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Introduction

L’historien de l’économie industrielle Alfred Chandler (1988) explique que toute entreprise constitue finalement un récipient de savoir se transformant en savoir-faire pour mieux répondre aux besoins changeants du marché, ou dans le cas des toutes petites entreprises, de chaque client (Pacitto et Julien, 2006). Pour survivre et se développer, ce récipient doit donc être capable de faire face par du changement répété à l’évolution plus ou moins rapide des goûts des clients, de la concurrence et de la technologie, tout en s’ajustant à la transformation de la structure économique et à la conjoncture. Ce changement, ou l’innovation, est au coeur de la pérennité des entreprises, quel que soit le pays. Il peut ne provenir que de la direction de l’entreprise si les employés ne sont pas mis à contribution ; mais, même dans ce cas, les routines de production constituent du savoir-faire qui évolue grâce à l’arrivée de nouveaux employés, au partage de l’expérience entre ces derniers et les anciens et, ainsi, à l’apport de l’information interne et externe (Meyer et Stensaker, 2006).

Ce besoin d’information, notamment l’information précompétitive, précédant la concurrence (Lesca et Lesca, 1995), est essentielle aussi bien dans les entreprises de pays en développement que dans celles des pays industrialisés, à moins que ces firmes évoluent sur des créneaux très distinctifs. Toutefois, cette information n’est pas évidente. Toute organisation est plus ou moins submergée par de l’information qui arrive de toutes parts. Elle doit être constamment ciblée, décodée et transformée en connaissance.

Cet exercice demande une organisation et des ressources variées, ce qui n’est pas donné à toutes les entreprises, notamment les PME dans les pays en développement. Cet article veut justement interroger le processus de recherche et de transformation de l’information en innovation dans un pays en développement, le Congo-Brazzaville, à l’aide d’une enquête auprès d’un petit échantillon d’entreprises de trois secteurs industriels. Dans cette analyse, nous discuterons d’abord de la problématique ou des concepts qui seront utilisés pour une application dans un tel pays où les structures et les ressources sont limitées comparées à celles des pays industrialisés. Nous verrons ensuite la méthodologie utilisée, compte tenu de ces limites. Nous présenterons en troisième lieu les résultats. Enfin, nous conclurons sur les questions non résolues par cette étude exploratoire.

1. La problématique

La recherche d’information passe notamment par la veille à court ou à plus long terme (Raymond, Julien et Ramangalahy, 2001). Toute entreprise doit faire un minimum de veille, au moins commerciale et concurrentielle sinon technologique (Salvetat et Leroy, 2007), étant donné que la concurrence évolue et l’oblige tôt ou tard à réagir, que les goûts de ses clients changent stimulés par diverses informations obtenues, par exemple, à la télévision ou constatées lors de voyages et, finalement, qu’elle achète de nouveaux équipements ou adapte ceux qu’elle possède.

Cette veille passe généralement par diverses sources informationnelles auxquelles les firmes se relient le plus souvent de façon informelle (Aguilar, 1967) et interpersonnelle (Granjon et Lelong, 2006). Elle peut aussi suivre une procédure formelle afin de garantir la collecte et la qualité de l’information (Smeltzer, Fann et Nikolaïssen, 1988 ; Cromie et Birley, 1992).

Lorsque ces échanges sont plus réguliers, ils passent par différents types de réseaux plus ou moins bien organisés (Larson et Starr, 1993). Ces réseaux constituent une porte d’entrée pour mieux comprendre le changement, saisir les opportunités et obtenir les ressources complémentaires afin de les appliquer (Borgatti et Cross, 2003 ; Yli-Renko, Autio et Sapienza, 2001). Ils fournissent en plus du capital social (Inkpen et Tsang, 2005), c’est-à- dire différentes facilités venant du milieu pour mieux faire des affaires, notamment pour les jeunes entreprises aux ressources limitées (Nahapiet et Ghoshal, 1988 ; Alder et Kwon, 2002). À noter que les contraintes des PME par manque de ressources, par comparaison aux grandes entreprises, sont amplifiées dans les pays en développement. Ces réseaux sociaux (Aldrich, Rose et Woodward, 1987) illustrent particulièrement l’encastrement (Uzzi, 1996) des petites entreprises sur un territoire.

On distingue trois types de réseaux sociaux, soit ceux personnels, ceux d’affaires et ceux informationnels. Les premiers réunissent, par exemple, des membres de la famille, des amis ou d’anciens camarades d’études et quelques cadres ou employés de la première heure. Ils servent à conforter l’entrepreneur dans ses décisions et à faire le lien avec d’autres sources.

Les réseaux d’affaires offrent de l’information en amont sur l’évolution des matières premières ou des pièces et des équipements et sur les sources financières, voire de l’information sur les nouveaux processus d’organisation dans l’entreprise pour atteindre, par exemple, une meilleure qualité des produits, ou, en aval, grâce aux transporteurs et aux distributeurs, mais aussi et avant tout grâce à certains clients particulièrement perspicaces eu égard aux améliorations à apporter aux produits. L’information provenant de ces réseaux peut être complétée par d’autres sources, par des contacts dans les foires industrielles, par les associations d’affaires et professionnelles ou les firmes-conseils, ou encore par les revues d’affaires et les dépliants gouvernementaux.

Enfin, il y a des réseaux sociaux purement informationnels, offrant de l’information nouvelle comme dans le cas de contacts plus ou moins réguliers avec un centre de recherche ou une université (Johannisson, 2000).

Les réseaux notamment du dirigeant évoluent dans le temps en fonction de l’expérience des affaires (Velts, 2002 ; Hite, 2005 ; Watson, 2006), des cycles de vie de l’activité (Steier et Greenwood, 2000), des évolutions du secteur ou de la région d’implantation de l’entreprise (Johannisson, 1995) et des besoins en matières ou en ressources de l’entreprise (Hite et Hesterly, 2001).

