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L’identification du salarié à l’organisation établit un pont entre l’individu et l’organisation (Albert, 1998) et oriente fortement l’engagement organisationnel du salarié (Morrow, 1983; Ashforth & Mael, 1989; Meyer & Herscovitch, 2001). L’identification joue un rôle moteur dans l’intention d’action du salarié au profit de l’organisation en renforçant l’engagement organisationnel (Morrow, 1983; Ashforth & Mael, 1989). L’identification négative (Elsbach & Bhattacharya, 2001) amène des logiques de résistance, notamment déclenchées par une volonté de défendre une identité menacée (Collinson, 1992), qui conduisent le salarié à ne plus agir au profit de l’organisation (Piderit, 2000). La littérature fait donc apparaître une liaison positive entre l’identification et l’engagement organisationnel. Mais cette conception ne prend pas en compte l’articulation entre les composantes cognitives et émotionnelles de l’identification (Rousseau, 1998) ainsi que les contradictions éventuelles entre les différents niveaux d’identification. La prise en compte de ces éléments nous conduit à intégrer une possible fragmentation de l’identification de l’individu, pour en explorer les conséquences en termes d’intention d’action vis-à-vis de l’organisation. La fragmentation d’identification repose sur le concept de fragmentation identitaire développé par Hatch & Schultz (2000) à propos des identités en opposition du salarié qui propose qu’un même objet puisse générer des identifications opposées conduisant à une identification ambivalente ou schizoïde (Elsbach, 1999). L’impact d’une telle fragmentation identitaire sur les intentions d’action des individus vis-à-vis de l’organisation est encore inexploré et pose la question d’une possible ambivalence de l’individu dans ses intentions d’action vis-à-vis de l’organisation.

Nous cherchons à comprendre quelles sont les dynamiques qui agissent et qui amènent l’individu à un engagement organisationnel, à une résistance à l’organisation ou à une combinaison de ces deux attitudes, en particulier pour des individus dont l’identification à l’organisation est fragmentée. Nous étudions le cas d’un discours identitaire radicalement nouveau, celui introduit au cours d’un changement de marque dans une entreprise française de télécoms. Nous explorons la question de recherche sur l’identité avec une démarche qualitative qui s’appuie sur des entretiens centrés semi-directifs.

De l’identification à l’intention d’action

Ashforth & Mael (1989) définissent l’identification du salarié à son organisation comme une perception d’unité et d’appartenance du salarié à son organisation. Cette perception repose sur le fait que les membres de l’organisation vont se définir en utilisant les mêmes caractéristiques que celles qu’ils utilisent pour définir l’organisation (Dutton & al., 1994). L’identification prend toute son importance pour le salarié dans un contexte où les identités au travail sont clé pour la construction identitaire de l’individu (Sainsaulieu, 1977) mais où le salarié doit en même temps savoir établir une distance (Goffman, 1973; Commeiras & al., 2009). L’attention croissante portée à l’identification organisationnelle s’explique par la recherche d’un engagement organisationnel de la part des salariés (Ashforth & Mael, 1989; Roe & al., 2009) alors que le salarié est confronté à de nouvelles dynamiques identitaires et de nouveaux modèles identitaires (Francfort & al., 1995). Le débat portant sur la distinction des deux concepts d’identification organisationnelle et d’engagement organisationnel du salarié n’est certainement pas clos (O’Reilly & Chatman, 1986; Pratt, 1998; Riketta, 2005; Herrbach, 2006). Mais cet article repose sur une distinction théorique (Mael & Tetrick, 1992; Pratt, 1998; van Dick & al., 2004) et empirique (Riketta, 2005) entre les deux concepts. En effet, l’engagement organisationnel est présenté par de nombreuses recherches comme une conséquence directe de l’identification (Morrow, 1983; Ashforth & Mael, 1989 et 1995; Meyer & Herscovitch, 2001; van Dick & al., 2004). Dans cette perspective, le salarié identifié va vouloir agir librement et consciemment dans l’intérêt de l’organisation (Dutton & al., 1994; Mael & Ashforth, 1995). C’est l’obtention de cette conséquence sur l’attitude que recherchent de nombreuses organisations en stimulant l’identification de leurs salariés. L’engagement organisationnel est défini comme un concept multidimensionnel (Reichers, 1985) dont la composante affective est la plus en rapport avec l’identification (Allen & Meyer, 1996). L’engagement organisationnel affectif regroupe trois composantes (Mowday & al., 1979) : la volonté d’agir au profit de l’organisation, une forte croyance dans les buts et valeurs de l’organisation et la volonté d’en rester membre.

Si l’identification positive du salarié à son organisation favorise son engagement organisationnel (Morrow, 1983; Ashforth & Mael, 1989), la recherche sur l’identification a exploré d’autres formes d’identification. L’identification négative, connexion négative entre l’individu et son organisation (Elsbach, 1999), n’est pas le simple contraire de l’identification positive (Kreiner & Ashforth, 2004). En effet, l’identification positive se centre sur les similitudes et l’identification négative sur les différences (Dukerich & al., 1998); elles peuvent donc être combinées. L’identification ambivalente ou schizoïde (Elsbach, 1999) se définit ainsi comme l’existence simultanée d’une connexion positive et d’une connexion négative entre l’individu et son organisation : elle traduit une fragmentation identitaire (Hatch & Schultz 2000) et combine une identification positive et négative (Dukerich & al., 1998; Kreiner & Ashforth, 2004). L’identification neutre (Elsbach, 1999) correspond à l’absence d’une connexion entre le salarié et son organisation (Dukerich & al., 1998).

De même que l’identification peut être négative, l’attitude du salarié vis-à-vis de l’organisation peut être la résistance. La résistance couvre diverses situations d’opposition, qu’il s’agisse d’une opposition à l’organisation ou d’une opposition en défense d’une identité qui a davantage de valeur pour le salarié (Mumby, 2005). Elle n’équivaut pas à une absence d’engagement organisationnel : elle a largement été associée à la défense d’identités menacées (Collinson, 1992; Francfort & al., 1995; Ezzamel & al., 2001; Sainsaulieu, 2001; Barth & al., 2009) ou à une identification négative du salarié à l’organisation (Elsbach, 1999). On peut la définir par symétrie avec l’engagement organisationnel par un rejet des valeurs et buts de l’organisation, par la volonté de ne pas agir au profit de l’organisation ainsi que par l’absence de désir d’en rester membre. La résistance peut également se traduire selon les approches récemment développées non par une opposition ouverte mais par des formes plus subtiles et intériorisées : humour et distanciation par exemple (Fleming & Spicer, 2008).

La liaison traditionnelle positive entre identification et engagement a été complétée, sur la base de ces apports, en mettant d’abord en évidence une identification négative du salarié à son organisation associée à un engagement organisationnel négatif du salarié (Dukerich & al., 1998; Elsbach & Bhattacharya, 2001) mais aussi une identification neutre du salarié combinée à une absence d’engagement organisationnel (Kreiner & Ashforth, 2004). Ces trois liaisons établies entre l’identification à l’organisation du salarié et son engagement organisationnel ne permettent pas toutefois de couvrir la diversité des relations vécues par le salarié avec son organisation. Des auteurs comme Merton (1976), Lifton (1993) et plus récemment Kreiner & Ashforth (2004) ont pourtant ouvert sur des réponses non manichéennes. Merton (1976) a insisté sur une possible paralysie d’engagement de l’individu face à la tension ressentie entre deux forces contradictoires. Lifton (1993) a proposé la résilience comme moteur de l’engagement raisonné de l’individu qui face à des logiques contradictoires ou des identités opposées, doit s’adapter en dépit de la tension ressentie. Kreiner & Ashforth (2004) ont de leur côté proposé que l’ambivalence résulte de la coexistence d’identifications fortement perçues par l’individu. Les liaisons entre identification et intention d’action développées dans la littérature négligent deux aspects importants de l’identification : l’existence des composantes cognitive et émotionnelle et la multiplicité des niveaux structurels d’identification. Ces deux aspects peuvent conduire à une fragmentation d’identification et déboucher sur une ambivalence dans l’attitude de l’individu.

