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Les organisations de plus petite taille sont plus vulnérables aux forces de leur environnement et cherchent alors à compléter l’insuffisance de leurs ressources afin de réduire cette incertitude environnementale (Astley et Fombrun, 1983; Gales et Blackburn, 1990). Dans un environnement économique devenu plus complexe, les PME doivent tisser des liens solides et durables avec d’autres organisations (Klenia Rodrigues Bandeira et al., 2012) afin d’obtenir ces ressources manquantes.

Cette recherche de liens en vue d’acquérir des ressources s’inscrit parfaitement dans la lignée du travail théorique fondateur de Dyer et Singh (1998). Dépassant l’approche classique par les ressources et les compétences, qui se focalise exclusivement sur une firme, les auteurs proposent une perspective relationnelle des ressources. Des rentes relationnelles peuvent ainsi être générées au travers d’actifs spécifiques à la relation, de routines de partage de connaissances, de dotations en ressources complémentaires et de gouvernance « effective ». Pour ce faire, Garriga (2009) montre comment une entreprise peut être amenée à tisser des liens avec son réseau de parties prenantes (PP). Les PME chercheront donc à combler leur manque de ressources internes grâce à leur capacité à en capter en externe auprès de leurs PP. Ces PP (Freeman, 1984) peuvent être perçues comme des relais de ressources accessibles pour la PME sur plusieurs plans : politique, académique, économique, environnemental, etc. Ainsi, les PME peuvent initier des stratégies collectives en développant différents types de coopération (Bresser et Harl, 1986) qu’il convient d’explorer.

En tant qu’acteur majeur de la PME, le dirigeant est en mesure d’initier des relations interorganisationnelles au travers de sa capacité d’intermédiation pour la mise en oeuvre de stratégies collectives. Les travaux sur les rôles de tertius gaudens et iungens (Obstfeld, 2005; Garriga, 2009; Salvetat et Géraudel, 2012) montrent comment les acteurs initient des relations interorganisationnelles et, dans notre cas, des stratégies collectives entre les PME et leurs PP. Notre problématique est la suivante : Comment, en situation d’incertitude environnementale, les dirigeants de PME développent des stratégies collectives avec leurs PP ? Nous tenterons donc de comprendre les étapes de structuration de ces stratégies collectives ainsi que les stratégies de tertius des dirigeants qui façonnent leur mise en place.

Ce papier s’intéresse à une forme particulière de stratégie collective encore peu étudiée que Yami et Le Roy (2006) définissent comme des relations horizontales de grand nombre conduisant à la création d’une structure de coordination. Même si elles sont peu nombreuses, quelques recherches focalisées sur les PME ont mis en évidence que ce type de comportement favorise la conduite du changement (Dollinger, 1990; Dollinger et Golden, 1992; Le Roy, 2003; Yami, 2003; Gundolf et al., 2006).

Les stratégies collectives sont par nature complexes et dynamiques. Pour cette raison, la méthode des cas s’avère pertinente pour les étudier (Eisenhardt, 1989; Yin, 1994) dans une approche longitudinale (Forgues et Vandangeon-Derumez, 2007). Le champ des PME conduit par ailleurs à prêter une attention particulière au rôle joué par leurs dirigeants qui occupent une place centrale en leur sein (Carland et al., 1984). Le secteur vitivinicole, retenu pour cette étude, subit une crise structurelle de surproduction et la concurrence de nouveaux pays producteurs depuis les années 90 (Anderson, 2004). Ce renforcement de la concurrence sur ce secteur atomisé accentue conjointement le développement de stratégies collectives entre PME et celles de concentration pour des acteurs de grande taille. Enfin, le secteur vitivinicole se structure en oligopole frangé.

Dans une première partie théorique, nous présenterons les stratégies collectives en perspective de l’approche par les PP puis, nous soulignerons les rôles de tertius du dirigeant dans leur mise en oeuvre. Dans une deuxième partie, nous présenterons la méthodologie qualitative de cette recherche et, en particulier, les spécificités du terrain d’étude. Enfin, nous exposerons les résultats relatifs aux phases de développement des stratégies collectives, à la démarche proactive des dirigeants de PME et aux rôles des tertius dans les effets d’encastrement des acteurs.

Cadre conceptuel de la recherche

Nous présentons, dans un premier temps, les fondements théoriques des stratégies collectives (Astley et Fombrun, 1983) et leur lien avec la théorie des PP (Freeman, 1984), afin de montrer comment elles sont réalisées en coordination avec les acteurs de l’environnement. Puis, dans un second temps, nous soulignons les rôles de tertius gaudens et iungens du dirigeant de PME qui façonnent les stratégies collectives mises en place.

Stratégies collectives et parties prenantes

Face aux turbulences de l’environnement, créées par les actions menées indépendamment par chaque organisation (Emery et Trist, 1973), les firmes peuvent atteindre collectivement un niveau d’interdépendance et de protection (Astley et Van de Ven, 1983) et préférer s’engager dans des stratégies collectives avec les autres membres d’une communauté plutôt que d’agir seules (Astley et Fombrun, 1983; Bresser et Harl, 1986). Procédant par analogie biologique, Astley et Fombrun (1983) opèrent une double distinction entre les formes d’interdépendance et les types d’association possibles afin de rendre compte des diverses stratégies collectives.

Le cadre d’analyse des stratégies collectives permet de mieux comprendre l’ensemble des situations hétérogènes de coopération et leurs logiques (Bresser et Harl, 1986). Qu’il s’agisse de relations dyadiques ou résiliaires, le modèle des stratégies collectives rend compte de l’ensemble des relations horizontales et/ou verticales possibles entre les firmes. Les relations horizontales pures de grand nombre ont été peu abordées en management stratégique au détriment des relations dyadiques ou résiliaires. Yami et Le Roy (2006) proposent d’ailleurs de réserver le terme de « stratégies collectives » aux relations horizontales au caractère formel, qui impliquent plus de deux firmes et la création d’une organisation de coordination. L’intérêt du modèle des stratégies collectives est de proposer un niveau d’analyse intermédiaire, celui d’une communauté de firmes, en tenant compte des aspects collaboratifs.

Tableau 1

La typologie des stratégies collectives

La typologie des stratégies collectives
Source : Astley et Fombrun, 1983

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Les stratégies collectives ont été considérées comme des réseaux interorganisationnels émergents de manière non intentionnelle (Astley et Fombrun, 1983) ou de façon intentionnelle (Bresser et Harl, 1986). Carney (1987) distingue deux catégories de stratégies collectives en fonction de leur finalité : la « consolidative strategy » et la « innovative strategy ». La première, élaborée par des organisations qui cherchent à coordonner leurs efforts pour gérer collectivement un avenir incertain, consiste à ériger une protection collective face à une menace dans une logique défensive. Dans cette perspective, l’objectif serait de réduire l’incertitude (Golden et Dollinger, 1993). La seconde, consistant à s’associer pour saisir une nouvelle opportunité, renvoie à une logique plus proactive. Les stratégies collectives favorisent la conduite du changement stratégique par les PME au sens de Giroux (1991), soit par une transformation des pratiques entre l’organisation et son environnement. D’un point de vue pratique, les effets du caractère proactif d’une stratégie collective de grand nombre sur sa mise en oeuvre sont encore à explorer. Le cas du syndicat du Pic Saint-Loup, engagé dans une stratégie de différenciation qualitative, offre un terrain d’étude d’une stratégie collective proactive.

