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Internationalisation et stratégies juridiques

La multinationalisation d’une firme correspond en général à l’aboutissement d’un processus d’internationalisation qui débute le plus souvent par une stratégie d’exportation. A la volonté d’élargir son espace de marché s’ajoute ensuite pour la firme, la volonté d’étendre son espace, en créant ou organisant des modalités relationnelles ou contractuelles plus ou moins élaborées, selon les choix de la firme et les zones géographiques visées. D’un point de vue stratégique, le processus d’internationalisation de la firme se caractérise par deux choix successifs : le premier est celui du pays ou du marché cible (localisation) et le second est celui du mode d’entrée dans ce pays cible. Le modèle Uppsala apporte une réponse conjointe aux deux questions, en développant une théorie robuste sur le processus d’internationalisation de la firme. A travers le concept de distance psychique entre pays – « la somme des facteurs qui restreignent le flux d’information en provenance et à destination du marché » (Johanson et Vahlne, 1977) [2], à l’instar des différences de langage, de culture ou de développement industriel, le modèle d’Uppsala suggère un développement progressif de la firme vers l’étranger, pour expliquer à la fois le choix des destinations mais également celui des modes d’entrée (Métais et al., 2010) [3]. La distance psychique est principalement approchée de deux manières, par la distance culturelle (Hofstede, 1980) [4] et la notion de distance institutionnelle, qui mesure les différences entre pays au plan des institutions, lois, normes et règles (Kostova, 1997) [5]. La distance psychique est, en règle générale, corrélée à la distance géographique (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975) [6].

Mais la notion de distance est un concept multidimensionnel (Angué et Mayrhofer, 2010 [7]; Meier et Meschi, 2010 [8]), comme en témoignent les travaux de Ghemawat (2001) [9] qui proposent un cadre d’analyse synthétique, tenant compte de quatre formes de distances : culturelle, administrative, géographique et économique. Parmi ces notions, le concept de distance administrative (ou politique) mérite une attention particulière, lorsqu’on s’intéresse au lien entre stratégie internationale et approche juridique. Ce concept est essentiellement lié à l’histoire, à la politique gouvernementale et au contexte institutionnel ou juridique (Ghemawat, 2001) [9]. Contrairement à la distance culturelle, cette dimension a fait l’objet de peu de travaux (Evans et Mavondo, 2002) [10], bien qu’elle soit considérée comme un déterminant dans le choix de la localisation des firmes à l’international (Parkhe, 1991) [11].

Les aspects relationnels, institutionnels et administratifs se révèlent de ce fait au coeur de la stratégie d’internationalisation des entreprises. Ullrich (2003) [12] montre ainsi que la globalisation économique en tant que telle n’est pas le résultat de changements de la réglementation du commerce international mais de l’activité des entreprises. La mondialisation économique produit des effets systémiques qui ne se fondent pas seulement sur l’ouverture des marchés territoriaux mais sur les transformations de la structure des entreprises en réseaux de rapports intra-groupes. Il souligne en outre le phénomène de « l’internalisation contractuelle des marchés par des transactions commerciales régulières » (Ullrich, 2003) [12]. La mondialisation économique tient donc du développement de l’activité des entreprises et des consommateurs qui cherchent à profiter de nouvelles opportunités, via la création ou la constitution de modes d’organisation et d’action de nature juridique et contractuelle.

Face à cette réalité, les stratégies internationales nécessitent de suivre une ou des stratégie(s) juridique(s) pour pénétrer un marché ou obtenir un accord. Danet (2010) [13] précise d’ailleurs que l’utilisation du droit et de « l’intelligence juridique » doit être intégrée dans la démarche stratégique des entreprises, en particulier dans un contexte de développement international. L’intelligence juridique fait référence à « l’ensemble des techniques et des moyens permettant à un acteur – privé ou public - de connaître l’environnement juridique dont il est tributaire, d’en identifier et d’en anticiper les risques et les opportunités potentielles, d’agir sur son évolution et de disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en oeuvre les instruments juridiques aptes à réaliser ses objectifs stratégiques » (Warusfel, 2010) [14]. Ce concept d’intelligence juridique est synonyme du droit transnational défini comme « un processus de mobilisation de règles de droit par des acteurs privés et publics qui mettent en oeuvre des pratiques professionnelles de choix de normes » (Lhuilier, 2016) [15] ou du Transnational Legal Process, défini « comme capacité des acteurs à mobiliser des règles pour régler des questions à dimension transnationale » (Koh, 1996) [16]. En effet, comme l’a montré Lhuilier (2010) [17], la maîtrise du droit et des montages juridiques (lawshopping par techniques de localisation contractuelle, techniques de localisation physique, approche par hiérarchie des normes juridiques) ouvrent des perspectives nouvelles à la réflexion stratégique en matière de développement international[1]. Masson (2009) [18] indique ainsi que « les entreprises ont pleinement incorporé le droit comme une partie intégrante de leurs stratégies. Les dirigeants ne cherchent pas seulement à échapper aux contraintes des normes positives, mais utilisent le Droit comme une ressource pour atteindre leurs objectifs commerciaux, industriels ou financiers. »[2]. Il existe de ce fait plusieurs types de contrats et de montages juridiques pour contourner un obstacle et s’implanter durablement sur un marché visé, tels que les contrats de licences, les contrats de coopération, les contrats d’acquisitions ou encore les réseaux contractuels ( Ullrich, 2003 [12]; Petit, 2009 [19]). Les stratégies ont donc une portée managériale par leur finalité, mais également juridique par le type de ressources et modes de structurations qu’elles mettent en oeuvre (Bouthinon-Dumas, 2012) [20].

Les contrats extractifs internationaux sont révélateurs de ces stratégies juridiques par lesquelles les acteurs se « localisent » dans un espace juridique. (Lhuilier, 2016) [15]. On entend ici par contrat extractif, un contrat par lequel un Etat accorde à une société, le droit exclusif de l’exploration et/ou de l’exploitation et de la commercialisation des ressources minières, pétrolières ou gazières sur un terrain déterminé, en échange d’un prix prenant la forme notamment de royalties, de taxes et éventuellement d’un partage de la production ou de profits ou autres obligations de compensation économique ou sociale (Lhuilier, 2015a)[3] [22].