La composante cognitive a souvent été la seule mobilisée dans l’approche de l’identification organisationnelle. Ainsi les définitions proposées par Ashforth & Mael (1989) et Dutton & al. (1994) reposent exclusivement sur cette composante cognitive. Tajfel a bien mis en avant dans son approche de l’identité sociale une valeur émotionnelle d’appartenance au groupe (Tajfel, 1981) mais son apport n’a pas été repris par la suite dans les définitions de l’identification (Ashforth & Mael, 1989). Pourtant Rousseau (1998) fait l’hypothèse que les émotions[1] peuvent également déclencher l’identification du salarié dans une situation de travail donnée et certains auteurs (Dumont & al., 2003; Oliver & Roos, 2003) mettent en avant les émotions dans le cadre d’une identification collective, au sein d’un groupe. Si l’émotion est également perçue comme importante dans l’identification parce qu’elle l’appuie et la renforce (Harquail, 1998), on constate l’absence de recherche en profondeur sur le lien entre le cognitif et l’émotionnel dans l’identification du salarié. Les émotions ouvrent aussi sur une ambivalence (Watson & al., 1999) avec la coexistence chez l’individu d’émotions positives et négatives envers l’organisation, dont Fong & al. (2006) soulignent qu’elles auront des effets multiples sur l’attitude du salarié. Cette dualité entre le cognitif et l’émotion dans l’identification ouvre sur des effets attitudinaux moins manichéens que les trois liaisons citées précédemment qui n’ont pas été étudiés dans la littérature.

Le second aspect de l’identification négligé par les recherches sur la compréhension du lien pour un individu entre identification et engagement est l’existence d’identifications à différents niveaux ayant leurs propres effets et ouvrant là aussi sur des liaisons moins manichéennes que précédemment décrites. Nous avons relevé deux niveaux d’analyse en rapport avec l’identification du salarié au sein de l’organisation (Meyerson & Martin, 1987; Hatch, 2000) : le niveau global de l’organisation et le niveau du groupe d’appartenance du salarié. A ces deux niveaux, on retrouve une articulation entre la composante cognitive et émotionnelle.

Au niveau global, la construction du lien entre le salarié et l’organisation dépend du discours organisationnel (Schultz & al., 2000; Vincent & Deshaies, 2004; Fiol, 2002; Humphreys & Brown, 2002). Le discours organisationnel est entendu dans cet article comme un système d’énoncés cohérent définissant les bonnes façons de se comporter, de penser et de parler dans l’organisation (Philipps & al., 2004). Dans la suite de cet article, nous utiliserons le terme discours officiel en référence au discours porté par le management sur le changement de l’organisation. La mise en avant par les managers des caractéristiques identitaires de l’organisation repose sur une base cognitive (Dutton & al., 1994), intégrant notamment une composante autoréférentielle (Hogg & Terry, 2000). Pourtant, le discours officiel est également conçu pour susciter des émotions et favoriser ainsi les mécanismes d’identification du salarié (Christensen & Cheney, 2000).

Le groupe d’appartenance du salarié est un deuxième niveau d’identification spécifique (Brewer, 2001). Selon la théorie de l’identification sociale, le salarié opère une distinction entre son groupe d’appartenance (ingroup) et le groupe extérieur (outgroup) (Tajfel, 1978). L’identification organisationnelle du salarié peut être directement influencée par la réponse de son groupe d’appartenance, y compris dans des logiques d’opposition à une nouvelle identité proposée par les managers (Sainsaulieu, 1977; Collinson, 1992). Nous utiliserons le terme de discours rival (Boje, 1995) en référence à l’utilisation par les acteurs d’un discours spécifique qui n’est pas aligné sur le discours officiel. La dimension cognitive de l’identification au groupe se traduit par un phénomène de dépersonnalisation (Hogg & Terry, 2000) : l’individu se définit comme le prototype d’un groupe en intégrant les attributs qu’il utilise pour définir le groupe (Hogg & Terry, 2000). Mais la place de l’émotion dans l’identification de groupe est également importante : les liens sociaux sont associés à des émotions positives (Baumeister & Leary, 1995) et le maintien dans le temps d’émotions partagées est une des raisons déterminantes de la formation des groupes (Moreland, 1987).

La complexité des effets d’identification à chaque niveau est renforcée par la prise en compte de la dualité cognitive et émotionnelle de l’identification, dont nous avons vu qu’elle ouvrait sur des effets attitudinaux non manichéens. On doit donc intégrer la possibilité d’effets complexes et potentiellement contradictoires en termes d’intention d’action en faveur de l’organisation ou contre l’organisation, comme ceux mêlant l’identification opposée entre les niveaux (groupes locaux et organisation) et les effets cognitifs et émotionnels de l’identification. Nous ne disposons malheureusement pas d’une compréhension fine de l’interaction de ces différents effets.

Cette recherche contribue à clarifier les effets de la combinaison des dimensions cognitives et émotionnelles dans l’identification et des niveaux d’identification pour mieux comprendre le lien entre identification au discours de l’organisation et intention d’action. Le cadre empirique de cette recherche est celui du changement identitaire mené par un opérateur français de télécommunications.

Méthodologie

Pour étudier les rapports entre le discours de l’organisation sur l’identité, l’identification et l’intention d’action, nous avons fait le choix d’une étude de cas unique construite sur une approche multi-niveaux, correspondant à une démarche exploratoire et inductive (Yin, 1994).

Le changement de marque de France Telecom vers Orange

Notre recherche de cas s’est orientée vers un cas faisant une large place à un changement profond de discours organisationnel, susceptible de déclencher l’identification des membres de l’organisation. Nous avons porté notre choix sur une étude de cas unique permettant une investigation en profondeur (Dyer & Wilkins, 1991). Nous avons aussi porté notre choix sur un changement de marque d’entreprise. Le discours sur la marque d’entreprise peut être entendu comme un composant clé de l’identité de l’organisation (Balmer, 2001; Coumau & al., 2005) et la marque d’entreprise dispose d’une capacité à déclencher l’identification (Aaker, 1996; de Chernatony, 2002). Une explication de cette capacité à déclencher l’identification tient à la variété des composants actionnés par la marque : composants fonctionnels et émotionnels (Harris & de Chernatony, 2001) ainsi que par l’internalisation au moins partielle des valeurs de la marque par l’individu (Pratt, 1998).

Nous avons choisi pour notre recherche une situation de changement de marque d’entreprise, qui se traduit par un changement rapide du discours de l’organisation : le changement des marques de France Télécom en Orange. En 2006, Orange devient la marque globale du groupe, à l’exception de la téléphonie fixe en France qui conserve sa marque d’origine. Avant le changement, Wanadoo était la marque de l’internet en France. Wanadoo, précédemment filiale indépendante, a été réintégrée en 2004 au sein de France Télécom. Les salariés de Wanadoo ont vécu directement le changement de marque de mi 2006. C’est au sein de l’ancienne structure Wanadoo que notre recherche a été menée, plus spécifiquement au sein des équipes responsables de l’internet et des produits fixes, ce qui correspond à un périmètre de 300 personnes.

