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L’ouvrage collectif « Global Outsourcing and Offshoring », réalisé sous la direction de quatre chercheurs de grande renommée dans le domaine du Management international, est une compilation d’articles présentés au cours d’une conférence qui s’est déroulée en avril 2008 à l’Université de Bocconi à Milan. Il présente deux transformations récentes de l’organisation des entreprises au niveau international : l’externalisation (outsourcing) et la délocalisation (offshoring). L’externalisation est définie par les auteurs comme une restructuration organisationnelle, par laquelle une entreprise externalise contractuellement une fonction auprès d’un prestataire situé dans son pays d’origine ou à l’étranger. La délocalisation consiste en un déplacement géographique d’une activité vers un autre pays, celle-ci pouvant être réalisée par une filiale de l’entreprise ou par un prestataire étranger. L’ouvrage met l’accent sur l’externalisation ou la délocalisation des fonctions à haute valeur ajoutée, qui constituent la tendance la plus marquante des changements organisationnels des entreprises ces dernières années. Cette évolution soulève toutefois des questions dans la mesure où elle ébranle un consensus actuel en stratégie, selon lequel la compétitivité des entreprises repose sur leurs noyaux de connaissances et leurs actifs spécifiques. Le transfert de ces actifs clés vers des prestataires et/ou à l’étranger rend les entreprises vulnérables aux fuites technologiques, au piratage de la propriété intellectuelle et au risque d’interruption de la chaîne globale de valeur. Dans ce contexte, cet ouvrage vise à répondre à une question centrale en management international : quelle est la configuration organisationnelle et géographique optimale des activités d’une entreprise ?

L’ouvrage est divisé en quatre sections et 16 chapitres. La première section porte sur le cadre conceptuel et les développements théoriques récents, et met en exergue les motivations stratégiques et les facteurs limitant l’externalisation et la délocalisation. Dans le premier chapitre (« Global outsourcing and offshoring »), les coordinateurs de l’ouvrage identifient six choix organisationnels et spatiaux disponibles pour chaque étape de la chaîne de valeur. D’un point de vue spatial, les activités peuvent être menées dans le pays d’origine ou à l’étranger alors que d’un point de vue organisationnel les activités peuvent être menées en interne, dans un cadre coopératif ou externalisées. Le choix organisationnel pour chaque micro-fonction de l’entreprise sera déterminé par des facteurs incitatifs ou restrictifs. Dans le cas des fonctions à forte valeur ajoutée, les facteurs incitatifs sont la réduction des salaires et des coûts, le manque de créativité interne de l’entreprise, la demande et l’offre de personnel scientifique, les clusters de connaissance dans les pays émergents, l’importance croissante des marchés émergents, la vitesse croissante des activités de développement, le nombre croissant d’applications finales de certaines technologies, la déconstruction, la routinisation et la codification croissante des fonctions à haute valeur ajoutée, la recherche de flexibilité, l’expérience et les économies d’échelle des prestataires externes. En contrepartie, un certain nombre de facteurs peuvent limiter l’externalisation ou la délocalisation : la difficulté d’externaliser efficacement les connaissances tacites ou intégrées, le fait que les coûts de l’intégration verticale aient été supportés dans le passé mais que les bénéfices persistent dans le futur, les risques liés aux délais et au phénomène de hold-up, la croissance des salaires et des coûts dans les pays étrangers, la crainte de détournement des connaissances au profit de concurrents, les inefficacités liées à la séparation géographique, les questions de certification et de qualité, les coûts de transaction, les questions de sécurité et de confidentialité des données, la xénophobie et le protectionnisme des économies avancées, l’érosion de la compétitivité des prestataires externes de services. Face à ces contraintes, des formes organisationnelles hybrides basées sur la coopération, telles que les alliances, constituent une alternative avantageuse pour les entreprises. Le deuxième chapitre, « Globalization of R&D », co-écrit par A. Bardhan et D. Jaffee, présente les résultats d’une enquête sur la délocalisation des activités de R&D de 48 entreprises technologiques californiennes. Les auteurs montrent, sans surprise, que ce sont essentiellement les grandes entreprises qui délocalisent les fonctions de R&D et principalement auprès de filiales étrangères. En revanche, les plus petites entreprises sont les plus innovantes et réalisent leurs activités de R&D principalement aux Etats-Unis, les innovations majeures nécessitant une incubation et un développement géographiquement proches du marché potentiel le plus important. De plus, les auteurs montrent que les entreprises attachent de plus en plus d’importance au rapport coût-efficacité des dépenses de R&D, ce qui les conduit à externaliser et délocaliser davantage afin de réduire les coûts et de bénéficier d’un accès à des compétences supérieures en termes de R&D. Ces évolutions ont des conséquences importantes en termes de management des équipes, notamment dans les pays émergents. Dans le troisième chapitre, « A theory of outsourcing », D. Luvison et M. Bendixen identifient trois paradoxes de l’externalisation. Premièrement, la réduction des opérations menées au sein de l’entreprise s’accompagne d’une complexité managériale accrue. Deuxièmement, l’externalisation permet une efficacité accrue mais contraint les entreprises à acquérir de nouvelles connaissances ou compétences, transversales et/ou inter-organisationnelles. Troisièmement, l’externalisation peut simultanément accroître la compétitivité des entreprises mais également réduire ses capacités futures à évoluer dans un environnement concurrentiel. L’entreprise qui s’externalise doit ainsi faire face à un certain nombre de défis dans les domaines du leadership, de l’apprentissage ou du management du risque.

