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Au-delà de sa spécificité sur l’objet de ses publications, le caractère international de Revue internationale PME permet des « découvertes » intéressantes et stimulantes pour tous les chercheurs. L’une d’elles a attiré mon attention dans les dernières semaines après avoir parcouru plusieurs travaux portant sur la mondialisation, allant du roman policier jusqu’à l’ouvrage scientifique un peu moins ludique. Depuis de nombreuses années, on parle de mondialisation, de village global, d’environnement de partage laissant à penser que le monde tend à s’uniformiser dans les façons de faire, de penser, de se comporter. Cette mise en scène est toutefois trompeuse et lorsqu’on porte notre attention derrière le rideau, soit en arrière-scène, on constate que la mondialisation fait naître des comportements plutôt protectionnistes afin de préserver son économie locale, ses emplois, sa créativité, pour se distinguer et affirmer ses singularités. Avec la mondialisation, de façon un peu paradoxale, on constate plutôt de plus en plus le pluralisme des environnements, des contextes, des sociétés.

L’une des forces de RIPME est son côté international avec sa distribution dans au moins une trentaine de pays (par abonnements directs), mais aussi la diffusion de travaux provenant d’une certaine diversité de contextes. Que ce soit les différentes régions de la France qui présentent une grande variété sur les plans économiques et organisationnels, ou d’autres régions de la francophonie d’Amérique, d’Europe et d’Afrique, on peut apprécier des similitudes dans les objets de recherche mais aussi des particularités liées à leur situation propre.

Différences économiques, différences culturelles, différences politiques, les problématiques de recherche ne sont pas identiques au même moment dans tous les pays, alors que sur la scène, on donne l’impression d’une certaine homogénéité. L’urgence de traiter certaines questions pour répondre du moins en partie aux besoins de nos sociétés varie ainsi selon les pays (voire les régions), ce qui est rarement discuté. Puisque nous vivons dans un environnement planétaire, nous avons tendance à laminer ces différences pour travailler en même temps sur les mêmes sujets. Est-ce la solution idéale dans nos milieux de recherche ? La tendance actuelle à étudier l’influence de l’Industrie 4.0 sur les pratiques de gestion des ressources humaines peut ne pas susciter un vif intérêt dans certains pays en voie de développement. Dans le même ordre d’idées, comment les investissements chinois à l’étranger affectent l’écosystème entrepreneurial et l’indépendance des petites entreprises locales peut provoquer des inquiétudes dans certaines régions du monde et pas ailleurs !

Si les chercheurs de notre communauté se coordonnaient pour tenter de trouver des solutions aux problèmes « urgents » dans différents pays, est-ce que cela permettrait d’arriver à développer des solutions ou des réponses plus créatives et plus rapidement ? La mise en commun des connaissances et compétences d’une communauté aussi diversifiée que celle de l’Association internationale de recherche sur l’entrepreneuriat et les PME (AIREPME) pourrait mener à des résultats intéressants ! C’est à voir…

Pour montrer comment nos environnements respectifs se distinguent et font émerger des problématiques spécifiques, nous avons choisi de donner la parole aux vice-présidents Pays[1] de l’AIREPME. Nous leur avons demandé de nous rendre compte des « préoccupations majeures » dans leur pays qui devraient intéresser les chercheurs en PME/Entrepreneuriat pour stimuler leur réflexion. L’objectif ici est justement de montrer que les préoccupations des chercheurs peuvent être très « localisées » et sensibles à leur contexte national. Parcourons la planète pour voir ce qui en est !