Les réseaux personnels, d’affaires et informationnels offrent généralement de l’information appelée « à signaux forts », c’est-à-dire facilement comprise compte tenu de la fréquence des contacts et de la connaissance mutuelle sur les besoins de l’interlocuteur et des capacités de l’informateur à saisir et à interpréter l’information pour l’interlocuteur. Cependant, une partie des réseaux informationnels sont plutôt « à signaux faibles » (Caron-Faisan, 2001 ; Schoemaker et Day, 2009), exigeant de l’attention et de l’interprétation en plus du cumul avec les connaissances acquises.

À noter qu’à travers ces notions de « liens faibles et forts », comme les appellent plutôt les sociologues qui sont à l’origine de ce concept[1], on peut comprendre une autre façon de penser les relations entre l’information et le développement de la connaissance, bien que les études empiriques sur le sujet ne soient pas toujours convergentes. Par exemple, certaines recherches considèrent que des interactions « proches et fréquentes », correspondant plutôt à des signaux forts, sont un facteur influençant le transfert de la technologie (Clark et Fujimoto, 1989 ; Leonard-Barton et Sinha, 1993). Par contre, dans une étude de 126 projets de développement de nouveaux produits, Hansen (1999) démontre que les signaux faibles ou « éloignés » ont un impact positif en matière de transfert dès lors que les technologies ne sont pas trop complexes. D’autres études ont nettement lié ces signaux faibles à l’innovation (Rueff, 2002 ; Julien, Andriambeloson et Ramangalahy, 2004 ; Levin et Cross, 2004).

On peut ainsi penser que les affaires courantes relèvent de l’information venant de signaux forts alors que l’innovation est grandement facilitée par les signaux faibles (Levin et Cross, 2004), s’ajoutant ou remettant en question les signaux forts lorsqu’ils sont cumulés et triturés pour générer des idées nouvelles. Cohen et Levinthal (1989) et Grant (1996) ont toutefois montré que cette transformation de l’information provient de la capacité d’absorption ou de l’habileté des firmes à traiter et à convertir celle-ci en connaissance. Le concept de capacité d’absorption permet de faire le lien entre l’information obtenue, sa transformation en connaissance et la stratégie et l’action de l’entreprise. Elle est définie plus précisément comme la capacité de l’entreprise à identifier, assimiler et exploiter les savoirs présents dans son environnement et de transformer ainsi les connaissances de l’entreprise.

Un certain nombre de travaux ont mis en avant le rôle de cette capacité d’absorption dans l’assimilation de nouveaux savoirs. Elle constitue donc une variable permettant de mieux appréhender la question de l’assimilation de l’information (Lane et Lubatkin, 1998 ; Zahra et George, 2002) ou sa transformation (Vaghely, Julien et Cyr, 2007). Le lien entre la capacité d’absorption et de transformation et l’innovation a été démontré dans différentes études (Kim et Kogut, 1996 ; Helfat, 1997 ; Van der Bosch, Van Wijk et Volberda, 1999). Ainsi, Stock, Greis et Fischer (2001) ont montré qu’il existe une relation entre ces capacités et le développement de nouveaux produits, même si cette relation est non linéaire. De même, l’analyse en profondeur des mécanismes explicatifs de ces capacités a permis de mettre en avant le lien entre celles-ci et l’apprentissage organisationnel (Vermeulen et Barkema, 2001 ; Autio, Sapienza et Almeida, 2000 ; Rosenkopf et Nerkar, 2001).

La définition des éléments de la capacité d’absorption et leur mesure sont au coeur de nombreux travaux de ces dernières années. Nous reviendrons sur cette question de manière plus approfondie dans la partie méthodologique. En première analyse, cette capacité dépend du niveau de formation de la direction et de ses cadres dans une entreprise et de la participation des employés dans l’organisation pour obtenir, analyser – du moins préliminairement – et partager l’information riche (Daft et Lengel, 1986 ; Davenport, De Long et Beers, 1998). En d’autres mots, la participation active des passerelles informationnelles (notamment des vendeurs et des acheteurs, lorsqu’ils diffèrent de la direction[2]) pour obtenir et passer l’information obtenue des clients ou des distributeurs, des fournisseurs et des équipementiers et une première transformation par ce qu’on appelle des catalyseurs informationnels peuvent grandement faciliter la transformation de l’information en innovation et en stratégie (Vaghely, Julien et Cyr, 2007). Mais elle peut aussi provenir, pour les organisations plus développées, de sources plus éloignées ou dites non traditionnelles des opérations courantes comme les centres de recherche, les universités ou les collèges et le conseil avancé, comme nous l’avons déjà mentionné.

Ainsi, nous pouvons établir une grille d’analyse ou un modèle de recherche à trois groupes de variables permettant d’appliquer cette idée de Chandler de récipients de savoirs pour la firme, soit les sources informationnelles organisées plus ou moins en réseaux ou reliées directement à l’entrepreneur, une capacité à transformer celle-ci et cette transformation de l’information notamment en innovation. Nous pouvons voir ces trois groupes de variables à la figure 1, les sources informationnelles étant la variable indépendante et la capacité d’absorption, la variable modératrice et l’innovation (ou le changement plus ou moins fréquent dans les entreprises, comme nous en discutons plus bas), la variable dépendante.

Figure 1

Le modèle initial de recherche

Le modèle initial de recherche

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Nous allons appliquer maintenant ces trois groupes de variables à un échantillon non probabiliste d’une quarantaine d’entreprises de la république du Congo-Brazzaville.

