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Le vieillissement démographique n’est plus un domaine réservé aux spécialistes. Tout le monde en parle : du quidam aux politiciens, des journalistes aux analystes politiques, tant parmi les jeunes que parmi les vieux. En général, même si c’est à divers degrés, c’est pour y voir un problème : des défis sociaux et de santé publique, des charges financières incommensurables. Mais vieillir pose-t-il vraiment problème ?

Or, tant le vieillissement des individus que celui des populations doivent être vus comme des phénomènes très positifs. En effet, ils sont le fruit de grandes percées du genre humain : le contrôle de la mortalité par l’allongement de la vie et celui de la fécondité par la contraception. Une telle prise en main par l’espèce elle-même n’est évidemment observable dans aucune autre espèce vivante : c’est le fruit du contrôle de l’homme sur la nature.

Le vieillissement démographique est un phénomène social multidimensionnel, qui a à sa base de nombreux déterminants et qui entraîne des conséquences multiples dans divers domaines. Le cadre conceptuel du schéma ci-dessous (Figure 1), établi par Antonio Golini (2002), en montre toutes les dimensions, tant pour le vieillissement des individus que pour le vieillissement des populations.

Figure 1

Cadre conceptuel du processus du vieillissement

Cadre conceptuel du processus du vieillissement
Source : Golini, 2002

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Les mécanismes démographiques derrière la transition démographique qui ont provoqué le vieillissement des populations sont complexes et souvent inattendus (Chesnais, 1986). Par exemple, c’est la baisse de la fécondité qui, dans un premier temps, provoque le vieillissement des populations, contredisant ceux qui affirment haut et fort que c’est la baisse de la mortalité qui en a été le moteur. Historiquement, le contrôle de la mortalité s’est d’abord attaqué à la mortalité infantile et à celle des enfants et il a réussi à les vaincre, ce qui a eu pour effet de rajeunir les populations. De nos jours, ces taux de mortalité étant très bas, ce sont les réductions de la mortalité des adultes et des personnes âgées qui prennent le relais dans la progression du vieillissement des populations. Si les politiques démographiques dans les domaines de la mortalité, de la fécondité et des migrations entraînent et subissent les effets du vieillissement, celui-ci provoque des politiques dans de nombreux domaines qui dépassent rapidement le cadre de la démographie.

À terme, ce phénomène touchera l’entièreté de la planète. Présentement, il est souvent considéré comme conjoncturel dans les pays occidentaux, principalement dans les sociétés qui ont vécu un baby-boom remarqué suivi d’un baby-bust important. C’est le cas, entre autres, du Québec.

Le présent article se veut une analyse de l’évolution démographique de la population québécoise.

Un examen de la situation au Québec – où tant le baby-boom que le baby-bust ont été exceptionnels – nous amènera à revoir certaines modalités de nos programmes sociaux tant dans le domaine de la santé que dans celui des retraites pour faciliter une gérance de la vie en société qui soit équitable pour toutes les générations, tant pour les vieux que pour les jeunes. Le tout dans un contexte d’éthique intergénérationnelle, définie comme un bon dosage de solidarité intergénérationnelle et d’équité intergénérationnelle.

En premier lieu, nous différencierons ce que l’on entend par « vieillissement des individus » et « vieillissement des populations », aussi appelé ou « vieillissement démographique ». Ensuite, nous aborderons les impacts du vieillissement démographique sur les systèmes de sécurité sociale, dans le but de décrire comment nous pouvons faire pour éviter certains effets pervers de l’État providence pour faire face à une évolution démographique non envisagée lors de son établissement (Véron et al., 2004, 2007).

Vieillissement des individus et personnes âgées

De tout temps, il y a eu des personnes âgées – des vieillards –, même lorsque la mortalité était très forte. Même si parler des vieillards peut de nos jours ne pas être « politically correct », il faut savoir que les sociétés qui avaient une espérance de vie de 25 ans voyaient 15 % de leurs enfants atteindre l’âge de 60 ans, avoir une espérance de vie à cet âge de 10 ans et devenir vieux, voire très vieux, puisque certains atteignaient presque 100 ans. Ils étaient le fruit d’une forte sélection naturelle.