Collecte des données

Nous avons collecté des données secondaires pour analyser le discours de l’organisation durant la période préparatoire du changement de marque (mi 2005 à mi 2006). Pour cerner le nouveau discours proposé par l’organisation, nous avons utilisé les deux documents auxquels la totalité des membres de l’organisation ont été exposés durant le projet de changement de marque : l’enregistrement du Président de France Telecom annonçant mi 2005 la nouvelle stratégie et le contenu d’une présentation spécifique sur le changement de marque communiqué durant le premier semestre 2006. D’autres données secondaires ont été collectées, comme par exemple les publications des syndicats sur le changement de marque ou encore celles de quotidiens français. La collecte et l’analyse des données secondaires avaient pour but l’aide à la reformulation lors des entretiens mais aussi de favoriser une meilleure compréhension des discours rivaux lors de l’analyse du contenu des entretiens.

Pour capter les représentations des acteurs sur le discours de l’organisation, l’identification et l’intention d’action, nous avons établi une collecte de données primaires par le biais de 38 entretiens centrés semi directifs menés entre mai et juillet 2006. La durée de ces entretiens a été d’une heure à une heure et demie. Les personnes interviewées provenaient de fonctions aussi différentes que l’assistance internet (5 personnes), la communication externe (4 personnes), les équipes de développement du portail et des chaînes (6 personnes), les équipes de développement de l’accès internet (7 personnes), le marketing du produit et des offres (6 personnes), les équipes de lancement commercial des nouvelles offres (5 personnes) et la communication interne (5 personnes). Nous espérions voir émerger des discours rivaux sur une base locale, ce qui justifiait une recherche de personnes interviewées dans des fonctions différentes. L’échantillon de 38 personnes a été largement déterminé par une approche de type échantillonnage intentionnel (Patton, 2002). L’idée dominante est d’y sélectionner les informants sur la base de la pertinence des informations dont ils peuvent disposer. Dans notre recherche, la diffusion et l’appropriation du discours officiel parmi les salariés étaient une variable importante qui ouvrait notamment sur l’existence possible de discours rivaux spécifiques relayés au sein de différents groupes locaux.

Notre approche repose largement sur le recours à l’élaboration théorique au sens de Lee & al. (1999) qui consiste en une recherche d’extension de la théorie par le recours à une étude de cas en s’appuyant sur un cadre conceptuel prédéfini. Ce cadre lie la combinaison des dimensions cognitives et émotionnelles dans l’identification et des niveaux d’identification avec ses effets attitudinaux (engagement et résistance). En accord avec ce cadre, nous avons défini 4 thèmes principaux à couvrir lors de l’entretien. D’abord la reformulation par la personne interviewée du discours organisationnel sur la nouvelle stratégie et la marque Orange; ce thème renvoie à la littérature sur le discours organisationnel et aux discours rivaux. Ensuite le lien d’identification de l’interviewé à la nouvelle marque; ce thème renvoie à la littérature sur l’identification et les mécanismes d’identification. Puis les pratiques de travail en lien avec la nouvelle marque; ce thème renvoie à la littérature sur les pratiques au travail, la création de sens et les mécanismes de l’identification au niveau individuel et au niveau du groupe. Et enfin la formulation des intentions d’action de l’interviewé en lien avec la nouvelle marque; ce thème renvoie à la littérature sur l’engagement organisationnel et la résistance.

Traitement des données

Nous avons conduit l’analyse de contenu en nous appuyant sur les données primaires d’entretiens. Chaque entretien a été intégralement transcrit et codé à l’aide du logiciel Nvivo. Le codage a servi principalement à identifier les thèmes récurrents dans les entretiens. Quatre catégories thématiques principales ont été définies pour réaliser le codage : la signification donnée par l’acteur au discours de l’organisation, la nature cognitive ou émotionnelle de l’identification de l’interviewé, les pratiques managériales locales et les effets de groupe au niveau local et enfin les intentions d’action de l’interviewé – en faveur ou en opposition à l’organisation – en lien avec le discours organisationnel. Le tableau 1 précise la contribution de chaque catégorie de codage à la recherche.

Tableau 1

Contribution de chaque catégorie de codage à la recherche

Contribution de chaque catégorie de codage à la recherche

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La démarche de codage s’est appuyé sur la littérature existante (Lee & al., 1999). Le codage systématique des entretiens a permis d’opérer une saturation pratique (absence d’apparition de nouvelles informations). Des sous-catégories de codage pertinentes ont été construites pour caractériser l’identification (dimension cognitive et émotionnelle dans l’identification : identification émotionnelle et identification cognitive, niveaux de l’identification : identification au niveau de l’organisation, identification au groupe d’appartenance du salarié). Chaque verbatim correspondant aux sous-catégories relatives à l’identification a été codé selon trois possibilités : positif, neutre ou négatif. Par exemple, en termes d’identification cognitive, la connexion qui est établie par ce salarié avec la marque lorsqu’il déclare : [‘Et je me dis : Orange, c’est ma boîte. Là, c’est une grande mutation Donc cela veut dire des valeurs différentes, une organisation différente, une façon de fonctionner différente’ [I17, §43]] nous a amené à évaluer son identification cognitive comme positive. De même, l’absence de connexion cognitive établie par ce salarié avec la marque : [‘C’est compliqué pour moi pour que je me pense Orange. Je ne suis pas salarié de Orange. Ce que je vois de Orange, c’est juste que nos badges ont été rebrandés’ [I38, §23]] nous a amené à évaluer son identification cognitive comme neutre. Chaque verbatim correspondant à l’engagement a été codé selon trois possibilités : engagement, résistance et neutralité. L’utilisation des sous-catégories de codage nous a ensuite permis de positionner chaque interviewé selon 3 caractéristiques relatives à son identification (opposition multi-niveaux dans l’identification, ambivalence émotionnelle dans l’identification, opposition des dimensions cognitive et émotionnelle dans l’identification) et une quatrième relative à son engagement (neutralité ou ambivalence d’engagement). Les trois premières caractéristiques ont été évaluées soit forte soit non significative. Ces traitements opérés sur les données ont été utilisés pour construire les profils qui sont décrits dans la dernière section des résultats. Un double codage entre auteurs a d’autre part été réalisé pour vérifier la cohérence du travail de codage fait et les points de désaccord ont été discutés et traités, permettant ainsi de clarifier certains concepts utilisés dans le codage.

La dernière section des Résultats présente trois profils différents de salariés dans leur relation entre l’identification organisationnelle et l’engagement organisationnel. Ces profils sont établis sur la base d’une approche configurationnelle (Meyer & al., 1993), qui met en avant l’existence dans les organisations de ‘constellations multidimensionnelles de caractéristiques distinctes’ (Meyer & al., 1993, p. 1175) qui se retrouvent ensemble. Ils s’inspirent de l’approche wébérienne de l’idéal-type qui définit l’idéal-type comme une image de la réalité, simplifiée pour permettre d’établir des comparaisons et qui reposent notamment sur la mise en évidence des traits les plus spécifiques (Weber, 1992). On se retrouve de fait avec un nombre limité de types cohérents qui peuvent être identifiés de façon empirique. Dans les profils présentés, nous avons retenu quatre caractéristiques distinctes : l’opposition multi-niveaux dans l’identification, l’ambivalence émotionnelle dans l’identification, l’opposition entre les dimensions cognitive et émotionnelle dans l’identification et enfin la nature de l’engagement organisationnel du salarié.