2. Méthodologie

Cette relation complexe a été analysée à quelques reprises dans les PME de pays industrialisés (Veugelers, 1997 ; Chauvet, 2004 ; Julien, Lachance et Morin, 2004). Mais avec les pays en développement, il est difficile de traiter la question de la même façon, compte tenu d’un environnement socioéconomique beaucoup moins riche. En effet, les sources informationnelles sont moins complexes et moins structurées en réseaux (Jimenez, 1995 ; Kalantaradis, 1996 ; Dijk, 1997 ; Sverrisson, 1997). Toutefois, dans le contexte de la ville de Brazzaville au Congo, quelques tentatives de mise en oeuvre de réseaux sur une base de métiers et de professionnels existent déjà. Ainsi, une association réunit les fabricants de bois, une autre, les couturiers et, enfin, les hôteliers, même si nous nous trouvons souvent devant des relations bilatérales et sporadiques (Özcan, 1995). De même, compte tenu du faible taux de formation de la main-d’oeuvre et de la concentration des décisions à la direction, la recherche et l’interprétation des signaux se limitent très souvent à cette dernière. Il y a rarement de veilleur officiel et de passerelles informationnelles aux aguets et encore moins de catalyseurs autres que le patron ; les réseaux formels auxquels les gens d’affaires se réfèrent peuvent se compter sur les doigts de la main. Enfin, les changements ou l’innovation sont freinés par l’absence de marges financières, du moins à court terme, et par de faibles pressions de la concurrence dans certains secteurs (Vieira Borges, 2001).

Pourtant, dans ces pays, le changement commercial, concurrentiel et technologique existe, quelle que soit la taille des entreprises. De nouveaux produits apparaissent, de nouveaux concurrents s’installent et les équipements évoluent. Ce qui veut dire qu’il existe une certaine veille au moins intuitive pour soutenir les décisions de la direction et le changement dans les produits, les équipements et l’organisation du travail. Il apparaît donc intéressant d’appliquer notre grille d’analyse à un échantillon de PME, dans ce cas-ci de Brazzaville, capitale de ce pays, tout en limitant la complexité des concepts utilisés au contexte du pays étudié[3].

Afin de limiter notre champ de recherche et de mieux assurer les comparaisons, nous avons retenu trois secteurs, soit le bois (menuiserie et meuble), le vêtement (confection, couture et pressing) et l’hôtellerie, la restauration et la pâtisserie. Ce sont des secteurs particulièrement présents dans l’économie congolaise depuis quelques décennies, secteurs plus ou moins en relation avec l’extérieur par le moyen de la concurrence, par celui de l’acquisition de produits semi-finis ou encore par les voyages des clients ou leurs contacts avec l’extérieur et par le tourisme. Ce sont des secteurs qui, a priori, devraient avoir des réseaux d’information relativement structurés.

L’échantillon de PME retenues est de convenance (Maxwell, 1997), étant donné l’absence de données nationales. Il provient des informations obtenues du ministère du Commerce et des Petites et Moyennes Entreprises (notamment, le Centre des formalités des entreprises), du ministère des Arts et Métiers (Direction générale de l’Artisanat), du Forum des jeunes entreprises[4] et des associations professionnelles dont on a parlé plus haut[5].

Toutes les entreprises ont d’abord été contactées par téléphone ou directement pour obtenir leur consentement ; elles ont accepté de participer à l’enquête après en avoir compris les objectifs au cours de deux rencontres préparatoires pour s’assurer de leur collaboration et y avoir vu les avantages à en tirer, avec la promesse de l’envoi des résultats suivi d’une rencontre pour expliquer ces derniers. Le tableau 1 présente l’échantillon des 43 entreprises retenues et un sous-échantillon (nombre entre parenthèses) de 15 d’entre elles dont nous expliquerons l’objet plus loin.

Tableau 1

Répartition de l’échantillon et du sous-échantillon (chiffre entre parenthèses) selon le secteur industriel et le nombre d’employés*

Répartition de l’échantillon et du sous-échantillon (chiffre entre parenthèses) selon le secteur industriel et le nombre d’employés*

* Comme plusieurs entreprises avaient des employés temporaires ou des stagiaires, nous avons considéré ces derniers de façon arbitraire comme des demi-temps en les traduisant par la suite en équivalents plein temps.

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Dans la plupart des cas, les entreprises interrogées ont une bonne connaissance du marché, des relations plus ou moins importantes avec quelques organisations professionnelles nationales, comme nous l’avons dit, ou étrangères, ainsi qu’une longue expérience dans les affaires. Il s’agit également d’entreprises dont certaines sont considérées comme une référence dans les secteurs d’activité et sur le marché, même si au regard des résultats auxquels nous sommes parvenus, cette référence ne confirme que rarement la règle quant à l’innovation. Ce sont aussi des entreprises qui cherchent à améliorer leur image de marque (tant du produit, de l’équipement que du service à la clientèle) ; et, sur ce plan, plusieurs d’entre elles pourraient se distinguer des autres entreprises non interrogées sans que nous soyons à même de confirmer ou d’infirmer cette idée. Ces entreprises sont généralement de taille modeste, tant du point de vue du nombre d’employés que de leur mode d’organisation ou de leur chiffre d’affaires. Si certaines peuvent être considérées comme artisanales, d’autres aspirent à devenir ou sont déjà des entreprises industrielles. Bref, ce mélange nous paraissait intéressant et même enrichissant pour l’analyse que nous avions à faire.

La recherche s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, un questionnaire a été administré directement auprès des répondants par les chercheurs[6]. Il est adapté d’une étude semblable effectuée au Brésil (Vieira Borges, 2001) et comprend quatre parties :

  • La première partie comptait 10 questions portant sur la structure de l’entreprise (date de démarrage des activités, produits offerts sur le marché, nombre d’employés et leur niveau d’instruction, nom et fonction du répondant, etc.).

