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1. Introduction

La conception de la traduction comme discipline académique et le processus de traduction conduisant à un produit professionnel sont mutuellement conditionnés : nous tentons ici de présenter et d’analyser une conception de la traduction pragmatique non en tant que reproduction, mais en tant que production à part entière. Autrement dit, nous travaillons sur l’idée que la traduction ne se conçoit pas comme une opération neutre qui laisserait l’original inchangé. Il s’agira pour l’enseignant de défendre l’idée d’une traduction conçue comme ré-écriture et de montrer la dimension créative des traductions pragmatiques.

Notre propos s’inscrit dans le droit fil d’une réflexion sur la façon de travailler d’un traducteur, sur ce qui peut influer sur son approche d’un document à traduire. L’adoption de critères de qualité professionnels où le texte de départ cesse d’être une référence pour devenir une matière première transformable (Lechauguette 2021 : 48) peut changer la donne et montrer la dimension créative des traductions pragmatiques. Cette « traduction créationnelle » se distinguerait de « la traduction mimétique » (Folkart 1991 : 16) exigeant du traducteur de proposer des solutions à la fois nouvelles et appropriées.

À l’heure des grandes mutations de la profession, qui voit l’émergence de la traduction outillée, induisant la nécessité d’acquérir une compétence technologique indéniable, il est légitime de se demander si notre propos a encore du sens. En effet, les nouvelles tâches comme la pré et la postédition, en lien avec le développement de nouveaux outils technologiques, vont-elles peu à peu réduire le traducteur à un réviseur de traductions qui ont été générées par un moteur de traduction automatique dans le but d’obtenir un produit final répondant aux exigences préalablement convenues avec le commanditaire ?

La traduction automatique neuronale (TAN), développée grâce à l’intelligence artificielle, offre aujourd’hui des résultats fluides, convaincants et dont la qualité ne cesse de s’améliorer (Larsonneur 2021).

Le didacticien Omar Hebbar (2017 : 104) met l’accent sur les progrès du numérique de ces dernières années et l’évolution générationnelle, notamment l’arrivée de la génération Z, caractérisée par des habitudes de communication en réseaux qui poussent les enseignants à intégrer dans les rapports enseignants/élèves, l’utilisation de plateforme d’échange et de suivi avec « et entre » les élèves : « l’innovation technologique, à travers la révolution du numérique, et son impact sur les rapports aux savoirs de la nouvelle génération, nous incitent, en tant que formateurs, à adopter une rupture avec les méthodes pédagogiques dites classiques » et de nouvelles pratiques qui intègrent les nouveaux schémas de pensée de ces jeunes : rapidité de réception de l’information, habitude à travailler en réseau, travailler en multitâche.

Cette nouvelle approche pédagogique qui découle des mutations technologiques, institutionnelles et sociétales rendrait les cours de traduction plus attractifs et éviterait de déconnecter le projet de formation et les aspirations sociales des apprenants.

L’heure est donc à l’adaptation pour les formations universitaires, mais comme le dit Rudy Loock à juste titre : « il semble incontournable d’enseigner aux futurs professionnels la façon dont ils peuvent et doivent dégager leur plus-value de traducteur humain par rapport à la machine et face à des discours caricaturaux sur le sujet » (2019 : 54). Une des voies pour y parvenir, selon lui, est d’établir un lien entre la performance des outils et la qualité des données rassemblées en corpus qu’ils exploitent, en vue de traduire. On ne pourra donc pas faire l’économie des compétences traductionnelles pour postéditer un texte correctement.

Quelles possibilités s’offrent alors aux enseignants de la traduction économique et financière qui figure en bonne place dans tous les cursus de traduction ? Comment amener les étudiants à exercer leur esprit critique et à faire preuve de créativité ?

2. Fondement théorique de la traduction spécialisée

Commençons par préciser ce que recouvre la traduction économique et financière, conçue comme une traduction spécialisée, et les compétences qu’elle exige. Si la démarche mise en oeuvre pour exécuter des traductions reste la même, quelle que soit la nature du texte à traduire (Durieux 2006 : 103), la traduction spécialisée est basée sur un concept de communication également spécialisée qui sert un objectif précis et qui prend en considération des facteurs culturels. Sandrini la définit ainsi :

[e]xteriorisation of specialised knowledge systems and cognitive processes weighed and selected from an information offer (interiorisation) with the objective of disseminating them in another linguistic (interlingual) and cultural context (transcultural) governed by skopos.

2006 : 109-110

De nombreux auteurs ont déjà examiné la complexité de la traduction spécialisée et les rapports qu’elle entretient avec d’autres domaines de recherche tels que la terminologie et les langues de spécialité (Kocoureck 1991 ; Lerat 1995 ; Gémar 1996 ; Scarpa 2010 ; Lavault-Olléon 2007).

Le savoir spécialisé cité par Sandrini s’illustre à travers l’emploi d’un vocabulaire technique, de concepts que d’aucuns utilisent comme mode central de communication et qui imposent au traducteur d’assigner le maximum de clarté et de précision à l’information qu’il traduit.

Cependant, la difficulté majeure dans un texte spécialisé n’est pas uniquement une difficulté conceptuelle, car un texte ne peut se départir de sa composante relationnelle puisqu’il s’adresse à un récepteur dont il faut tenir compte, comme le fait très justement remarquer Balliu (2005). En effet, le traducteur doit connaître ce qui sous-tend l’énonciation en termes de collocations, de phraséologie, et percevoir les stratégies rhétoriques à l’oeuvre : recours aux allusions, aux métaphores conceptuelles, qui impliquent de savoir s’il y a correspondance entre les métaphores conceptuelles du texte de départ et d’arrivée. Les connaissances mises en oeuvre par le traducteur ne sont donc pas seulement celles du domaine, mais également des connaissances d’ordre pratique et discursif.

3. La compétence traductionnelle

En traduction, où il s’agit de traduire le sens, il serait intéressant d’envisager la nature variable d’un concept selon son acception dans le domaine et son actualisation en discours. C’est alors le point de vue spécialisé qui intervient, mais c’est aussi la situation de communication. Le concept est ainsi envisagé comme étant déterminé par une pratique et des locuteurs spécialisés appartenant à une sphère d’activité. Dans ces situations de communication, les contraintes discursives liées aux genres sont déterminantes, car ces derniers définissent la recevabilité du discours produit. La sélection des mots spécialisés, des phraséologies et des éléments grammaticaux en dépend. Le temps et le lieu de production d’un texte donné font également partie intégrante de toute analyse linguistique, car le principal problème de la terminologie, selon Lerat,

n’est ni la technicité ni la polysémie, mais le rapport au temps et aux lieux : la prolifération d’objets nouveaux, la multiplication des dénominations, l’apparition de définitions qui périment les précédentes, la pluralité des sources d’autorité jalouses de leurs prérogatives.