Ces contrats extractifs Sud-Sud sont exemplaires d’une évolution des contextes des transactions extractives caractérisés par un double décentrement. Décentrement géopolitique d’abord. Jamais n’était, en effet, apparu aussi clairement le bouleversement actuel de l’ordre géopolitique établi dans les relations économiques internationales. Décentrement économique ensuite car dans la carte du monde décrite il y a plus de vingt ans, les espaces économiques globaux de la World-system theory, faits d’un « coeur » et de « périphéries », est en cours de transformation. Ce sont, en effet, les structures de financement de l’économie mondiale qui ont été basculées avec ces contrats, la R.D.C. échappant à la fois au F.M.I., au club de paris, aux Etats occidentaux mais surtout au secteur financier occidental. La carte du monde décrite il y a plus de quarante ans, les espaces économiques globaux de la World-system theory, est ainsi en cours de mutation. La répartition classique entre d’un côté des Etats européens, les Etats-Unis et du Canada, voire le Japon, et de l’autre côté, la périphérie autour des pays en voie de développement, tels que la Chine et l’Afrique du Sud, voire de la République Démocratique du Congo semble donc avoir vécu. Ce découpage du monde naissait de la “multicultural territorial division of labor in which the production and exchange of basic goods and raw materials is necessary for the everyday life of its inhabitants »[4]. Mais cette division du travail - ou plus exactement de la production - est aujourd’hui remise en question. De nouveaux « micro-systèmes » naissent. Ils correspondent à des espaces juridiques, des espaces « normatifs » tels ces grands contrats mondiaux, qui sont en voie de devenir le niveau d’analyse qui peut renouveler la carte économique et juridique du monde, à savoir la new world theory. La stratégie internationale des entreprises de resource-seeking répond par conséquent aux impératifs de développements des Pays du Sud, à l’instar de la Chine qui incite notamment les entreprises extractives à rechercher des matières premières nécessaires à la croissance économique du pays.

Les déterminants de ces stratégies ont donc évolué avec le changement de polarité géographique au niveau de certains contrats, notamment avec l’émergence de contrats Sud-Sud, par opposition aux références traditionnelles Nord-Sud. Néanmoins derrière cette diversité, est-il possible d’identifier certaines logiques ou régularités ? Plus précisément, est-ce que les choix juridiques appliqués au développement international des firmes relèvent de choix d’opportunités, de circonstances ou de processus décisionnel rationnel ?

L’objectif de cet article vise à mieux comprendre l’articulation entre la stratégie internationale des firmes et les stratégies et pratiques juridiques suivies, à travers l’étude comparée de deux contrats extractifs internationaux aux enjeux économiques comparables (même localisation, même type d’entreprise, même stratégie, profils d’acteurs comparables), mais ayant abouti à des techniques et résultats relativement différents. Cette recherche a donc pour but de mieux comprendre les évolutions récentes dans la détermination des techniques utilisées pour le développement international des firmes. Elle permet de donner du « sens » et une certaine logique aux phénomènes constatés (finalité des acteurs, enjeux de la relation, influence culturelle et politique, contraintes économiques …). Cet article apporte un éclairage nouveau dans le champ du management international, à la croisée des stratégies d’internationalisation, de la mise en oeuvre juridique appliquée aux activités extractives dans les économies de croissance rapide, en s’intéressant aux contrats extractifs « Sud-Sud » par opposition à la référence classique des contrats « Nord-Sud » (Vacchiani-Marcuzzo, 2003 [24]; Bost, 2004 [25]; Regnault, 2005 [26]).

Plus précisément l’enjeu de cette recherche est double. Sur un plan théorique, ce travail permet l’élaboration d’un cadre méthodologique pour analyser les stratégies des acteurs de la mondialisation économique. Il s’agit de distinguer les techniques de choix, les choix possibles et les rationalités à l’oeuvre dans ces choix.

Sur un plan pratique, cette recherche constitue une aide à la prise de décision lors de la négociation, de la rédaction, mais aussi de l’exploitation et de la gouvernance de ces contrats, ainsi que de leur contrôle par les autorités politiques de régulation et les institutions financières. 

Méthodologie

Notre recherche s’appuie sur l’apport méthodologique de l’étude de cas dans l’examen approfondi d’un phénomène contemporain (Fortin et Gagnon, 2010) [27] à l’international, en vue de baliser un terrain encore peu exploré et faire émerger des propositions théoriques à visée compréhensive (Merriam, 2001) [28]. Il se justifie en raison d’un domaine d’étude dans lequel la contextualisation (Stake, 1995 [29]; Gagnon, 2005 [30]) et la complexité (Stake, 1995 [29]; Yin, 2003 [31]) sont les assises d’un mode de contribution singulier, à savoir comprendre de « l’intérieur » la formulation des contrats internationaux. L’importance est mise ici sur la compréhension des points d’intérêts pour les acteurs (Etat, Entreprise, parties prenantes), l’analyse de la complexité d’un processus de réalisation d’un contrat international en contexte et sur la présentation d’interprétation des différentes étapes observées. La démarche se concentre sur les questions internationales, en s’intéressant notamment à l’élaboration de deux cas analogues de contrats extractifs en Afrique (Congo) ayant débouché sur des formulations et des procédés juridiques pourtant différents. Elle repose sur la volonté de rechercher les processus de construction d’un contrat extractif, en précisant le contexte, les enjeux, les acteurs, le processus et la formulation finale du contrat. L’objectif de la recherche est donc de comprendre un phénomène, à travers une plongée dans ses éléments constitutifs (Mucchielli, 2007) [32]. Elle s’appuie sur deux études de cas critiques au sens de Koenig (2005) [33] considérées comme des expériences cruciales et significatives des contrats internationaux, tout en veillant à de nouveaux apports sur le plan théorique.

Recueil et analyse des données

Les cas ont été élaborés à partir de données primaires et secondaires, selon les principes exposés par R.K. Yin (2003) [31], à savoir : multiplicité des sources, création de base de données par cas et logique de collecte à partir de la question de recherche.

Sources primaires

108 entretiens (dont 66 pour le contrat minier et 42 pour le contrat pétrolier) ont été réalisés sur une période de 4 ans et menés auprès d’une centaine de d’acteurs de la communauté extractive internationale comprenant des avocats/experts juridiques (48), des représentants et membres d’entreprises-investisseurs sur ce type de contrats extractifs (37), des représentants de l’administration publique au niveau des gouvernements concernés et de l’Union Européenne (12), des représentants d’ONG (7). La volonté d’une analyse en profondeur explique le temps (4 ans) nécessaire à la réalisation de l’étude. Quelques personnes (une centaine au total) ont été interrogées plusieurs fois, compte tenu de leurs connaissances et expertises de ce type de contrats.

Sources secondaires

Les sources secondaires sont composées de documents officiels ainsi que de notes relatives à la nature des activités concernées et au type de contrats traités. La mise à disposition de documents officiels (rapports annuels, études, manuels) échelonnés dans le temps a permis la reconstitution des événements et rendu possible le contrôle de différentes variables. Dans un premier temps, l’accès aux contrats publiés par les ONG, puis, dans un second temps, l’accès aux documents officiels du site du Ministère des Mines de R.D.C., en application de l’obligation de publication des contrats extractifs de l’E.I.T.I., ont permis de mener à bien cette étude[5].