  • La deuxième avait 11 questions et touchait les changements relativement importants ayant été effectués dans l’entreprise au cours des deux ou trois dernières années, les sources d’information ayant permis ou facilité ces changements et les conditions d’accès à ces sources et, enfin, les obstacles à ces changements. Nous avons utilisé les mots « changements relativement importants » plutôt qu’innovation, car dans le prétest, nous nous sommes aperçus que ce dernier terme n’évoquait pas suffisamment la réalité, la plupart des entrepreneurs voyant ce mot comme une nouveauté majeure dans le produit, nouveauté que peu avaient réalisée, alors que des équipements usagés ou non avaient été acquis, le marché s’était étendu, les produits avaient quelque peu évolué, etc. ; c’est d’ailleurs le fait d’apporter de nombreuses améliorations dans les PME que l’on peut qualifier d’innovation informelle (Bogers et Lhuillery, 2006).

  • La troisième partie a porté sur l’importance des réseaux à signaux forts appelés pour les besoins de l’enquête et pour être compris « sources informationnelles habituelles ou “proches” ». Cette partie a permis de découvrir les besoins informationnels plus ou moins habituels des entreprises. Cette étape nous a aussi aidés à apprécier la nature des relations (type de relation, initiateur de la relation, fréquence et effet des contacts) que le répondant entretient avec quelques personnes et autres entreprises les plus consultées.

  • La dernière partie abordait les aspects relatifs aux réseaux à signaux faibles ou « sources informationnelles “éloignées” ou “non habituelles” ». Cette section permettait de préciser l’exploitation des sources d’information autres d’affaires proches, la compréhension et le recours à la veille technologique, le partage ou non des informations avec les employés, l’appartenance à des groupements professionnels. Elle se terminait en faisant ressortir les autres activités informationnelles menées par le répondant, son niveau de formation et ses besoins immédiats en matière d’information et de formation.

Afin d’approfondir certains aspects de cette dernière partie, il a été jugé nécessaire en cours de recherche de compléter l’enquête par de nouvelles rencontres auprès d’un sous-échantillon à partir d’une grille de questions ouvertes. Quinze de ces entreprises ont accepté à nouveau de nous recevoir[7]. Chaque entrevue a été enregistrée après avoir obtenu l’approbation des interviewés ; elle durait en moyenne une heure.

La grille que nous avons utilisée comprenait dans ce cas-ci trois parties ; elle est résumée au tableau 2 :

  • la première partie visait à mesurer à nouveau l’impact des sources informationnelles sur la qualité ou la quantité des produits offerts sur le marché ;

  • la deuxième cherchait à cerner cet impact sur les équipements de l’entreprise ;

  • la dernière avait pour but de nous renseigner sur les sources touchant les changements majeurs ou les innovations proprement dites réalisées dans l’entreprise.

Tableau 2

Éléments de traitement de l’information dans la phase 2

Éléments de traitement de l’information dans la phase 2

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2.1. Méthodologie d’analyse

Nous présentons ici chacun des construits des variables de notre modèle en débutant par la capacité d’absorption, suivie des sources informationnelles pour terminer avec le construit de l’innovation ou du changement.

2.1.1. Mesure de la capacité d’absorption

Comme nous l’avons noté, plusieurs travaux ont abordé la définition de la capacité d’absorption, mais son opérationnalisation demeure encore problématique (Joglekar, Bohl et Mamburg, 1997 ; Matusik et Heeley, 2001). D’ailleurs, Lane, Balaji et Pathak (2006) relèvent peu d’études qui abordent cette thématique en dehors du contexte de la R-D et celles existantes (Pennings et Harianto, 1992 ; Lane et Lubatkin, 1998 ; Van der Bosch, Volberda et De Boer, 1999) ont limité leurs analyses aux grandes entreprises. Comme le remarque Chauvet (2004), les mesures utilisées sont souvent des approximations telles que le nombre de brevets développés ou d’articles publiés, le nombre de nouveaux projets initiés, les investissements en R-D tels que les ressources en personnel ou en équipements, l’intensité en R-D, le nombre de nouvelles idées développées, etc. (Henderson et Cockburn, 1994 ; Veugelers, 1997 ; Cockburn et Henderson, 1998). Nous nous heurtons donc à une double question : premièrement, la mesure de la capacité d’absorption elle-même et, deuxièmement, son adaptation à des entreprises de petites tailles dans un contexte économique de pays en développement.

En nous basant sur les travaux de Zahra et George (2002), nous avons retenu le rôle du dirigeant dans les décisions de changement, son niveau de formation initiale, ses expériences passées et présentes, la capacité de l’organisation à exploiter cette information ainsi que la capacité antérieure mesurée par le niveau de formation des cadres ou personnel clef (Barkema et Nadolska, 2003 ; Cohen et Levinthal, 1990 ; Van der Bosch, Volberda et De Boer, 1999).

L’analyse de la capacité d’absorption suppose aussi de tenir compte de l’effet des informations ou de leur exploitation par les PME. Compte tenu de la relative simplicité de l’organisation des PME congolaises, nous avons assimilé la question de la dimension organisationnelle de la capacité d’absorption en tenant compte du niveau de formation et de l’implication des employés de l’entreprise. En cela, nous suivons l’analyse de Cohen et Levinthal (1990) qui considèrent que la capacité d’absorption d’une organisation dépendra de la capacité d’absorption de ses membres individuels. Mais en tenant compte de l’organisation et de ses liens avec l’extérieur, nous pensons ainsi répondre partiellement aux objections de Lane, Balaji et Pathak (2006) qui considèrent que cette capacité est finalement construite et diffère selon les entreprises. Nous retenons ainsi trois niveaux d’analyse sans toutefois inclure la volonté de croissance comme le recommande Gray (2006).

  • C1 : capacité d’absorption par le patron seul décideur dans la PME.

  • C2 : capacité d’absorption par le patron avec un ou deux de ses plus proches collaborateurs (professionnels ou employés très expérimentés) participant au changement dans l’entreprise.

  • C3 : capacité d’absorption par le patron avec la plupart ou tous les employés.