Aujourd’hui, dans les pays industrialisés, l’espérance de vie à la naissance approche les 80 ans. On ne meurt plus par fatalisme, mais de plus en plus de vieillesse, à cause d’un certain déclin biologique, nos cellules n’étant pas éternelles. Principale conséquence de ce contrôle de la mortalité, c’est que le grand âge devient accessible à tous : c’est la démocratisation de la vieillesse. Un Québécois né au début du XXe siècle avait environ 50 % de chances d’atteindre l’âge de 65 ans et de survivre au-delà de cet âge environ 15 ans ; celui né au début du présent siècle a plutôt 93 % de chances d’atteindre l’âge de 65 ans et de vivre au-delà de cet âge plus de 25 ans (Tableau 1).

Tableau 1

Nombre de survivants à 65 ans (S65) pour 100  000 personnes à la naissance et espérance de vie à 65 ans (e65), selon le sexe, Québec, générations 1901-2001

Nombre de survivants à 65 ans (S65) pour 100  000 personnes à la naissance et espérance de vie à 65 ans (e65), selon le sexe, Québec, générations 1901-2001
Source : Bourbeau et al., 2006

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Si jadis les vieillards formaient un groupe sélectionné homogène sur plusieurs dimensions, aujourd’hui les personnes âgées forment un groupe non seulement plus important en nombre et en proportion, mais surtout un groupe très hétérogène, ce qui n’est pas sans conséquences sur la gestion des sociétés vieillissantes.

Mais où allons-nous ? Sans pour autant prétendre à l’immortalité, peut-on – et doit-on – espérer de nouveaux progrès dans la lutte contre la mort ? La plupart des démographes s’entendent pour dire que, étant donné les gains continus des deux cents dernières années (Figure 2), il n’y a aucune raison de croire que la tendance vers de nouveaux sommets va s’arrêter ; et cela même en présence de comportements morbides tels le tabagisme et l’obésité. Il en est autrement lorsque l’on fait face à une épidémie de maladies mortelles, telles le SIDA/VIH qui, sur une période de 15 ans, a fait diminuer l’espérance de vie à la naissance de certains pays africains de 12 à 28 ans selon les pays (UN, 2005).

Figure 2

Espérance de vie maximale des femmes dans le monde depuis 1840…

Espérance de vie maximale des femmes dans le monde depuis 1840…
Source : d’après les données de Oeppen & Vaupel, 2002

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Non seulement l’espérance de vie à la naissance s’approche de la limite de 85 ans établie par certains biologistes, mais le nombre de centenaires et de super centenaires (110 ans et plus) augmente à grande vitesse (ISQ, 2009a : 39). Il s’en suit que l’on peut prévoir que les enfants qui naissent aujourd’hui pourraient vivre en moyenne 100 ans, ce qui laisse entrevoir dans un avenir plus lointain des centenaires et super centenaires en très grand nombre. La gestion d’une telle société ne va pas nécessairement poser problème, mais il faudra rapidement adapter nos modes de fonctionnement. Bien plus, des spécialistes du génie bio-vétérinaire prévoient une espérance de vie de 120 ans si on arrive à contrôler le processus du vieillissement des cellules (Walford, 1984).

Doit-on tendre vers de tels sommets ? De tels progrès sont-ils souhaitables et justifiables ? Car il y a sûrement un prix à payer pour y arriver. D’autant plus qu’on est loin de savoir si les populations seront en meilleure santé. Si passer d’une espérance de vie de 50 ans à une de 85 ans laisse présager que la population qui vit un tel changement est en meilleure santé dans le deuxième temps que dans le premier, il n’en est pas de même pour passer d’une espérance de vie de 80 ans à une de 85 ans.