Peu de recherches sur les stratégies collectives se sont intéressées aux entreprises de petite taille (Dollinger, 1990; Dollinger et Golden, 1992; Le Roy, 2003; Yami, 2003; Gundolf et al., 2006). Pourtant, le phénomène reste plus facilement observable dans des environnements où bon nombre d’entre elles sont en concurrence (Astley et Fombrun, 1983; Le Roy, 2003). Dollinger (1990) s’intéresse le premier aux cas des industries fragmentées et précise que les acteurs de plus petite taille cherchent une forme d’interdépendance pour survivre. Ses travaux menés avec Golden (Dollinger et Golden, 1992) indiquent que les stratégies les plus fréquemment mises en oeuvre par les entreprises de petite taille sont celles initiées entre nombreux concurrents. Le Roy (2003) montre que ces stratégies peuvent concerner jusqu’à l’ensemble des concurrents d’un même secteur. Dans les entreprises de petite taille, la conduite et la réussite de la stratégie collective dépendent tout de même de la cognition du dirigeant (Yami, 2003; Baumard, 2006). Dans cette perspective, l’analyse de Gundolf et al. (2006) souligne l’importance de ressources sociales dans sa mise en oeuvre. Marchesnay (1992) insiste sur l’importance du dirigeant qui cumule les responsabilités stratégiques et centralise la décision.

Au-delà des choix de stratégies collectives, se pose la question du choix des partenaires pour les réaliser. L’approche par les PP (Freeman, 1984) permet d’ouvrir des perspectives de stratégies collectives. En effet, de nombreuses possibilités s’offrent à la PME compte tenu de la variété des PP en présence. La réalité peut s’avérer complexe du fait que les acteurs impliqués dans la stratégie collective ne soient pas visibles d’un point de vue contractuel. Rowley (1997), Neville et Mengue (2006), puis Garriga (2009), se focalisent sur les interactions entre PP. Neville et Mengue (2006) parlent de « stakeholder multiplicity » afin de mettre en évidence ces différents types d’interactions : compétition, complémentarité et coopération. Dans cette multiplicité de PP, les auteurs identifient trois éléments essentiels permettant de s’assurer d’une potentielle collaboration entre elles. Premièrement, les PP doivent se demander s’il y a une congruence dans leurs orientations stratégiques (matching). Deuxièmement, il faut considérer la force d’influence des PP en présence (moderating). Troisièmement, il s’agit de connaître les potentielles synergies entre les PP en vue de coopération stratégique (gestalts). Dans le cas des stratégies collectives entre PME, l’analyse est a priori similaire. Notre étude de cas nous permettra d’explorer ce point et de mettre en évidence comment les PME se structurent collectivement. Néanmoins, ces relations interorganisationnelles se développent concrètement via des relations interindividuelles. Ainsi, l’encastrement des acteurs (Granovetter, 1985) ouvre le champ à des jeux de pouvoir qui vont agir sur les décisions stratégiques. La section suivante va mettre en évidence ces situations d’encastrement au travers des rôles de tertius des dirigeants de PME.

Les rôles de tertius du dirigeant de pme et la mise en oeuvre de la strategie collective

La quête de ressources externes dans une perspective relationnelle (Dyer et Singh, 1998), est étroitement liée à l’utilisation du capital social du dirigeant (Ingram et Roberts, 2000; Ozgen et Baron, 2007; Géraudel et Chollet, 2009; Chollet et Géraudel, 2010). Ingram et Roberts (2000) montre comment les gérants d’hôtels de Sydney entretiennent des relations d’amitié qui favorisent l’échange d’informations entre eux. De même, Géraudel et Chollet (2009) étudient les bonnes configurations de réseau personnel permettant de bénéficier d’effets de recommandations pour la PME. Il semble donc pertinent de connaître comment les dirigeants de PME vont mobiliser leur capital social pour mettre en oeuvre leurs stratégies collectives au sein de leur industrie. Dès lors, s’ouvre la question de la performance des réseaux denses ou lâches dans lesquels les ressources sont échangées et les relations entre acteurs nouées. Obstfeld (2005) identifie premièrement les bénéfices liés aux trous structuraux (Burt, 1992) en précisant une des limites de cette vision, à savoir la non-possibilité de générer de l’innovation en dehors des réseaux connectés denses. Obstfeld (2005, p. 102) souligne deuxièmement le rôle du tertius iungens « the third who joins » comme acteur capable de joindre les acteurs déconnectés. « The tertius iungens orientation is a strategic, behavioral orientation toward connecting people in one’s social network by either introducing disconnected individuals or facilitating new coordination between connected individuals » (Obstfeld, 2005, p. 102). Ainsi, Garriga (2009) montre, dans le secteur du gaz naturel, que la coopération entre PP n’est pas uniquement le fruit de la position structurale des acteurs mais est aussi la résultante de plusieurs facteurs relationnels, culturels et cognitifs. L’auteur souligne notamment le rôle de tertius iungens réalisé par la firme au sein du réseau de PP. Salvetat et Géraudel (2011, 2012) montrent, au sein du secteur aérospatial, comment certains acteurs peuvent jouer des rôles d’intermédiaire qui favorisent des stratégies collectives entre concurrents d’une même industrie. A partir de ces travaux, nous proposons que le dirigeant de PME joue ce rôle d’intermédiaire pour instiguer une stratégie collective entre acteurs d’une l’industrie.

Proposition 1 : Le dirigeant de PME va instiguer la stratégie collective en cherchant à jouer un rôle de tertius iungens entre les PP de l’industrie

Par opposition au tertius iungens, le tertius gaudens du sociologue Simmel (1950) présente une autre posture. Il est le « Third who enjoys » (Simmel, 1950). Comme souligné par Burt (1992), le tertius gaudens est en position d’intermédiation et peut bénéficier de cette situation. En jouant sur l’asymétrie d’information, il pourra obtenir ce que Burt nomme des « bénéfices de contrôle » et de l’accès privilégié aux informations. Garriga (2009) souligne que le langage du tertius gaudens est celui de la compétition, du contrôle et de la manipulation contrairement au langage de coordination propre au tertius iungens. En l’espèce, le dirigeant de PME peut, en multipliant sa présence dans les différents réseaux où sont présent les PP, jouer ce rôle de tertius gaudens et avoir un comportement opportuniste à son avantage ou à l’avantage de son groupe d’appartenance (en l’occurrence sa catégorie de PP : les PME). Ainsi, nous faisons la proposition ci-après :

Proposition 2 : Le dirigeant de PME va favoriser la stratégie de son groupe d'appartenance en jouant un rôle de tertius gaudens au détriment des autres PP

Méthodologie de la recherche

Le phénomène de stratégie collective restant complexe et peu étudié, nous avons mobilisé la méthode qualitative fondée sur l’étude de cas (Yin, 1994). Celle-ci cherche à expliciter des situations réelles qui sont assez complexes pour l’être par d’autres méthodes (Klenia Rodrigues Bandeira et al., 2012). La recherche s’appuie sur l’étude longitudinale d’une stratégie collective entre PME dans le secteur viticole. Les éléments méthodologiques sont présentés, avant les caractéristiques du cas et du secteur.