Pour ces trois dimensions, nous avons mesuré la capacité en suivant les éléments indiqués dans le tableau 3 selon une mesure ordinale basée sur notre expérience dans les entreprises, l’analyse approfondie des questionnaires et les travaux de Ruef (2002) et de Schmidt (2005). Les valeurs finales pour C1 et C2 relèvent d’une cote moyenne : par exemple, un dirigeant détenant un diplôme universitaire (valeur de 3) et ayant suivi une formation continue (valeur de 1) aura comme premier pointage pour C1 : (3 + 1 = 4) ; d’autre part, si son expérience professionnelle est de quatre ans, celle-ci vaudra 1 ; ainsi la moyenne finale de C1 dans le cas de cette entreprise sera de 2,5 : ((4 + 1) / 2 éléments).

Tableau 3

Méthode de calcul de la capacité d’absorption

Méthode de calcul de la capacité d’absorption

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Concernant la capacité d’absorption de C2, il semblerait logique d’arrêter la valeur à 3,0 comme les valeurs de C1 et C3 ; mais la valeur 5,0 est celle maximale relevée dans les PME selon les travaux de Julien, Lachance et Morin (2004). Ensuite, le deuxième élément de C2 a une valeur minimale de 2,0 et non de 1,0 parce qu’un employé très expérimenté a, selon les recherches antérieures, une valeur plus importante dans la PME qu’un professionnel apprenti. Comme pour la valeur de C1, la valeur totale de C2 est égale à la moyenne de ces deux valeurs.

La capacité d’absorption de C3 n’est toutefois pas une moyenne comme C1 et C2. Elle correspond à une valeur entre 1,0 : peu d’employés participants, 2,0 : la plupart des employés et 3,0 : tout le personnel, et cela, en tenant compte du nombre d’employés.

2.1.2. Mesure de la variété des sources informationnelles

Nous avons considéré trois niveaux de sources informationnelles. Comme nous l’avons mentionné, il y a d’abord les sources proches de l’entrepreneur ou que tout entrepreneur utilise normalement, quel que soit le secteur ou son niveau de développement. Ce sont les clients et les principaux fournisseurs, les employés, l’observation régulière de l’environnement proche, y compris du marché (les concurrents par exemple), la famille et les amis (Julien, Lachance et Morin, 2004). Généralement à signaux forts, ces sources se situent dans une relation personnelle et d’affaires. Ainsi, la famille aura une valeur de 1,0 ou de 2,0 selon l’importance accordée par le dirigeant à cette relation et selon son influence sur le changement dans son entreprise. La somme de ses connaissances personnelles, de la famille et des amis sera la valeur de son réseau personnel.

En ce qui concerne les réseaux d’affaires, si les clients sont actifs dans le sens qu’ils apportent régulièrement des exemples ou des idées nouvelles pour changer le produit, nous donnons 1,4 à cette valeur et nous additionnons cette dernière à l’importance des fournisseurs et des concurrents dans le développement de nouvelles idées afin d’obtenir la valeur finale de son réseau d’affaires. Si nous n’accordons pas la valeur de 1,3 ou 1,5, c’est parce que plus le chiffre augmente, plus cet élément peut être vu comme des signaux faibles. Ces valeurs sont basées sur les recherches de Julien, Andriambeloson et Ramangalahy (2004).

Il y a aussi les sources informationnelles plus éloignées ou non traditionnelles qu’on peut considérer à signaux faibles. Elles sont mesurées chez le dirigeant par les correspondances avec l’extérieur, les conseils ou les contacts avec les spécialistes ou les institutions de formation et l’utilisation de l’Internet.

Enfin, on trouve les sources intermédiaires plus difficiles à spécifier en fonction du degré de facilité de compréhension des signaux. Ce sont, par exemple, les documents spécialisés, les manifestations foraines, les associations professionnelles, les chambres de commerce et les voyages d’affaires à l’étranger. Dans les relations informationnelles, si les correspondants extérieurs, par exemple en Europe, envoient sporadiquement de l’information au sujet de la mode vestimentaire, nous donnons la valeur de 2,0. Nous ne donnons pas la valeur de 1,0 afin de bien différencier ce qui est inhabituel par rapport aux relations d’affaires et d’éviter des valeurs infimes qui, au total, ne feraient pas de différence entre ces relations. Ainsi, utiliser le réseau Internet de façon sporadique a peu d’influence sur les changements suscités et sa valeur est de 1,5 tout comme les associations de gens d’affaires peu actives. Finalement, nous n’avons pas tenu compte d’autres sources comme les conférences et les séminaires, non citées par ailleurs par les répondants. Tout comme les autres réseaux, la somme de toutes ces valeurs donnera la valeur du réseau informationnel. Le tableau 4 précise ces niveaux des sources.

Tableau 4

Méthode de calcul des sources informationnelles

Méthode de calcul des sources informationnelles

* Dans le cadre des réseaux d’affaires, on peut avoir des signaux forts ou faibles. Il nous a fallu les apprécier pour chacune des entreprises.

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2.1.3. Mesure du changement

Dans le contexte du Congo-Brazzaville et compte tenu des secteurs choisis lors de l’enquête, les innovations sont plutôt de nature graduelle selon la typologie de Henderson et Clark (1990). Il s’agit plus de changement que d’innovation à proprement parler, comme nous l’avons signalé et comme les travaux de Bogers et Lhuillery (2006) le rappellent.

Nous avons considéré ici quatre niveaux tels qu’ils sont présentés au tableau 5. Comme le premier niveau ne représente aucun changement, il est évalué à zéro. Le deuxième constitue un changement minimal ou faible correspondant à quelques modifications plus ou moins légères et sporadiques, soit sur le produit (par exemple, l’ajout d’ornements sur un habillement, une imitation partielle des produits des couturiers français, italiens, américains ou africains) ou sur les équipements (par exemple, les adaptations mineures de la machinerie pour en augmenter l’efficacité). La valeur 2,0 correspond à un changement sporadique minimal alors que 4 est un changement régulier. La somme des changements exécutés sur les produits ou les équipements (procédés) donne comme résultat une valeur moyenne apparaissant dans la dernière colonne du tableau 5. Pour cet exemple, l’équipement a une valeur moyenne de 1,5, c’est-à-dire que l’entreprise a procédé exceptionnellement à un changement mineur.