2009

Le traducteur doit être à même de saisir cette variation terminologique lorsqu’elle s’actualise en discours (Desmet 2006). La variation en terminologie et en langues de spécialité a été étudiée par certains chercheurs qui ont procédé à une catégorisation des discours spécialisés (Pearson 1998 ; Meyer et Mackintosh 1996). Cette dernière, basée sur la situation de communication, fait en sorte que les discours diffèrent entre eux selon l’émetteur du discours, le récepteur du discours, le but du discours et le degré de spécialisation du discours. À cela s’ajoute la dimension intertextuelle rencontrée dans le document à traduire et qui implique que le sens d’un texte se constitue aussi dans sa relation à d’autres textes. L’affaire se complique lorsque ces derniers ne connaissent pas bien la culture cible (Roux-Faucard 2006). Le traducteur procédera alors à des ajouts explicatifs, ou des suppressions là où il pense que c’est nécessaire, et sera le mieux à même de saisir l’implicite du texte et varier ses expressions. Tous ces phénomènes discursifs combinent ainsi expertise et vulgarisation.

De ce qui précède, nous sommes d’accord avec Froeliger pour dire que

la traduction étant largement tournée vers l’inconnu, l’inventivité est sa marque de fabrique : elle se manifestera au niveau de la création de formes nouvelles et inattendues, sans compter que la part d’incertitude dans la compréhension des textes fait que ceux-ci se prêtent davantage à la déverbalisation.

2007 : 45

Et en cela, la traduction humaine se démarque nettement de la traduction automatique.

Pouvoir aborder des sujets complexes, c’est faire preuve d’une compétence traductionnelle dont les particularités au nombre de quatre se déclineraient ainsi, selon le Groupe Pacte :

(1)

c’est une connaissance experte que ne possèdent pas tous les bilingues ; (2) c’est une connaissance essentiellement opérationnelle et non pas déclarative ; (3) elle est constituée de plusieurs sous-compétences interconnectées ; (4) la composante stratégique, comme pour toute connaissance opérationnelle, joue un rôle déterminant. (Hurtado 2009 : 27)

Parmi les sous-compétences dont il est question, citons la sous-compétence extralinguistique, la sous-compétence instrumentale, la sous-compétence stratégique, lesquelles s’intéressent à la façon dont le traducteur construit ses connaissances, à travers le processus de problématisation qu’il adopte et le cheminement heuristique auquel il recourt. Ce cheminement s’appuie sur des processus cognitifs qui se déclinent selon différentes opérations : conceptualisation, résolution de problèmes, expérimentation et communication.

Nous tâcherons de cerner ces aspects à travers les textes que nous avons choisi d’examiner, et prendrons comme objet d’étude un événement précis, étudié en tant que « moment discursif » que Sophie Moirand (2007 : 4) définit comme « la diversité des productions discursives qui surgissent, parfois brutalement, dans les médias, à propos d’un fait du monde réel, qui devient par et dans les médias, un événement ». Ce moment discursif est l’essor récent de la technologie financière dans le monde arabe. Puis, nous centrerons l’étude sur l’idiolecte d’un auteur, voire le sociolecte d’une communauté langagière précise, celle des acteurs économiques.

Les textes arabes en question appartiennent à des genres discursifs variés (vidéo, revue spécialisée, rapport du Fonds monétaire arabe, conclusion d’un congrès scientifique international). Ils sont opposés à des textes comparables en français couvrant le même thème et provenant de revues bancaires ou financières, ou d’un journal spécialisé.

Cette diversification nous permettra dans une première étape de nous familiariser avec le vocabulaire spécialisé, par l’exploitation des ressources contenues au sein du texte à même d’éclairer le degré de complexité conceptuelle qu’elles présentent pour le lecteur, mais aussi dans leur présentation formelle.

Une fois cette analyse achevée, nous examinerons le texte français donné à traduire qui regroupe toutes les observations auxquelles nous sommes parvenue et étudierons le discours d’expert qui fonde son discours sur une compétence qui l’autorise et qui n’hésite pas à recourir parfois aux anglicismes. Les dimensions énonciative, stylistique, et pragmatique orienteront la façon dont un discours devrait être reçu puis traduit.

4. La fintech, telle qu’elle est illustrée par les textes

Notre but est de voir le type de relation installée par le texte-message entre l’auteur-émetteur et le lecteur-récepteur dans ce schéma de communication (Sager 1990 : 99 et suivantes). Cette relation se manifeste dans l’emploi de la terminologie et sa gestion en discours. Les indications de décodage dans le discours sont fonction du niveau de connaissances que l’auteur du texte présuppose chez son lecteur. Elles se traduisent par la présence de marqueurs tels que les signes de ponctuation (parenthèses, tirets, deux-points), certaines marques typographiques (italiques, caractères gras) ou certains éléments lexicaux tels que les formules figées (c’est-à-dire, tel que, par exemple) et des verbes relevant des champs sémantiques de la dénomination ou de la définition (on appelle, on définit, on désigne par) (Chukwu et Thoiron 1989 ; Otman 1995).

Le profil du lectorat ciblé conditionne ainsi l’écriture et la stratégie textuelle de l’auteur. Selon Daniel Gile, « l’auteur du texte original écrit à l’intention de certains destinataires dont il connaît ou imagine les connaissances dans le domaine concerné, le système de valeurs, les souhaits, les intérêts, les caractéristiques culturelles » (2005 : 30).

Dans ce miroir que nous tend l’auteur, où l’objectivité des faits économiques contraste parfois avec la subjectivité avérée de leur présentation, la trame de la situation économique permettra de mettre en relief les idiomatismes révélateurs de spécificités culturelles.

4.1 L’approche du texte

Avant même d’explorer les connaissances des étudiants dans le domaine, nous avons voulu faire un rappel salutaire de la pédagogie constructiviste (Kiraly 2005 ; Risku 2010) que nous allions suivre et qui postule que les apprenants construisent eux-mêmes leurs savoirs et leurs savoir-faire. Notre approche consistait à sensibiliser les étudiants à ce que « comprendre » veut dire : savoir identifier et localiser les points ignorés d’une question, d’un texte, savoir localiser l’information nécessaire et enfin, savoir extraire l’information, pertinente et l’intégrer à la traduction.

Face à un texte spécialisé, les principaux éléments qui font obstacle à la compréhension sont souvent les éléments notionnels. L’objectif est que les étudiants prennent conscience à la fois de ce qu’ils savent et de ce qui leur manque, raison pour laquelle ils sont dans un premier temps invités à s’exprimer sur le sens général du texte, autrement dit le message essentiel que l’auteur du texte veut faire passer. Au fur et à mesure du cours, ils sont invités à entrer dans le détail du texte et de son argumentation.