Une etude de cas longitudinale

Le processus de construction d’une stratégie collective s’avère dynamique, complexe et fortement dépendant d’un contexte. La méthode des cas qui permet d’accéder aux situations concrètes, semble particulièrement bien adaptée à l’analyse de phénomènes nouveaux ou peu étudiés (Eisenhardt, 1989; Yin, 1994; Wacheux, 1996).

Comme le soulignent Bresser et Harl (1986), dans le cadre de l’étude d’une stratégie collective, la chronologie des évènements s’avère cruciale. Selon Yami et Le Roy (2006) les relations complexes entre les organisations et leur environnement demandent une analyse dynamique que les modèles traditionnels en management stratégique abordent rarement. Etudiant la dynamique des relations de concurrence et de coopération sur le secteur du vin, Dana et Granata (2013) adoptent une approche longitudinale dans leur étude de cas. Selon les auteurs, cette approche permet de cerner les interactions inévitables avec les institutions. Notre analyse s’appuie donc sur l’étude longitudinale approfondie d’un cas unique de stratégie collective dans le secteur vitivinicole choisi pour ses caractéristiques qui, selon les experts rencontrés, favorisent le développement du phénomène étudié.

D’un point de vue empirique, l’exploration d’un phénomène complexe nous a placé dans une posture anthropologique nécessitant de l’adaptation et de l’opportunisme méthodologique. Dans le contexte d’une narration d’évènements stratégiques par des dirigeants, l’obtention d’un entretien enregistré est une opportunité qui peut difficilement se dupliquer à l’identique. Charreire-Petit (2003) nous rappelle qu’il existe des architectures de recherche longitudinales bien différentes. Selon Forgues et Vandangeon-Derumez (2007), une étude est qualifiée de longitudinale à partir du moment où elle fixe deux points temporels de collecte de données qui font références à une période. Une collecte des données en des points successifs dans le temps favorise une observation dynamique d’un réseau pour mieux en présenter ses évolutions (Angot et Josserand, 2007). Selon Menard (1991) une étude est longitudinale lorsque : les sujets sont comparables d’une période à l’autre; l’analyse consiste à comparer les données entre périodes; l’analyse consiste à retracer l’évolution du phénomène observé par l’observation des interactions des interviewés et leur analyse historique.

Dans la lignée de l’étude longitudinale menée par Mackay et Chia (2013) qui étudient un process stratégique dynamique, notre méthodologie a consisté en une collecte dans le temps de données primaires – issues d’entretiens non-directifs, semi-directifs et d’observations – complétées par des données secondaires. La voie de l’exploration hybride est privilégiée dans le cadre de l’étude longitudinale (Charreire et Durieux, 2003) en favorisant les allers et retours entre le terrain et la production de connaissance. Courgeau et Lelièvre (1990) précisent qu’une forme d’étude longitudinale consiste à repérer l’évolution du système et de ses acteurs en adoptant une démarche historique. Les auteurs défendent qu’aucune méthode unique ne s’accorde avec ce type de recherche, la pluralité des modes de recueil étant de mise comme la répétition d’entretiens non structurés dans le temps en diverses circonstances.

Collecte et analyse des donnees

Notre première phase d’entretiens non-directifs (Wacheux, 1996), menés dans un premier temps auprès d’experts du secteur du vin, nous a permis d’identifier la stratégie collective initiée par les PME du Pic Saint-Loup comme un cas exemplaire de réussite, de longévité et d’encastrement. Nous avons donc mené des entretiens non-directifs avec des acteurs clés du Pic Saint-Loup comme son président, son vice-président, son animateur, le président de la chambre d’agriculture régionale qui est vigneron sur la zone et le président d’une cave coopérative de la zone. Des séquences significatives de la stratégie ont été décelées, à la manière de Van de Ven et Polley (1992). Ce choix méthodologique a été guidé par la nécessité d’identifier dans une première phase exploratoire des momentums clés qui nous ont permis de décomposer le processus observé en phases (Ben Letaifa et Rabeau, 2012) : lancement de la stratégie collective informelle dans les années 80, formalisation de la stratégie collective fin des années 80, encastrement entre PP dans les années 90, renforcement de cet encastrement dans les années 2000. Ces momentums fixent un cadre temporel de référence qui structure la deuxième phase d’entretiens semi-directifs. Nous avons demandé aux personnes interrogées, pour chacune des phases stratégiques identifiées, de nous raconter l’histoire du cas principalement sous l’angle des déterminants, des modalités et des ressources. Les acteurs clés, interviewés durant cette seconde phase, ont contribué à l’identification des dirigeants et acteurs permettant de mener in fine quarante-cinq entretiens semi-directifs. Les autres sources (observations, dialogues, archives, etc.) permettent le recoupement des données.

Recourir à la mémoire des personnes interrogées constitue l’une des principales difficultés de l’analyse historique. La confrontation de plusieurs techniques facilite la reconstitution d’évènements repérés et datés (Courgeau et Lelièvre, 1990). Cette approche historique s’appuie généralement sur des sources de données secondaires. Dans le contexte des PME locales, la quasi-absence de données secondaires conduit à s’appuyer sur les discours des individus ayant participé ou pu observer le phénomène étudié à certaines phases. Ainsi, à la suite des premiers entretiens, un premier axe temporel a été tracé entre 1985 et 2006. L’analyse en continu des entretiens et des données secondaires a permis d’affiner les codages relatifs aux dates des évènements. L’étude de cas menée a donc fait appel à une multitude de sources de données, nous conduisant à mobiliser diverses techniques de collecte. Les dates des évènements relatées par les interviewés lors des entretiens ont été vérifiées par l’intermédiaire des sources secondaires issues majoritairement de procès-verbaux de conseils d’administration ou de rapports réalisés par des organisations professionnelles. Une fiche de synthèse d’entretien a été réalisée sous la forme d’un simple document comportant une suite de questions visant à synthétiser ou préciser certains éléments d’un contact sur le terrain (Miles et Huberman, 2003). Elle permet d’effectuer un récapitulatif rapide des principales informations recueillies a posteriori. Une partie contenant des éléments signalétiques de la PME est directement renseignée en présence de l’interviewé à l’issue de l’entretien. La fiche complétée se prête à plusieurs usages comme identifier des phases ou des thèmes, faire évoluer le guide d’entretien, planifier le prochain contact, suggérer des codes pour l’analyse ou identifier les éléments relatifs à l’encastrement des PP (adhésion de la PME à des organisations professionnelles, fonctions exercées par le dirigeant).