Tableau 1

Sources des données pour l’étude des deux contrats

Sources des données pour l’étude des deux contrats

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La présence de notes internes, de rapports personnels, de cahiers collectés au fil des rencontres a permis de mieux comprendre les étapes clés du processus et les interactions en jeu. Une étude de l’enquête menée en 2011 par le All Party African Great Lakes Group (Joyce, 2011) [34], une organisation regroupant deux cent parlementaires anglais, sur les incorporations de sociétés aux Iles Vierges Britanniques dans des contrats miniers de R.D.C., a par exemple permis d’approfondir l’analyse. Cette étude est significative pour notre recherche car elle met en évidence que le contrat pétrolier - Caprikat et Foxwhelp – R.D.C. de 2010 est exemplaire d’une pratique identique de près de 45 contrats extractifs en RDC. Le cas « critique » ou exemplaire au sens de Koenig peut servir d’« expérience cruciale » tout en apportant une « contribution théorique ». Il permet ainsi de remettre en cause des schémas établis et en proposer de nouveaux (Koenig, 2005) [33].

Cet article s’appuie également sur des études concernant le contrat minier menées par Vircoulon et Jansson par exemple (Vircoulon, 2010 [35]; Jansson, 2011 [36]). Divers films retracent d’ailleurs l’histoire de ces contrats tels que le documentaire « Katanga Business » sur le contrat du siècle (Michel, 2009) [37]. Un documentaire de la BBC Newsnight présente également ces contrats (BBC-Newsnight, 2010) [38].

Mode de traitement et de codages

Nous avons cherché des explications dans les différences constatées entre les deux contrats « d’inputs » a priori comparables, à partir des données du terrain, et plus particulièrement de codages sélectifs au sens où l’entendent Strauss et Corbin (1990) [39]. En effet, nous avons procédé à des allers retours constants entre les opérations de recueil et d’analyse des données. L’ensemble des matériaux de recherche a été codifié selon une démarche à la fois inductive et comparative. Une première phase de codage (codage primaire) a permis de dégager des catégories à partir des matériaux bruts collectés sur le terrain. On a cherché à améliorer ces catégories en identifiant et précisant leurs propriétés. Puis nous nous sommes efforcés de passer à un niveau d’abstraction supérieur, celui de la conceptualisation. Il s’agissait d’explorer les propriétés des concepts et les relations pouvant exister avec d’autres concepts issus par fois de champs de recherche différents. Enfin, nous sommes passés du stade des concepts à celui d’une théorie ou d’un modèle final, jusqu’à saturation. Ce travail nous a permis de faire émerger de l’analyse de cas, des éléments qui expliquent les phénomènes observés et qui nous aident à construire des conjectures centrées sur le mode de réalisation des deux contrats extractifs étudiés. L’utilisation des concepts et leur articulation s’appuient sur des recherches existantes (conformité des définitions, cohérence théorique et conceptuelle) et sur un effort de validation faciale (présentation des résultats aux parties concernées et acteurs externes (avocats, juristes, spécialistes).

Tableau 2

Deux contrats équivalents d’un point de vue théorique

Deux contrats équivalents d’un point de vue théorique

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Analyse des cas

Critères de présélection

La pré-sélection des cas a été réalisée à partir de trois critères. Le premier critère porte sur le caractère opérationnel d’un contrat international, en prenant l’exemple de la rédaction d’un contrat extractif international (pétrole, gaz, mine). Le deuxième critère porte sur le caractère comparable des contrats retenus, à savoir des contrats au service du développement international des entreprises et ayant au départ des caractéristiques communes (finalité, enjeux, mêmes types d’acteurs, même zone géographique). Le troisième critère concerne les résultats obtenus en matière de rédaction des contrats, avec des caractéristiques différentes (méthodes utilisées pour la localisation du contrat), alors même que les conditions initiales étaient quasi-similaires (contexte, enjeux, profils des acteurs).

Contrôle des cas

Les facteurs explicatifs rivaux les plus évidents peuvent être raisonnablement écartés.

Notre étude porte sur deux contrats extractifs internationaux présentant un certain nombre de similitudes :

  • les deux contrats ont des objectifs proches;

  • les deux contrats ont été conclus à la même période (2008 pour le contrat minier et 2010 pour le contrat pétrolier) et dans le même pays;

  • dans les deux cas analysés, l’objet du contrat relève du même domaine d’activité : contrat minier et pétrolier;

L’équivalence des contrats sur le référentiel choisi est, de ce fait, un élément primordial pour contrôler les autres facteurs explicatifs pouvant justifier les trajectoires différentes qui ont été prises.

De plus, un certain nombre de variables, pouvant interférer dans l’analyse, ont également été contrôlées au début de l’étude, afin de s’assurer que les résultats ne proviennent pas d’éléments exogènes. En particulier, trois facteurs ont fait l’objet d’une attention particulière : les facteurs stratégiques (même finalité économique et même type de contrat), politiques (même Etat et type d’entreprises référents) et conjoncturels (même situation géopolitique).

Ainsi, les deux cas étudiés correspondent à des contrats extractifs en Afrique réalisés dans le même pays (Congo) et dans un contexte international analogue. En effet, les deux cas possèdent des propriétés intéressantes au regard des objectifs de la recherche. Ils présentent des situations qui disposent de caractéristiques initiales semblables. Les profils des acteurs sont proches. Les activités concernées sont les semblables (ressources énergétiques). Les caractéristiques initiales des contrats apparaissent semblables. Le contrôle de ces caractéristiques rend par conséquent possible la recherche de différences entre les deux cas, en neutralisant des facteurs qui auraient pu modifier l’analyse (en imputant les trajectoires différentes à d’autres phénomènes n’ayant pas de lien direct avec le processus de rédaction de ce type de contrats).

Présentation des cas

Le premier contrat est le contrat minier dit « du siècle » signé le 28 avril 2008 entre la République démocratique du Congo (R.D.C.) et un consortium d’investisseurs privés chinois qui a pour objet l’exploitation d’une des plus importante mines au monde. Ce contrat est un contrat extractif, de cuivre notamment, dont les bénéfices vont financer directement la construction d’infrastructures publiques pour les populations de R.D.C. (Routes, chemin de fer, hôpitaux, etc.). Les signataires du contrat minier sont d’une part l’Etat de R.D.C., et la Gécamine, la société nationale, et d’autre part un consortium chinois dont deux entreprises incorporées en Chine populaire, mais aussi trois sociétés filiales incorporées à Hong Kong. Les parties au contrat minier ont décidé de créer une joint venture avec création d’une personne morale, une société de droit congolais car incorporé en RDC. La Sino-Congolaise des Mines (‘Sicomines’) a été créée par un contrat de joint venture signé le même jour que la Convention de Collaboration (22 avril 2008). Ce contrat est exemplaire des pratiques actuelles. La communauté extractive fait référence à ce contrat comme le contrat « du siècle » (Jansson, 2012) [40].