Pour cela, ils doivent mobiliser leurs connaissances du domaine, notamment celles qu’ils sont censés acquérir dans le cadre de cours théoriques sur les domaines de spécialité – économie, droit, etc. Ils prennent ainsi conscience (en situation) de la manière dont les connaissances acquises dans le cadre de ces cours sont d’abord déployées dans le texte à traduire et utilisées dans le processus traductif. En général, l’interactivité du cours permet de rassembler l’essentiel des connaissances nécessaires (les connaissances des uns venant compléter celles des autres et l’enseignant jouant en quelque sorte un rôle maïeutique). Un travail de recherche documentaire complémentaire est cependant souvent nécessaire.

Nous sensibilisons ainsi les étudiants au fait qu’un texte économique et financier, signé par un économiste, ne se réduit pas à sa portée référentielle ni à sa terminologie. Autrement dit, les termes et la langue spécialisée n’en sont pas les caractères définitoires. Des stratégies rhétoriques peuvent intervenir, l’usage de certains procédés styliques, tels que les allusions et les métaphores, fait partie de l’arsenal argumentatif qui illustre les méthodes de persuasion et les moyens de preuve. Sans compter que de nombreuses dénominations sont métaphoriques (Sutton 1992). Elles constituent un code partagé par une communauté spécialisée. Nous vérifierons cela à la lumière de deux termes : sandbox et blockchain.

Dans un deuxième temps, nous nous sommes questionnée sur la finalité de l’enseignement de la traduction financière en arabe. En effet, lors d’un séminaire de traduction économique et financière présenté dans une école de traduction, les étudiants arabophones se sont montrés dubitatifs quant à l’intérêt de traduire ce type de texte vers l’arabe, sous prétexte qu’une communication efficace sur le sujet passait obligatoirement par l’anglais. Ils en voulaient pour preuve le nombre d’emprunts présents dans les textes arabes. Cette objection préjudicielle découle d’une conception de la traduction des discours spécialisés réduite à un acte purement technique.

Notre travail consistera à leur montrer que la traduction est également de la communication.

Il est demandé aux traducteurs d’être audacieux en matière de créativité expressive et de néologismes, et de ne pas hésiter à entraver parfois les structures rigides de leur langue.

En effet, le traducteur permet à sa langue d’évoluer et de devenir instrument de culture au contact d’une autre langue.

Par ailleurs, ce qui vient renforcer le scepticisme des étudiants est que les travaux réalisés sur la traduction spécialisée portent trop souvent sur les problèmes terminologiques, les aspects de nature textuelle étant ignorés.

S’il est vrai, comme le pense Gouadec (2005 : 15), que « la nécessité de traduire née de l’existence de déséquilibres entre cultures et langues, s’est vite doublée de la nécessité de produire et de diffuser l’une des matières premières vitales du traducteur : les terminologies », puisque le traducteur est tenu d’assigner le maximum de clarté et de précision à ce qu’il traduit, il convient néanmoins d’aborder la question de la traduction des textes pragmatiques également sur le plan de la structure textuelle. En partant de textes et non d’unités baptisées « concepts », nous abordons, outre l’étude du langage, les idéologies qui sous-tendent le discours et représentent l’une des facettes de l’identité sociale et de l’image de soi des membres d’un groupe. Dans le cas de la fintech, il s’agit de faire ressortir éventuellement les caractéristiques culturelles particulières qui ne trouvent pas d’équivalent direct dans l’autre culture et qui se traduisent par des différences linguistiques.

Ainsi, traduire, c’est partir de l’hypothèse que chaque forme de communication est influencée par des normes culturelles qui se manifestent sur tous les plans d’un texte : celui de la discursivité, qui est le mode d’écriture de ces textes, celui de la cohésion textuelle à travers certains de ses marqueurs tels que les connecteurs, les anaphores, les progressions thématiques, pour d’une part, mettre en évidence les ajustements (ajouts, modifications, suppressions) auxquels a recours le traducteur afin de répondre aux attentes du lecteur en la matière et d’autre part, dégager certaines récurrences linguistiques et stratégies traductives.

Autrement dit, une communication spécialisée n’est pas uniquement un traitement de termes, même si le bon choix de ces derniers contribue à la production de textes pertinents et clairs. Une langue spécialisée puise aussi dans la langue générale et les textes se prêtent à des variations originales.

Nous avons donc choisi de vaincre le scepticisme des étudiants et de leur montrer que le français procède de la même manière que la langue arabe quand il est question de diffuser les innovations s’appliquant de surcroît à la terminologie. Lederer parle du « phénomène de fertilisation des langues en contact qui (nous) semble naturel et fructueux pour chacune d’entre elles » (1990 : 150). Les auteurs aussi bien français qu’arabes déploient divers moyens pour apporter des informations pouvant faciliter la compréhension des néologismes, par exemple. On observera alors une certaine variation de ces gloses en fonction de la nature du mot étranger importé et du public auquel on s’adresse.

4.2 Étude de cas

Nous nous intéressons ici au rôle des productions discursives dans l’émergence de la fintech, ainsi qu’aux processus d’identification, de compréhension et d’interprétation de ce terme qui s’inscrit dans un savoir spécialisé. En effet, les textes soumis aux étudiants illustrent la façon dont la fintech s’intègre dans le discours, comment elle a été expliquée, commentée et paraphrasée, dans l’objectif de permettre aux apprentis traducteurs de construire leurs connaissances du domaine et passer petit à petit à une connaissance experte. Nous examinerons également d’autres termes qui gravitent autour de la fintech comme le sandbox ou bac à sable, et la blockchain ou chaîne de blocs. Nous laisserons pour une étude ultérieure des termes tels que les business accelerators, la start-up, les business angels.

Dans un deuxième temps, nous centrerons l’étude sur l’idiolecte d’un auteur, voire le sociolecte d’une communauté langagière précise, celle des acteurs économiques.

Certains textes proviennent de sources gouvernementales. Le discours qu’ils déploient est sur le mode de la performativité de la finance digitale. Ils ne sont pas signés par un auteur en particulier.

Nous remarquons d’emblée que le mot-valise anglais signifiant Financial Technology apparaît, le plus souvent, tel quel dans les textes français, à la fois sous forme de nom précédé de l’article ou sous forme de complément de nom : services fintech, par exemple. Il en sera de même dans les textes arabes où on le trouve dans l’environnement du terme arabe lui correspondant. Par ailleurs, tout type de texte vise un lectorat précis dont le profil a conditionné l’écriture et la stratégie textuelle de l’auteur. Ces textes nous permettront de déceler l’argumentation à l’oeuvre et l’idéologie dont ils sont l’actualisation. Ils donnent à voir les prédilections stylistiques des auteurs ou les contraintes imposées par la situation discursive, comme le traitement d’une information spécifiquement culturelle.