Évaluer l’état de santé d’un individu, comme mesurer l’état de santé d’une population, est nettement plus ardu que de mesurer la mortalité. On est loin d’être assuré qu’au moment où l’on ajoute des années à la vie des individus, l’on ajoute de la vie à ces années supplémentaires, en particulier chez les personnes âgées. Rien n’est moins sûr si l’on observe l’évolution récente de l’espérance de vie en santé dans un certain nombre de pays européens. Dans les figures 3 et 4, si en général, l’espérance de vie tous états de santé confondus à 65 ans croit de façon régulière, il n’en est pas de même pour l’espérance de vie sans incapacité.

Figure 3

Espérance de vie (ev) et espérance de vie sans incapacité (evsi), hommes de 65 ans, certains pays européens

Espérance de vie (ev) et espérance de vie sans incapacité (evsi), hommes de 65 ans, certains pays européens
Source : d’après les données de Robine, 2005

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Figure 4

Espérance de vie (ev) et espérance de vie sans incapacité (evsi), femmes de 65 ans, certains pays européens

Espérance de vie (ev) et espérance de vie sans incapacité (evsi), femmes de 65 ans, certains pays européens
Source : Robine, 2005

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Si pour certains pays l’évolution est similaire, pour d’autres, on observe soit une stagnation de l’espérance de vie sans incapacité, soit même une diminution de celle-ci. Fait tout aussi troublant, ce ne sont pas les mêmes pays qui voient la situation se détériorer selon que l’on observe les femmes ou les hommes. Plusieurs théories se font concurrence pour essayer de prévoir l’évolution future de la morbidité : une pandémie des troubles mentaux, des maladies chroniques et des incapacités (Kramer, 1980), une compression de la morbidité (Fries, 1980) ou un équilibre dynamique (Manton, 1982). Si présentement cette dernière semble recueillir l’adhésion des spécialistes, on doit être conscient que l’on vivra plus longtemps certes, mais que l’on vivra aussi plus longtemps en mauvaise santé. Or, lorsque des personnes âgées en bonne santé sont interrogées sur le sujet, la majorité d’entre elles préfèrent ne pas atteindre les très grands âges, mais plutôt vivre moins longtemps et en santé ; bref, ne pas additionner des années supplémentaires en mauvaise santé (Somers, 1988). Ceci implique, indépendamment des coûts impliqués, de favoriser les recherches qui s’intéressent aux maladies chroniques plutôt qu’aux maladies mortelles, tel le cancer (van de Water et al., 1995 ; van de Water, 1997) : la qualité de vie dans la vieillesse plutôt que la quantité de vie. Bref, tous les efforts devraient être faits pour favoriser la croissance de l’espérance de vie en santé plutôt que l’espérance de vie à tout prix (Légaré et Carrière, 1991 et 1999). Nos sociétés, et en particulier notre corps médical, sont-elles prêtes à prendre un tel virage, à changer les priorités et à faire les investissements financiers en conséquence ? Peut-on espérer un jour voir les services (caring) pour les personnes âgées prendre autant d’importance que les soins (curing) dans les priorités des ministères de la santé, qui, ne l’oublions pas, se nomment ministère de la Santé et des Services sociaux au Québec, et Ontario Department of Health and Long Term Care en Ontario ?

Vieillissement des populations

À l’occasion de la présentation des résultats du dernier recensement, un statisticien informa les journalistes que l’âge moyen de la population avait augmenté de quelque trois ans au cours des dix années séparant les deux recensements et que cela confrontait les décideurs politiques. Un journaliste intervint pour dire que l’on ne devait pas s’en inquiéter puisque toutes les personnes présentes dans la salle avaient toutes vécu, elles, dix ans de plus entre les deux recensements. Mal lui en prit, ce pauvre journaliste n’avait pas compris que l’on ne doit pas confondre vieillissement des individus et vieillissement des populations, aussi appelé vieillissement démographique. Le premier est d’abord et avant tout biologique, et mène vers la mort, alors que le second est strictement structurel. Si la structure par âge de la population ne change pas dans le temps, elle gardera le même âge moyen. Elle pourrait même rajeunir, ce qui n’est pas possible pour un individu.