Résultats

L’identification du salarié peut apparaître à trois niveaux qui interagissent potentiellement entre eux. Pour certains individus, l’identification aux différents niveaux opère en sens opposé; chez d’autres, les dimensions cognitives et émotionnelles agissent en sens opposé. On a alors pour ces individus une fragmentation d’identification. Ces fragmentations d’identification correspondent à des profils particuliers.

Les trois niveaux d’identification

L’identification du salarié peut apparaître à trois niveaux : au niveau global de l’organisation par l’appropriation directe du discours organisationnel, au niveau du groupe de référence mais aussi par une identification située reposant sur une analyse critique individuelle.

L’appropriation directe du discours de l’organisation

L’appropriation directe du discours correspond à un effet presque sans questionnement du discours sur l’individu. Cette appropriation s’entend à la fois dans le sens d’une adoption non questionnée du discours mais aussi dans le sens d’un rejet immédiat du discours. Nous établissons une distinction entre compréhension du discours et appropriation directe du discours. 31 personnes sur les 38 interviewées rendaient compte d’une appropriation non questionnée. Ce mécanisme d’identification dispose d’une composante cognitive que l’on voit exprimée avec le propos de ce salarié sur l’intérêt des approches convergentes vis-à-vis du client : “La principale raison du changement de marque, c’est de se dire vis-à-vis du client, il faut qu’il cesse de payer à trois émetteurs différents et d’avoir des interlocuteurs différents alors que finalement c’est la même entreprise derrière. C’est vrai que c’est un peu stupide. Autant avoir un émetteur unique, un site d’information unique, une facture unique. Je trouve ça très bien.” [I5, §35]. Mais cet effet non questionné manifeste aussi par une approbation ou un rejet du discours qui est souvent très émotionnel de la part de la personne. Les propos de ce salarié qui rejette le discours, illustrent ce point : “Je viens de recevoir l’information sur le rebranding et je pourrais la transmettre et la communiquer aux autres. Mais je ne le ferai pas. Je ne peux pas le faire. C’est … (silences)… émotionnel. Nous nous sentons trahis par ce qui se passe [avec le changement de marque].” [I10, §68]. Cette position trouve son inverse avec cette salariée qui souscrit émotionnellement et sans questionnement au discours quand elle déclare : “Orange est une marque merveilleuse. J’ai vu les publicités à la télévision et dans les magazines. J’ai toujours aimé la marque.” [I5, §5].

L’identification au groupe d’appartenance

Le process d’identification au groupe d’appartenance est un niveau intermédiaire d’identification qui produit et s’appuie sur ses propres discours. Certains de ces discours sont en opposition avec le discours de l’organisation. Nos résultats soulignent que les groupes qui se sont révélés pertinents en termes de construction identitaire étaient des groupes de personnes proches du salarié : généralement les collègues du même étage ou les collègues du même projet. De tels groupes ont été identifiés par exemple au sein du service d’assistance en ligne, au sein du service Produits et Offres ou encore de la communication interne. Nous avons trouvé que 19 personnes parmi les 38 interviewées exprimaient une identification avec un groupe d’appartenance ayant un impact sur l’identification vis-à-vis du discours organisationnel. L’identification au groupe d’appartenance est importante : les questions identitaires sont discutées au niveau du groupe qui joue un rôle de consolidation des positions identitaires individuelles. Les salariés échangent naturellement avec leurs collègues proches et discutent du discours de l’organisation et de ses affirmations identitaires. L’identification au groupe local est d’abord structurée par une composante cognitive d’autodéfinition de l’individu : “J’en ai discuté bien sûr avec des collègues de mon service qui ne comprenaient pas pourquoi on basculait sur Orange. La meilleure partie de notre carrière, c’est lorsque l’on a lancé des émissions pour le Web au sein du service. On était au coeur du portail, donc quelque part Wanadoo c’était nous. Et on le ressentait tous comme ça.” [I9, §91]. Mais la composante émotionnelle est là aussi présente, comme en témoigne les propos de ce salarié : “Nous en avons discuté entre collègues du département. Et nous avons trouvé qu’il y a aussi pas mal de gens de Orange qui peuvent parfois avoir une forme d’arrogance autour de leur marque, de leur société. Nous le ressentions tous de façon très négative.” [I13, §82]. La construction identitaire au sein du groupe local s’appuie aussi sur les discours rivaux qui peuvent être développés au sein du groupe, comme le met en évidence ce salarié qui s’appuie sur le discours entrepreneurial associé à Wanadoo : “Dans ce service, quasiment toutes les personnes viennent de Wanadoo, nous nous appelons les ex-wanadiens et ce qu’on vit, c’est un peu se faire croquer par Orange. Sachant que Orange est beaucoup dans des travaux transverses de coordination de la communication. Nous, on était bien plus dans la création. Nous le percevons comme une prise de contrôle. Et l’esprit entrepreneur de Wanadoo disparaît. Il ne peut plus exister.” [I33, §36].

L’identification située

L’identification située repose sur une analyse critique individuelle qui permet la remise en cause ou la confirmation du discours de l’organisation par le salarié, en référence notamment aux discours rivaux et à la perception de la réalité locale. 35 personnes parmi les 38 interviewées ont engagé une analyse critique. Les membres de l’organisation peuvent s’engager dans une analyse critique positive du discours organisationnel en le comparant à leur situation vécue, comme témoigne ce salarié qui déclare : “Je surfe sur cette vague du changement léger, avec des attentes de pouvoir poursuivre sur le marketing relationnel. De pouvoir m’exprimer... Avec une liberté d’entreprendre de créer. La [dans le service] j’ai la possibilité de mener un marketing relationnel beaucoup plus innovant, beaucoup plus adaptant. Je suis passionné avec Orange. ” [I16, §134]. Mais ils peuvent aussi s’engager dans une analyse critique à partir du seul discours de l’organisation en étant prompt à en détecter les incohérences avec la réalité perçue de son travail, comme le souligne ce salarié qui déclare : “Ils nous disent que le client peut garder son ancienne adresse internet mais qu’est-ce que va faire le client qui a donné à tous ses amis son adresse mail Wanadoo ? Est-ce qu’ils veulent qu’il fasse changer son adresse auprès de tous ses amis ? Les solutions proposées depuis qu’on est passé Orange n’ont pas sens…De ce côté-là j’ai pas du tout un esprit Orange. J’ai peur au contraire qu’on devienne tout Orange !” [I14, §20 et 31]. Le discours de l’organisation, dans le cadre de l’analyse critique, est également confronté aux discours rivaux, comme par exemple celui sur la nécessité de maintenir les emplois, comme le souligne ce salarié : “Ce à quoi je suis attaché, c’est mon environnement de travail immédiat, les gens que je connais personnellement du boulot ici et qui sont en difficulté car ils n’ont plus de postes… Maintenant ce discours langue de bois sur la marque, quand on voit qu’il y a 22000 personnes à faire partir d’ici 2008. La chose importante, c’est ce que vont faire les personnes des ressources humaines pour aider ces gens.” [I35, §81 et 83]. Ce process d’identification située est d’abord cognitif.

La fragmentation d’identification

Pour certains salariés, l’identification aux différents niveaux opère en sens opposés. Cette opposition peut se combiner à l’action en sens opposé des dimensions cognitives et émotionnelles. Ces deux oppositions se traduisent par une fragmentation d’identification pour le salarié.