Certains textes qui se veulent didactiques commencent par la définition du terme fintech et usent d’une modalité autonymique :

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a) Qu’est-ce que la technologie financière ?
Il s’agit d’un terme décrivant les nouvelles technologies dont l’objectif est de développer et d’automatiser l’utilisation de services financiers. Connu sous sa forme tronquée « fintech » Financial Technology, il a pour but d’aider les entreprises ou les consommateurs à mieux gérer leurs opérations financières en se servant de logiciels et d’algorithmes spécialisés. On fait usage de ces solutions numériques sur les ordinateurs et les smartphones. Citons les applications de paiement électronique, la transaction boursière et les cryptomonnaies. (notre traduction)

Le texte est tiré d’une revue scientifique en ligne (Al Majarra), appartenant au Cercle scientifique koweitien. On remarque que l’emprunt (« فينتيك »/Fintech) est entre guillemets et sous forme d’une transcription phonétique tandis que le développement de sa forme tronquée est en anglais. L’attitude de l’arabe par rapport aux anglicismes est donc d’utiliser une approche autonymique visant la définition de l’emprunt adopté. Cependant, l’ajout du terme anglais semble avoir un effet rassurant. Par ailleurs, ce genre de définition permet au lecteur d’accéder à un savoir factuel.

Dans l’ensemble des textes consultés en arabe, nous remarquons tout d’abord la valence positive du vocabulaire entourant la fintech, laquelle favoriserait en quelque sorte l’inclusion financière dans le monde arabe dont deux tiers des adultes ne possèdent pas de comptes bancaires, à l’exclusion des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

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La technologie financière (fintech) L’inclusion financière en Palestine
(Source : Fonds Monétaire arabe) 2021
Avec le rapide progrès technologique mondial et son rôle dans le renforcement des innovations financières ainsi que son incidence positive sur l’évolution des taux d’inclusion financière dans le monde en général et en Palestine en particulier, et vu qu’il est important de développer l’infrastructure de la technologie en Palestine dans l’objectif de servir les orientations actuelles en matière d’automatisation des services financiers, la commission technique a tenu à former un groupe de travail spécialisé en Technologie financière (fintech). Ce groupe aura pour tâche de fournir un appui technique à la commission et contribuer ainsi à renforcer et à élargir l’usage de la technologie de l’information et des services de fintech, en matière d’innovation et de fourniture de services financiers technologiques, s’appuyant sur des paiements numériques et sur la technologie financière, en tant qu’instrument principal pour renforcer l’inclusion financière et la transition vers l’économie non-monétaire. (Notre traduction)

Ainsi, dans le texte ci-dessus publié par le Fonds monétaire arabe, non signé par un rédacteur précis, on salue tout d’abord le progrès technique fulgurant à l’échelle mondiale, qui a donné lieu à des innovations financières, lesquelles ont permis une plus grande inclusion financière dans le monde et en Palestine en particulier. Il est question d’aider la Commission technique à mettre en place les infrastructures nécessaires pour développer les services de fintech, basés sur les paiements numériques, et ce, pour accélérer l’inclusion financière et réussir le tournant de l’économie des paiements numériques.

Comme constaté, le terme fintech apparaît dans le titre à côté de son équivalent arabe (التكنولوجيا المالية, signifiant la technologie financière). Au sein du texte, le terme est mis entre guillemets dans sa première occurrence. Il est accompagné du mot-valise anglais « Fintech ». Dans sa deuxième occurrence, où il apparaît seul, il fonctionne comme le complément de nom du terme arabe services, et désigne les services fintech. Il est précédé de l’article défini arabe (al) et s’intègre ainsi dans la langue avec sa forme et sa signification. Cet emploi peut paraître dissonant venant d’une source officielle comme le Fonds monétaire arabe. Pourquoi accoler en effet l’emprunt transcrit en anglais à un mot arabe au lieu de dire tout simplement « services de la technologie financière » ? On pourrait l’attribuer au fait que la plupart des banques des pays arabes, membres du Fonds monétaire arabe, emploient l’anglais comme langue de communication à côté de l’arabe, dans leurs transactions économiques. La fintech étant apparue dans le monde anglo-saxon, l’adoption rapide et facile des termes s’y rapportant, et des mêmes types de conceptualisations, indiquent que lorsqu’il s’agit des affaires, les Anglais et les Arabes pourraient avoir des manières de penser similaires.

La finance islamique n’est pas en reste puisqu’elle dévoile ses appétences pour les services financiers. En témoigne cet extrait.

Dans ce texte daté de 2021 qui relate les travaux d’un congrès scientifique international, il est question de la finance islamique et de ses appétences pour la fintech.

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La numérisation et la finance islamique : l’impact de la technologie financière et de la blockchain
Le Forum scientifique international, 21 juin 2021

L’industrie financière a fait récemment l’objet d’une plus grande attention en lien avec la technologie financière et l’étendue de son utilisation et de son impact sur le travail bancaire.
Cette technologie englobe « des innovations financières permises par l’adoption de la technologie, laquelle créera de nouveaux modèles d’affaires, des applications ou des transactions nouvelles ou produits nouveaux, qui auront à leur tour, un impact concret sur les marchés et les institutions financières ainsi que sur l’offre de services financiers.
On peut dire simplement que la blockchain connue en arabe sous l’appellation « chaîne de blocs » est une technologie de stockage et de préservation des données par le biais d’un réseau décentralisé d’ordinateurs » (notre traduction)

Le titre, que l’on pourrait traduire par Numérisation et finance islamique : l’impact de la fintech et de la blockchain, appelle une remarque. L’emprunt anglais blockchain est transcrit phonétiquement en arabe sans explication et il est précédé par l’article défini arabe (al), qui traduit son intégration dans la langue arabe.

Le premier paragraphe met l’accent sur l’intérêt accordé par l’industrie financière à la fintech et à son impact sur l’activité bancaire. Il livre alors une définition de celle-ci entre guillemets, en parlant d’innovations financières induites par l’utilisation de la technologie, capables de développer des modèles d’affaires, des applications, des transactions nouvelles ou des produits nouveaux, et ayant un impact matériel et concret sur les marchés et les institutions financières, ainsi que sur la manière d’offrir des services financiers.

Nous voyons ainsi que les différents textes cernent, tour à tour, un pan de la fintech. Ce texte s’intitulant Numérisation et fintech cherche à mettre l’accent sur les deux particularités de la fintech : elle s’appuie sur la maîtrise du numérique, mais surtout, elle place le client au coeur de ses modèles en cherchant à répondre à ses nouveaux usages.