On a vu précédemment que vieillir, pour les individus, c’est-à-dire atteindre les grands âges, ne pose pas vraiment problème si on peut optimiser le nombre d’années vécues en bonne santé. Qu’en est-il pour le vieillissement des populations ? Celui-ci pose-t-il problème ?

La transition démographique est le phénomène qui a vu les sociétés où la fécondité et la mortalité étaient jadis très fortes contrôler leurs comportements démographiques pour arriver à des niveaux faibles et égaux de natalité et de mortalité, faisant en sorte que la structure par âge de la population non seulement devenait stable ou stationnaire, mais aussi vieille. En général, on mesure ce vieillissement des populations par la proportion de personnes âgées, ou encore par l’âge moyen ou l’âge médian de la population. Les figures 5 et 6 montrent bien que, entre 1950 et 2050, on assiste de par le monde à un vieillissement des populations.

Figure 5

Évolution de la proportion des 65 ans et plus, régions et pays plus et moins développés, 1950-2050

Évolution de la proportion des 65 ans et plus, régions et pays plus et moins développés, 1950-2050
Source : United Nations, World Population Prospects, 2009

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Figure 6

Âge médian, divers pays et régions développés, 1950-2050

Âge médian, divers pays et régions développés, 1950-2050
Source : United Nations, World Population Prospects, 2009

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Il n’y a aucun doute que toutes les populations deviennent de plus en plus âgées et que gérer une société où la moitié de la population a au-delà de 55 ans n’est pas la même chose que de faire face au développement d’une population dont la moitié des membres ont moins de 20 ans, comme le montre la situation du Japon sur un siècle.

Si ces populations sont nettement plus âgées, sont-elles pour autant plus vieilles ? Tout dépend de la définition du terme vieux. Une définition publiée dans le dictionnaire de Furetière en 1690 est éclairante à ce sujet :

Vieux se dit d’un certain âge où, quand on (y) est parvenu, on est caduc : les hommes sont vieux à soixante ans, les chevaux à vingt.

On peut tirer deux grands enseignements de cette définition. D’une part, il faut être caduc pour être vieux, c’est-à-dire non fonctionnel et non pas être nécessairement malade. D’autre part, si les chevaux ne deviennent pas vieux au même âge que les humains, c’est que leur espérance de vie est moindre.

Donc le niveau de l’espérance de vie devrait intervenir dans l’établissement d’un seuil de la vieillesse. Le seuil de la vieillesse ne doit pas être considéré identique dans le temps et dans l’espace : on ne devient pas vieux au même âge au XXIe siècle qu’au Moyen Âge, au Québec qu’au Niger. Il devrait en être de même pour le seuil de la retraite. Certes, dans les sociétés traditionnelles, on arrêtait de travailler quand on était vieux et que l’on n’avait plus la force pour travailler. Depuis que l’âge de la retraite a été établi à 65 ans, au XIXe siècle, on est resté ancré sur le même schéma, même si le contexte – historique, social et économique, pour ne pas parler des mentalités – a énormément changé. Sans trop se poser de questions, on a établi le seuil de la vieillesse ou du troisième âge à 65 ans. Or, au cours du XXe siècle, les progrès sociaux ont eu tendance à abaisser l’âge de la retraite, alors que les personnes âgées restaient fonctionnelles jusqu’à un âge beaucoup plus avancé. On ne pouvait plus les confondre, alors que l’un avait tendance à diminuer et l’autre à augmenter. La division de la vie en trois périodes ou cycles, l’enfance, l’âge mûr et la vieillesse, devait être remise en question. Un nouveau troisième âge avait vu le jour : il allait de la retraite à la vieillesse, reléguant la vieillesse à un quatrième âge (Laslett, 1989). Aucune civilisation ni dans le temps ni dans l’espace n’avait connu une telle mutation. Tout était à apprendre sur la façon d’optimiser d’un point de vue sociétal cet espace de vie. On parle beaucoup des coûts sociaux attachés à une population plus âgée, mais au même moment les membres du nouveau troisième âge joueront un rôle économique qui alimentera un marché lucratif (Dirn et Mendras, 1984).