La Belgique, par Amélie JACQUEMIN

Le récent baromètre conjoncturel dressé par la Fédération des entreprises de Belgique (FEB, 2020) est descendu à son niveau le plus bas depuis la crise de 2011-2012. En Belgique, on est ainsi passé ces derniers mois d’un « attentisme » à un « pessimisme ». Cela s’explique surtout par la faiblesse du commerce international pourtant essentiel dans un petit pays, mais aussi par une certaine instabilité politique. Sur le plan international, le Brexit et la guerre commerciale internationale initiée par le Président Trump participent de cette morosité. Quant à la sphère politique, le gouvernement fédéral est démissionnaire et donc « en affaires courantes » depuis décembre 2018 et les élections de mai 2019 ne nous ont toujours pas permis de sortir de l’impasse (impossibilité de former un nouvel exécutif) ! Dans un contexte d’incertitudes nationales et de faible conjoncture européenne et mondiale, faut-il être fou pour encore oser entreprendre ? Non, bien entendu… Cette photographie nous amène à tout le moins à encourager de futures recherches en entrepreneuriat/PME se situant à l’intersection du politique et de l’économique. En particulier, il s’agirait d’étudier l’impact de crises politiques nationales/internationales/mondiales sur les intentions entrepreneuriales, la création d’entreprises, leur nature, leur croissance, leur internationalisation, etc. Les chercheurs pourraient également questionner les nouvelles identités entrepreneuriales qui émergent en contrepoint aux replis nationalistes protectionnistes. Ou encore, investiguons les pratiques que les entrepreneurs et les PME adoptent pour gérer/tirer avantage/neutraliser ces contingences générées par des espaces non encore régulés car trop évolutifs, incertains.

Le Gabon, par Ruphin NDJAMBOU

Il est vrai qu’en 2018, le rapport Doing Business indiquait que le Gabon descendait de 3 places sur le classement officiel, de la 164e à la 167e place, mais aujourd’hui, une toute nouvelle dynamique est mise en place par le gouvernement désireux d’effacer la chute constatée. Allant du principe selon lequel l’entrepreneuriat peut représenter un levier de croissance économique, plusieurs réformes visant à favoriser le foisonnement des entrepreneurs, respectant les standards internationaux, ont commencé à être mises en oeuvre par le gouvernement gabonais. Pour en attester, nous pouvons constater une modernisation des procédures avec la mise en place du guichet de l’investissement inauguré en 2018 par notre président de la République, chef de l’État. Ce guichet voit les délais de réalisation réduits à 48 h et s’articule autour de deux bureaux : le bureau des immatriculations qui traite de la création à la modification ou la mise en sommeil en passant par la cessation des activités et le deuxième bureau dit des agréments, qui comme son nom l’indique, regroupe toutes les administrations en charge de fournir des agréments de manière sectorielle. Nous pouvons dans le même ordre d’idée, parler du CAMC-GA qui est inscrit dans le plan stratégique Gabon émergent et dont une des missions est de simplifier les procédures entrepreneuriales. Afin d’assister à un écosystème entrepreneurial plus développé au Gabon, il serait intéressant de mesurer les interactions entre les différents acteurs (publics et privés) afin d’évaluer la cohérence des actions et cela, dans le cadre d’une étude sur le thème : « Ecosystème et dynamiques entrepreneuriales spécifiques : le cas du Gabon ». Cette étude sera un axe de développement plus spécifique du sujet en contexte gabonais.

La France, par Marion POLGE

La France est-elle devenue le nouvel Eldorado de l’entrepreneuriat ? Avec plus de 815 000 créations en 2019 (+ 17,9 %), le pays de Zola et des gilets jaunes peut se targuer également de la place de leader européen de l’entrepreneuriat, emporté par un tourbillon d’enthousiasme où l’aventure semble à portée de tous. Cette révolution entrepreneuriale à la française cache une réalité plus contrastée. En cause, des transformations structurelles profondes, mais également un climat social fragilisé, empreint de nombreux doutes sur l’avenir. Quel est le vrai visage de ces entrepreneurs qui flattent les chiffres ? Existe-t-il un néo-entrepreneuriat apportant une nouvelle acception de la réussite professionnelle pour une population qui cherche ses repères ?

Le marqueur du basculement vers la France entrepreneuriale remonte à 2008 avec la naissance de l’auto-entrepreneur. Mais lorsque la détermination politique s’égare dans les couloirs des ministères, l’arrivée du nouveau-né peut vite crisper sa fratrie, poussant les heureux parents dans l’embarras. L’auto-entrepreneur rebaptisé depuis, micro-entrepreneur a grandi, ses dérives également. S’il représente aujourd’hui presque 50 % des créations, son discrédit reste vif : statut fiscal privilégié, facilités de création, manque de professionnalisme, et surtout salariat déguisé exploitant la fragilité des créateurs. Le micro-entrepreneuriat peut ternir l’image innovante de l’entrepreneuriat moteur de l’engouement et du renouveau.

