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1/ La nature et la portée du concept d’intégration en management international

Eric Milliot
CEREGE, IAE de l’Université de Poitiers

Bruno Amann,
Université de Toulouse 3

Victor Harison
INSCAE, Madagascar

Le terme d’intégration renvoie à l’idée d’être membre d’un nouvel ensemble (cercle, équipe, organisation, pays, bloc régional, etc.) en adoptant les normes et les valeurs qui caractérisent cet ensemble. Cette dynamique repose, à la fois, sur la volonté individuelle de s’insérer et sur la capacité du groupe concerné à accueillir l’individu qui se rapproche de lui. Cette définition générale ne doit pas occulter la richesse des approches. Le concept d’intégration bénéficie, en effet, de réflexions développées dans de nombreuses disciplines (l’anthropologie, la géographie, les sciences politiques, etc.). Parmi ces disciplines, la sociologie et l’économie ont particulièrement contribué à définir les contours de ce concept. En sociologie, l’intégration est généralement définie et analysée comme un processus ethnologique qui repose sur l’idée de « vouloir-vivre ensemble » au sens de Durkheim (1893). En économie, le terme renvoie à l’idée de regroupement d’activités pour bénéficier de synergies et/ou d’économies d’échelle et de champ.

Dans le contexte international tumultueux que nous connaissons, dans lequel le multilatéralisme recule ou se déplace, il est intéressant de relever deux pistes de réflexions inspirées par ces idées de « vouloir-vivre ensemble » et de recherche de synergies/économies.

  • Le concept d’intégration est étroitement lié au temps. Il invite à étudier de manière longitudinale des processus riches et complexes qui permettent à différents profils d’acteurs éloignés (géographiquement, culturellement, institutionnellement…) de se rapprocher. Nous pourrions le décliner à travers différentes séquences : temps de l’agrégation/de la désagrégation, temps de la composition/de la décomposition/de la recomposition. Nous pouvons ici faire référence à la constitution d’espaces intégrés par plusieurs pays, à l’extension d’espaces marchands, etc. Cela vaut pour les nations comme pour les organisations.

  • La notion d’intégration est indissociable de la notion de connexion (Erbes, 1965). Elle l’est d’abord parce que de la qualité des connexions dépendra le processus d’intégration, son degré d’intensité et sa pérennité. Elle l’est ensuite parce que l’importance des interconnexions pourra se muer en interdépendances, en risques de contagion, etc. Nous pouvons ici évoquer les conséquences de la sortie d’un pays d’un bloc régional, des perturbations d’une entreprise et de ses influences sur la stabilité d’une alliance… Cela vaut, également, pour les nations comme pour les organisations.

Ce concept d’intégration est suffisamment générique et polysémique pour inspirer de nombreuses problématiques en sciences de gestion. Les acceptions qui le caractérisent offrent un cadre d’étude particulièrement riche en management international. L’intégration peut être étudiée à différents niveaux pour comprendre les conditions de développement d’une organisation qui souhaite s’impliquer sur un nouveau territoire ou dans un nouveau secteur d’activités. Cette intégration internationale peut concerner des acteurs d’économies matures et d’économies en développement. Il s’agit ici de s’attacher à identifier les conditions environnementales qui bloquent et/ou encouragent le processus d’internationalisation des organisations. Il s’agit également d’étudier les modalités et les incidents critiques qui contribuent à l’insertion économique et sociale des acteurs.

Cette notion d’intégration est particulièrement riche et fertile, car elle concerne toutes les fonctions traditionnelles de la gestion que le management international associe. Donnons, pour six champs pivots, des exemples de thématiques de recherche.

  • En stratégie, l’intégration peut être définie comme « la mesure par laquelle les activités et les procédures des unités organisationnelles sont coordonnées pour la réalisation des objectifs de l’organisation » (Carpano et Chrisman, 1994, p. 10). En management international, cette approche renvoie notamment au modèle intégration-réactivité développé par Prahalad et Doz (1985). Il permet d’identifier les pressions environnementales qui nécessitent un déploiement mondial des ressources pour atteindre les objectifs stratégiques (intégration mondiale) et/ou les pressions qui nécessitent des décisions adaptées au contexte spécifique d’un pays (réactivité locale).

  • En production (Harrigan, 1984; Helpman, 1984; Markusen, 1984; etc.), deux principaux modes d’intégration non exclusifs sont à considérer : les modes verticaux (regroupement des différentes activités de production et de distribution, répartition de la production à l’échelle internationale pour réduire les coûts de production unitaires et optimiser la chaîne de valeur…) et les modes horizontaux (extension de la gamme de produits, production de la même gamme de produits dans différents pays pour éviter les coûts de transport et de transaction…).

  • En marketing, il s’agit de trouver les moyens de faire accepter les produits étrangers, notamment quand les consommateurs locaux ont un comportement ethnocentré. Le problème, pour les marques étrangères confrontées à des consommateurs discriminants, est de trouver un moyen d’être considérées. L’entreprise a pour cela deux principales options : organiser localement la production ou développer une affiliation culturelle locale en utilisant des signaux symboliques (Kipnis et al., 2012).