La deuxième section traite de manière spécifique des mutations organisationnelles et géographiques de la R&D et des activités innovantes, habituellement considérées comme l’actif spécifique clé. Dans le chapitre 4, « Blurring firm R&D boundaries », A. Martinez-Noya et E. Garcia-Canal montrent, en intégrant les théories basées sur la connaissance (knowledge based view) et sur les relations (relational based view) à la théorie des coûts de transaction, que l’élément déterminant de l’externalisation de la R&D dans les pays émergents est l’intensité en travail de l’activité externalisée et le degré de connaissance spécifique nécessaire à la réalisation de cette activité. Dans le chapitre 5, « Outsourcing, fragmentation and integration », J. Kapler et K. Puhala montrent que l’industrie pharmaceutique a connu une période de transition faite d’expériences et d’erreurs qui a abouti à une grande variété organisationnelle, caractérisée par des fusions, des alliances, l’externalisation et la délocalisation des activités de R&D. Dans le chapitre 6, « Towards a better understanding of multinational enterprises’ R&D location choices », A. Colovic s’interroge sur la façon dont les caractéristiques des pays et des régions hôtes affectent les décisions de localisation des activités de R&D des firmes multinationales. A partir de trois sources de preuve, revue de littérature, entretien d’experts et enquête auprès de praticiens de la R&D, l’auteur identifie trente-deux facteurs déterminants, dont sept sont cruciaux. Il s’agit de l’existence de centres d’excellence, de la qualité de la main d’oeuvre scientifique, de la présence d’équipes de recherche à proximité, de la présence de centres de recherche renommés, des coûts de la R&D, de l’attractivité du marché et de la coopération entreprises-universités. L. Piscitello et G. Santangello s’interrogent dans le chapitre 7, « Does R&D offshoring displace or strengthen knowledge production at home? Evidence form OECD countries », sur l’effet de la délocalisation des activités de R&D dans les économies émergentes sur la création de connaissances des pays d’origine des investissements. Les résultats de l’étude empirique montrent que l’externalisation à l’étranger des activités de R&D a un impact positif sur la production de connaissance dans le pays d’origine des investissements. S. Alguezaui et R. Filieri s’intéressent, dans le chapitre 8, « Innovation across tech-firms boundaries », aux mutations récentes des frontières de l’entreprise et conceptualisent un nouveau modèle, « l’entreprise étendue » (extended enterprise). Celle-ci est définie comme un ensemble de ressources dispersées et indépendantes, de capacités dynamiques et de relations, suivant une stratégie gagnant-gagnant dans leurs interactions avec des acteurs nouveaux et différents, des organisations et des industries. La stratégie principale de l’entreprise étendue est de se concentrer sur le développement de nouveaux produits, source principale de son avantage concurrentiel. Dans le chapitre 9, « Suitable organization forms for knowledge management at various R&D functions in decentralized and cooperative R&D networks », H. Chen s’interroge sur les facteurs clés de succès des réseaux de R&D décentralisés et coopératifs et sur les formes organisationnelles les plus appropriées pour le management des connaissances au sein des différentes activités de R&D. A partir d’un processus réticulaire analytique (analytic network process) l’auteur montre théoriquement l’importance de la diversité des formes organisationnelles pour les différents types d’activités de R&D.