Le deuxième contrat étudié dans cette recherche est un contrat pétrolier signé en 2010 entre, d’une part, deux sociétés incorporées aux Îles vierges britanniques (les British Virgin Island (B.V.I.) – le consortium Caprikat-Foxwhelp - et la République Démocratique du Congo (R.D.C.), pour l’exploitation du Bloc 1 sur la rive du lac Albert situé en R.D.C. Le constituant de ces deux sociétés serait un trust incorporé lui aussi aux B.V.I., constitué lui-même par une société holding minière incorporée en Afrique du Sud, et dont le capital est majoritairement détenu par Khulubuse Clive Zuma, le neveu du président d’Afrique du Sud. Une étude de l’enquête menée en 2011 par le All Party African Great Lakes Group met par ailleurs en évidence que ce contrat Caprikat et Foxwhelp – R.D.C. est exemplaire d’une pratique identique de près de 45 contrats extractifs en RDC.

Les rédacteurs de ces deux contrats s’inspirent de modèles communs aux contrats internationaux pour rédiger leurs contrats. Ces contrats contiennent de ce fait des clauses types (des boilers plates) concernant les Parties, les Méthodes comptables, le Recouvrement des coûts, les Impôts ou l’indemnisation, l’Environnement, le Programme de travail, la Résiliation du contrat, etc... Les contrats présentent également des clauses de local content empruntées aux contrats offsets qui prévoient, par exemple, la formation des salariés locaux par l’entreprise transnationale.

Théoriquement les deux contrats devraient s’inscrire dans des logiques économiques et juridiques proches et recourir à l’utilisation des mêmes techniques, compte tenu des objectifs stratégiques équivalents, la proximité du contexte, des acteurs et des contraintes semblables.

Analyses des données

Deux contrats potentiellement proches en termes « d’inputs »

Les contrats extractifs peuvent utiliser des typologies de contrat différentes : contrats de concession, joint-ventures, contrat de partage de production, contrats de service… Les deux contrats extractifs étudiés sont ici des contrats de partage de production, signés durant la même période (recherche de soutiens autres que le FMI). Ce type de contrat, ou Productions Sharing Agreement (PSA) pétroliers est imposé depuis les années 1960 par les pays en voie de développement aux sociétés internationales pétrolières pour lutter contre des échanges économiques trop inégaux hérités de la colonisation, entre les entreprises transnationales occidentales et les anciennes colonies, et sortir du néocolonialisme. Le contrat de partage de production est ainsi le type de contrat utilisé par 80 % des contrats pétroliers actuels. Ce modèle est diffusé par une communauté de praticiens extractifs.

Les PSA sont en effet un arrangement ingénieux qui évite de céder le pétrole aux compagnies transnationales qui obtiennent une concession. Dans un simple contrat de concession, les compagnies étrangères ont des droits sur le pétrole souterrain et compensent les États hôtes par des redevances et des impôts pour l’appropriation de leurs ressources, les profits étant seulement attribués à l’entreprise pétrolière transnationale. Contrairement à ces contrats, dans un PSA, le pétrole reste la propriété de l’État, tandis que les compagnies étrangères sont compensées pour leur investissement dans l’infrastructure de production et pour les risques encourus par un pourcentage dans la vente de ce pétrole extrait par une joint venture constitué par l’Etat et cette entreprise pétrolière étrangère. Dans ce type de contrat, la production est partagée, les profits aussi. Les bénéfices pétroliers sont ainsi partagés entre l’Etat propriétaire du sous-sol et les compagnies pétrolières transnationales occidentales qui exploitent les champs de pétrole. L’Etat apporte le droit minier, le droit d’exploiter le pétrole. L’entreprise pétrolière privée va apporter l’investissement, en général la totalité du capital nécessaire à l’exploitation pétrolière.

D’autre part, ces contrats ont recours au même montage juridique. Les entreprises signataires ont ainsi fait le choix de la création d’une joint venture comme montage juridique pour l’exploitation des ressources. L’« incorporation » des company soit signataires de la joint venture, soit crées par la joint venture (joint venture company) dans un Etat permet en effet de déterminer la loi applicable à la société. Celle-ci est la loi du lieu de sa constitution, c’est-à-dire du lieu où les formalités d’incorporation ont été accomplies. Cette technique de l’incorporation permet donc aux associés de choisir la loi applicable à la société, en choisissant le pays d’incorporation, et ce, quel que soit le pays où l’entreprise exerce réellement son activité. Incorporée en Angleterre, elle sera soumise au droit anglais. Aux Pays-Bas, ce sera le droit néerlandais. En effet, ce critère repose sur la considération selon laquelle toutes les sociétés se créent formellement dans le cadre d’un système juridique, celui qui a été choisi par les fondateurs de la société. C’est ainsi que les statuts vont donc désigner le pays choisi comme le lieu du siège statutaire de la société.

De plus, les entreprises impliquées sont des sociétés de pays en voie de développement (Chine et Afrique du Sud). La tradition extractive est de conclure ce type de contrat avec des entreprises américaines, nord-américaines ou européennes. Or dans ces deux contrats toutefois, l’investisseur est issu de pays en voie de développement à forte croissance. Les orientations stratégiques et politiques sont donc proches et consistent à sortir de l’influence du FMI, des banques américaines et des pays occidentaux.

Les deux contrats extractifs étudiés sont par ailleurs soumis aux mêmes types de choix et de techniques à disposition :

  • Le choix de la loi applicable au contrat peut être le fait d’une clause de choix de la loi, ou de clauses de stabilisation. Il n’existe pas, en effet, de loi ou de réglementation internationale imposant une loi applicable aux contrats internationaux. Ces contrats doivent donc faire le choix de la loi qui leur est applicable et qui règlementera la relation entre les parties à ces contrats, tout au long de son existence. La clause de choix de la loi présente dans un contrat permet ainsi de déterminer le droit qui sera applicable au contrat. Dans un contrat international, le droit international pose en effet comme principe que la loi applicable est celle choisie par les parties. La détermination de la loi, c’est-à-dire du droit national applicable au contrat international, peut donc se matérialiser par une clause de choix de la loi. Par cette clause insérée dans le contrat, les parties déterminent les règles de droit, c’est-à-dire les règles de tel ou tel Etat, qui seront applicables à leurs relations. Dans les deux contrats étudiés cette clause désigne le droit de la R.D.C. comme droit applicable au contrat.