Dans le deuxième passage du texte, le rédacteur livre enfin une définition du terme arabe correspondant à blockchain : « On pourrait dire simplement que la blockchain, connue en arabe sous le terme de chaîne de blocs [silsilat al kutal], est une technologie de stockage d’informations transmises à un réseau décentralisé d’ordinateurs » (notre traduction).

Autrement dit, la blockchain permet à ses utilisateurs connectés en réseau de partager des données sans intermédiaire. Cet exemple révèle la volonté du rédacteur d’introduire le terme anglais en le définissant par une périphrase au cas où le lecteur n’en connaîtrait pas le sens. Le terme arabe choisi peut paraître ambigu, mais il crée, sur le plan du vocabulaire, une sorte de connivence accessible à un cercle d’initiés.

Il est intéressant de constater que cette expression imagée est empruntée telle quelle par le français et l’arabe. C’est la traduction littérale (chaîne de blocs/silsilat al kutal) qui s’impose, en lieu et place de l’emploi d’une autre image relevant du même champ métaphorique. Mais dans les textes financiers au langage formel, seul le terme anglais est utilisé, car les destinataires de ces textes sont rompus au jargon financier. L’arabe le transcrit alors phonétiquement. Nous avons retrouvé une définition donnée par l’Assemblée nationale française datée de 2018 dans laquelle le terme de départ est, en effet, le terme anglais :

une blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément par tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie.

Assemblée nationale, 2018[4]

Ici, l’attitude vis-à-vis de l’anglicisme est d’utiliser une approche autonymique visant la définition de l’emprunt adopté.

Exemple 4. Le sandbox ou bac à sable. C’est sans doute la notion qui a posé le plus de problèmes en termes de compréhension. Pourquoi ? Parce que sa reformulation en arabe était quelque peu ambiguë selon les textes. Il a fallu que l’on consulte divers documents et sites pour enfin cerner le terme et sa reformulation en arabe.

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Source : vidéo animée sur une chaîne YouTube

b) Qu’est-ce que le sandbox ?
Te souviens-tu du bac à sable dans lequel tu jouais quand tu étais enfant ?
L’enfant y crée son univers en se l’appropriant, avec ses règles simples. Il décide aussi qui il va laisser entrer pour jouer avec lui. D’où ce terme de sandbox qui présuppose l’existence de règles pour protéger le marché et les opérateurs, sous la supervision de régulateurs. On sélectionne un certain nombre d’opérateurs qui offrent des services fintech et on leur octroie une autorisation provisoire pour tester leurs services. Cela permet de faciliter l’investissement et le financement et de diversifier les services financiers. (notre traduction)

Dans cet extrait d’une vidéo explicative animée, mise en place par une fintech saoudienne, l’emprunt sandbox est transcrit phonétiquement dans le titre : ma huwwa al sandbox ? [Qu’est-ce que le sandbox ?]

Dans la 2e occurrence, il est traduit littéralement, à l’instar du français : صندوق الرمل (sundûq al raml bac à sable). L’animateur de la vidéo dresse une comparaison avec le bac à sable pour enfants qu’il présente comme faisant partie de leur univers propre avec ses lois simples, puisque les enfants décident librement d’y admettre ou non des participants.

Puis il extrapole cette notion pour expliquer ce qu’est le bac à sable en matière de finance. Il s’agit, selon lui, de législations en matière de protection du marché et des opérateurs, sous la supervision de régulateurs. Les opérateurs proposent des services fintech qui seront soumis à une période de test. On leur octroie des autorisations. Le but ultime étant de leur faciliter le financement et au-delà, de diversifier davantage les services financiers.

La remarque que l’on peut faire est que la tendance générale est à l’explicitation de la notion économique. L’animateur recourt à la reformulation du passage et procède par dilatation du passage utilisée ici comme un type d’explicitation.

Voyons comment les documents français abordent la notion.

Qu’est-ce qu’un bac à sable ? Selon un leader du secteur des marchés financiers et de l’innovation, la définition d’un nouveau produit ou d’une nouvelle technologie peut prendre beaucoup de temps. En plus de cela, de nombreux cadres réglementaires qui régissent les entreprises technologiques n’ont pas d’exigences spécifiques à respecter pour un nouveau produit. Cela signifie que, pour qu’un nouveau produit soit accepté par le marché, il peut avoir besoin de subir un certain nombre de tests rigoureux afin de démontrer son adéquation à un usage et un marché cible donnés. C’est là qu’interviennent les bacs à sable fintech. En tant que plate-forme d’innovation, ces outils peuvent être utilisés pour tester de nouvelles technologies de manière rentable sans avoir besoin d’investir dans une infrastructure ou un logiciel supplémentaire. De plus, ce type de plate-forme de test permet aux entreprises d’augmenter leur capacité à accepter et à répondre aux exigences des clients en temps opportun.[6]

Ici, à l’instar de la vidéo arabe ci-dessus, le texte introduit la définition de la notion bac à sable par une interrogation. La définition ne suit pas un mode linéaire, mais est livrée de manière itérative, en suivant une spirale. Dans un premier temps, il s’appuie sur l’affirmation d’un locuteur autorisé, garant de la justesse de la définition. Dans un deuxième temps, le même procédé argumentatif, centré toujours sur la compétence de l’autorité mobilisée, est incarné par le marché financier et les cadres réglementaires. Il est question d’un nouveau produit lancé sur le marché qui doit subir des tests rigoureux.

Dans un troisième temps, on assimile le bac à sable à une « plateforme d’innovation pour tester de nouvelles technologies ». Ainsi, petit à petit, la cohérence du texte s’établit en fonction de « l’interaction entre le travail inférentiel d’un lecteur et certaines qualités inhérentes au texte lui-même » (Pépin 1998 : 1). L’attention est donc concentrée sur les indices de sens et de cohérence qui se manifestent lors de la lecture.

À noter que les termes sandbox et blockchain sont générés par le recours à des métaphores conceptuelles qui permettent l’appréhension de nouveaux concepts. Les recherches documentaires en anglais cernent la notion de bac à sable suivant le schéma cognitif suivant :

[t]he word sandbox originally referred to the small box filled with sand where children play and experiment in a controlled environment. The concept is also being used in the digital economy arena, to refer to regulatory sandboxes : testing grounds for new business models that are not protected by current regulation, or supervised by regulatory institutions.

L’énonciation économique dans le domaine de la fintech fait ainsi largement appel aux métaphores conceptuelles (business angels, business accelerators, business incubators, start-ups, entre autres) du fait que la conceptualisation abstraite nécessite l’appropriation de liens déjà établis dans des domaines concrets et directement accessibles à l’expérience (Stambuk 1998).