La troisième section de l’ouvrage étudie les comportements organisationnels et les politiques mis en oeuvre dans les équipes de travail virtuelles, l’externalisation et la délocalisation conduisant à une séparation géographique et chronologique des collaborateurs. Dans le chapitre 10, « Changing work practices », E. Mattarelli et M. Tagliaventi s’appuient sur une enquête qualitative auprès de deux entreprises italiennes de logiciels ayant délocalisé leurs activités de R&D en Inde et en Tunisie. Les auteurs montrent que le travail virtuel est d’autant mieux accepté que les pratiques de travail virtuel et conventionnel sont intégrées, que les activités délocalisées sont intégrées dans le flux de travail et non pas perçues comme perturbatrices et enfin que les identités professionnelles et les compétences sont perçues comme différentes selon les localisations mais que les collaborateurs partagent une culture d’entreprise commune. Le chapitre 11, « Managing globally disaggregated teams » de S. Ansari et alii, porte également sur le management d’équipes dispersées. Les auteurs soulignent la nécessité de tenir compte du fait que le partage des connaissances au sein d’organisations dispersées n’est pas naturel, il existe des résistances, des luttes de pouvoir, des conflits. Une politique organisationnelle visant la cohérence interne de la logique d’action et des comportements est indispensable.

La dernière section de l’ouvrage comprend des exemples et des études de cas sur des industries ou des activités particulières. N. Kshetri et N. Dholakia s’intéressent dans le chapitre 12 (« Offshoring of high-value functions ») aux services de transcription médicale délocalisés des Etats-Unis vers l’Inde. Les auteurs montrent qu’au-delà du facteur coût du travail, des facteurs non liés aux coûts, tels que l’éthique des employés, les liens basés sur les réseaux, et les externalités positives des autres secteurs constituent des déterminants importants de la délocalisation des services de transcription médicale en Inde. Dans le chapitre 13 (« Offshoring of IT and business, professional, and technical services »), T. Norman et M. Zaidi s’intéressent empiriquement aux déterminants des exportations de services vers les Etats-Unis. Ils montrent à partir de données de panel que la distance et le coût du travail affectent négativement les échanges de service mais que l’utilisation de l’anglais comme première langue et le niveau d’accès à internet affectent positivement les échanges. Dans le chapitre 14, « Outsourcing human resource activities », T. Norman s’interroge sur les conséquences négatives possibles de l’externalisation des ressources humaines. Le traitement statistique d’une enquête menée auprès de 294 entreprises de différents secteurs montre qu’effectivement l’externalisation a des effets négatifs sur la rétention des employés, la satisfaction des employés et celle des consommateurs. Le chapitre 15 (« Managing core outsourcing to adress fast market growth ») de R. Subramanyam présente le cas d’un prestataire indien de services de téléphonie mobile. L’auteur met en avant la complexité des relations avec le client en termes de rapports de force, de différences culturelles, et il met en exergue le rôle crucial des managers assurant l’interface entre le prestataire et le client. Dans le dernier chapitre (« Imitative offshoring strategies »), G. Lojacono et O. Annushkina s’attachent à comprendre les motivations, l’organisation et les conséquences des délocalisations dans le secteur électroménager italien à partir de cinq études de cas. Dans tous les cas ce sont les activités à faible valeur ajoutée qui ont été délocalisées et le facteur coût a été déterminant dans la décision de délocalisation. Un élément intéressant est que la délocalisation de ces activités a eu un impact négatif sur les activités à plus forte valeur ajoutée et notamment sur la capacité des entreprises à innover.

En définitive, en abordant les processus d’externalisation et de délocalisation sous plusieurs aspects, cet ouvrage met en exergue la multi-dimensionnalité des mutations en cours. Il permet également d’ouvrir de vastes perspectives de recherche dans ce domaine, à la fois théoriques et empiriques. En effet, il apparaît que les théories traditionnelles de la stratégie, théorie des coûts de transaction ou théorie des ressources par exemple, expliquent difficilement les mutations en cours et que des développements théoriques sont nécessaires pour une meilleure compréhension de ces évolutions. L’intégration des théories explicatives des échanges internationaux dans les théories traditionnelles pourrait par exemple constituer une piste intéressante. Du point de vue empirique, l’ouvrage montre l’importance de la diversité des approches – études de cas, études qualitatives et quantitatives – mais aussi des terrains d’étude – la plupart des travaux portent sur des entreprises américaines – pour bien comprendre les changements en cours. Par ailleurs, l’ouvrage fait clairement apparaître que ces mutations dépassent le simple cadre des stratégies internationales des entreprises, elles questionnent les chercheurs sur la gestion de ressources humaines multiculturelles et dispersées, sur les capacités des entreprises à générer des connaissances ou encore sur la protection des actifs intangibles.