Dans une première phase d’analyse nous avons écrit l’histoire du cas. Dans une deuxième, à l’occasion d’entretiens semi-directifs intégralement retranscrits « à chaud », l’enjeu d’une analyse en continu est alors d’extraire, à l’intérieur de la masse de données collectées, des segments importants vis-à-vis des objectifs de l’étude. Les données primaires, retranscrites, ont fait l’objet d’un codage préalable à une analyse de contenu thématique (Miles et Huberman, 2003). Les codes facilitent l’extraction puis l’organisation de segments de données variables tels que des mots, des phrases ou des paragraphes. La technique de codification inductive utilisée est proche de celle de Strauss (1987). Après retranscriptions de données initiales, la lecture de paragraphes génère des catégories ou thèmes de données. Après avoir confirmé ces thèmes à la lecture d’autres retranscriptions, un code provisoire est attribué et classé dans une liste provisoire. Les codes émergent, évoluent, disparaissent tout au long de l’expérience de terrain, ce qui les enracine empiriquement. D’autres codes restent trop généralistes et demandent à être fragmentés en « sous-codes ». La codification s’achève lorsque toute nouvelle donnée peut être immédiatement classée (Lincoln et Guba, 1985; Strauss, 1987). L’ensemble des données a donc fait l’objet d’un codage au regard des thèmes émergents du terrain et de la littérature (cf. annexe 1). Les thèmes abordés ont été l’histoire du syndicat, le rôle des PP par phase, les déterminants et les effets de l’encastrement. D’autres thèmes ont émergés des entretiens comme le caractère proactif ou réactif de la stratégie collective. Cet ensemble de données a été analysé selon le principe de triangulation des données (Wacheux, 1996) permettant le recoupement des perceptions des différents profils d’acteurs. La triangulation a été renforcée par de l’observation directe de terrain, qui a donné lieu à la rédaction de notes d’observation. L’ultime phase de contrôle de l’étude longitudinale a été réalisée par une validation des résultats auprès des acteurs clés de la stratégie étudiée.

Le secteur vitivinicole

La transformation graduelle de la vigne sauvage en vigne cultivée s’est probablement réalisée à partir du septième millénaire avant Jésus Christ. Le secteur vitivinicole offre un terrain d’observation riche d’enseignements des effets de la mondialisation sur un secteur traditionnel. La concurrence sur le secteur s’est accentuée dans les années 90 avec l’arrivée de nouveaux pays producteurs (NPP), dits du « nouveau monde », que l’on oppose aux pays producteurs traditionnels (PPT) d’Europe. S’en suit un phénomène de concentration qui conduit à l’émergence d’acteurs de grande taille (Anderson, 2004). Face à ces firmes internationales cotées en bourse, les nombreuses PME peuvent faire le choix stratégique de la différenciation. Leur manque structurel de ressources les conduit à opérationnaliser ce choix au travers de relations horizontales. Le secteur du vin, restant fortement atomisé, emprunte ainsi la forme d’un oligopole à frange.

Avec l’arrivée de nouveaux pays producteurs (Anderson, 2004), les PPT se trouvent particulièrement touchés par la crise de surproduction mondiale (Montaigne, 2005). La filière française, extrêmement atomisée, s’organise autour de 78 000 exploitations réparties en 38 000 vignerons indépendants et 40 000 adhérents de caves coopératives (Couderc, 2007). Depuis 1999, la France est entrée dans une crise caractérisée par le développement d’une concurrence internationale dynamique (Cousinié et Montaigne, 2004). A l’exception de LVMH et du groupe Castel Frères, les firmes françaises sont de trop petite taille pour affronter le marché mondial (Coelho et Rastoin, 2004). Cette logique internationale s’accorde avec le développement de marques et se différencie du système européen qui lie souvent la marque à une appellation d’origine (Tinlot, 2007). L’AOC (appellation d’origine contrôlée) ambitionne d’ailleurs un objectif similaire à celui de la marque (d’Hauteville, 2004). Les 400 AOP françaises (appellation d’origine protégée qui remplace l’AOC depuis la réforme de l’Organisation Commune des Marché du 1er août 2008), recensées par l’Institut National des Appellations d’Origine français, constituent autant de marques collectives.

Tableau 2

La collecte et l’analyse des données

La collecte et l’analyse des données

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Parallèlement, le succès des NPP se fonde sur le modèle des clusters. Dans celui de la Nappa Valley en Californie, de nombreuses entreprises coopérèrent tout en étant en concurrence (Porter et Bond, 2004). Malgré tout, des formes originales de coopération horizontale ne cessent de se développer dans les PPT comme les Coopératives d’Union de Matériel Agricole, les groupements d’employeurs, les associations de producteurs... qui sont autant d’expression de la capacité d’adaptation collective du secteur qui doit faire face à des changements stratégiques profonds. Les récents accords de l’Organisation Mondiale du Commerce et la réforme européenne de l’Organisation Commune des Marchés de 2008, qui mettent en marche un processus global de libéralisation des marchés, ne font qu’accentuer les effets de la mondialisation. Les entreprises ont plus que jamais besoin de flexibilité stratégique pour s’adapter aux mutations brutales de leur environnement. Leur petite taille ne leur permettant pas de survivre sur un secteur qui nécessite l’atteinte d’une taille critique, certains acteurs comme les producteurs du Pic Saint-Loup font volontairement le choix de s’engager dans des stratégies collectives avec les autres membres d’une communauté plutôt que d’agir seuls.

Le cas du syndicat de producteurs de vin du pic saint-loup

Sous statut associatif loi 1901, le syndicat professionnel du Pic Saint-Loup fédère au moment de l’étude trois caves coopératives et quarante-cinq caves particulières. Le cas du Pic Saint-Loup correspond à une stratégie collective entre nombreuses PME concurrentes qui nécessite d’être portée par une structure de coordination dont l’objet est de gérer les aspects collaboratifs de la communauté.

Le territoire du Pic Saint-Loup, situé en région Languedoc- Roussillon, englobe treize communes au nord de la ville de Montpellier. Les années 70 et le début des années 80 sont marqués par un contexte de crise économique de la filière viticole. Prisonnières du positionnement régional d’une production massive de vins de faible qualité, certaines zones de production labélisées VDQS (vins délimités de qualité supérieure), comme celle du Pic Saint-Loup, se vendent parfois au cours du marché « vrac » des simples « vins de table ». Le Languedoc fait le choix de fédérer ses VDQS en 1985 pour se doter d’une AOC commune étendue « Coteaux du Languedoc » garante de la qualité des produits. Moribonde, la zone du Pic Saint-Loup passe près du refus d’intégrer la zone de l’AOC régionale du fait de l’incertitude dans sa capacité à relever le défi qualitatif. Cette situation marque profondément les vignerons de la zone qui décident de se remobiliser autour d’une marque collective pour porter leurs stratégies individuelles.