  • le choix du juge compétent - étatique ou arbitral - pour trancher un litige peut être le fait d’une clause contractuelle. Dans un contrat international, une clause du contrat peut décider que le litige sera soumis soit à un juge étatique, soit à l’arbitrage d’investissement CIRDI institué par la Convention de Washington, soit à l’arbitrage commercial international institué par la Convention de New York. Dans les deux contrats étudiés les clauses renvoient ainsi à l’arbitrage et non pas au juge étatique.

Les deux contrats étudiés sont donc des contrats de partage de production entre un consortium d’entreprises de pays en voie de développement en forte croissance et la R.D.C, avec les mêmes enjeux stratégiques, politiques et géopolitique (réduire l’influence occidentale, rechercher de nouveaux alliés et relais de croissance). Ces sociétés utilisent le montage juridique de la joint venture pour l’extraction des ressources minières et pétrolières. Ces deux contrats font également appel aux techniques de choix de la loi par une clause du contrat et par la détermination du juge compétent en cas de litige. Les deux contrats extractifs appliquent donc les mêmes techniques juridiques.

Le tableau suivant montre les inputs comparables de ces deux contrats en termes d’utilisation des techniques de choix de la loi.

Deux contrats ayant finalement opté pour des choix et des démarches différentes

En dépit de ses ressemblances, l’étude des deux contrats extractifs indique que des choix différents ont été opérés au niveau de l’utilisation de ces techniques juridiques.

La rédaction des contrats extractifs est une technique qui résulte de la pratique, le plus souvent provenant simplement de la pratique de tel ou tel secteur économique (comme le secteur pétrolier). Ainsi, certains contrats sont la combinaison de plusieurs types de contrats, au gré des objectifs et contraintes de l’Etat signataire. Dans le premier contrat, le gouvernement de R.D.C. propose la signature d’un contrat de partage de production mais avec la condition de la signature d’un second contrat de compensation financière. Ce dernier contraint l’entreprise extractive à investir dans des infrastructures publiques afin de faire profiter la population des profits de l’extraction. Ce contrat permet donc l’exploitation par un consortium d’entreprises chinoises de matières premières dont les bénéfices financent la réalisation d’investissement dans le pays d’exploitation. Ces-derniers sont réalisés par des sociétés chinoises via des contrats traditionnels d’investissements. Ces « Partenariats Public Privé » (les PPP) sont ainsi des contrats entre Etats et entreprises transnationales maillant contrats d’investissement, coopération et exploitation commerciale, suivant non pas des pratiques d’aide au développement mais le principe commercial « gagnant-gagnant ». Le contrat minier est donc un contrat « angolais » ressources contre investissements, inspiré des contrats de partage de production, et donc des contrats pétroliers actuels dits PSA. Il s’agit d’un contrat de joint venture extractif traditionnel mais aussi d’un contrat offset.

Tableau 3

Des contrats aux « inputs » comparables

Des contrats aux « inputs » comparables

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A l’inverse, le deuxième contrat, le contrat pétrolier, suit uniquement la tradition des contrats extractifs puisqu’il s’agit d’un simple contrat de joint venture de partage de production. L’investissement dans des infrastructures publiques n’est pas dans ce cas imposé à l’entreprise qui investit.

En outre, le montage juridique de création de la joint venture n’est pas identique dans les deux cas. Le premier contrat crée une nouvelle personne morale, alors que le second est un simple accord sans création d’une société.

Par ailleurs, dans le contrat minier le choix est celui du droit de R.D.C. par création d’une joint venture company incorporée en R.D.C. (la joint venture est détenue à 32 % par le groupe Gécamines et à 68 % par un « Consortium d’entreprises chinoises » dont la composition change régulièrement et diffère légèrement du « Groupement d’entreprises chinoises », signataire de la Convention de Collaboration). A l’inverse, le second contrat fait également le choix de la joint venture, mais sans création d’une personne morale nouvelle. Le consortium Caprikat-Foxwhelp étant incorporée aux British Virgin Island (B.V.I.), la loi des B.V.I. s’applique donc à ces deux sociétés, détenues via un trust, par une holding de droit sud africain, Impedia group, qui est le réel bénéficiaire de ces contrats. Le choix du droit des Iles Vierges Britanniques par incorporation des deux sociétés n’a aucun lien avec le lieu d’exploitation du contrat ou la nationalité des parties. Il ne semble donc pas motivé par les mêmes objectifs que l’incorporation d’une joint venture company en R.D.C.

Les deux contrats utilisent donc la technique de l’incorporation mais n’ont pas le même objectif derrière l’utilisation de cette technique : le premier contrat est un contrat que l’on peut qualifier d’altruiste (puisqu’il crée un mécanisme de compensation économique afin que l’Etat congolais et la population puissent bénéficier de l’investissement du consortium chinois), alors que le deuxième contrat est un mécanisme ingénieux de dissimulation des réelles sociétés ou personnes qui profitent du contrat.

D’autre part, le choix de la loi applicable au contrat à travers une clause de choix de la loi n’a pas les mêmes effets dans les deux contrats étudiés. Les deux contrats ont en effet désigné le droit de la R.D.C. comme droit applicable au contrat. Toutefois, dans le cas du contrat minier la loi choisie par le contrat est considérablement écartée par le droit international. En effet, les parties ont désigné l’arbitrage CIRDI comme mode de règlement des conflits liés au contrat. Or, ce type d’arbitrage applique les principes du droit international, au déterminent du droit désigné par le contrat. Le droit de R.D.C. sera donc en grande partie inappliqué. A l’inverse, la joint venture créée entre le gouvernement de R.D.C. et le consortium Caprikat-Foxwhelp a désigné la loi de R.D.C. Le droit congolais aura donc vocation à s’appliquer.

Enfin, les deux contrats présentent un choix différent concernant le juge compétent en cas de litige lié à l’exécution du contrat. Les techniques d’arbitrage choisies ne sont, ainsi, pas identiques. Le contrat minier a recours à un arbitrage d’investissement administré par le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) (article 21 du contrat). Ce système d’arbitrage a été créée par la Convention de Washington (1965) [41] est ainsi localisé à Washington. Le contrat pétrolier s’en remet, pour sa part, à un tribunal arbitral commercial international sur le fondement de la Convention de New York (1958) [42]. Le choix de la localisation de cet arbitrage, réalisé dans le contrat pétrolier, est la Chambre de Commerce Internationale (C.C.I.) de Paris (article 30 du contrat).

Le tableau 4 présente les choix différents de ces deux contrats, alors même que les techniques utilisées sont identiques.

