrage sur le français en Amérique du Nord que la population francophone de Floride méritait davantage d’attention. Dans Plus peur de l’hiver que du Diable. Une histoire des Canadiens français en Floride, l’historien Serge Dupuis pallie en partie ce manque et livre un ouvrage retraçant la présence canadienne-française en Floride des débuts de la colonisation jusqu’aux années 2000. L’ouvrage, soigneusement documenté, se décline en cinq parties selon les différents groupes de population ayant marqué l’État.
D’entrée de jeu, l’auteur prend soin de définir dans une note en début d’ouvrage l’usage du vocable « canadien-français » afin d’éviter les écueils ou les ambiguïtés potentiellement associés à cette désignation. L’introduction campe ensuite l’étude dans le contexte des travaux sur la francophonie nord-américaine. Dupuis montre bien comment la présence des Canadiens français en Floride constitue un terrain d’études resté en jachère. En effet, à part quelques exceptions, la plupart des ouvrages en sciences humaines et sociales portant sur la francophonie en Amérique du Nord ont négligé cette population qui pourtant mérite une place dans la documentation de la diaspora francophone nord-américaine.
Le premier chapitre relate les principales étapes de la colonisation de la Floride et se consacre au groupe des colons. S’appuyant sur de nombreuses sources, le chapitre documente la présence française et canadienne-française sur le territoire dès le début de la colonisation. Que ce soit les réfugiés huguenots, les bûcherons saisonniers ou les agriculteurs canadiens, ces colons ont laissé des traces marquant l’histoire de la péninsule malgré le caractère éphémère de leur présence. Selon l’auteur, les principaux motifs ayant contribué à l’établissement des colons sont de nature à la fois économique et climatique.
Le second chapitre dévolu aux touristes canadiens-français explique leur présence dans le contexte du développement de l’industrie touristique, un des joyaux économiques de l’État. Dupuis relate les étapes du développement de cette industrie et montre comment les touristes canadiens-français se sont peu à peu approprié cette destination. Alors que les premiers touristes au XIXe siècle provenaient principalement des couches sociales aisées, l’expansion économique au XXe siècle a favorisé le développement d’une industrie touristique de masse qui a coïncidé avec l’engouement des Canadiens français pour « le voyage en Floride ».
Au chapitre 3, l’auteur se penche sur l’immigration canadienne-française et examine le contexte menant à un établissement permanent en sol floridien. Ce chapitre fournit beaucoup d’informations démographiques qui illustrent l’importance des populations issues de l’immigration en Floride et de l’établissement des migrants d’origine canadienne-française. Il note que ces immigrants, tout en adoptant le mode de vie américain, maintiennent en majorité leur citoyenneté canadienne et gardent des liens étroits avec le Canada. Si certains travaillent dans l’industrie touristique, plusieurs choisissent des emplois dans d’autres secteurs économiques ou fondent de petites entreprises. L’analyse montre un groupe plutôt épars se distinguant par une faible cohésion sociale.
Le chapitre 4 témoigne du mode de vie des hivernants, cette population qui séjourne régulièrement en Floride pour un laps de temps variant de un à six mois par année. Principalement composé de retraités, ce groupe se caractérise par un mode de vie particulier. À cet égard, la première partie du titre « Plus peur de l’hiver que du Diable » reflète bien l’état d’esprit de plusieurs membres de cette cohorte. Contrairement aux immigrants, Dupuis dépeint les hivernants comme un groupe marqué par une forte cohésion sociale interne. Évoluant souvent en vase clos, ces hivernants ne tissent que peu de liens à l’extérieur de leur réseau de proximité.
Enfin, le chapitre 5 se penche sur les descendants des touristes, des immigrants et des hivernants. Selon Dupuis, ces descendants reproduisent certaines habitudes des générations antérieures. Ainsi, malgré un ancrage géographique moins fixe que par le passé, comme leurs prédécesseurs, les hivernants vantent les avantages de la douceur du climat, apprécient la société de consommation américaine et demeurent fidèles à certains lieux particuliers. Leur vie associative confirme la vitalité de la communauté. Enfin, en ce qui a trait aux descendants canadiens-français nés aux États-Unis, tout en valorisant leur patrimoine culturel, Dupuis explique qu’ils se fondent dans le mode de vie américain et se sentent plus à l’aise en anglais.
La conclusion coiffe l’ouvrage d’une synthèse mettant en relation des conditions qui ont contribué à la présence canadienne-française en Floride, notamment, la clémence du climat, la présence d’une infrastructure touristique et l’accessibilité financière. Dupuis identifie enfin quelques pistes de recherche et sa conclusion fournit des perspectives intéressantes pour tout chercheur en sciences humaines et sociales examinant la diaspora francophone nord-américaine.
Somme toute, nous avons en main un ouvrage solide et bien documenté qui apporte une contribution remarquable au développement des connaissances sur la présence francophone en Amérique du Nord. En effet, mis à part les contributions de Tremblay (2006) en géographie sociale et de Desrosiers-Lauzon (2006 ; 2012) en histoire, limitées à la population des hivernants, trop peu avaient exploré en profondeur l’histoire de ce segment de la population francophone d’Amérique du Nord. Grâce à son travail de documentation, Dupuis donne à cette présence canadienne-française la place qui lui revient. En plus d’une écriture au style dynamique, signalons une iconographie soignée ainsi que le choix judicieux d’extraits d’entretiens menés par l’auteur lors de ses séjours de recherche. Ces témoignages ajoutent une dimension supplémentaire à l’analyse en mettant en valeur l’expérience personnelle d’acteurs sociaux de la mosaïque francophone en Floride.