L’identification peut se traduire par une interaction entre les niveaux d’identification, ces niveaux pouvant être alignés. Chez certains salariés, l’identification se focalise sur un niveau principal : c’est le cas par exemple avec ce salarié dont l’identification négative résulte directement de l’identification au groupe local : “Un mois avant le rebranding, on nous a demandé de balayer la totalité des pages de notre service pour vérifier qu’il y avait plus le mot Wanadoo. C’était début mai. Genre, c’est devenu un mot tabou, Wanadoo ! Mais on,… dans le service nous étions tous Wanadoo... Ce qu’il nous demandait ne nous plaisait pas du tout. En plus cela a été perçu comme ça, car cela a été annoncé par les managers comme un couperet. Attention, s’il y a encore le mot Wanadoo qui se balade encore quelque part, cela va aller mal pour vous !... Je te laisse deviner si on a pris soin de ne pas en laisser quelques uns dans les textes.” [I35, §44]. L’identification peut aussi résulter de l’action de différents niveaux, comme par exemple avec ce salarié qui témoigne d’un rejet du discours de l’organisation combiné à une analyse critique. Le rejet du discours de l’organisation apparaît dans son propos : “Je ne vais pas vendre du Orange à l’extérieur. Je ne souscris pas au discours sur Orange. On me demande pour qui je travaille, je vais le dire, point barre. Mais je ne serai pas prescripteur de Orange. ” [I7, §72]. L’analyse critique issue de son expérience personnelle appuie son identification négative : “Le discours de Orange sur tout pour le client, ce n’est pas vrai du tout. Moi je vois ce qui se passe avec Orange dans mon travail. Et là, ce qui est important, c’est le ressenti client. Et cela fait deux fois en quelques semaines que j’entends des témoignages négatifs. Le premier témoignage disait par exemple : vous avez changé en moins bien sur l’offre et les tarifs pour l’Internet. Et c’est vrai qu’on dégrade notre qualité d’offre. Je le vois dans ce que je fais. ” [I7, §21].

Le tableau 2 présente la comptabilisation pour les 38 salariés de l’action des différents niveaux d’identification.

Tableau 2

Alignement et opposition dans l’identification sur les trois niveaux

Alignement et opposition dans l’identification sur les trois niveaux

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Chez certains salariés, l’action des différents niveaux témoigne d’une opposition d’identification. On constate alors une fragmentation d’identification. Nous illustrons l’action de cette fragmentation avec l’exemple d’un salarié s’identifiant de manière opposée à deux niveaux : l’appropriation directe du discours de l’organisation et l’identification située. Le salarié exprime d’un côté un rejet du discours de l’organisation, sans beaucoup de questionnement, en affirmant : “Je n’y crois pas et je n’en veux pas [du discours de changement de marque]. Ce n’est pas la peine de nous faire avaler la pilule …. J’aimerais vraiment que nous arrêtions de raconter des conneries au client.” [I37, §131 et 135]. Mais à côté de l’action de ce premier mécanisme, l’identification située faite par le même salarié amène une construction différente, comme le traduisent ses propos : “Je pense que ça été une vraie opportunité pour moi de travailler sur ce projet commun avec Orange. J’ai pris du temps pour comprendre la charte graphique Orange et j’ai alors proposé plein de choses à l’équipe.” [I37, §59]. C’est de l’interaction de ces deux mécanismes que naît la fragmentation d’identification pour le salarié. Un autre exemple de la fragmentation d’identification est illustré par l’action en sens contraire de l’identification située et l’identification au groupe d’appartenance. C’est par exemple ce salarié qui manifeste une identification associée à la réalité perçue de son travail, comme en témoigne son verbatim : “Je dis que je bosse chez Orange. Sur ma carte c’est Orange. Au festival de Cannes, j’y étais pour le travail et je devais photographier … je cherche ma place et j’ai vu un endroit marqué Orange. Alors je me suis dit avec plaisir : et oui, c’est moi” [I24, §66], mais qui déclare aussi : “Pour pas mal de mes collègues et moi compris, il y a du rejet. Parce qu’on n’en peut plus. Nous, cela fait plus de six mois que l’on bosse dessus. Et certains n’en peuvent plus du noir [couleur de la charge graphique de Orange]. Le nouveau portail Orange, j’ai du mal et beaucoup d’autres personnes ont aussi du mal. On se retrouve à la cafétéria et j’entendais dire : tu as vu Orange, ça fait technique, on se croirait à l’hôpital ! Les personnes qui bossent au marketing, elles n’en peuvent déjà plus. Idem pour les gens du portail” [I24, §60]. Les oppositions d’identification les plus fréquemment rencontrées concernent l’opposition de l’appropriation directe du discours organisationnel avec l’identification au groupe local ou à l’identification située.

Les composantes émotionnelle et cognitive de l’identification peuvent également jouer dans un sens opposé. Il s’agit là de la deuxième source de la fragmentation d’identification. 16 personnes parmi les 38 interrogées connaissent une opposition entre les deux composantes. On la perçoit nettement chez cette salariée, qui déclare d’abord à propos du discours organisationnel, sur une dimension cognitive : “C’est tout à fait bien d’avoir un seul nom pour parler à l’extérieur. C’est normal. C’est tout à fait logique d’avoir unifié sur une marque : à l’extérieur les gens ne comprenaient rien entre les différentes marques” [I35, §4]. Mais cette appropriation du discours se heurte à une émotion négative exprimée par la même personne : “Ce petit bonhomme [Orange] qui sautait partout sur le portail (en flash), c’était ridicule. La grue et les petites marques qui tombent sur le web, idem. Ça ne va pas bien du tout et ils font des trucs provocants. Le 1er juin, on a eu une super belle montre, assez immonde. On faisait la queue pour avoir d’autres petits paquets. Cela me hérisse; je n’ai pas voulu assister à ça.” [I35, §83 et 92]. L’opposition entre la dimension cognitive et la dimension émotionnelle de l’identification peut se passer au même niveau d’identification ou au contraire venir de l’action de différents niveaux d’identification. On constate même en complément de l’opposition entre le cognitif et l’émotion pour certains salariés, la présence d’émotions positives et négatives qui renforcent la fragmentation d’identification, comme chez cette salariée qui déclare, témoignant d’une émotion positive : “Mais j’aime bien la marque Orange. Orange s’affirme comme une marque simplissime, toute lisse... parlant d’un monde idéal dans lequel tout le monde est sans différence. C’est tout le monde féminisé dont on parle dans les journaux.” [I3, §33 et 64] et qui ajoute un peu plus loin lors de l’entretien, témoignant à cet instant une émotion négative : “C’était le grand mot d’ordre avec la marque Orange : la marque qui vit parmi les salariés. C’était d’ailleurs le truc le plus irritable, le plus insupportable. J’ai ressenti de l’énervement et même de la colère contre ça.” [I3, §33]

Engagement et résistance

Certains salariés témoignent d’un engagement sans ambivalence à l’organisation et d’autres d’une résistance uniforme. Pour d’autres, l’interaction des trois niveaux dans l’identification – l’appropriation directe du discours de l’organisation, l’identification au groupe d’appartenance et l’identification située – et la dualité possible entre les composantes cognitive et émotionnelle de l’identification débouchent sur une intention d’action ambivalente qui combine de l’engagement organisationnel et de la résistance à l’organisation.