Les vignerons du Pic Saint-Loup s’inscrivent ainsi dans un mouvement global de lancement d’une marque collective sans pour autant s’appuyer sur une démarche d’AOC propre a priori. La marque collective, et non pas l’AOC, est le support d’une stratégie collective basée sur l’amélioration qualitative des produits. Portés par une démarche collective, les vignerons opèrent individuellement un réencépagement de leurs domaines pour évoluer du métier de viticulteur à celui de vigneron vinificateur indépendant. A posteriori, l’indication géographique agit uniquement comme un système de protection de la marque (Evans, 2010), comme un outil de consolidation de la stratégie de différenciation qualitative portée par une marque collective. C’est dans le cadre de cette consolidation par décret que débute les relations entre les différentes PP du Pic Saint-Loup.

Résultats

Au travers de notre terrain, nous avons cherché à répondre à la problématique suivante : Comment, en situation d’incertitude environnementale, les dirigeants de PME développent des stratégies collectives avec leurs PP ? Nos résultats se structurent comme suit : premièrement, nous décrivons les étapes de structuration des stratégies collectives des PME dans le cas du secteur vitivinicole du Pic-Saint-Loup; deuxièmement, nous mettons en évidence les stratégies de tertius des dirigeants lors de la mise en place de ces stratégies collectives. Ainsi, les deux propositions sont corroborées dans notre étude de cas.

Les phases strategiques du developpement de la strategie collective

La phase de lancement en 1985

En 1985, à la création de l’AOC régionale Coteaux du Languedoc, un groupe d’associés coopérateurs du Pic Saint-Loup quitte les caves coopératives dont ils sont adhérents pour transformer leur exploitation en cave individuelle. Ils passent d’un statut de producteur de raisins, confiant la vinification de leur production à la cave coopérative, à celui de vigneron indépendant. L’ensemble de ces PME, caves individuelles et coopératives inclues, se lance alors dans une stratégie de « réencépagement » et cherchent, à travers une meilleure connaissance de leur terroir, à produire des vins de qualité supérieure. Rapidement, à la fin des années 80, ces PME concurrentes constituent une communauté informelle d’échange de pratiques et de ressources car, selon leurs dirigeants, « l’individualisme n’a pas d’avenir dans la viticulture » alors que « se regrouper c’est nécessaire ».

Au lancement de cette stratégie à la fin des années 80, les caves coopératives acceptent, non sans risques, le départ d’associés coopérateurs et l’usage collectif d’une marque « Pic Saint-Loup », au bénéfice d’une stratégie collective aux retombées économiques incertaines. A ce propos, un dirigeant de PME précise qu’il s’agit « de petites entreprises artisanales, donc incapables a priori d’implanter leur nom ou la marque privée de leur produit et de les faire accéder à une notoriété. Elles sont conduites inévitablement, pour avoir une part de marché, à se fédérer et faire émerger une marque collective ». Ainsi, dans un contexte de risque économique, renforcé par une crise sectorielle, et face à d’importantes évolutions environnementales locales (lancement d’une AOC régionale) et internationales (arrivée de concurrents), des PME en situation de concurrence lient durablement leur destin. Adoptant une démarche proactive, les PME membres du syndicat sont guidées par leur choix stratégique dans une logique de survie économique.

La phase de formalisation en 1988

L’ensemble des PME de la zone décide d’adhérer en 1988 à un syndicat professionnel pour formaliser leurs relations. Elles initient, dans une démarche proactive, une stratégie de différenciation par la qualité en s’appuyant sur une marque collective d’abord informelle « Pic Saint-Loup ». Un dirigeant impliqué mentionne le caractère proactif : « il y a eu une démarche économique volontariste. (…). Je suis convaincu qu’un tel développement ne peut être imposé par des gens à l’extérieur, il doit être porté par les gens à la base ». Un autre insiste sur l’état d’esprit des membres : « Personne n’est influençable au Pic Saint-Loup ». La marque été préalablement celle de l’une des caves coopératives qui accepta la généralisation de son utilisation au profit de la communauté. Les relations entre les membres, les règles de production et l’action du syndicat se formalisent.

La formalisation de la stratégie collective est ainsi guidée par une démarche économique volontariste : le positionnement sur une niche de vins « premium » en progression depuis l’internationalisation du marché liée aux nouveaux pays producteurs. Ce type de vin, dont le prix de vente se situe entre six et dix dollars la bouteille, se positionne à un échelon supérieur de qualité notamment vis-à-vis de l’ensemble des autres vins régionaux. Un répondant affirme : « Ils ont voulu se distinguer de l’AOC régionale Coteaux du Languedoc et devenir appellation à part entière ». Un autre confirme : « Ils se sont regroupés pour faire une démarche de hiérarchisation, pour se distinguer de l’AOC Coteaux du Languedoc en tant que cru et future appellation ».

La phase d’encastrement en 1994

En 1994, par décret, la marque « Pic Saint-Loup » s’adosse à l’AOC régionale « Coteaux du Languedoc » pour permettre d’accéder collectivement à une nouvelle notoriété. Le décret permet de s’assurer de l’implication individuelle de chacune des PME en fixant les règles collectives « juridiques » de production. Malgré leur démarche proactive, au regard de leurs ressources limitées et des nécessaires compétences à développer pour mener durablement cette stratégie, les membres du syndicat s’appuient sur un ensemble de PP telles que des collectivités territoriales ou des organisations professionnelles. Au milieu des années 90, après une phase de formalisation et de besoin en ressources externes pour mener à bien la phase de décret de 1994, les membres du syndicat prennent conscience du bénéfice à mobiliser certaines PP. Celles-ci s’avèrent d’autant plus facilement mobilisables que les PME adhérentes participent à leur gouvernance. Ainsi, les dirigeants des PME membres du syndicat décident d’adhérer et de participer à la gestion d’un ensemble varié d’institutions et d’organisations professionnelles. Sur la base d’un premier processus d’encastrement qui a permis la mobilisation des techniciens de l’AOC Coteaux du Languedoc dans l’élaboration du décret de 1994, dans les années 2000, le lien entre la stratégie collective et les PP se renforce par une participation plus active en nombre et en prise de fonction.

Une demarche proactive de tertius iungens

Le cas du Pic Saint-Loup révèle l’adoption d’une démarche proactive des acteurs qui n’a pas été insufflée par les organismes professionnels ou les PP périphériques. Son exemplarité conduit donc à recommander aux organisations et institutions professionnelles l’accompagnement de démarches proactives plutôt que de vouloir insuffler des projets dans une logique réactive. Malgré cela, l’environnement général turbulent agit comme un important déterminant de l’engagement des PME dans la stratégie collective.

En effet, la perception d’un important risque de disparition a conduit les dirigeants de PME du Pic Saint-Loup à adopter des stratégies de tertius iungens dans une logique de survie. La proposition 1 est donc corroborée. Sous les effets d’un environnement économique en crise, le développement de la stratégie collective a semblé irrémédiable voire irréversible. Les déclarations des répondants sont sans équivoques à ce sujet :

« On était dans un contexte de crise économique fort. »

« Je pense que la force du Pic Saint-Loup a été de partir d’une situation de crise à l’époque. La crise soude les gens. »

« C’était ça ou l’on crevait. »

Ne pouvant conduire à l’élaboration d’un contrat a priori, stipulant la durée et les modalités strictes de leur engagement, les PME se sont liées durablement et de façon proactive dans la stratégie collective. Ainsi, face à un environnement économique concurrentiel entraînant un important risque de disparition individuelle de la PME, celle-ci préfère s’engager dans des relations collaboratives avec des PME concurrentes, au sein d’une communauté qui garantira une survie collective.