Tableau 4

Choix différents dans les deux contrats

Choix différents dans les deux contrats

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Discussion

Les deux contrats extractifs étudiés présentent ainsi des différences dans leur contenu, notamment concernant la loi applicable au contrat. Ces différences de choix pourraient être justifiées par divers critères. L’hypothèse de rationalité néo-classique de l’économie du contrat, tout d’abord, est un concept d’équilibre économique du contrat. Cet équilibre résulte de la détermination des revenus respectifs de chaque partie calculés par l’application des dispositions du contrat et de la législation. Tout contrat extractif doit permettre de déterminer sans ambiguïté, dans une situation donnée, les revenus respectifs de chaque partie et les risques qu’elle prenne. Des études dites de faisabilité sont ainsi réalisées par les parties, afin de déterminer les obligations des parties. Les contrats étant des investissements, il s’agit de déterminer si le taux de rentabilité espéré justifie cet investissement.

Toutefois, l’application de ce critère qui pourrait permettre de faire un choix entre ces différentes techniques juridiques de choix de la loi ne semble pas pouvoir justifier les choix effectivement faits dans ces deux contrats extractifs. Le concept d’économie du contrat impliquant des études de faisabilité ne peut pas en effet expliquer précisément le choix effectué dans le contrat minier sino R.D.C. Ce dernier précise que « les études de préfaisabilité et de faisabilité doivent démontrer que le Projet Minier permettra de dégager un taux interne de rentabilité d’au moins 19 % au profit du Groupement d’entreprises chinoises » (article 6.3). Ainsi, le gouvernement de R.D.C. décide que le contrat pétrolier sera un contrat de partage de production classique. Mais il décide que le contrat minier sera un contrat de partage de production doublé d’un contrat de compensation. Le « retours sur investissement » de la R.D.C. sera donc affecté par la décision que ses « profits » seront affectées à la réalisation de travaux d’infrastructures réalisées par le consortium chinois, selon un nouveau calcul de « retours sur investissement ».

Par ailleurs, l’hypothèse de rationalité permettant le choix de la loi applicable dans les contrats ne justifie pas le choix du mode d’arbitrage de ces contrats. Le choix de l’incorporation aux Îles Vierges Britanniques a manifestement pour but d’échapper au contrôle de l’Etat, voire de favoriser une corruption internationale, et un appauvrissement de la collectivité nationale. Au contraire, l’incorporation en R.D.C. du contrat minier, qui a pour objet de localiser le contrat dans le pays hôte, ainsi que le choix d’un arbitrage d’investissement qui publie les sentences arbitrales manifestent un comportement opposé, pouvant être qualifié d’altruiste.

D’autre part, les choix des acteurs ne peuvent se comprendre que dans un contexte social qui encadre ceux-ci, des représentations des acteurs. La rédaction d’un contrat extractif résulte ainsi de la singularité de la négociation en matière extractive. Le plus souvent, ce sont les Etats qui fournissent un contrat type comme base de la négociation que les sociétés pétrolières ne peuvent que tenter de modifier clauses par clauses, en tentant de justifier leurs demandes. Soit que ce contrat pétrolier type ait été rédigé par le gouvernement, soit que le gouvernement emprunte celui d’un autre Etat, qui n’a pas de contrat type national. C’est cette dernière raison qui a été la motivation en R.D.C. Une cinquantaine d’Etats ont ainsi rédigé de tels contrats types pétroliers, en se copiant les uns les autres. Ainsi, ces contrats types sont, par exemple, presque exclusivement des PSA, devenus un standard des contrats pétroliers. C’est le type de contrat qui se retrouve dans nos deux cas.

Une autre pratique consiste à utiliser les « contrats tombés du camion », c’est-à-dire des contrats déjà signés avec d’autres compagnies, et réutilisées. Cette pratique est répandue dans les grands cabinets d’avocats dans lesquels ces derniers partagent entre eux leurs banques d’actes personnels. L’ensemble des archives du cabinet est partagé, consultable et utilisable par chacun des avocats du cabinet. Les rédacteurs de ces contrats sont en effet des lawyers qui utilisent les contrats qu’ils ont déjà rédigés pour en rédiger de nouveaux. Les pratiques de la communauté extractive influencent ainsi les choix effectués dans les contrats.

D’autres explications semblent pouvoir être apportées. La campagne présidentielle en 2006, ainsi que les élections législatives de la même année, ont été animées par le thème développé par le Parti du People pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) du président Kabila sur « les Cinq Chantiers ». La question de développement des infrastructures - santé, route, enseignement - est alors devenue un thème central dans la politique du gouvernement. C’est donc le gouvernement de RDC qui a proposé à la délégation chinoise venue négocier un traditionnel accord minier d’y inclure un volet investissement et infrastructure, sur le model de l’ « Angola model » (Foster et al., 2008) [43]. Le mécanisme de ce contrat consiste en un échange de ressources naturelles contre la construction d’infrastructures nationales au moyen de deux contrats : un contrat d’infrastructure et un contrat minier liés par une clause de conditionnalité, mais aussi par une logique économique. La chine a ainsi accès à des concessions minières et en échange réalise des projets de BTP. Le choix pour le type de contrat dans le premier cas peut ainsi être expliqué par le contexte et les interactions des acteurs au moment de sa signature.

Un autre exemple de l’importance de l’expérimentation et des interactions entre acteurs concerne le choix de la loi. Dans chacun de ces contrats la loi est seulement un élément qui résulte de la négociation entre les parties et chaque contrat peut désigner une loi différente, voire différentes lois. Ainsi, lors de la négociation du contrat du siècle, les chinois souhaitaient que la loi chinoise s’applique, les congolais que la loi congolaise s’applique. Mais la loi anglaise, américaine ou française aurait pu être choisie. Pour pallier le désaccord, l’avocat chinois, principal rédacteur du contrat, et qui voulait à tout prix que le contrat soit signé, a exploité des ambigüités permettant à chaque partie de penser que sa loi nationale était applicable. Il a ainsi rédigé la clause de choix de la loi à l’article 21 du contrat de coopération d’une façon telle que chaque partie pensait que sa loi s’appliquait. Les chinois pensaient que le contrat avait pour loi la loi chinoise (« l’acte » au sens d’instrumentum, ayant été signé à Pékin). Les congolais pensaient, à l’inverse, que le contrat avait pour loi la loi congolaise car le contrat s’exécutait en R.D.C (« l’acte » au sens de negocium). En réalité, le critère utilisé était volontairement inapplicable, et la clause renvoie donc aux règles du commerce international et notamment au droit de l’investissement. Or, ce dernier prévoit qu’en l’absence de choix clair prévu par les parties, c’est la loi du pays hôte qui s’applique, donc la loi congolaise. Les interactions entre les acteurs de ce contrat sont donc directement à l’origine du choix de la loi présent dans le contrat pétrolier.