Le troisième niveau de changement peut être appelé intermédiaire ou moyen. Dans ce cas, les nouveaux apports sont un peu plus perceptibles (nouvel aménagement interne, élargissement de la gamme de produits, etc.). La somme des changements aura une valeur moyenne plus près de 3,0. Le quatrième niveau de changement amène des changements très importants comme des activités nouvelles de fabrication (un pressing est en train d’acquérir une unité de fabrication de sachets en plastique pour protéger les vêtements nettoyés, mais aussi pour desservir le marché national et celui de la sous-région de l’Afrique centrale) ou de développement (l’ajout d’un casino au sein d’un hôtel, la création d’une école de formation en pâtisserie) ou comme de nouveaux produits telle la fabrication de yaourts par une croissanterie. La valeur donnée est de 4,0 et même 5,0 lorsque des changements sont exécutés régulièrement et, dans ce cas, la valeur moyenne peut être évaluée comme forte en innovation.

Dès lors, nous avons appliqué notre grille ainsi transformée pour chacune des entreprises enquêtées selon la figure 2.

Pour mieux comprendre cette application, on peut voir au tableau 6 le cas d’une des entreprises enquêtées.

Tableau 5

Analyse du changement

Analyse du changement

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Tableau 6

Grille d’analyse d’une entreprise enquêtée*

Grille d’analyse d’une entreprise enquêtée*

* L’ensemble des éléments de notre grille (tableau 4) n’est pas présent dans cet exemple. En effet, un certain nombre d’entre eux n’étaient pas pertinents dans le cas de cette entreprise.

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Figure 2

Le modèle développé de la recherche

Le modèle développé de la recherche

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3. Résultats et discussion

3.1. Résultats de la phase 1

Le tableau 7 présente les résultats de l’enquête générale auprès des entreprises. Nous y trouvons sept variables discriminantes selon une analyse par moindres carrés (?2)[8]. Comme premier groupe de résultats, sur le plan des sources, les entreprises qui font partie d’associations d’affaires, en particulier si elles sont à la direction de ces dernières, ont réalisé des changements au moins intermédiaires dans le premier cas et des changements élevés ou importants dans le deuxième cas (lignes 11 et 12 dans le tableau). On peut penser que ces entrepreneurs reçoivent différentes informations en participant activement à ces associations. De même, plus les sources en général sont non traditionnelles (ligne 24), donc à signaux généralement faibles, plus le changement ou l’innovation est élevé. Cela corrobore nos prémisses de départ et est conforme au même type d’études réalisées dans les pays industrialisés (Julien, Andriambeloson et Ramangalahy, 2004 ; Chauvet, 2004 ; Veugelers, 1997).

Le deuxième groupe de résultats est aussi intéressant puisqu’il confirme l’analyse de Cohen et Levinthal (1990) ainsi que de Van der Bosch, Van Wijk et Volberda (2002) expliquant que la présence de personnel ayant un diplôme d’études supérieures, que ce soit à la direction ou chez un cadre, entraîne plus de changements ou d’innovations (ligne 15). Dans ce cas, toutes les firmes qui ont un ou quelques diplômés de niveau universitaire innovent de façon soit intermédiaire, soit importante (voir les lignes 15 et 16).

Les deux derniers résultats tirés de cette analyse révèlent que le principal problème des entreprises consultées pour changer ou innover est le manque de moyens financiers, ce que nous avons souligné au début de l’analyse, notamment pour les PME dans un pays en développement. Cette contrainte est considérée comme majeure pour celles qui n’innovent pas alors qu’elle semble beaucoup moins inquiéter les firmes qui effectuent beaucoup de changements (ligne 3).

Viennent ensuite le manque de personnel (affectant la recherche et l’analyse de l’information) et le manque de contacts (et donc de réseautage)[9] (lignes 2 et 5). Les entreprises qui innovent considèrent toutefois ces contraintes comme non importantes (la valeur est négative). Enfin, le secteur joue un rôle dans l’importance de l’innovation : c’est le secteur du vêtement qui innove le plus (ligne 20).

Ces résultats bruts peuvent être affinés ou, du moins, nous pouvons relever quelques grandes tendances :

  • Parmi les 43 entreprises enquêtées, 19 n’ont opéré que des changements mineurs qui portent principalement sur le simple renouvellement de petits équipements ou l’acquisition des pièces de rechange pour ces derniers. Les produits présentés ou offerts gardent le plus souvent leurs caractéristiques initiales ; on y retrouve la répétition des mêmes actes, des mêmes produits ou services offerts et, finalement, des mêmes équipements.

Tableau 7

Analyse discriminante des variables expliquant le niveau de changement dans 43 entreprises de Brazzaville de trois secteurs industriels1

Analyse discriminante des variables expliquant le niveau de changement dans 43 entreprises de Brazzaville de trois secteurs industriels1

* Probabilité < 0,05.

** Probabilité < 0,01.

1. Les valeurs ont été arrondies au chiffre près.

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  • Des changements un peu plus importants ont été apportés par 14 PME, notamment au regard des équipements acquis, des méthodes de gestion et des produits offerts, ce qui traduit ou entraîne une amélioration des relations avec la clientèle ainsi qu’une amélioration de l’image de marque de l’entreprise.

  • Dix PME ont apporté des changements notables à leur équipement, aux produits offerts et aux méthodes de gestion. Il s’ensuit, selon leurs dirigeants, une nette amélioration de l’image de marque de leur entreprise, de meilleurs rapports avec la clientèle et une meilleure organisation du travail. Si la qualité du service y est rehaussée, le contrôle de cette qualité est plus impératif et les employés sont soumis à une discipline et à une plus grande prise de conscience de l’importance de tenir compte de cette qualité.