Fixer à 65 ou à 60 ans le seuil de la vieillesse ne tient nullement compte de la définition de Furetière, et en particulier du fait qu’il doit tenir compte de l’espérance de vie. Un seuil à 65 ans tient compte du nombre d’années vécues depuis la naissance. Norman Ryder, célèbre démographe d’origine canadienne, proposa de tenir compte plutôt des années à vivre avant de mourir (Ryder, 1975). Par exemple, on pourrait dire qu’une personne devient vieille 10 ans – ou 5 ans, ou 15 ans – avant de mourir. C’est aussi arbitraire que de fixer le seuil à 65 ans, mais cela a l’avantage de pouvoir varier dans le temps et dans l’espace en fonction de l’évolution de l’espérance de vie.

Au niveau d’une population, le seuil serait l’âge pour lequel l’espérance de vie serait, par exemple, de 10 ans. À partir des indices de tables-types de mortalité, les démographes ont pu établir, comme le montre le Tableau 2, que le seuil de la vieillesse pourrait et devrait varier dans le temps de 60 à 85 ans. Dans nos sociétés modernes, l’espérance de vie à la naissance étant aux environs de 80 ans, il est sûrement plus réaliste de considérer vieilles les personnes de 75 ans plutôt que celles de 65 ans. D’autant plus que c’est à 75 ans que les personnes risquent de devenir plus dépendantes tant d’un point de vue financier que pour des raisons de santé.

Tableau 2

Âge seuil de la vieillesse défini comme « 10 ans restant à vivre », à partir d’indices de tables-types de mortalité

Âge seuil de la vieillesse défini comme « 10 ans restant à vivre », à partir d’indices de tables-types de mortalité
Source : Légaré, 2004, 2005

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Si on adoptait une telle définition, on observerait pour le Québec que la proportion des vieux, au lieu de varier de 5 % à 30 % entre 1951 et 2051, varierait de 3 % à 10 % (Figure 7).

Figure 7

Évolutions de la proportion de vieux, l’une avec la définition du seuil de la vieillesse à 65 ans et l’autre avec la définition du seuil de la vieillesse « 10 ans restant à vivre », Québec, 1951-2051

Évolutions de la proportion de vieux, l’une avec la définition du seuil de la vieillesse à 65 ans et l’autre avec la définition du seuil de la vieillesse « 10 ans restant à vivre », Québec, 1951-2051
Source : Légaré, 2004, 2005

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Comme quoi tout est relatif, puisqu’en 2051, il n’y aurait pas plus de vieux qu’aujourd’hui de personnes âgées de 65 ans et plus (Desjardins et Légaré, 1984).

Quant à l’âge de la retraite, lui aussi, tout en tenant compte du contexte économique et social, il devrait être modulé en fonction de l’espérance de vie. Bien plus, si on veut que la période de la vie vécue en retraite soit équitable pour tous, l’âge de la retraite devrait être fixé de telle sorte que tout retraité devrait avoir la même espérance de vie en santé dans la retraite. Comme on sait que celle-ci varie en fonction des professions et de l’emploi, l’âge de la retraite ne devrait pas être uniforme pour tous. Il serait normal que celui qui a travaillé dans le fond des mines se retire plus tôt du marché du travail, avec compensation équitable, que le professeur d’université.