Malgré la nature indéniablement proactive de la démarche, que nous pourrions qualifier de « bottom up », le cas révèle que les PME du Pic Saint-Loup se sont considérablement appuyées sur les PP à différents niveaux :

Au niveau politique, en intégrant les organisations professionnelles pour y exercer parfois des fonctions à responsabilité;

Au niveau opérationnel, en nouant des relations de proximité avec les techniciens de ces organisations qu’ils utilisent pour leurs compétences clés.

Un membre explique que « c’est difficile de couper le cordon avec les Coteaux du Languedoc. Ils nous aident dans la démarche, dans la constitution du dossier et ils ont des contacts influents ». Ainsi, les ressources et compétences limitées de la stratégie collective a conduit ses membres à tisser des liens et intégrer d’autres PP afin de bénéficier d’un ensemble de ressources et compétences externes : « lorsque l’on a besoin de budget on fait appel aux institutions locales et régionales ».

Multiplexité au sein des pp

Au fil des années, malgré la petite taille de la zone, les acteurs du Pic Saint-Loup ont su intégrer les organismes professionnels périphériques nationaux et/ou régionaux pour y exercer des fonctions. Le tableau 3 présente les fonctions, uniquement à responsabilité, occupées par les dirigeants au sein de ces diverses organisations au moment de l’étude. Il ne mentionne pas celles exercées dans le cadre du syndicat du Pic Saint-Loup.

Les membres du syndicat du Pic Saint-Loup sont impliqués dans de nombreuses organisations professionnelles, pour y exercer des fonctions de premier ordre, avec pas moins de cinq présidences dont trois dans des instances nationales majeures comme celle de l’ANTAV (association nationale technique pour l’amélioration de l’agriculture), celle de l’ITV (institut technique du vin) ou celle du groupe national Recherche et Développement dans le cadre du plan ministériel de modernisation de la filière française. De plus, l’un des fondateurs d’un domaine vitivinicole en cours d’adhésion au syndicat, originaire de la zone de production, est le président du syndicat professionnel des Vins de Pays d’Oc. Associée avec la présidence de l’AOC Coteaux du Languedoc, les membres du Pic Saint-Loup sont donc liés aux deux principales organisations professionnelles de leur région en termes de volume de production et d’influence politique. Une technicienne de l’AOC Coteaux du Languedoc témoigne : « j’ai commencé à travailler avec eux lorsque j’ai mis en place des formations (…) la coordination du dossier de hiérarchisation, les relations avec l’INAO (l’Institut National des Appellations d’Origine), les réponses à la commission d’enquête, la surveillance du suivi des dossiers. Marie-Pierre coordonne avec Hélène la mise en place du site Internet ».

Tableau 3

Fonctions occupées dans les organisations professionnelles par les dirigeants

Fonctions occupées dans les organisations professionnelles par les dirigeants

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Les membres du syndicat jouent la carte de la multiplexité dans les instances de gouvernance des organismes professionnels de référence. D’après les répondants, ils externalisent ainsi une partie de la prise en charge opérationnelle de la stratégie collective à la PP :

« Les partenaires sont les Coteaux du Languedoc qui gèrent l’agrément des vins et disposent d’une personne qui se charge de notre dossier d’appellation. »

« Pour le fonctionnement nous avons besoin de travailler avec les interprofessions comme le département, l’INAO, l’ONIVIN, les Coteaux du Languedoc, le CIVL. »

« Il y a aussi des institutions comme l’ADEFA et les chambres d’agriculture qui font tourner des personnes en formation dans les domaines. »

Une démarche encastrée de tertius gaudens

La présence des membres du syndicat dans ces organisations n’est pas sans conséquences. Ils influencent à leur avantage les décisions prises au sein de celles-ci. D’après un membre « on va beaucoup à la pêche aux informations » pour collecter de l’information stratégique qu’ils diffusent au syndicat puis, qu’ils utilisent afin d’orienter leur stratégie individuelle en cohérence avec la stratégie collective. L’animateur du syndicat décrit son activité en ce sens : « je sers également de plate-forme pour recueillir des données et diffuser des informations. Je sers d’intermédiaire entre les vignerons et les institutions ». A titre d’exemple, l’anticipation d’une demande grandissante pour des vins blancs, dont la production n’est pas possible sur la base du décret de 1994, a conduit les membres à en commercialiser très tôt via la constitution d’une nouvelle indentification géographique. La constitution de cette identification géographique « Val de Montferrand » en 2005 s’est réalisée grâce au soutien d’organisations professionnelles dans lesquelles siègent les membres du syndicat.

Ils bénéficient ainsi d’une asymétrie d’information au détriment de leurs concurrents directs et des autres stratégies collectives régionales. En ce sens, la proposition 2 relative à la stratégie de tertius gaudens est corroborée. Cette asymétrie concerne principalement l’anticipation des attentes du marché, des évolutions environnementales et des actions de la concurrence régionale, nationale ou internationale. D’après l’ancien directeur d’une organisation professionnelle « ce n’est pas par hasard si le département de l’Hérault a choisi le Château de Restinclières, au pied du Pic, pour installer la maison départementale de l’environnement, et si les écologistes de l’Euzière, groupe actif de formation, d’animation et de protection de la nature, y a élu domicile ». L’un des éléments stratégiques remarquables facilité par l’encastrement social des dirigeants est la mise en oeuvre de l’action de promotion phare « les vignes buissonnières » qui, depuis 2001, a largement contribué à la notoriété du Pic Saint-Loup. Cette action a été rendue possible par l’embauche d’un animateur du syndicat financée en partie via une charte intercommunale et la mise à disposition d’un bureau par la commune de Valflaunés. La participation active des vignerons dans bon nombre de collectivités, conseils municipaux et associations locales a facilité cet appui. De plus, d’après les déclarants, les PME obtiennent d’excellents résultats à l’export. D’après un répondant, président d’une organisation professionnelle régionale, sa fonction lui permet de faire l’éloge du Pic Saint-Loup à chacune de ses visites institutionnelles à l’étranger, « partout où je vais, dans le monde entier, je me réclame du Pic Saint-Loup, je présente les vins du Pic Saint-Loup ». Ainsi, l’encastrement social a un impact positif sur la stratégie collective qui, à son tour, bénéficie aux stratégies individuelles :

« Le syndicat permet d’échanger et d’en retirer des expériences pour sa structure. »

« Je pense que nous avons obtenu des résultats économiques qui ont été indéniables. »

« Les outils de promotion développés en commun vont dans le sens de la valorisation de chaque entreprise. »

En effet, au fil du temps et au gré de leurs besoins, les membres du syndicat sont parvenus à tisser des liens privilégiés avec ces institutions, car d’après un salarié « ils soignent leur relationnel », dans le but de tirer profit des diverses compétences, ressources ou financements. Les services et compétences sollicités concernent, de façon non exhaustive :

La mise à disposition d’un bureau par la commune de Valflaunès, la mise sous SIG (Système d’Information Géographique) de la totalité du parcellaire d’une zone de production sur la commune de Lauret, et l’appui financier de ces communes à travers le partenariat contractualisé via une charte intercommunale.