Les sources d’informations sont aussi assez variées. Toutefois, celles dites « proches ou traditionnelles » (connaissances personnelles, famille, amis, fournisseurs, clients, employés, etc.) semblent les plus sollicitées, certainement parce qu’elles sont les plus accessibles tandis que les sources dites « éloignées ou non traditionnelles » (correspondants internationaux, conseils ou contacts avec les spécialistes, organismes de formation, centres de recherche, etc.) semblent réservées à une minorité de PME. Quant aux sources dites « intermédiaires » (documents spécialisés, manifestations foraines, associations professionnelles, chambre de commerce, voyages), elles sont presque aussi sollicitées que les sources dites traditionnelles, mais exigent plus de ressources, notamment financières.

Les entreprises ont recours à l’une ou l’autre de ces sources :

  • 41 PME ont recours systématiquement aux sources dites traditionnelles. Pour beaucoup de dirigeants de PME, les connaissances acquises et l’expérience professionnelle occupent une place importante dans la décision d’acquérir un nouvel équipement ou de proposer de nouveaux produits ou services. Dans ce cas, l’entreprise se contente le plus souvent de renouveler, à peu de chose près, le même matériel et de proposer presque les mêmes produits ou services ;

  • 34 PME accordent une place non négligeable aux sources intermédiaires. Ici aussi, une certaine capacité financière ainsi qu’une formation professionnelle poussée sont nécessaires car l’acquisition de documents spécialisés, la participation à des manifestations dans les foires ou à des activités d’organisations professionnelles et des chambres de commerce supposent que l’on soit en mesure de faire face à ces engagements et de comprendre pourquoi on y participe ;16 PME se tournent vers des sources non traditionnelles soit pour mieux s’équiper, soit pour développer de nouveaux produits et services sur le marché. Il s’agit de PME disposant d’une assez bonne capacité financière ou, alors, ayant des partenaires extérieurs ; elles font de l’innovation soit dans les équipements, soit dans quelques produits ou encore dans les méthodes de gestion.

On remarque aussi que :

  • 15 PME recourent aux sources dites traditionnelles en même temps qu’aux sources dites non traditionnelles ;

  • 13 PME accordent une place aux sources intermédiaires et aux sources dites non traditionnelles ;

  • 35 PME recourent aux sources intermédiaires et aux sources dites traditionnelles ;

  • 12 PME utilisent les trois catégories de sources.

Bref, comme c’était à prévoir, l’hétérogénéité des PME s’applique aussi aux réseaux d’entreprises et à la façon dont elles appliquent l’information obtenue pour innover.

3.2. Résultats de la phase 2

Comme nous l’avons déjà signalé, l’information est un concept particulièrement complexe qui demande beaucoup de doigté pour être appréhendé et mesuré (Keisler et Sproull, 1982 ; Gioia et Manz, 1985 ; Weick, 1995 ; Choo, 1998). Nous avons donc voulu compléter l’analyse de la phase 1 par des entrevues en profondeur pour mieux comprendre la portée de cette information provenant des réseaux des chefs d’entreprise. Par exemple, deux chefs d’entreprise peuvent être reliés aux mêmes réseaux tout en en tirant des bénéfices fort différents, suivant la fréquence d’utilisation et l’importance de l’information obtenue par l’intercommunication et suivant la capacité de cumul de celle-ci avec les informations antérieures ou les connaissances développées par la formation et l’expérience. De même, le désir, le niveau de risque et la stratégie pour transformer l’information en innovation varient selon les individus et le niveau de développement de l’entreprise. Ces entrevues nous ont donc permis de mieux comprendre le fonctionnement cognitif des chefs d’entreprise et ainsi d’appliquer de façon plus fine les mesures utilisées à la phase 1 en faisant des corrélations graphiques entre les grandes variables définies deux à deux pour évaluer plus en profondeur ces relations, tout en sachant bien que ces corrélations doivent être lues avec prudence puisqu’elles sont basées sur très peu d’entreprises[10].

Nous avons effectué des tests de chi carré pour mesurer deux à deux cette relation et vérifier le poids de chaque variable entre elles. Nous expliquons maintenant la relation entre la capacité d’absorption et les sources informationnelles, entre cette capacité d’absorption et le changement ou l’innovation et, enfin, entre les sources et cette innovation.

3.2.1. La relation entre les sources et la capacité d’absorption

La première relation (figure 3) présente un R2 de 0,305 (ou un R de 0,553) entre le recours aux sources dites les moins traditionnelles et la capacité d’absorption. Elle permet ainsi de nuancer le sens de la relation, puisqu’il est logique de prétendre que plus une entreprise comprend une direction et du personnel impliqué dans la recherche et l’analyse d’information, avec une formation avancée et de l’expérience, plus elle tendra à se mettre en contact avec des sources complexes ou à signaux faibles.

Figure 3

Relation entre la capacité d’absorption et la variété des sources informationnelles

Relation entre la capacité d’absorption et la variété des sources informationnelles

R = 0,553 ; signification entre 0,05 et 0,01.

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3.2.2. La relation entre la capacité d’absorption et l’innovation

La relation entre la capacité d’absorption et l’innovation (figure 4) est toutefois plus marquante ; elle nuance aussi le sens des relations, mais avec une intensité encore plus forte, soit un R2 de 0,423 (et un R de 0,651). En d’autres mots, on peut penser qu’une plus grande capacité d’absorption explique plus de changements dans l’entreprise et, en retour, ces changements requièrent une meilleure formation et permettent d’acquérir de l’expérience pour soutenir de l’innovation postérieure. Certains changements demandent des connaissances techniques obligeant soit à embaucher un personnel plus instruit, soit à offrir une formation ad hoc au personnel en place afin de favoriser leur adoption. Ainsi, ce n’est pas tant la qualité et la variété de l’information obtenue qui expliquent le mieux le changement, mais la capacité de l’entreprise à transformer cette information en connaissance, soit sa capacité d’absorption, et, finalement, à rechercher la bonne information puisqu’on sait que la plupart, sinon toutes les relations, sont généralement circulaires et même en spirale (une variable stimulant l’autre variable tout en étant poussée par cette dernière).