L’engagement organisationnel se caractérise par une acceptation des valeurs et buts de l’organisation, par la volonté d’agir au profit de l’organisation ainsi que le désir d’en rester membre. La résistance est de son côté l’attitude inverse. Ce sont des construits distincts : avoir un faible niveau d’engagement organisationnel n’implique pas d’être en résistance. Nous avons constaté que 15 sur les 38 personnes interrogées exprimaient de l’engagement, que 3 personnes exprimaient de la résistance, que 8 personnes exprimaient une neutralité d’engagement et que 12 personnes exprimaient à la fois engagement et résistance. Les acteurs se positionnaient tout particulièrement vis-à-vis des deux premières composantes de l’engagement, parce qu’elles étaient plus pertinentes par rapport au changement en cours. Certains salariés exprimant de l’engagement ont exprimé leur engagement pour les trois composantes, comme par exemple ce salarié qui déclare au cours de l’entretien : “Je me sens fière d’appartenir à une entreprise qui montre qu’elle sait s’adapter au marché.” [I23, §33] (première composante), “Je dois avoir ma place dans ce changement global avec ce que je fais dans le journal interne.” [I23, §33] (deuxième composante) et “Je veux rester au sein d’Orange.” [I23, §33] (troisième composante).

A côté de ces signes d’engagement, certains salariés témoignent de la résistance. La résistance prend des formes différentes, allant de l’opposition frontale au changement en cours à une attitude plus distanciée et ironique. La résistance manifestée par certains salariés témoigne d’un rejet des buts et valeurs de l’organisation, manifeste avec les propos de cette salariée qui déclare : “Le sentiment que j’ai eu, c’est que la seule politique de l’entreprise c’est de répondre aux attentes des actionnaires. Et je suis contre ça” [I7, §7]. Elle peut aussi révéler une intention de ne pas agir au profit de l’organisation, comme cette salariée qui déclare : “Et même à l’intérieur, à la limite, je n’ai pas envie de me bouger. Moi, c’est mon petit noyau d’amis et c’est tout” [I37, §81]. Ces différents exemples d’engagement organisationnel ou de résistance à l’organisation sont des exemples sans ambivalence.

On constate chez certains salariés une neutralité d’engagement, comme chez ce salarié qui déclare : “Je n’ai pas été touché par Orange dans mon travail sur le rebranding [changement de marque]. Sur les nouveautés produits, pas vraiment. On n’a pas eu d’offre convergente. On a réussi à coller à la date du rebranding une nouvelle gamme Internet chez nous. C’était business as usual…. En termes purement de charge, ce n’était pas parmi les plus gros projets ni parmi les plus petits. Et le truc sur la marque me passe complètement au-dessus. Je bosse, indépendamment de tout ça. Point barre.” [25, §58 et 62]. Nos résultats montrent enfin une ambivalence chez certains individus qui témoignent à la fois d’engagement organisationnel et de résistance à l’organisation. C’est par exemple le cas de cette salariée qui témoigne de l’engagement organisationnel dans la dimension d’accord avec les buts de l’organisation lorsqu’elle déclare : “Grâce au rebranding nous avons maintenant trois familles de produits sous la même marque... J’appuie ce changement dans mon boulot.” [I10, §21]. Mais cette même salariée affiche en même temps une résistance à l’organisation dans la dimension d’action à son profit : “Aujourd’hui, Orange a le pouvoir; ils ont tout. Mais nous ne fonctionnons pas avec eux. Ils ont la main sur tout. Donc, ça ne donne pas envie de s’intéresser. De plus, ce sont des gens qui ne s’intéressent pas à notre travail…J’ai été spontanément donner un coup de main sur le Wanadoo Tour par le passé. Aujourd’hui, si on me demande d’aller donner un coup de main sur le Orange Tour, je ne le ferai pas.” [I10, §63 et 65]. Nous avons identifié 20 personnes sur les 38 interrogées qui étaient dans une situation d’ambivalence ou de neutralité.

Vers la mise en évidence de profils individuels

L’exploration de la diversité des conséquences de la fragmentation d’identification du salarié en termes d’intention d’action nous amène à mettre l’accent sur des salariés dont l’identification est fragmentée. C’est en effet sur ces individus que la littérature ne fournit que très peu d’information. Ces salariés correspondent à des profils particuliers traduisant une ambivalence émotionnelle, une opposition entre la dimension cognitive et la dimension émotionnelle et/ou encore une opposition entre les trois niveaux d’identification. 17 salariés sur les 38 interrogés se trouvent dans cette situation et correspondent à trois profils idéaux-typiques : l’ambivalence émotionnelle, la fragmentation structurelle et l’ambivalence cognitive - émotionnelle. Pour chaque profil, un tableau de synthèse présente les caractéristiques de chaque profil vis-à-vis des 4 caractéristiques individuelles retenues.

Le premier profil se dégageant de notre recherche est celui de l’ambivalence émotionnelle. Il correspond aux salariés qui subissent des émotions contradictoires par rapport au discours identitaire de l’organisation. Cinq salariés correspondent à ce profil. Ils ressentent des émotions positives, stimulées notamment par l’intense communication de l’organisation sur la nouvelle marque. Mais ils ressentent aussi des émotions négatives vis-à-vis de cette marque. L’ambivalence des émotions ressentie par ces salariés a été en conséquence appréciée comme forte. Cette contradiction des émotions ressenties structure chez ces salariés une intention d’action caractérisée par la coexistence d’engagement organisationnel mais aussi de résistance à l’organisation. L’engagement organisationnel de ces salariés a été apprécié en conséquence comme ambivalent. L’opposition multi-niveaux dans l’identification et l’opposition des dimensions cognitive et émotionnelle dans l’identification de ces salariés ne sont pas significatives. Le tableau 3 détaille le profil d’ambivalence émotionnelle pour l’ensemble des caractéristiques prises en compte. Agathe est un exemple de salarié correspondant à ce profil. Elle a perçu avec le changement de marque à la fois des émotions positives, comme le souligne son propos : “Mais j’aime bien la marque Orange. J’ai pour elle de bonnes vibrations” [I3, §64] mais aussi des émotions négatives, comme le met en évidence ce verbatim : “C’est maintenant comme si nous avons un ego surdimensionné, comme une accumulation des egos des individus, qui amène des choix qui reflètent les guerres entre les personnes à l’intérieur de l’organisation. Horrible !” [I3, §87]. Pour Agathe, cette ambivalence émotionnelle est associée à une dualité au niveau de l’engagement organisationnel, caractérisée par la coexistence d’intentions d’action positive et négative : “Et en plus, les gens comme moi qui ont été à l’information sur la marque, nous en sommes ressortis en disant, c’est bien. Nous sommes ressortis un peu dopés, avec l’envie de faire. Ca nous sort de notre quotidien” [I3, §121]; “Ici chez Orange, les gens se tapent dessus entre eux et se dénoncent entre eux. Donc j’appelle ça, un cri de guerre d’après restructuration. Et quand je dis ça, je mets en avant qu’il y a un grand cynisme. Non ça n’est vraiment pas une entreprise qui m’intéresse.” [I3, §75]. Son ambivalence se manifeste sur deux des trois dimensions de l’engagement : l’intention d’action et la volonté de rester membre de l’organisation.

