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Languages and the First World War: Representation and Memory est le fruit d’une conférence du même nom qui eut lieu à l’Université d’Anvers en juin 2014. Édité par Christophe Declercq et Julian Walker, l’ouvrage rassemble une vaste quantité d’articles qui portent sur un sujet parfois négligé des études sur la Grande Guerre : le langage. C’est par l’étude du langage et de la langue comme outil de compréhension que les auteurs approfondissent les connaissances sur cette guerre et son héritage encore présent. À l’aide d’une approche diachronique du langage, l’équipe brillamment composée d’historien, de littéraire et de linguiste explore maints aspects de la Première Guerre mondiale : la représentation de la guerre dans les lettres et carnets ; les changements dans le langage provoqué par cette guerre ; les dialectes et l’argot ; la différence de statut entre les langues ; le langage utilisé pour représenter 14–18 dans les reportages et la littérature, le langage commémoratif du souvenir dans l’après-guerre et l’interprétation linguistique de l’après-guerre de l’expérience de la guerre. Un des points forts de l’ouvrage est justement d’avoir été capable d’ouvrir de nouvelles fenêtres sur un champ d’études qui pourraient donner le vertige vu l’abondance des travaux qui s’y consacrent. L’étude de la langue, de la littérature et des communications vient donc appuyer l’historien dans sa compréhension du conflit centenaire et vice-versa.

On y retrouve 14 articles variés répartis en 5 sections aux thématiques précises : The Historian’ s Problems, Representing the present, Language Use and Change, Literature and Representation et Commemoration and Memory. La première section examine les questions des difficultés d’accès, d’adaptation, de restauration et de recréation de termes, expressions et langage durant et après la Première Guerre mondiale. Par exemple, Odile Roynette souligne certains des filtres à travers lesquels nous sommes obligés de passer pour accéder à cette période : le temps, la limite de la présentation de la parole et un siècle de représentations académiques de la langue de l’époque, en plus des expériences linguistiques civiles et militaires différentes selon les pays impliqués dans 14–18.

Dans la deuxième partie, on examine les représentations de sources privées de la guerre : les journaux intimes, les lettres présentant les points de vue des civils et des soldats et les implications des différentes émotions. Le texte de Marguerite Helmers soulève la question de la nature du « quotidien ». Elle soutient que les lettres des soldats créent deux concepts du quotidien, le mot « création de la vie familiale » et ses échos dans les livraisons postales au front, et le non-dit quotidien des bombardements, des raids nocturnes et des avions.

La troisième section présente des articles qui forgent un lien entre l’évolution des langues et l’évolution politique, les populations vulnérables, les mouvements de personnes et le renforcement du sentiment d’appartenance national : le tout, sous le couvert d’un environnement multilinguisme engendré par la guerre. L’essai de Miloš M. Damjanovic replace la guerre dans le contexte de la diaspora juive, où elle devient un catalyseur de plus dans une longue série de persécutions, d’incidents d’opportunisme, de survie et d’adaptation. Ici, le multilinguisme devient un aspect recommandable et expressif, porteur d’espoir et de deuils, et devient un aspect normatif de l’expérience linguistique européenne durant le conflit.

La quatrième partie rassemble deux essais sur la façon dont la littérature d’après-guerre s’est penchée sur l’utilisation, en temps de guerre, des termes de cliché et de langue étrangère. Le cas de Mata Hari présentée par Julie Wheelwright, témoigne de cette ambivalence dans le contexte colonial : elle est exotique et donc sexuellement séduisante, mais aussi menaçante ; elle est à la fois pragmatique et contre l’esprit de l’impérialisme.

La cinquième et dernière partie présente différents points de vue d’après-guerre : lexicographie d’après-guerre, luttes nationales et conflit mémoriel. L’article de Wilson met en lumière l’utilisation continue de termes tels que « Going over the top » et « no man’s land » comme un indicateur de la valeur de la guerre pour les contemporains britanniques. Examinant la nature de la pratique et des propositions en matière de commémoration en Grande-Bretagne à l’occasion du centenaire, il évoque la relation entre l’individu et le mot et son chemin vers l’émergence d’une identité britannique.

Bref, l’ouvrage ne s’adresse pas aux néophytes et aux grands publics. Dédié à la crème des académiciens qui nichent leurs recherches sur la Grande Guerre et le langage, les éditeurs nous permettent de découvrir les biens des trois mousquetaires interdisciplinaires littérature-linguistique-histoire et de leur d’Artagnan, les communications, sur l’historiographie de ce conflit mondial en nous offrant un vaste éventail de méthodes, d’angles et de démarches pour les disséquer. Un point intéressant, l’oeuvre est tissée de telle sorte qu’il nous dévoile aussi l’utilité de l’histoire pour les linguistes et les littéraires dans la compréhension de leur discipline. La Grande Guerre agit donc comme cas d’étude où les diverses disciplines s’enrichissent les unes les autres tout en contribuant à éclairer le conflit de 14–18. Si un élément négatif devait être soulevé, il s’agirait de la maladie de l’acte de colloque, qui a pour symptôme, l’édition parfois bancale des titres de sections qui tentent du mieux de leurs capacités représentatives de rabouter des articles.