Un défi d’envergure attend les chercheurs : décrypter l’ADN de la famille entrepreneuriale française, entre start-up dopées aux levées de fonds vertigineuses, entrepreneurs life style en quête de sens, artisans ambassadeurs des savoir-faire d’exception, et entrepreneurs travaillant hors salariat. Vaste programme…

Le Liban, par Eliane KHALIFÉ

Le Liban se distingue par un héritage artisanal riche et varié : le verre soufflé, le tissage au « nôl », la broderie, la coutellerie, la gravure sur cuivre, la poterie, la marqueterie, la céramique, etc. En dépit du contexte politico-économique précaire dans lequel elle a oeuvré depuis plusieurs décennies, la petite entreprise artisanale n’a cessé de montrer une capacité remarquable d’adaptabilité. Cela s’explique par l’aptitude de l’artisan libanais à répondre aux exigences du marché en conjuguant activité artisanale et activité entrepreneuriale. Actuellement les entreprises artisanales sont dans la tourmente et font face à de nouveaux enjeux. Mis à part la menace du savoir-faire artisanal par la concurrence des produits étrangers bon marché, l’abandon du métier par les enfants qui sont attirés par un marché international de travail, la faiblesse du soutien de l’État et d’autres facteurs entravant le développement des métiers d’art, le pays s’enfonce dans la récession et la débâcle financière. Il est agité par une contestation populaire grandissante depuis le 17 octobre 2019 qui rejette toute la classe dirigeante, jugée inefficace et corrompue. Les artisans luttent seuls pour maintenir un art qui se meurt et transmettre le flambeau d’un métier qui à lui seul, ne s’avère plus capable à subvenir aux besoins de leurs familles. Cette situation nous incite à entamer des études potentielles sur la consolidation et la pérennisation du savoir artisanal indépendamment de la précarité et de l’incertitude du contexte. Plus particulièrement, il s’agirait d’étudier la possibilité de création autour du savoir artisanal, d’un « écosystème artisanal » qui regroupe différents acteurs dont des artisans, des étudiants, des créateurs, des industriels et des officiels et dont le déploiement repose sur une vraie démarche stratégique combinant une vision, une mission et un système de mesure de la performance et de la création de valeur. Les recherches pourraient également investiguer l’identité actuelle d’un produit artisanal qui est un atout indéniable de sa pérennité. Une étude dans une perspective à long terme pourrait inclure les éléments de cette identité à savoir son utilité, son degré de nécessité et sa perception.

La Suisse, par Mathias ROSSI

Une toute récente étude (PwC European Private Business Survey, 2019) consacrées aux PME européennes met en évidence un fait réjouissant : en ce qui concerne la bonne marche de leurs affaires, les dirigeants de PME de notre pays sont sensiblement plus optimistes et confiants que leurs voisins européens. Par exemple, si seulement 58% des PME européennes s’attendent à augmenter leurs ventes l’année prochaine (- 8 % par rapport à l’étude de 2018), plus de trois quarts des PME suisses considèrent que ce sera le cas (+ 7 %).

Une lecture plus attentive de ce document pousse cependant certains experts à s’interroger : est-ce que l’optimisme dont font part les PME suisses concernant la marche de leurs affaires les pousserait à négliger l’importance de la transformation numérique ? La question se pose en observant qu’à peine la moitié d’entre elles ont adopté une stratégie en matière de numérisation contre, en moyenne, deux tiers des firmes en Europe. Si les coûts, le manque de savoir-faire à disposition et la pénurie en personnel qualifié sont des raisons invoquées pour expliquer ce relatif désintérêt, nombreux sont encore les répondants qui disent ne pas savoir grand-chose au sujet de cette technologie.

Au sein des milieux patronaux, on semble avoir conscience du problème ; ainsi, l’USAM (Union suisse des arts et métiers, l’organisation faîtière des PME) a décidé « de présenter à la Confédération une liste de points qui vont faciliter le passage des PME à la numérisation ». La Confédération a pourtant déjà pris une série d’initiatives : le portail PME du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche offre un ensemble de ressources aux entreprises et l’initiative digitalinform.swiss soutient et encourage le développement de compétences numériques dans le cadre de la formation professionnelle. Les hautes écoles sont aussi interpellées à travers leurs formations en entrepreneuriat et innovation ou en digital strategy. La recherche quant à elle peut par exemple chercher à mieux comprendre l’effet de ces différentes mesures, comment les entreprises gèrent la transition vers ces nouvelles technologies et nouveaux modèles d’affaires, ou encore quelles sont les compétences entrepreneuriales nécessaires afin de réussir cette transition numérique.