Tableau 3 : profil détaillé d’ambivalence émotionnelle (voir en annexe)

Un deuxième profil, la fragmentation structurelle, correspond aux salariés qui subissent une fragmentation d’identification due à une opposition d’identification entre les trois niveaux. Sept salariés correspondent à ce profil. Cette fragmentation peut exister avec une opposition entre une appropriation directe du discours et une identification située négative du salarié ou encore entre une appropriation directe du discours et une identification négative au groupe d’appartenance. L’opposition entre les niveaux identifications est généralement associée à une neutralité d’engagement (cinq cas parmi les sept) et parfois à un engagement organisationnel ambivalent (deux cas parmi les sept). L’ambivalence des émotions ressenties et l’opposition des dimensions cognitive et émotionnelle chez ces salariés ne sont pas pour ces salariés des caractéristiques significatives. Le tableau 4 présente en détail ce deuxième profil sur l’ensemble des caractéristiques prises en compte. Sandrine est un exemple de salarié correspondant à ce profil. L’identification de Sandrine est caractérisée par une opposition entre une appropriation directe négative du discours et une identification située plus positive, comme le souligne ces verbatim : “Tous les superlatifs utilisés en communication interne pendant toute la campagne du rebranding, je trouve ça non seulement désuet et pas approprié. Je ne me suis pas du tout reconnue dedans. Honnêtement, j’ai trouvé ça très nul” [I30, §71] et “On aime aussi faire venir en agence parce qu’on inspire de la sympathie, qu’on est jeune et dynamique. Ça c’est très important dans le commercial d’avoir une marque dynamique. On arrive et on est déjà bien accueilli [avec Orange]” [I30, §107]. Chez Sandrine, l’engagement organisationnel est neutre, comme l’illustre ce verbatim : “Je n’ai pas spécialement d’attentes pour la suite dans mon boulot autour de Orange. J’avance comme je peux dans mon boulot. Et ce n’est pas ça non plus la marque qui m’aide à prendre des décisions ou à avancer dans le boulot” [I30, §62 et 132]. La neutralité d’engagement de Sandrine est surtout exprimée dans la dimension relative à la volonté de rester membre de l’organisation.

Tableau 4 : profil détaillé de fragmentation structurelle (voir en annexe)

Un troisième profil, l’ambivalence cognitive-émotionnelle, se dégage pour les salariés subissant une opposition entre la dimension cognitive et la dimension émotionnelle de l’identification. Pour ces salariés, la fragmentation d’identification est définie par l’opposition des deux composantes de l’identification. Cinq salariés correspondent à ce profil. Ces salariés manifestent un engagement ambivalent, combinant engagement organisationnel et résistance à l’organisation. L’opposition multi-niveaux et l’ambivalence émotionnelle dans l’identification de ces salariés ne sont pas des caractéristiques significatives. Le tableau 5 détaille ce troisième profil sur l’ensemble des caractéristiques prises en compte. Olivier est un exemple de salarié correspondant à ce profil. L’identification de Olivier est caractérisée par l’opposition entre les dimensions cognitive et émotionnelle, comme le soulignent ces verbatim : “Il faut être franc : c’est de la connerie ça, ce changement de marque et Orange et tout ça. C’est pour rassurer le marché, ça !” [I24, §40], illustrant une appropriation négative du discours (dimension cognitive) et “Il y avait avec Orange une image révolutionnaire, que j’ai toujours adorée.” [I24, §60], illustrant une identification positive avec la dimension émotionnelle. L’engagement organisationnel de Olivier est ambivalent, caractérisé par la coexistence d’intention d’action positive : “ Nous ici, à la communication interne, on a vraiment voulu tout relayer [les messages du changement de marque] [I24, §103], mais aussi négative “Les gens comme moi qui travaillent dans le groupe France Telecom, ils commencent à être un peu écoeurés. La marque, ça va en a compris. Ne nous embêtez plus. Moi, tous les jours, on me presse le citron et tout et tout. Et ils voudraient en plus que je m’implique !” [I24, §105 et 110].

Tableau 5 : profil détaillé d’ambivalence cognitive-émotionnelle (voir en annexe)

Discussion

Nous avons cherché à comprendre avec cette recherche comment une fragmentation dans l’identification du salarié peut déboucher sur une attitude particulière d’engagement organisationnel et / ou de résistance. Nous avons exploré ce sujet de façon inductive avec le cas d’un changement radical de discours – associant changement stratégique et changement de marque – au sein d’une entreprise française de télécoms. Nous analysons notamment l’effet en termes d’engagement organisationnel ou de résistance provenant de la fragmentation d’identification; cette dernière résulte de l’action en sens opposé aux trois niveaux - appropriation ou rejet du discours de l’organisation, identification au groupe d’appartenance et analyse critique- et de l’opposition entre les composantes cognitives et émotionnelles. L’étude détaillée de la relation entre une fragmentation d’identification et l’attitude des salariés vis-à-vis de l’organisation nous a permis de définir trois profils ideaux-typiques : l’ambivalence émotionnelle, la fragmentation structurelle et l’ambivalence cognitive-émotionnelle. Nous proposons ainsi une première analyse qui dépasse les profils plus simples – i.e. sans ambivalence – proposés par la littérature actuelle. Il s’agit d’un apport important pour la compréhension de la liaison entre identification et intention action.

De la fragmentation à l’intention d’action : apports théoriques

Notre recherche met en en évidence l’importance d’une compréhension fine de l’articulation entre les trois niveaux d’identification et de la relation entre les deux composantes cognitive et émotionnelle de l’identification, comme source selon les individus, d’un engagement organisationnel, de résistance à l’organisation ou des deux attitudes combinées. Il y a là un double apport théorique.

La compréhension fine de l’articulation entre les trois niveaux d’identification et de la relation entre les deux composantes cognitive et émotionnelle de l’identification complète les apports passés. En s’appuyant sur l’hypothèse de fragmentation d’identification, notre recherche décrit les interactions des différents niveaux d’identification et la dualité d’engagement organisationnel et de résistance qui peut en résulter. Les recherches existantes mettent en avant une intention d’action monolithique, que ce soit un engagement au profit de l’organisation via le concept de prototype (Ashforth & Mael, 1989) ou au contraire une résistance en bloc du salarié (Collinson, 1992; Ezzamel & al., 2001; Sainsaulieu, 2001 avec son idéal-type d’affirmation identitaire de résistance). Notre recherche souligne que les effets au niveau du groupe d’appartenance sont fondamentaux, conformément aux apports passés (Sainsaulieu, 1977 par exemple avec l’idéal-type de fusion) mais que d’autres mécanismes, comme l’appropriation du discours organisationnel ou l’analyse critique sont à l’oeuvre et peuvent amener le salarié à réagir de façon plus nuancée, plus ambiguë en termes d’engagement, ce que ne traitent pas les approches pré-citées. Nos résultats nuancent donc la position des approches dominante ou critique dans la relation entre identification au discours et intention d’action : alors que l’identification au groupe d’appartenance favorise une intention d’action uniforme du groupe (en faveur de l’organisation ou en résistance à l’organisation), l’exposition aux différents discours porte une intention d’action moins uniforme (de l’engagement organisationnel pouvant se combiner avec de la résistance) qui est également impactée par l’analyse critique que peut mener l’individu. Deux des trois profils mis en évidence dans nos résultats reposent sur un engagement ambivalent, combinant engagement et résistance; ils sont compatibles avec l’ambivalence proposée par Kreiner & Ashforth (2004) reposant sur des identifications opposées fortement perçues par l’individu et avec la distanciation proposée par Goffman (1973) où l’endossement de différents rôles par l’individu peut créer l’ambivalence. Nos résultats soulignent aussi un autre aspect de l’engagement organisationnel du salarié qui s’éloigne d’une intention d’action monolithique et qui apparaît particulièrement dans le profil fragmentation structurelle : l’opposition entre les différents niveaux d’identification débouche pour certains salariés sur une neutralité d’engagement qui s’apparente à la paralysie d’engagement. Nos résultats permettent une illustration empirique dans le cadre organisationnel du propos de Merton (1976) du concept de paralysie en cas de clivage fort chez l’individu sur un même objet. On a en effet avec ce profil un exemple de fragmentation d’identification, caractérisée par une opposition forte d’identifications, que le salarié ne sait pas résoudre et qui aboutit à neutraliser complètement son engagement.