Cette analyse montre ainsi que « choisir » la loi par un traditionnel choix de la loi revient plutôt à effectuer un law shopping (O’Hara et Ribstein, 2009) [44]. Le law shopping aurait alors pour synonyme français le « magasin de la loi », ou le « marché de la loi » (Muir Watt, 2010) [45].

Ainsi, il est a priori possible de discerner parfois chez les acteurs une recherche de maximisation des profits par un bilan coût-avantage, une rationalité classique redevable d’une analyse des comportements rationnels individuels. Toutefois, dans un certain nombre de cas, il faut resituer les choix des acteurs dans leur contexte historique, social, ou plus précisément de représentations partagées, des coûts de transactions différents pouvant expliquer des choix différents. Dans d’autres cas enfin, les acteurs font des choix qui ne sont pas en accord avec des représentations partagées de l’analyse institutionnelle.

Réexamen des données et tentative d’élaboration théorique

Après examen des données et discussion, l’application des critères de choix traditionnels ne semble pas expliciter clairement ceux de ces deux contrats extractifs. Et ce, alors même que le contexte de conclusion de ces contrats est semblable.

Le tableau suivant présente à ce titre la lecture que l’on peut faire des études de cas 1 et 2 (perspective institutionnelle et interactionniste), par rapport à une approche plus classique (issue de la rationalité économique).

Il ressort de l’analyse de ces cas, qu’en dépit de contextes, de profils d’acteurs et d’intentionnalité comparables, le processus de rédaction des contrats a suivi des résultats différents notamment au niveau de ses modalités pratiques.

Malgré l’importance des travaux d’Uppsala, un certain nombre de questions demeurent, notamment en ce qui concerne les modalités pratiques et contractuelles à l’oeuvre dans le cadre de stratégies internationales. En effet, à l’appui des travaux de Scott (1981 [46], 2003 [47]), ces différences constatées peuvent être rapprochées de ses travaux qui opposent l’analyse rationaliste (rational system) à des considérations naturalistes et d’ouverture (natural system et open system)[6]. La question des modalités pratiques en termes de formalisation de contrats internationaux peut être ici rapprochée des choix possibles en termes de « système » à privilégier, tels qu’ils sont développés par Scott, selon que l’on opte pour une démarche rationaliste, naturaliste ou ouverte par rapport aux facteurs de l’environnement. Scott propose en effet un cadre théorique qui permet de distinguer les différentes façons dont peut fonctionner et se structurer un système donné. Selon cette perspective, il peut dès lors être intéressant d’étudier de quelle manière sont réalisés les contrats internationaux et à quelles logiques ils obéissent.

Tableau 5

Approche comparée des deux cas au regard de l’approche classique[7][8]

Approche comparée des deux cas au regard de l’approche classique78

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Les différences justifiées, dans les contrats, par une lecture institutionnelle et interactionniste sont compatibles avec celles développées dans les modèles naturaliste et ouvert de Scott, par comparaison au modèle rationaliste.

Scott (2003) [47] développe une opposition entre des organisations identifiées comme étant des système « rationaliste », « naturaliste » et « ouvert » (Groth, 1987) [49]. Dans une perspective rationaliste, il indique que les organisations sont ainsi des instruments conçus pour atteindre des objectifs spécifiques. L’idée de rationalité renvoie au fait que des actions, systèmes ou procédés sont pensés et ordonnancés de manière à atteindre des objectifs prédéterminés avec la meilleure efficience possible. Cette conception de la rationalité ne concerne donc pas la détermination des objectifs, mais leur réalisation. La perspective naturaliste souligne, quant à elle, que les modèles de gestion et d’organisation des éléments sont avant tout des collectivités qui s’efforcent de s’adapter et de survivre aux difficultés qu’elles rencontrent (Scott, 2003) [47]. Les systèmes ne doivent donc pas être considérés comme des moyens au service de fins qui leur seraient assignées; elles sont des fins pour elles-mêmes.

Par ailleurs, alors que le modèle fermé met en avant la cohérence et la conformité au système en place (stabilité, uniformité), le système ouvert insiste sur l’influence des interactions et de l’environnement sur les organisations. Le système ouvert souligne ainsi que les organisations sont fortement influencées par leur environnement. Dans cette perspective, les buts sont négociés de façon continue entre des groupes aux intérêts divergents (Boulding, 1956) [50].

D’autres travaux (Scott, 2003 [47]; Gomes et Gomes, 2007 [51]) mettent d’ailleurs en avant un lien entre les modèles ouvert et naturaliste. Les systèmes ouverts et naturalistes résultent ainsi de la combinaison du système ouvert et d’une approche naturaliste. L’intérêt de ce modèle combinatoire est de montrer que les organisations résultent à la fois des caractéristiques sociales et culturelles du contexte et de l’influence d’un environnement actif et évolutif (Oliver, 1991) [52].

L’étude des modèles d’organisation de Scott (2003) [47] permet de montrer que les organisations sont perpétuellement influencées par leur environnement dans leurs décisions et actions. Selon cette même perspective, Child (1976) [53] indique que « aucune organisation n’opère dans un vide ». Le système ouvert naturaliste est d’ailleurs compatible avec les théories institutionnaliste et interactionniste développées dans l’étude des contrats extractifs.

Le tableau 6 compare les principales caractéristiques des options rationaliste, naturaliste et d’ouverture appliquées aux contrats internationaux extractifs.

La perspective rationaliste se traduit par des objectifs prédéterminés et la mise en oeuvre d’actions conçues et agencées de façon à obtenir la plus grande efficience. La perspective d’un système naturaliste et ouvert considère que les organisations sont avant tout des collectivités humaines qui s’efforcent de s’adapter et de survivre, en fonction des intérêts des acteurs concernés et de l’évolution de l’environnement, en prenant également en compte le contexte économiques, politique et institutionnel. Selon cette perspective, il s’agit donc de systèmes actifs qui construisent leur devenir.

Aux vues de la complexité des situations, des acteurs et des conflits d’intérêts, les choix des deux contrats étudiés n’apparaissent donc pas s’inscrire dans un modèle rationaliste. Ces stratégies semblent plutôt suivre un modèle naturaliste et ouvert qui gère les contradictions entre les différents acteurs, entre les différentes contraintes internes et externes, donnant ainsi lieu à un processus émergent qui permet de trouver une solution acceptable pour l’ensemble des parties.