L’hébergement du site internet du syndicat, l’ingénierie de formation des dirigeants des PME adhérentes, l’expertise dans la constitution et la gestion d’un dossier de demande d’AOC propre, l’aide financière pour la participation à des salons professionnels ou l’élaboration d’outils de communication apportés par le syndicat professionnel des Coteaux du Languedoc.

La réalisation de cartes de sols de l’aire du Pic Saint-Loup et d’une base de données, élaborés par l’Association Climatologique de l’Hérault.

Le travail d’analyse de vinification du cépage Syrah sur chacun des types de sol de l’aire réalisé par la Chambre d’Agriculture de l’Hérault.

Des formations pour les dirigeants de PME adhérentes, une assistance au recrutement et l’appui à la constitution d’un groupement d’employeurs, réalisés par l’Association Départementale pour l’Emploi et la Formation Agricole.

Les membres du syndicat ont développé simultanément des stratégies de tertius gaudens et iungens en mobilisant leurs PP autour de la mise en oeuvre de projets collectifs. D’après un répondant : « Il y a eu des synergies collectives, surtout au niveau opérationnel et en termes de communication, promotion et évènementiel ». Un certain nombre d’actions collectives de promotion, telle que « Les vignes buissonnières » consistant en une balade culinaire ponctuée de dégustations des vins, a bénéficié de l’appui d’un ensemble varié d’acteurs. La stratégie collective mise en oeuvre consiste ainsi à saisir une opportunité stratégique tout en évitant une menace environnementale, d’infléchir une démarche volontariste dans un contexte de forte incitation chez certaines PP, d’être proactif tout en jouant la carte de la multiplexité dans le but d’influencer les orientations des décideurs à l’avantage du syndicat.

Discussion des résultats

La présente recherche a eu pour but de répondre à la question suivante : Comment, en situation d’incertitude environnementale, les dirigeants de PME développent des stratégies collectives avec leurs PP ? Nous proposons de discuter trois points dans cette discussion : la survie et l’évolutivité de la stratégie collective, les rôles de tertius dans la stratégie de réseautage des dirigeants, et la conduite du changement stratégique en PME.

La survie comme determinant de l’evolutivite d’une strategie collective

Le cas confirme que l’environnement est déterminant dans la mise en oeuvre d’une stratégie collective (Astley et Fombrun, 1983; Bresser et Harl, 1986; Dollinger et Golden, 1992). Il met en lumière que la stratégie collective peut devenir l’essence même de la survie face à ces turbulences environnementales. En effet, la survie apparaît comme le principal déterminant du changement stratégique pour ces PME qui décident d’agir de façon proactive au sein d’une stratégie collective. S’imposant comme un véritable mode de développement économique, les PME étudiées s’inscrivent dans une logique communautaire afin de dépasser le risque de disparation individuelle et d’influer sur leur environnement.

Le cas étudié met également en avant les déterminants de l’évolutivité de la stratégie collective, dans le sens où la nécessité de survie conduit les PME à s’engager plus durablement. Les PME lient véritablement leur destin, pour survivre, sans relation contractuelle antérieure. Le cas met en avant que dans un contexte économique turbulent, avec un risque de disparition, la stratégie collective entre PME ne peut concerner des situations partenariales intermédiaires qui s’effriteraient à moyen terme pour conduire inévitablement vers plus de concurrence. La mise en relation entre le besoin d’évolutivité (Gundolf et al., 2006) et le fait que les membres de la stratégie à son lancement ne peuvent pas spécifier d’éventuelles retombées économiques a priori (Yami, 2003) laisse présager que les firmes de petite taille lient plus durablement leur destin au sein de stratégies collectives.

Un contexte économique turbulent, qui entraine un risque de disparition de l’espèce, est ainsi favorable au changement stratégique. Ainsi, il conviendrait donc de profiter des périodes de crise pour inciter le changement stratégique. Ce postulat renvoie à la question de l’accompagnement du changement stratégique à un niveau collectif. Selon Yami et Le Roy (2006), la littérature identifie principalement deux causes de recours à une stratégie collective. La première est une action combinée des acteurs dans une démarche volontariste qu’ils qualifient de « bottom up », en réponse à des signaux de l’environnement. La seconde concerne l’action publique qui pousse les acteurs à construire des espaces collectifs dans une démarche qu’ils qualifient de « top down ». En réalité, le cas du Pic Saint-Loup conduit à une analyse nuancée quant au caractère exclusivement proactif ou réactif de type d’une stratégie collective. Nous pourrions qualifier la stratégie du Pic Saint-Loup de stratégie proactive encastrée.

La strategie combinatoire des rôles de tertius

D’un point de vue théorique mais également empirique, la combinaison des approches relatives aux stratégies de tertius gaudens et iungens constitue un apport. Souvent opposés dans la littérature, le tertius gaudens étant présenté comme la face sombre du tertius iungens, nous proposons de les combiner et de rendre compte empiriquement des périmètres d’action de chacune des stratégies employées.

Le tertius gaudens (Simmel, 1950; Burt, 1992) est ici l’incarnation de la compétition tandis que le tertius iungens est, quant à lui, l’incarnation de la coopération. Rassemblées, ces deux stratégies montrent la combinatoire des comportements de compétition et de coopération des dirigeants entre eux à l’égard des PP. De ce fait, la stratégie de tertius gaudens est mise en oeuvre par les dirigeants du PSL pour avoir un avantage concurrentiel auprès de leurs PP vis-à-vis des autres compétiteurs. L’information stratégique obtenue individuellement par le dirigeant est diffusée auprès de la communauté. Le périmètre d’action est celui de la clique en réaction aux acteurs extérieurs à cette clique. En même temps, la stratégie de tertius iungens a pour but l’unification des PME au sein d’une même entité. L’avantage concurrentiel durable ne peut s’obtenir que collectivement pour ces PME. Le périmètre d’action est cette fois-ci l’intérieur de la clique ou le projet de clique en lui-même.

En somme, la combinaison des stratégies de tertius gaudens et iungens montre, dans notre cas, que le dirigeant de PME, de par son encastrement institutionnel, a un rôle à jouer à plusieurs niveaux et avec plusieurs acteurs. Cette double stratégie, à plusieurs niveaux, est plutôt originale et se distingue par exemple des travaux de Salvetat et Géraudel (2012) pour qui, ces stratégies ne sont vues que comme des alternatives sur le même niveau d’action. Ainsi, les acteurs de l’aérospatial utilisent une stratégie de tertius en fonction des types d’acteurs engagés mais ne combinent pas les deux stratégies en même temps comme c’est le cas au PSL.