  • En gestion des ressources humaines, il s’agit d’apprécier les mécanismes d’intégration des talents et des compétences, notamment suite à une fusion ou une acquisition (Schweiger, 2002). Il s’agit également de faciliter l’implication de profils de compétences variés et pluriculturels. La stratégie d’intégration peut à la fois reposer sur la sécurité de l’emploi, l’équité, la transparence et la communication (Jung et al., 2015).

  • Concernant la responsabilité sociale des entreprises, les concepts d’intégration des parties prenantes (Sharma et Vredenburg, 1998; Delgado-Ceballos et al., 2012) de symbiose industrielle (Chertow, 2000), d’intégration des systèmes de production et de consommation (Lifset et Boons, 2011) ou d’intégration des systèmes socio-techniques (Vernay et Boons, 2015) proposent des stratégies au service du développement durable impliquant différents acteurs.

  • En finance, les thématiques du microcrédit et du financement participatif offrent des perspectives d’intégration sociale et économique potentiellement fortes. Les politiques de fusion et d’acquisition peuvent également jouer un rôle clé pour assurer aux organisations concernées des modes d’intégration essentiels pour atteinte leurs objectifs.

Derrière ces thématiques, il faut aussi identifier les difficultés - voire les effets pervers - de l’intégration : la délocalisation des entreprises source de chômage dans les pays offrant des systèmes développés de protection sociale, l’appauvrissement de la diversité culturelle face à la standardisation des pratiques managériales, la délocalisation des résultats dans des paradis fiscaux au détriment des pays qui sont à la source de la création de valeur, etc. Ce panorama, non exhaustif, permet d’apprécier l’importance du concept d’intégration en management international. Il ouvre des perspectives toujours renouvelées dans un monde plus que jamais marqué par l’interdépendance des acteurs et le décloisonnement des marchés.

2/ La question de l’intégration : une approche sociologique (discours introductif à la 7ème Conférence d’Atlas AFMI)

Jean-François Chanlat
Université Paris-Dauphine P.S.L.

La question de l’intégration, thème de la conférence d’Atlas AFMI 2017, est une question centrale. Mais qu’est-ce qu’on entend par intégration ? Si on prend la définition du dictionnaire Larousse, le dictionnaire rapportant la définition communément acceptée du mot concerné, elle renvoie à l’action d’intégrer, au fait pour quelqu’un ou pour un groupe de s’intégrer à ou dans quelque chose.

En sociologie, cette question - qui constitue un de ses objets centraux d’étude - cherche à comprendre comment des gens différents par l’âge, le sexe, le métier, le statut, etc., vont faire société à un moment donné (Schnapper, 1999); c’est la grande question que se posait Durkheim, un des fondateurs de la discipline. Pourquoi se posait-il cette question au tournant du XXe siècle ? Il se la posait parce que les sociétés occidentales étaient alors en pleine transformation, c’est-à-dire qu’elles passaient de sociétés traditionnelles à dominante rurale à des sociétés industrielles qui s’urbanisaient. Durkheim cherchait à voir quel type de solidarité allait émerger de cette nouvelle société (1908 [2000]). C’est bien sûr une question toujours d’actualité, notamment en ce début de XXIe siècle où l’on voit apparaître de nouvelles transformations sociales poussées par le processus de mondialisation des échanges, les mouvements migratoires, l’explosion démographique, la révolution numérique et la question écologique.

Lorsque l’on analyse le processus d’intégration comme tel, on s’aperçoit qu’un groupe social se dit intégré dans la mesure où ses membres - et la sociologie nous le rappelle régulièrement - possèdent une conscience commune, partagent les mêmes sentiments/croyances/pratiques, élaborent des règles collectives pour poursuivre des buts communs. Ces trois éléments (conscience commune, partages et règles collectives) sont absolument fondamentaux pour fonder ce qu’on appelle un groupe, une société (Schnapper, 1999).

Pour Max Weber (1971), un des autres fondateurs de la sociologie, il existe deux logiques en matière d’intégration sociale.

La première logique, qu’il appelle communautaire, repose sur un sentiment vécu d’appartenance à un groupe pour des raisons traditionnelles, affectives ou émotionnelles. Si ce type de logique est, par exemple, très présente dans l’univers de la famille, il peut également exister dans des groupes amicaux, des communautés régionales ou nationales. Ce type correspond plus ou moins à ce que Durkheim qualifiait de solidarité mécanique.

  • La deuxième logique, c’est la logique de la société qui se fonde - notamment dans le monde moderne - sur un lien contractuel. Ce type de logique relie les êtres humains pour des raisons d’intérêt, d’argent et de marché; l’association à buts déterminés étant établie ici par libre accord des associés en vue d’obtenir, par une activité précise, un résultat (Weber, 1971). Elle correspond à la solidarité organique de Durkheim.