Nous sommes d’accord avec Sylvie Vandaele (2002 : 225) pour dire qu’une question fondamentale en traduction devient alors le passage du système conceptuel auquel a recours la langue de départ à celui de la langue d’arrivée. Autrement dit, pour un domaine particulier comme le nôtre, y a-t-il ou n’y a-t-il pas correspondance entre les métaphores conceptuelles véhiculées par les langues en présence ? Quelles en sont les conséquences sur la prise de décision traductionnelle, tant en ce qui a trait au terme qu’à la phraséologie ?

La remarque que l’on peut faire d’après les textes consultés est que le français et l’arabe se livrent à la création néologique sur le même mode, en faisant appel aux métaphores, même si les spécialistes du domaine ont tendance à conserver tels quels les termes anglais. Cette néologie à l’oeuvre se fait en général sous forme d’un calque lexical et englobe la phraséologie également. Par ailleurs, lors de l’opération du transfert en arabe, plusieurs termes peuvent être en compétition. Ainsi, si l’équivalent arabe de sandbox (sunduq al raml) fonctionne comme un hapax limité aux discours, c’est l’idée de testing environment ou dispositif dexpérimentation qui qualifie le bac à sable qui s’impose dans la plupart des textes, comme l’atteste l’exemple suivant.

Sand box testing environment البيئة التجريبية التشريعية–نموذج الطلب

[L’environnement d’expérimentation réglementaire - Modèle de demande]

(Regulatory Sandbox) فترة التقديم على البيئة التجريبية التشريعية

[Période d’ouverture des candidatures à l’environnement d’expérimentation réglementaire]

forme: 2385696.jpg[7]

[La banque centrale saoudienne a annoncé hier l’ouverture des candidatures pour la participation à l’expérimentation de services et de produits innovants de la technologie financière dans le cadre de l’environnement d’expérimentation réglementaire et ce, à partir du 15 janvier 2021]

Le titre met l’accent sur l’environnement d’expérimentation réglementaire, dit sandbox, qui figure en anglais dans le titre ainsi que sur l’ouverture, par la Banque centrale saoudienne, d’un guichet de candidatures destiné aux porteurs de projets innovants (Regulatory Sandbox), ou dispositif d’expérimentation réglementaire. Le but est de tester la viabilité de leurs services ou produits fintech dans un cadre juridique. Cette autorité se prononce, par la suite, sur l’éligibilité de leurs dossiers, au terme d’une période d’essai.

Ce texte fait écho à ce que l’on retrouve dans la documentation en anglais à propos du bac à sable réglementaire : « A sandbox is a closed testing environment in which a software innovation is tested before being fully deployed in the market. »

Ici, le lecteur comprend le terme nouveau grâce à la capacité métalinguistique définitoire du texte. Il tient compte de ce que dit le texte et de la manière dont il le dit.

Par ailleurs, l’emballage linguistique et stylistique du contenu est un paramètre dont doit tenir compte le traducteur. L’extrait ci-dessous illustre une métaphore filée (bac à sable/jouets/jeunes pousses), laquelle permet d’envisager un nouvel angle d’approche de la notion, évitant de répéter toute une démonstration. Loin d’être un procédé d’ornement stylistique, la métaphore est à interpréter essentiellement comme une manière de penser.

Allez… tous au bac à sable
D’après la Banque des règlements internationaux, une fintech qui viendrait jouer dans l’un de ces bacs à sable augmenterait sensiblement sa probabilité de lever des fonds. Plus exactement, son entrée dans le bac à sable serait suivie d’une augmentation de l’ordre de 15 % du capital collecté au cours des deux années suivantes. Ce constat a été fait sur les 118 fintech qui ont rejoint depuis 2015 les cohortes du régulateur britannique. On peut donc plaindre nos jeunes pousses françaises de la finance qui ne disposent pas des mêmes jouets que leurs voisins français.[8]

Fintech Galaxy, 13 novembre 2020

Remarquons tout d’abord l’emploi de l’emprunt fintech. Son intégration morphologique est partielle. Alors qu’au singulier, on lui assigne la marque du féminin (une fintech), la règle du pluriel ne semble pas s’appliquer ici, lorsqu’il est précédé de l’article défini « les ». Il désigne dans ce contexte les start-ups du secteur financier. Il n’a donc pas le sens de technologie financière.

La métaphore filée nous apprend la possibilité pour une fintech de collecter des fonds sur le marché financier, ainsi que l’existence d’un régulateur britannique dont le rôle consiste à valider ou tester de nouvelles technologies ou de nouveaux modèles d’affaires du secteur financier dans un environnement contrôlé par des règles adaptées aux fintech. Une recherche documentaire rapide permet d’éclairer le reste du texte. Il semblerait en effet que le régulateur britannique accorde des dispenses quant aux exigences légales et réglementaires qui pourraient freiner ces innovations. D’où le parallèle avec les jeunes pousses françaises qui ne bénéficient apparemment pas de ces possibilités.

Cette façon ludique d’introduire de prime abord une notion compliquée peut permettre au traducteur « d’identifier les points ignorés d’un texte, de savoir localiser l’information nécessaire pour l’intégrer à sa traduction » (Plassard 2010).

Dans un autre texte, nous identifions l’emploi des cooccurrents qui accompagnent le terme.

Les autorités refusent d’accorder aux jeunes pousses de la finance un « bac à sable » réglementaire. Les gendarmes financiers veulent à la fois plus d’innovation et plus de sécurité. En France, les jeunes pousses de la finance seront bien privées de bac à sable ! Cette expression (« sandbox » en anglais) résume une revendication récurrente des fintech à l’égard des gendarmes financiers : obtenir la permission d’expérimenter leurs nouveaux services – touchant au paiement, au prêt, au transfert d’argent, aux placements financiers… – dans un cadre réglementaire spécifique et plus léger.[9]

Les Echos 2016

Cet extrait introduit tout d’abord le terme complexe bac à sable réglementaire, qu’il réduit trois lignes plus loin à bac à sable avant de donner entre parenthèses son origine anglaise sandbox. La première occurrence désigne le cadre réglementaire assoupli dans lequel souhaitent opérer les entreprises innovantes. Cette idée rejoint les dispenses accordées plus haut aux fintech par le législateur britannique.

La deuxième occurrence à la forme abrégée ne diffère pas du point de vue du sens. En effet, le bac à sable désigne la plateforme qui va tester de manière rigoureuse les nombreux produits innovants avant leur lancement sur le marché. Les régulateurs du marché sont tour à tour désignés par les autorités puis par les gendarmes financiers. Ils ont la charge de réglementer l’activité financière. L’énonciation passe par l’emploi de cooccurrences qui accompagnent le terme (accorder un bac à sable/priver de bac à sable) et qui sont indispensables pour une reformulation idoine.