Figure 4

Relation entre la capacité d’absorption et l’innovation

Relation entre la capacité d’absorption et l’innovation

R = 0,651 ; signification < 0,01.

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3.2.3. La relation entre l’innovation et les sources d’information

La relation entre plus d’innovation et une variété des sources généralement à signaux faibles peut être vue à la figure 5. Elle montre une corrélation de même niveau que la relation entre la capacité d’absorption et les sources d’information, soit un R2 de 0,328 (0,573). Ce qui veut dire que plus une entreprise innove, plus elle tend à rechercher de l’information nouvelle dans des réseaux non traditionnels offrant des signaux faibles, mais plus susceptibles de favoriser ou de soutenir cette innovation.

Figure 5

Relation entre l’innovation et la source d’information

Relation entre l’innovation et la source d’information

R = 0,573 ; signification entre 0,05 et 0,01.

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Bref, l’analyse de la régression linéaire menée pour chacune des relations proposées, bien que limitée, compte tenu du peu d’entreprises étudiées, confirme l’existence d’un lien entre les différentes variables, mais avec une causalité probablement circulaire et ainsi plus réaliste. Ainsi, à l’annexe I, le tableau présente la corrélation la plus forte entre la capacité d’absorption et l’innovation, montrant ainsi l’importance ou la priorité de la formation et de l’expérience si les entreprises veulent maximiser l’innovation et donc renforcer leur distinction. En d’autres mots, la variable modératrice est la clef dans notre modèle, même s’il existe une relation entre les sources et l’innovation.

À noter qu’en adoptant la perspective de l’effet modérateur, une distinction doit être faite entre la force et la forme de la modération (Venkatraman, 1989). En effet, Sharma, Durand et Gurarie (1981) considèrent que le modérateur concerne ces deux types d’effets. Nous discutons plus en détail de ces relations en montrant que la variable la plus importante, soit cette capacité d’absorption, serait celle qui explique le mieux la recherche de meilleures sources d’information et leurs effets sur l’innovation.

Finalement, pour être encore plus sûrs des résultats, aussi rapportés à l’annexe II, nous avons considéré chaque variable comme dépendante des deux autres. Cette dernière analyse à l’aide de la méthode de l’analyse de la variance et des tests de Student confirme à nouveau que la relation entre la variété des sources et les deux autres variables n’est pas significative dans les deux sens. En revanche, la relation entre la capacité d’absorption et le changement ou l’innovation est à nouveau significative.

Conclusion

Évidemment, une telle étude montre plusieurs limites, dont la valeur de l’échantillon non aléatoire et le nombre limité d’entreprises, en particulier dans la seconde phase, ne sont pas les moindres. De même, les valeurs attribuées aux variables demeurent arbitraires et biaisées par les chercheurs ayant exécuté la recherche. Il conviendra de tester la robustesse de nos mesures en faisant varier les échelles retenues afin de constater de quelle manière elles pourraient mieux expliquer nos résultats. Il faudrait aussi vérifier la profondeur des variables, par exemple, si la capacité d’absorption dépend avant tout de la formation et de l’expérience passée du dirigeant et des cadres ou encore de leur capacité à communiquer ou à animer et stimuler leur entreprise à innover. Par ailleurs, l’analyse du modèle apparaît largement statique, alors qu’il aurait fallu vérifier l’évolution des différentes variables entre elles. Enfin, il existe d’autres régions plus industrialisées au Congo, permettant de renforcer le modèle de recherche, surtout si nous poursuivons la recherche en parallèle avec une approche qualitative. Ainsi, nous pourrions explorer plus en profondeur le lien causal ou de processus entre l’information, la capacité d’absorption et l’innovation.

Cette première approche exploratoire montre toutefois qu’il existe certainement une relation entre la qualité des sources informationnelles qui relient les firmes avec l’extérieur (aussi appelé connaissance externe par Matusik et Heeley, 2001 et 2005), la capacité d’absorption de l’organisation, notamment le niveau de formation et l’expérience passée, et, enfin, l’innovation prise au sens large de changement dans une entreprise, même si une partie de ce changement est importé. Elle est surtout intéressante parce qu’elle montre que les comportements des PME dans les pays en développement suivent jusqu’à un certain point ceux des pays industrialisés et que le raisonnement de Chandler fonctionne, quel que soit l’environnement de l’entreprise. En d’autres mots, comme les goûts des consommateurs, le niveau de concurrence et la technologie évoluent partout, toute firme doit s’adapter à ces changements et même, pour les plus dynamiques, les précéder en innovant plus que leurs concurrents.

Mais l’importance primordiale de la capacité d’absorption que montre cette étude, notamment dans l’analyse de la seconde phase, explique que la formation de la direction et du personnel – sachant que le mot information vient tout simplement de celui de formare (donner une forme aux faits, pour renseigner, avertir, instruire, améliorer la connaissance), soit la même origine que ce mot formation, et in (dans) –, vaut autant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Sans accorder trop d’importance à l’aphorisme de l’économie du savoir puisque, pour certains, celle-ci n’est pas nouvelle (Howitt, 1996), ou encore ce qu’on en tire relève d’un mythe (Gadrey, 2000), le développement ne peut se faire qu’à travers un accès à de la formation dans les pays pauvres, ce qui nécessite une certaine stabilité et démocratie afin de multiplier les écoles et les universités pour atteindre le plus grand nombre d’entrepreneurs et d’employés.