Impacts du vieillissement démographique sur la réforme des systèmes de sécurité sociale

À partir du XIXe siècle, les sociétés occidentales ont mis sur pied divers modèles d’État providence, en particulier pour aider les plus vulnérables, les jeunes et les vieux. L’État a pris à sa charge, en totalité ou en partie, les dépenses d’éducation pour les jeunes ainsi que les dépenses liées à la santé et à la retraite pour les vieux.

En général, les dépenses publiques per capita varient selon les secteurs d’intervention et selon l’âge. Par exemple, au Québec en 2003, les coûts des moins de 25 ans s’élevaient autour de 10 000 $, surtout en éducation, alors que pour les personnes autour de 65 ans, c’était plutôt 18 000 $, et à 90 ans et plus 35 000 $, en grande majorité pour la santé et les rentes de retraite (Légaré et al., 2006).

Il y a deux grandes façons de financer les dépenses publiques, en particulier dans le domaine des retraites :

  • soit par capitalisation : les dépenses de l’année courante sont payées par les revenus enregistrés dans une caisse où se sont accumulés les cotisations et les intérêts, soit de l’épargne qui rapporte des intérêts ;

  • soit par répartition (Pay-as-you-go -PAYG) : les dépenses de l’année courante sont payées par les revenus provenant des cotisations de ladite année.

La capitalisation a longtemps eu la faveur des gouvernements et de la population : le recours à l’assurance tant dans le privé que dans le public s’est alors développé. La crise des années trente a cependant remis tout en question : l’épargne a mené les États et les individus vers la ruine financière.

Fondé sur les principes de la solidarité, le financement par répartition est devenu le mode de fonctionnement de la sécurité sociale des États modernes. Le contrat social impliquait que les travailleurs, par leurs impôts et leurs taxes, payaient les dépenses sociales, étant bien entendu que, quand ceux-ci entreraient dans la vieillesse, leurs enfants leur rendraient la pareille. Pour voir l’évolution de ces éléments du contrat social, on recourt souvent aux rapports de dépendance démographique, qui sont de simples rapports de structure par âge, mais qui donnent néanmoins une idée des changements qui se produisent dans les populations.

Par exemple, au Québec (Figure 8), on constate que ce rapport de dépendance démographique global est à son plus bas niveau présentement, autour de 60 personnes entre 0-19 ans et 65 ans et plus pour 100 personnes de 20-64 ans. Ce rapport était de 100 % en 1961, et sera de près de 90 % au milieu de notre siècle. Nuance importante à signaler cependant, en 1961, les « dépendants » étaient des jeunes, alors qu’en 2051, ce seront des personnes de 65 ans et plus.

Figure 8

Rapport de dépendance démographique, Québec, 1961-2051

Rapport de dépendance démographique, Québec, 1961-2051
Source : Données du site Web de l’ISQ, 2009

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La nuance est d’autant plus importante que l’on a déjà signalé que les dépenses sociales des 65 ans et plus sont nettement plus importantes que les dépenses sociales pour les jeunes.

Mais le véritable défi est mesuré par l’évolution de la dépendance économique : soit le rapport entre ceux qui font partie de la population active et ceux qui sont en dehors. Au-delà des rapports de dépendance démographique, il faut alors tenir compte des taux de participation à la main-d’oeuvre, pour calculer de véritables rapports de dépendance économique.

On observe pour le Québec (Figure 9) qu’au cours du XXe siècle, s’il y avait équilibre entre les deux sous-populations, il n’en sera plus de même au XXIe siècle. Après un début très favorable, le départ des baby-boomers à la retraite fera en sorte que très bientôt, il y aura moins d’actifs que d’inactifs, en gardant constant, tout au long de la période de projection, les taux d’activité du tournant du siècle. La projection de 3,75 millions d’actifs en 2031 est corroborée par une étude plus récente faite à Statistique Canada (Martel et al., 2007 : 3.7). On devra apprendre à gérer une telle situation : par exemple, malgré la crise des années 2008-2009, favoriser la tendance pour les travailleurs âgés à rester plus longtemps sur le marché du travail (Conseil des aînés, 2009). La France par ailleurs (Figure 10) montre que cela est gérable puisque dans ce pays depuis les années 1980 et pour encore un bon nombre d’années, la situation montre toujours, pour diverses raisons, plus d’inactifs que d’actifs.