Ainsi, ces textes ont permis l’acculturation progressive et partielle à des champs de connaissance au cours de laquelle les étudiants s’étaient approprié les concepts (il ne s’agit donc pas de se contenter d’une liste de définitions). Cette appropriation s’est faite à travers les procédés de surimpression entre le concret et l’abstrait qui démultiplient le sens au rythme des tournures propres au génie de chaque langue. L’influence du contexte sur l’émergence de métaphores conceptuelles se perçoit d’emblée à l’occasion d’événements marquants comme l’essor de la fintech. Les textes consultés tirent parti de l’engouement suscité en détournant l’image à des fins d’argumentation financière.

En guise d’illustration, nous leur avons donné à traduire un texte authentique écrit par Hubert de Vauplane, avocat associé à Kramer Levin spécialisé dans les services juridiques et financiers. Il est intitulé « Quelle réglementation pour les FinTech ? », que le lecteur retrouvera in extenso à l’adresse citée en notes[10]. Ce texte a l’avantage de regrouper toutes les notions traitées jusque-là. Nous en examinerons quelques extraits.

Dans ce texte, l’auteur prend position sur le sujet en faisant une démonstration fondée sur ses connaissances juridico-financières. Il y parvient par le recours à de nombreuses images et figures de style, avec lesquelles il exprime un sentiment qu’il cherche aussi à provoquer chez son lecteur. Il s’agit alors pour le traducteur de ressentir cette dimension du texte de départ, faute de quoi il ne pourra trouver le ton juste, et la tonalité générale dans le texte d’arrivée.

D’emblée, l’auteur cherche à créer une connivence avec son lecteur. Toute écriture suppose en effet un certain degré de complicité entre un auteur et le lectorat qu’il induit plus ou moins consciemment comme devant être le sien, au moyen de la langue qu’il utilise. Ceci est affirmé par un goût certain pour l’écriture.

Outre la compréhension du texte et le respect de la terminologie et de la phraséologie en contexte, les étudiants devaient se rappeler que la traduction d’un texte d’auteur ne peut, en aucun cas, être une imitation, mais constitue une re-création. Or, qui dit création dit inspiration.

Nous en reproduisons ici quelques extraits en soulignant le déroulement de l’argumentation de l’auteur par les connecteurs logiques ainsi que ses prédilections stylistiques et ses anglicismes.

Quelle réglementation pour les FinTech ?
La question, de prime abord, peut sembler curieuse. Elle sous-entend déjà que les FinTech doivent être régulées. Ce qui en soi est déjà une question. Mais elle conduit ensuite à s’interroger sur le mode de régulation à appliquer à ces nouveaux acteurs de la finance.
Tout d’abord, les FinTech doivent-elles être régulées ? La réponse dépend bien sûr des activités exercées.
Autrement dit, ce n’est pas le fait d’être une FinTech qui conduit ou non à se voir appliquer une régulation ou une autre. D’abord parce que le mot FinTech est déjà par lui-même chargé de différents sens et ambigu. Si l’on s’en tient à la définition de l’Association France Fintech, les entreprises répondant à ce qualificatif doivent utiliser « des modèles opérationnels, technologiques ou économiques innovants et disruptifs, visant à traiter des problématiques existantes ou émergentes de l’industrie des services financiers ».
Comme on le voit, il ne s’agit pas forcément de start-ups, pas plus que de sociétés sur des segments d’activités nouvelles ; ce qui distingue une FinTech d’une autre entreprise traditionnelle du secteur financier, c’est d’une part son mode de fonctionnement interne où les collaborateurs adoptent et utilisent en priorité les pratiques collaboratives et sociales issues de la sphère privée, et d’autre part l’utilisation des canaux numériques et des technologies digitales qui modifient en profondeur la relation client et le mode d’acquisition de la clientèle. (Nous soulignons.)

Dans la première partie du texte, l’auteur se conçoit comme un tiers acteur dont la mise en scène vise à interroger la validité d’une régulation des fintech. Sa compétence discursive lui permet de manipuler des procédés d’ordre énonciatif, narratif et explicatif qui sont des modes d’organisation du discours. Il utilise pour cela nombre de modalisateurs, pour échafauder son argumentation et développer ses propres modes de pensée, sous forme de verbes et de locutions adverbiales (de prime abord/tout d’abord/mais/autrement dit/sous-entend, ce qui en soi, si l’on s’en tient à, c’est-à-dire, comme on le voit). L’étudiant peut être invité à expliquer la présence de tel ou tel connecteur logique dans le texte et vérifier si la langue cible emploiera les mêmes connecteurs ou les distribuera autrement.

Ces connecteurs permettent à l’auteur d’interpeller son lecteur quant à la nécessité ou non de réguler et feignent de mettre en doute ses propres certitudes, en reposant la même question : « Tout d’abord, les FinTech doivent-elles être régulées ? » Le terme « FinTech » n’est pas en position centrale, l’auteur n’annonce pas d’abord sa signification, mais il construit son argumentation par paliers et emboîtements, cherchant à persuader son lecteur de la justesse de son raisonnement. Dans un deuxième temps, il s’appuie sur une autorité du marché « l’Association France Fintech » pour donner au terme une expansion définitoire qui oscille entre un souci didactique de simplification et un déploiement qui reste parfois très technique.

Par la suite, le terme se déploie au sein d’un tourbillon explicatif et l’auteur donne peu à peu sa définition : « La FinTech ne désigne pas seulement des petites entreprises (start-up et PME) qui fournissent des services financiers grâce à des solutions innovantes. Mais elle utilise des technologies digitales qui modifient profondément la relation avec la clientèle. »

Ici, l’auteur fait entendre, indirectement, sa voix d’expert qu’il confronte indirectement à celle du régulateur qui octroie ou non l’agrément de tester les nouveaux produits. Le traducteur doit pouvoir rendre cette forme de prise en charge du dire qui s’appuie sur des faits extratextuels, qui ont pour vocation de présenter des éléments à l’appui d’une argumentation ou d’une assertion, doublée ici d’une dimension rhétorique.

Dans un deuxième passage, l’auteur définit à sa manière la notion de « bac à sable ».

On retrouve ce débat dans le mode opératoire des régulateurs. De ce point de vue, deux approches au moins sont possibles. La première, que nous appellerons britannique, est celle dite du « bac à sable » (ou Sandbox), et la deuxième, française, est celle dite de l’« accompagnement ».
La première approche a été formellement mise en place par la Financial Conduct Authority (FCA) en Grande-Bretagne. Il s’agit d’offrir un cadre réglementaire adapté facilitant le déploiement rapide d’un concept innovant, dans des conditions réelles, mais sur un périmètre réduit (auprès d’un nombre limité de clients, par exemple). L’objectif est de permettre aux FinTech de tester de nouvelles idées sans devoir rentrer immédiatement dans le cadre réglementaire auquel correspond l’activité exercée. Il s’agit, en quelque sorte, de voir dans quelle mesure le projet envisagé est viable. C’est ce que l’on appelle la « proof of concept ».
Ce principe du « bac à sable » (un endroit où les enfants peuvent jouer tranquillement) ne concerne pas uniquement les start-ups. (…) Pour rentrer dans ce « bac à sable », il faut en demander l’autorisation à la FCA, en formulant une demande. Le « bac à sable » ne peut concerner que des concepts dont le caractère innovant et l’apport de valeur aux consommateurs doivent être démontrés. (Nous soulignons.)