La conduite collective du changement strategique en pme

Le cas révèle un certain nombre de spécificités d’une stratégie collective entre PME :

La plus grande vulnérabilité face à l’environnement, entraînant un risque de disparition plus important, qui conduit à un engagement plus durable;

Le manque structurel de ressources qui favorise le recours aux PP;

La proactivité du dirigeant de PME qui tissent des liens avec les différentes PP.

Ainsi, l’étude de cas montre que les stratégies collectives entre PME cherchent à compléter durablement l’insuffisance de leurs ressources grâce au capital social de leurs dirigeants. Le cas confirme que la chronologie est déterminante dans l’étude d’une stratégie collective (Bresser et Harl, 1986). Le cas du Pic Saint-Loup met en avant quatre niveaux d’action distincts pour impulser le changement stratégique dans le temps.

FIGURE 1

Les niveaux d’action du changement stratégique

Les niveaux d’action du changement stratégique

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Même si la littérature fait référence à la constitution d’une structure de coordination formelle pour les situations de grand nombre (Astley et Fombrun, 1983) ou une possible combinaison de stratégies collectives avec des stratégies concurrentielles (Bresser, 1988), celle-ci n’aborde pas spécifiquement les phases d’une stratégie collective dans le temps. La conduite du changement stratégique par les PME du Pic Saint-Loup, sous la pression d’importantes menaces environnementales, s’opère en trois phases distinctes. L’analyse longitudinale permet de modéliser ces phases à partir des niveaux d’action du changement stratégique identifiés supra.

FIGURE 2

Les phases de la stratégie collective

Les phases de la stratégie collective

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Dans une première phase, que nous qualifions de « lancement », les pressions environnementales diverses (nouveaux concurrents mondiaux hyperconcurrentiels, renforcement de la concurrence locale, crise sectorielle de surproduction, crise économique mondiale) entraînent un risque de disparition de la PME qui doit opérer un changement stratégique pour survivre. Dans une deuxième phase, que nous qualifions de « formalisation », la PME s’engage dans une stratégie collective qui crée une zone de protection réduisant les menaces environnementales. Cet effet de bouclier consolide la survie de la PME, qui s’engage dans une interdépendance communautaire, tout autant qu’il positionne la communauté dans l’environnement. Dans une troisième phase, que nous qualifions « d’encastrement », afin de renforcer la stratégie collective dans l’environnement, au regard de son manque structurel de ressources, les PME tissent des liens avec leurs PP dans le but de bénéficier des ressources et compétences nécessaires à leur évolutivité. Le périmètre élargit aux PP renforce l’effet de bouclier en réduisant les forces de l’environnement par anticipation sur ses turbulences et ses opportunités. Il offre également de la flexibilité stratégique individuelle en augmentant le champ d’action du périmètre communautaire. Le risque inhérent à cette troisième phase est un risque de retour à la situation initiale, à la suite d’un bouleversement ou d’une évolution radicale de l’environnement.

La mise en avant des trois phases interpelle quant aux perspectives stratégiques offertes à la stratégie collective étudiée et nous conduit à identifier le risque suivant : un retour à la première phase lié à un renforcement des turbulences environnementales. Cette perspective conduit à nous interroger sur une possible disparition de la stratégie collective initiale. Pour l’heure, en seulement une décennie, cette zone s’est hissée à la tête des crus de sa région. Les dirigeants sont unanimes quant à l’effet du collectif sur la performance individuelle des PME de la communauté. Cette dynamique d’évolution ainsi que la combinaison des deux rôles des dirigeants ont une portée positive sur la performance collective.

Conclusion

L’acceptation d’un degré élevé de concurrence entre firmes alliées est loin d’être acquise. Cette recherche trouve ses fondements dans le constat que dans des environnements dynamiques et turbulents, les PME développent des stratégies collectives et nouent des relations mêlant concurrence et coopération pour survivre.

Selon Yami et Le Roy (2006), la littérature a tendance à positionner les stratégies collectives dans une catégorie plutôt « réactive » ou une autre plutôt « volontariste ». Le cas révèle une réalité bien plus complexe en montrant que le caractère défensif et offensif de la stratégie peut se confondre. Le cas fait ainsi apparaître que la stratégie collective entre PME souffre structurellement, au même titre que les PME, d’un manque de ressources et de compétences qui nécessite la mobilisation de celles-ci via les PP. Nous pourrions qualifier la stratégie collective de « proactive encastrée ». Le cas met en perspective un certain nombre de spécificités d’une stratégie collective entre PME : les stratégies collectives entre PME sont plus vulnérables aux forces de leur environnement et cherchent donc à compléter durablement l’insuffisance de leurs ressources grâce au capital social de leurs dirigeants.

D’un point de vue pratique, cette recherche contribue à remettre en cause le modèle dominant coopératif de la filière vitivinicole française. Elle recommande aux PP d’appuyer des démarches proactives initiées par les acteurs de terrain et d’intégrer les dirigeants au sein de leurs structures de gouvernance. L’accompagnement de ces stratégies exige une attention accrue des besoins de terrain, tout en anticipant sur leurs évolutions, et une capacité d’ouverture.

D’un point de vue théorique, ce travail enrichit le corpus des stratégies collectives, en tant qu’objet de recherche, sur le champ des PME, en contribuant à affiner leur définition : en liant durablement le destin de firmes dans une logique de survie, les stratégies collectives entre PME se caractérisent par leur évolutivité et l’encastrement institutionnel de leurs dirigeants. De ce fait, nous défendons que l’étude des stratégies collectives entre PME, qui n’ont souvent pas d’autres choix que de constituer une communauté pour survivre durablement, conduit à prendre en considération les effets du temps ainsi que la cognition de leurs dirigeants. En outre, notre cadre théorique sur les stratégies de tertius nous a permis de mettre en évidence l’importance des rôles relationnels des dirigeants de PME pour combler leurs ressources auprès des PP.

D’un point de vue méthodologique, les stratégies collectives, notamment entre PME, apparaissent comme le fruit et la conséquence de diverses relations interpersonnelles et interorganisationnelles. Elles doivent, selon nous, être étudiées de façon dynamique et à travers la description de leurs conditions d’encastrement. Dans cette perspective, les approches longitudinales permettent de prendre en considération ces phénomènes et l’action collective. La méthode des cas permet de saisir la spécificité de ces situations complexes, fortement dépendantes d’un contexte, tout en s’enrichissant de la mémoire des acteurs impliqués.

En somme, la recherche montre que la coopération formelle entre PME n’est pas forcément temporaire mais peut bel est bien s’avérer permanente, dans un processus continu, au même titre que le processus de compétition. L’expression de l’avantage concurrentiel des firmes par la rivalité peut ainsi coexister avec un processus continu et dynamique de coopération. La compréhension de ce processus est un enjeu majeur au moment où les stratégies collectives entre PME deviennent un véritable mode de coordination économique, voire de survie, dans un contexte de globalisation des marchés.