Tableau 6

Application du modèle décisionnel de Scott (2003) aux choix effectués dans les deux contrats

Application du modèle décisionnel de Scott (2003) aux choix effectués dans les deux contrats

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Conclusion

La gestion des conflits à l’oeuvre dans les contrats entre des intérêts divergents et différentes contraintes n’aboutit pas à un contrat qui relève d’une approche optimisée par la technique, ne relève pas d’une approche rationnelle. Ce contrat relève d’un processus de résolution de multiples problèmes, de multiples contraintes et de multiples contextes qui apporte une solution acceptable pour l’ensemble des parties. Les techniques de choix étudiés sont identifiées parfois comme des « stratégies » (Bouthinon-Dumas, 2012) [20] proches des sciences de gestion. Cela est pourtant réducteur car il s’agit bien de pratiques juridiques faisant appel aux savoirs traditionnels des juristes. Ces techniques permettent en effet aux praticiens de choisir le droit - principalement national mais aussi international - qui leur est applicable (Lhuilier, 2015a) [22]. La pratique des affaires internationales consiste alors à jouer à un « jeu de lois » à l’échelle du globe et savoir « localiser » une société, un contrat ou un litige dans un espace normatif professionnel (Mines, IT, équipementiers...), culturel (common law, droit français, droit chinois...), ou étatique (Droit chinois ou droit de R.D.C.) voir interétatique (Convention de New York ou Convention de Washington sur les sentences arbitrales,...). Il s’agit de savoir aussi emprunter les « chemins » qui relient certains de ces « espaces » bref « construire » un espace de normes, un « espace normatif » (Lhuilier, 2015a) [22].

Cependant, cette globalisation en marche ne correspond pas - loin de là - à une uniformisation. Les différences subsistent d’un espace normatif à l’autre, d’un droit professionnel à l’autre. Le droit global est marqué du sceau de la complexité. Différents outils de stratégies et les rationalités à l’oeuvre permettent ainsi de définir des espaces différents. La pratique juridique n’est qu’une succession de choix pour réaliser ces constructions (Geny, 1904 [54]; Bergé, 2011 [55]). Pour Bergé (2011) [55], « ce qui compte, c’est la pratique du droit par le juriste, c’est-à-dire sa recherche d’un résultat ». Pour faire ses choix, le juriste ne peut plus se contenter d’une logique d’uniformité et de hiérarchisation des règles de droit (rational system). Mais il doit aussi s’adapter aux jeux d’acteurs (natural system) et aux contextes politiques, culturels et socioprofessionnels de son environnement (open system). Il est ainsi d’abord face à une grande diversité de règles de droit qu’il peut choisir. Ensuite, il doit comparer les règles, c’est-à-dire envisager les conséquences pratiques que le choix de cette loi aurait. Enfin, en fonction de ces conséquences pratiques, il va opérer un choix de loi.

Cette pratique à l’oeuvre dans les contrats extractifs est à rapprocher du modèle naturaliste ouvert de Scott (1987 [48], 2003 [47]). Les praticiens et les entreprises signataires de ces contrats sont en effet influencés par leur environnement, les pratiques de la communauté extractive et le contexte social et culturel des négociations. Les stratégies juridiques ne sont donc pas seulement explicables par le droit. Les choix opérés relèvent de plusieurs rationalités.

Les conclusions issues de l’étude de ces deux contrats peuvent être étendues et généralisées à l’ensemble des contrats extractifs actuels. En effet, il s’agit de cas d’exemplarités. L’étude citée des parlementaires britanniques - près de 45 contrats identiques en RDC en une seule année - concernant le contrat pétrolier souligne en effet ce caractère exemplaire. Le contrat minier est, pour sa part, dit « du siècle » par la communauté transnationale des juristes extractifs, reconnaissant ainsi son exemplarité, qui est celle d’être un contrat de compensation dit contrat offset. Or ces contrat offset, très peu connu – il n’existe en effet aucune étude disponible en langue française - représentent sans doute bien plus de 15 % du commerce mondial (contrats d’armements, aéronautique, électronique, etc).

Cette recherche peut ainsi constituer pour un certains nombres d’acteurs et de praticiens une aide à la décision utile dans leur démarche de négociation et réalisation de contrats internationaux. On peut ainsi citer le cas des Etats hôtes, et plus particulièrement des fonctionnaires des autorités nationales chargés des appels d’offres des contrats extractifs, dirigeants de sociétés nationales extractives, autorités nationales de contrôles, négociateurs pétroliers locaux, directeurs des opérations des entreprises locales. De même, ce travail pourra intéresser les entreprises transnationales et notamment les cadres dirigeants qui soumettent des offres de contrats extractifs, négociateurs internes de ces contrats, cadres opérationnels de ces sociétés extractives. Il peut aussi constituer une aide utile pour les organisations internationales et institutions financières telles que les experts chargés de l’évaluation des risques financiers et politiques des contrats extractifs. Enfin, cette recherche peut présenter un intérêt pour des juristes spécialisés « grands contrats » d’entreprise en charge des appels d’offres, négociation, rédaction, arbitrage international, mais également pour des juristes des lawfirms notamment les lawfims africaines qui montent en puissance, à l’instar des lawfirms asiatiques. De plus, cette aide à la décision peut contribuer à élaborer pour ces différents acteurs des outils méthodologiques d’aide à la négociation, la rédaction, l’exécution des contrats extractifs, en adoptant une approche praxéologique désormais commune aux sciences sociales et aux praticiens de l’industrie extractive (Lhuilier, G. 2015b) [56].

Limites de la recherche

Si cette recherche a permis d’éclaircir certains points relatifs au choix stratégique dans le cas de contrats internationaux, ce travail présente un certain nombre de limites. La première interrogation porte sur la littérature mobilisée dans le cadre de cette recherche. Nous avons en effet abordé notre objet de recherche avec comme support la littérature la nature des liens entre développement international et stratégie juridique. Ceci nous a conduits à orienter le contenu de la recherche et les résultats qui en découlent. Le point de départ de notre élaboration théorique est donc influencé par l’état actuel des travaux en matière de contrats internationaux. Une telle situation a certainement limité la nature des concepts mobilisés quant à la compréhension des choix des acteurs dans la gestion de contrats internationaux.

La deuxième est liée à l’étude des cas proprement dite. La logique utilisée présente en effet l’avantage de présenter deux cas présentant des caractéristiques proches, alors que les résultats observés font apparaître des différences importantes. Cette situation favorable ne doit pas faire oublier les difficultés classiques engendrées par l’existence de telles situations. Si nous avons essayé dans la mesure du possible par un essai de rigueur méthodologique, de compenser cet écueil, cette limite reste présente et doit par conséquent être prise en compte dans l’acceptation des résultats. Il pourrait de ce fait être intéressant de comparer nos conclusions avec l’analyse de cas d’échec et de réussite, pris indépendamment.