Figure 9

Évolution observée (1981-2004) et projetée (2005-2031) de la population active et du reste de la population, Québec

Évolution observée (1981-2004) et projetée (2005-2031) de la population active et du reste de la population, Québec
Source : Vézina et Ménard, 2006

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Figure 10

Évolution observée (1981-2005) et projetée (2006-2031) de la population active et du reste de la population, France

Évolution observée (1981-2005) et projetée (2006-2031) de la population active et du reste de la population, France
Source : INSEE, Projections de population active 2006-2050, 2006 ; Brutel et Omalek, Projection démographique pour la France, ses régions et ses départements, horizon 2030/2050, 2003 ; Données du site Web de l’INED, 2009b

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L’évolution démographique des cinquante dernières années remet cependant en question de façon marquée le mode de financement des dépenses sociales par répartition : la solidarité en est ébranlée. Étant donné la structure par âge des coûts sociaux, les modes de financement de la sécurité sociale mis en place par l’État providence de l’après-guerre supposaient implicitement que la structure par âge se perpétuerait sous la forme d’une pyramide : peu de vieux et très vieux, et beaucoup de jeunes. Le baby-boom ayant été suivi d’un baby-bust très important dans les pays industrialisés, et en particulier au Québec, la structure par âge, originalement de forme pyramidale, se transforme en une illustration semblable à une toupie et graduellement à un sarcophage ; et on observe un déséquilibre dans la taille des cohortes qui rend le système non durable.

Pour 100 naissances en 1951 au Québec, on observe présentement 60 naissances, alors qu’ailleurs en Amérique, on est revenu aux niveaux de 1951 (Figure 11). Une telle chute des naissances a ses répercussions sur le financement de la sécurité sociale. Celle-ci ne peut plus être d’un seul type et la partie par répartition doit tenir compte de ce fait. À mesure que la fécondité diminue, la part du financement, en particulier des revenus des personnes retraitées, provenant du mode de répartition doit être réduite d’autant (Le Bras, 1990).

Figure 11

Évolution du nombre de naissances, Québec, Canada, ROC et États-Unis, 1909-2007

Évolution du nombre de naissances, Québec, Canada, ROC et États-Unis, 1909-2007
Source : Légaré, 2004, Données des sites Web de l’ISQ, 2009, Statistique Canada, 2009 et INED, 2009a

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Si les observateurs sociaux n’ont pas vu venir le baby-boom et son ampleur, les démographes avaient prévu une diminution de la fécondité, mais jamais de l’ampleur du baby-bust observé. Il en fut de même pour la baisse de la mortalité. Tant les actuaires que les démographes ont toujours été trop conservateurs dans leur projection de la mortalité de la deuxième partie du XXe siècle. Ce qui pouvait être bien pour l’assurance vie s’avérait un désastre pour les caisses de retraite.

Bien plus, pendant les années de prospérité, les sociologues prônaient la société des loisirs et les économistes la préretraite. Les mouvements sociaux ont demandé de diminuer l’âge de la retraite, entre autres pour réduire le chômage chez les jeunes – ce qui ne fut pas observé – et les financiers vendaient « Liberté 55 ». Au moment où la retraite durait de plus en plus longtemps, la population en activité allait se réduire comme une peau de chagrin, les jeunes rentrant plus tard sur le marché du travail et les travailleurs quittant le marché du travail de plus en plus tôt. Le système de la répartition pure allait être ébranlé dans le domaine du financement des retraites, puisque l’on prévoit que d’ici peu, il n’y aura plus que deux travailleurs pour un retraité (Tableau 3), ce qui nous place en particulier loin derrière nos compétiteurs de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Tableau 3