Le deuxième apport théorique concerne la possibilité de co-existense pour une même personne des attitudes d’engagement organisationnel et de résistance. Certaines études précédentes (Pratt & Foreman, 2000; Kreiner & Ashforth, 2004; Voss & al., 2006) qui se sont intéressées à la construction identitaire ont souligné le jeu en opposition d’identifications organisationnelles pour le salarié comme moteur d’une possible dualité. Mais elles ignorent largement leur impact sur l’intention d’action (Ashforth & al., 2008). Nos résultats, précisent comment engagement et résistance peuvent se combiner en trouvant pour origine l’interaction en sens opposé des trois niveaux d’identification. Ils répondent aussi au relatif manque d’explication des approches traditionnelles sur l’identification et l’engagement (Foreman & Whetten, 2002 par exemple) qui concèdent que l’identification n’est pas forcément consciente ou librement consentie sans aller plus loin dans l’explication. La source de l’ambivalence est mise en évidence (par exemple par l’opposition d’émotions antagonistes ou l’opposition cognitive et émotionnelle). Cette ambivalence n’est pas maîtrisée par l’individu car l’identification est fragmentée; les individus ne sont pas dans un engagement raisonné comme dans l’approche de Lifton (1993) où les niveaux d’identifications ont été réordonnés (Ashforth & Johnson, 2001), et où la résilience permet à l’individu de retrouver une cohérence d’engagement. Les mécanismes décrits sont emprunts de l’interaction de la dimension émotionnelle et de la dimension cognitive : la dimension émotionnelle entraîne des boucles de réponse immédiates et la dimension cognitive agit de son côté dans la durée comme un test de réalité. Nos résultats dépassent donc l’approche de Mumby (2005) qui positionne la résistance du salarié dans une approche très rationnelle et consciente. De ce fait l’interaction des trois niveaux d’identification qui caractérise la fragmentation individuelle amène engagement organisationnel et résistance à l’organisation. En proposant des profils intégrant identification multi-dimensionnelle et attitude, nous proposons une analyse fine des fondements de la relation entre identification et intention d’action.

De la fragmentation à l’intention d’action : apports pratiques et questionnement éthique

L’apport managérial de cette recherche souligne la force du discours identitaire de l’organisation comme vecteur d’identification pour les salariés. Nos résultats soulignent qu’une majorité de salariés entame un processus d’identification auquel le discours identitaire de l’organisation contribue fortement. Le type de discours retenu, celui sur une nouvelle marque qui repose fortement sur un management d’impression (Kreiner & Ashforth, 2004) renforce l’identification des salariés. Pour autant, nos résultats, en pointant l’importance des trois niveaux d’identification, soulignent que le management ne peut pas se contenter d’une action de diffusion du discours identitaire, en dépit de l’importance des moyens mis en oeuvre (très importants dans le cas du changement de marque de France Télécom en Orange avec appui notamment de la communication interne sur les publicités et les sessions de formation à la marque). Le travail aux deux autres niveaux (celui du groupe d’appartenance et du niveau individuel) est nécessaire de la part des managers s’ils souhaitent susciter de l’engagement plutôt que de la résistance. Plutôt qu’une subjectivation aveugle, cela suppose une certaine écoute permettant de s’ouvrir à une conception plus positive de la résistance (Courpasson et al, 2011). L’action au niveau du groupe d’appartenance suppose une capacité des managers à décliner la proposition identitaire au niveau des groupes locaux et à engager la discussion avec les salariés à ce niveau. La capacité d’action des managers au niveau individuel est plus limitée et ouvre sur l’analyse critique qui va être menée par le salarié : si celui-ci perçoit le discours organisationnel comme trompeur ou simplement un pur management d’impression, il le rejettera. La compréhension du rôle joué par l’analyse critique individuelle, une analyse essentiellement cognitive, dans le processus d’identification est fondamentale si le management souhaite assurer un ancrage dans la durée de l’engagement qui a pu être généré aux autres niveaux. Les managers doivent donc accompagner la diffusion du discours identitaire de l’organisation par des actions au niveau local et des réalisations concrètes qui orienteront l’analyse critique faite par le salarié vers un engagement organisationnel. Il est en définitive rassurant de constater la vivacité de la capacité de questionnement critique des salariés, au-delà de l’identification suscitée par la force du discours central associé à la nouvelle marque.

La construction identitaire de l’organisation génère des oppositions, des tensions et des ambivalences de la part des salariés. La capacité critique des salariés n’implique pas nécessairement leur capacité à gérer les tensions émergeant de la confrontation du discours officiel avec la réalité local de leur travail. Il est difficile de faire porte la responsabilité de la gestion de telles tensions sur un management intermédiaire bien souvent mal préparé pour gérer ce type de situation. Si les tensions sont laissées en suspens et ne sont pas traitées, on ne peut alors éluder le questionnement sur le caractère manipulatoire de la démarche. Certes, notre recherche souligne la force du questionnement critique et confirme que la manipulation ne peut être que temporaire et incertaine (Svenigsson & Alvesson, 2003); toutefois, cette manipulation à des répercussions négatives sur une partie des salariés et, en l’absence de l’ouverture d’un certain dialogue aux différents niveaux de la cristalisation identitaire, pose des questions éthiques (Postel & Rousseau, 2008; Desjours, 2010). L’opposition frontale n’est pas la situation la plus difficile pour le salarié, en revanche les tensions entre les niveaux d’identification rendent le changement difficile et éprouvant pour le salarié. Or, les managers intermédiaires perçoivent ces difficultés d’adaptation et sont eux-mêmes tirés entre des forces et enjeux contradictoires (Vora & al., 2007), ils ne sont donc pas toujours en position de faciliter les transitions pour les salariés. Le questionnement éthique nécessaire dans ce type de situation (Oliver & al, 2010) devrait conduire à une prise en compte des tensions ressenties par les salariés qui se traduisent par des actions concrètes permettant un alignement entre les décisions au quotidien et le discours organisationnel.

Recherches futures

Notre article ouvre plusieurs voies de recherche à la fois en termes d’exploration et de test. Il faut tout d’abord plus d’exploration sur les connexions entre discours et intention d’action à partir d’une approche multi-dimentionnelle. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les interactions et les connexions entre les trois niveaux et les composantes cognitives et émotionnelles. Nous avons identifié trois profils idéal-typiques mais il est possible que d’autres contextes révèlent des combinaisons différentes. Il nous parait également bénéfique d’analyser ces combinaisons dans le cadre d’une étude longitudinale notamment parce que les dimensions émotionnelles et cognitives peuvent être associées à des horizons temporels différents ainsi que les résolutions dans le temps de l’ambivalence, comme par exemple la résilience proposée par Lifton (1993). Nos résultats peuvent également être utilisés pour générer des hypothèses de l’impact du discours officiel sur l’engagement organisationnel et la résistance à l’organisation ainsi que l’action. La cohérence entre les valeurs individuelles et les identités professionnelles, le discours officiel et les discours rivaux – incluant les discours construits au niveau du groupe – a probablement un impact sur le niveau de fragmentation de l’individu et de ce fait aussi sur le mix d’engagement organisationnel et de résistance à l’organisation au niveau individuel et de l’organisation. Dans une approche quantitative, il serait intéressant de tester l’effet configurationnel entre les composantes des profils, cela permettrait à la fois de généraliser les résultats mais peut-être également de trouver des profils différents dans d’autres contextes.