La Colombie, par Luz-Marina FERRO CORTES (en collaboration avec Juan Carlos MONTES JOYA)

Après plus de cinquante ans de guerre, la Colombie a entamé un processus de négociation de paix avec les Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie – Armée du Peuple, FARC-EP, l’un des groupes armés les plus traditionnels de la guérilla latino-américaine, le processus de négociation a duré 4 ans (2012 à 2016) et s’est cristallisé dans l’accord de La Havane. Un des points centraux de l’Accord était la démobilisation et la remise des armes des anciens combattants et leur réintégration politique, sociale et économique à la société civile. Dans ce contexte d’incertitude, il émerge deux phénomènes: l’entrepreneuriat et l’intrapreneuriat pour la paix, comme options qui contribuent à l’intégration économique et à l’inclusion sociale des anciens combattants.

Au-delà des discussions sur la rupture des accords, le déclenchement des insurrections dans certains territoires, le meurtre des anciens combattants et des leaders sociaux, quelques insurgés décident de retourner à la guérilla ; le bilan à ce stade précoce nous permet de reconnaitre que les initiatives intrepreneuriales et entrepreneuriales ont mobilisé divers acteurs sociaux qui aident à la construction d’un tissu social qui fournit des bases pour la transformation territoriale. Dans le cadre de cette transformation, les acteurs sociaux changent de rôle: l’État qui est absent dans la plupart de ces territoires, pense à s’engager et à offrir des ressources matérielles et immatérielles en partenariat avec d’autres acteurs selon le territoire (chambres de commerce, universités, secteur financier, organisation sans but lucratif, secteur des entreprises, gouvernement, entre autres). Les anciens combattants forment une famille, de nouvelles identités sont créées, ils commencent à se relier en tant qu’unités de production économique et à s’insérer dans des chaînes de valeur et de production.

Dans cette transition, les marchés internationaux valorisent le commerce équitable et les produits organiques, une dynamique « d’internationalisation inclusive » dans laquelle participe activement le secteur privé, autant les entreprises nationales que les multinationales. Cette internationalisation inclusive se fait grâce à la conscience de création de valeur par la génération d’emploi dans les territoires touchés par la guerre, développement de nouveaux produits avec une histoire et sensibles à l’environnement, de la protection des ressources naturelles et des services de base pour aider les communautés vulnérables. Par conséquent, ces nouvelles dynamiques entrepreneuriales méritent d’être comprises et étudiées en reconnaissant, comme l’ont montré les études internationales sur les processus de paix, pourquoi un tiers des négociations reprennent les hostilités et raniment le conflit armé (Cardenas et Perez, 2020). La Colombie constitue un terrain privilégié pour étudier et comprendre la complexité de l’entrepreneuriat pour la paix et ses dynamiques de création de valeur, construction du tissu social et développement du territoire auprès des communautés vulnérables.

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La lecture de ces six contextes spécifiques montre à quel point la mondialisation n’a pas laminé les particularités des différentes régions du globe, elle semble plutôt les avoir exacerbées, et que les problématiques de recherche sont aussi variées que les environnements dans lesquels il faut les étudier. Évidemment, d’autres auteurs auraient pu avoir identifié des sujets de recherche différents pour chaque pays, mais là n’est pas notre propos. Les priorités en matière de production de connaissances nouvelles sont sensibles au contexte et il est intéressant de faire contribuer des chercheurs dans des cadres multinationaux pour aider à apporter un regard différent sur les problèmes de recherche « criants » dans d’autres régions. Pour cela, tous les chercheurs sont invités à lire et à se familiariser avec des sujets de recherche qui peuvent ne pas leur sembler pertinents ou prioritaires pour le moment, mais qui pourraient éventuellement le devenir. S’il est une certitude qui doit nous être rappelée, est que la terre est ronde et qu’elle tourne, ce qui peut laisser penser que les problématiques prioritaires à un certain moment dans une région pourraient devenir urgentes dans d’autres à un autre moment.

Pour conclure, on se rappellera que la mondialisation de l’économie ne signifie pas l’uniformisation des défis pour tous les acteurs !