Mini dossier – Sherry Arnstein et l’idée d’une échelle de la participation citoyenne : réceptions, usages et horizons

L’échelle de la participation citoyenne d’Arnstein : notoriété et postérité d’un article fondateur en aménagement du territoire et urbanisme[Record]

  • Mario Gauthier

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  • Mario Gauthier
    Professeur titulaire, Département des sciences sociales — Université du Québec en Outaouais

Depuis sa publication, il y a plus de 50 ans, l’échelle de la participation citoyenne de Sherry R. Arnstein constitue une référence incontournable pour les praticiens de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme en général, et plus récemment pour les nouveaux professionnels de la participation publique. Ce texte fondateur publié en 1969 dans la revue américaine des professionnels de l’urbanisme – Journal of the American Institute of Planners – bénéficie d’une très grande notoriété qui peut étonner certains chercheurs en sciences sociales qui sont assez éloignés des pratiques professionnelles dans ce domaine (voir par exemple Blondiaux et Fourniau, 2011 : 11). À l’occasion de la publication d’un numéro spécial soulignant le 50e anniversaire de la parution de cet article, les éditeurs du numéro mentionnaient que cinq décennies plus tard, l’article est encore omniprésent dans la littérature sur l’urbanisme, ainsi que dans d’autres domaines (Slotterback et Lauria, 2019). Selon ces auteurs, en avril 2019, l’article avait été cité plus de 17 000 fois, dont plus de 13 000 fois au cours de la dernière décennie. En outre, la notoriété du texte d’Arnstein va bien au-delà du strict champ de l’aménagement et de l’urbanisme, en exerçant une influence considérable sur les pratiques participatives dans des domaines aussi divers que la gestion de l’environnement et des ressources naturelles, la santé publique et l’éducation, pour n’en nommer que quelques-uns. Dans cet article, je soutiens que la notoriété et la postérité de ce texte, qui se maintiennent depuis plusieurs décennies, résident essentiellement dans son actualité, c’est-à-dire que les motivations qui ont amené Arnstein à proposer son échelle de la participation des citoyens sont encore aussi actuelles et pertinentes qu’à la fin des années soixante. En effet, pour quiconque s’intéresse aujourd’hui à la participation des citoyens (chercheurs, praticiens ou militants/activistes), cette échelle de la participation citoyenne demeure toujours bien fondée et très séduisante sur le plan heuristique. Cela s’explique notamment en raison de sa simplicité, de son caractère volontairement provocateur et d’un certain reflet d’une réalité décevante des pratiques participatives, souvent considérées comme des processus vides de sens, sans effets réels sur la décision et l’action publiques, notamment lorsqu’elles affectent les exclus et les plus démunis de nos sociétés contemporaines. En outre, on observe encore de nos jours une grande méfiance envers ce que l’on désigne comme étant la « démocratie participative » (Rui, 2013) et les « dispositifs participatifs » (Gourgues et Petit, 2022), la participation étant couramment envisagée comme un instrument de gouvernabilité. Les dispositifs participatifs sont en effet souvent regardés comme des outils visant à éduquer les citoyens afin d’obtenir leur adhésion aux projets, ou encore comme des processus qui tendent à maintenir le statu quo. On reproche également aux pratiques participatives de s’apparenter à des opérations de relations publiques au service des détenteurs du pouvoir, ou encore à des échanges d’informations et à des communications à sens unique. Pour plusieurs, les pratiques participatives représentent un leurre parce qu’elles sont sans effets réels sur la décision et l’action publiques. Il s’agirait ainsi essentiellement de politiques symboliques. C’est dans ce contexte que l’article d’Arnstein est devenu une référence incontournable pour tous ceux qui cherchent à concevoir, à mettre en oeuvre, à évaluer et à améliorer les pratiques de participation publique. Pour démontrer le caractère toujours actuel de l’échelle de la participation citoyenne d’Arnstein, ma démarche méthodologique s’appuie sur mes travaux antérieurs visant à établir un bilan de la participation publique dans le champ des études urbaines et environnementales et sur une revue de la littérature portant spécifiquement sur l’échelle d’Arnstein. Mon texte est structuré en trois parties. Je propose dans un premier temps …

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