Dans ce passage, on retrouve toutes les notions gravitant autour du « bac à sable » déjà examinées avec les étudiants dans les extraits de corpus précédents en français et en arabe, à savoir le dispositif d’expérimentation réglementaire qui octroie des autorisations aux entreprises pour tester leurs solutions innovantes, et qui est représenté ici par l’instance de régulation britannique du secteur financier (FCA), opposée dans ses méthodes à l’instance de régulation française (ACPR). Les éléments du texte nous aident à comprendre que le régulateur britannique applique aux fintech un cadre réglementaire plus souple afin d’observer leur développement. Il ne s’agit pas d’une exemption réglementaire totale, mais d’un accompagnement réglementaire accordé à des fintech, sur un axe de temps donné. Le texte rappelle au passage qu’au sens propre, un bac à sable est un lieu où les enfants peuvent jouer, à un niveau de risque limité.

Une rapide recherche documentaire nous éclaire sur l’approche britannique. Ainsi, au Royaume-Uni, un porteur de projet peut formuler une demande d’autorisation à la FCA pour intégrer le bac à sable. La FCA sélectionne ensuite les porteurs de projets selon ses propres critères et leur permet d’intégrer le bac à sable. Ces acteurs porteurs de projets pourront alors bénéficier d’un accompagnement de la part de la FCA pour développer/tester tranquillement leurs produits/services. L’approche française, quant à elle, est celle de l’accompagnement ; elle prône la réglementation pour tous (pas de régime de faveur). Elle oriente les porteurs de projets dans le choix du statut le plus pertinent, et assure un suivi de leurs démarches durant la phase d’obtention d’agrément ou d’autorisation.

On remarque aussi l’emploi de 2 anglicismes : le premier « sandbox » mis entre parenthèses et précédé de « ou » sert à la fois à éclairer et à tracer la démarcation entre le terme français et le correspondant anglais. La formulation « celle dite » du bac à sable annonce implicitement que les deux approches anglaise et française ne se recoupent pas.

Le deuxième anglicisme sous la forme d’une locution « proof of concept », auquel est assignée la marque du féminin et signifiant la démonstration de faisabilité, relève de la fonction communicative et désigne la façon dont certains locuteurs modifient leur langue pour se conformer au modèle prestigieux de l’anglais. L’objectif étant de donner plus de fiabilité à ce qu’ils avancent. Or, cet emploi n’apporte rien au sens puisqu’il vient doubler celui de la viabilité du projet énoncé plus haut. De plus, sur le plan traductionnel, ce n’est pas un élément pertinent à retenir puisque son absence n’aboutirait pas à un écart entre les effets produits sur les récepteurs de l’original et ceux produits sur les récepteurs de la traduction.

5. Conclusion

La prospection d’un domaine nouveau en finance a permis de constater l’importance du choix des textes dans l’objectif d’appréhender les notions nouvelles et le vocabulaire complexe, spécifique, rempli de néologismes qui évoluent sans cesse. Les textes étudiés nous ont permis de constater le degré de « néologicité » selon les langues et les genres de discours. Enfin, l’idiolecte d’un spécialiste peut aussi nous interpeller, par le biais de ses dimensions énonciatives, stylistiques, pragmatiques et esthétiques.

Apprendre en classe de traduction est rarement le produit d’une simple transmission. C’est surtout le résultat d’un processus de transformation, des questions, des idées initiales, des façons de raisonner habituelles.

Traduire est alors le processus de médiation culturelle et de vulgarisation que le traducteur engage pour expliquer et faire comprendre les complexités du monde de la finance au lecteur non initié. Une manière d’y parvenir est de procéder à une recherche documentaire idoine qui permet de découvrir la capacité des auteurs à mettre à la disposition des contextes variés qui prennent en compte le point de vue que le sujet parlant veut mettre en avant, ainsi que les connaissances et la spécialisation de l’émetteur. Les choix conscients ou inconscients de celui-ci dans la façon de nommer les actions et les acteurs, et dans celle de représenter le discours des autres sont autant d’éléments dont il faut tenir compte en traduction. Par ailleurs, la question de la variation dénominative des termes fait référence aux diverses manières de désigner un concept. Celui-ci se lexicalise de façon différente selon son adéquation à une situation de communication. Le recours aux métaphores conceptuelles pour la création néologique est aussi une caractéristique des langues en présence. Nous avons pu observer que le vocabulaire technique de la fintech s’est développé dans un milieu de langue anglaise. La terminologie dans les langues française et arabe a donc dû s’intéresser à la traduction directe de ces concepts, dans le but de proposer des solutions néologiques et se renouveler par la même occasion. Cette fertilisation des langues touche aussi le mode d’énonciation et donc la phraséologie accompagnant ces notions.

Cette manière d’apprivoiser la traduction financière a mis l’accent sur l’aptitude à la synthèse d’un sujet spécialisé à l’intention de non-spécialistes et sur la nécessité de recourir à des ressources textuelles pertinentes et fiables qui nous aident souvent à cerner les concepts, à mettre en évidence certaines différences terminologiques qui découlent parfois des diverses perceptions et mises en mots. Parions que sur le plan terminologique, la diffusion des produits fintech verra leur commercialisation dans les langues nationales des consommateurs, comme le dit très bien Michael Cronin (2003) en affichant clairement l’enjeu, « no translation, no product ».

Si les outils gratuits de traduction neuronale comme Google Translate ou DeepL facilitent la production et la diffusion de contenus dans de nombreuses langues, on observe toutefois une érosion de la diversité linguistique, car ces outils tendent à homogénéiser les expressions (Larsonneur 2021). La déperdition est notable pour les métaphores, les mots rares et les néologismes, alors que la traduction, selon Ballard (2009), est ouverte aux variantes, à la subjectivité et au rôle du contexte. En effet, la cheville ouvrière de la traduction est l’individu, et il est capital d’intégrer sa présence à chaque étape de la traduction.

La plus-value des traducteurs résiderait alors dans leur compétence rédactionnelle adaptée à tous les types de documents et s’appuyant sur les compétences fondamentales, à savoir une bonne maîtrise des langues, un bagage cognitif étendu, une utilisation appropriée des outils de recherche, une vigilance à toute épreuve vis-à-vis des solutions offertes par une traduction neuronale, une curiosité accrue et la capacité à se remettre en cause.