Ratio du nombre de travailleurs sur le nombre de retraités

Ratio du nombre de travailleurs sur le nombre de retraités
Sources : Données du site Web de l’ISQ et de Statistique Canada ; United Nations, World Population Prospects, 2009

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Devant une telle situation, il s’est développé, dans les pays anglo-saxons en particulier, une approche pour diversifier les sources de financement du revenu des personnes âgées, la théorie des « Four Pillars » (Chen, 1996) Pour assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui qu’ils avaient lorsqu’ils faisaient partie de la main-d’oeuvre, il y a lieu de prévoir quatre sources de revenus :

  • une rente de retraite d’État universelle, purement par répartition ;

  • une rente de retraite liée à la participation à la population active, caisse de retraite d’État et/ou avec l’employeur, en système mixte, alliant répartition et capitalisation ;

  • une épargne personnelle, strictement par capitalisation ;

  • et éventuellement, dans les débuts de la retraite de l’emploi de carrière, un revenu d’emploi.

Alors que la plupart des pays européens boycottent ce système et voient leurs systèmes de retraite en péril à l’avenir, le Québec, comme plusieurs autres pays, y a adhéré. Étant donné son évolution démographique décrite plus haut, il devra se résoudre à quitter incessamment son mode de financement purement par répartition dans le domaine de la santé et aller vers une caisse-santé du même type que la caisse-retraite d’un régime de retraite (Légaré, 2001).

Quant aux impacts de l’évolution de la morbidité, il n’y a aucun doute que les coûts de la santé vont augmenter dans les années à venir, même si dans le passé le vieillissement n’y fut que pour très peu dans l’explosion des coûts de santé dans nos sociétés. (Barer et al., 1995). Il y a tout lieu de croire cependant qu’ils ne croîtront pas au rythme d’évolution de la proportion des personnes âgées (Légaré et al., 2006). Cependant, il faut se rendre compte qu’au-delà des théories sur la morbidité, l’avenir sera façonné par les politiques de santé qui seront mises en place. Réduire l’espérance de vie en mauvaise santé devra avoir priorité sur essayer d’éradiquer chez les personnes âgées certaines maladies mortelles.

Conclusion

La question posée était : vieillir pose-t-il vraiment problème ? Si l’Homme a été capable dans le passé de contrôler sa mortalité et sa fécondité et, dans les temps modernes, de se poser sur la Lune, il pourra sûrement au XXIe siècle être capable de gérer son vieillissement individuel et collectif. Mais pour ce faire, il devra à tout prix éviter un conflit de générations, en particulier au Québec. Certes, les jeunes Québécois sont pleins d’idéaux, aiment leurs parents et leurs grands-parents, mais on ne peut mettre sur leurs épaules l’entièreté du fardeau des futures dépenses dans le domaine de la santé et des retraites. On ne peut douter de leur solidarité, qu’ils ont montrée dans de nombreux domaines, mais les comportements démographiques de leurs parents, en ne remplaçant pas les générations, exigent, au nom de l’équité, que les baby-boomers agissent comme des personnes responsables face à leur vieillissement. Un vieil adage économique dit que pour assurer sa vieillesse, ou on fait des enfants ou on fait des économies. Ils ont choisi de peu procréer, ils doivent se comporter de façon responsable, et non laisser à leurs enfants, beaucoup moins nombreux, le financement de leur santé et de leur retraite. Ils en ont encore le temps.

Et cela, au nom d’une éthique intergénérationnelle, que l’on peut définir comme un bon dosage de solidarité intergénérationnelle et d’équité intergénérationnelle. Pour y arriver, une nouvelle sous-discipline des sciences économiques s’est développée : la « comptabilité intergénérationnelle » (Generational accounting) (Auerbach et al., 1994, 1999), malheureusement peu utilisée, en particulier par les économistes québécois. Pourtant, il n’y a pas lieu de la boycotter.