  • Ces deux logiques ne sont pas forcément séparées. Si elles sont différentes, qu’observe-t-on dans la réalité ? On peut, en fait, voir que certains individus peuvent partir d’un lien rationnel et développer par la suite des sentiments; l’inverse étant également vrai. Un tel constat revient à l’idée fondamentale émise par Montesquieu, au XVIIIe siècle, qui - réfléchissant sur l›idée de commerce - rappelait que ce mot en français comprenait deux acceptions : d’une part, l’échange marchand et, d’autre part, le lien social. En effet, quand les individus utilisaient ce terme au XVIIIe siècle, qu’est-ce que cela voulait dire ? Cela signifiait que la personne était agréable, qu’il était plaisant d’établir des relations avec elle, et qu’il y avait donc bien de l’affect constitutif d’un lien social. Autrement dit, la notion de commerce en français contient les deux logiques soulignées par Weber : d’une part, l’émotion, le sentiment, le lien; et, d’autre part, l’échange marchand.

La réflexion sur l’intégration nous permet ainsi, comme le rappelle un autre grand sociologue allemand - Norbert Elias (Vingtième Siècle, 2010) - de comprendre comment une multitude d’individus forment quelque chose d’autre qu’une réunion d’individus isolés, et comment la civilisation occidentale moderne fait apparaitre une intégration toujours plus large et plus intense au fur et à mesure de son évolution. Dans ce processus social, où les individus sont reliés les uns aux autres par des chaînes de dépendances réciproques à différents niveaux (classe, métier, village, ville, nation), il est également intéressant de souligner le rôle que jouent les transgressions. Analyser les transgressions, les phénomènes de marginalisation et d’exclusion contribue en effet à mieux comprendre le processus d’intégration et ses modalités dans un groupe social à partir des marges (Alter, 2012). Il existe donc une dialectique complexe entre intégration et marginalisation que l’on doit étudier dans son contexte socio-historique.

Réfléchir sur l’intégration doit par ailleurs tenir compte du cadre social propre à chaque société; chaque société ayant son histoire et celle-ci étant le produit de ses relations sociales, de sa structure humaine, de sa culture, etc. On ne peut le faire de la même manière en France, aux États-Unis et à Madagascar (Barmeyer et Chanlat, 2004; Chanlat et Özbilgin, 2018). En effet, pour les sociologues et les anthropologues, la notion d’intégration renvoie aux processus par lesquels les individus participent à la société globale par leur activité professionnelle, leur apprentissage des normes de consommation, leur adoption de comportements familiaux et culturels, leurs échanges avec les autres et leur participation aux institutions concernées. Ceci renvoie à deux grandes significations : d’une part, à la relation que des individus appartenant à un sous-système entretiennent avec un système plus large et, d’autre part, à l’ensemble d’un système ou de la société proprement dite. On parlera à ce niveau de société nationale.

A propos des formes d’intégration contemporaines, on peut dire qu’il en existe deux types : une intégration culturelle (par les normes, les valeurs, etc.) et une intégration structurelle (par le marché du travail, par l’emploi, etc.). A cet égard, les travaux de recherche existants font apparaître différents modèles, ce qui montre la complexité du problème d’intégration. On peut observer une intégration structurelle qui s’accompagne d’une intégration culturelle, les deux allant de pair. Par exemple, en France, c’est le cas des Espagnols. On peut aussi observer une intégration culturelle qui s’accompagne parfois d’une faible intégration structurelle. C’est le cas en France de certains immigrés d’origine nord-africaine ou sub-saharienne. Parallèlement, on peut observer des gens bien intégrés économiquement, mais dont l’intégration culturelle au modèle dominant reste faible. Enfin, le modèle où il n’y aurait ni intégration structurelle ni intégration culturelle n’existe pas puisque tout être humain - quel qu’il soit - est toujours plus ou moins intégré quelque part (Schnapper, 1999). Comme nous pouvons le voir, si chaque être humain connait une forme d’intégration quelconque, celle-ci peut être très variée; c’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’avoir plusieurs types d’indicateurs.

En ce qui concerne l’intégration des immigrés ou l’intégration en général, les chercheurs convergent sur certains points; notamment pour souligner que l’intégration n’est pas un état, mais bien un processus. C’est pourquoi il faut en parler plus en termes de parcours que de niveaux. La question du décalage entre l’intégration structurelle et l’intégration culturelle, qui - comme nous pouvons le voir - nourrit de nos jours des tensions, est particulièrement importante à analyser tout comme les conditions de cette intégration. Il y a en effet un certain nombre de travaux qui montrent comment l’équité de traitement, la prévention et la répression de propos/actes discriminatoires, l’existence de politiques sociales éducatives adéquates, l’attribution de la nationalité et l’octroi du droit de vote parfois pour les immigrés récents (au moins au niveau municipal) sont des facteurs positifs à l’intégration des immigrés (Schnapper, 1999; Chanlat et Pierre, 2018; Chanlat et Özbilgin, 2018).

Si l’on voit bien ici que l’intégration passe par l’action et le fait de faire des choses ensemble, alors la question qui se pose est de savoir jusqu’à quel point doit-on reconnaître les identités, les références culturelles de chacun, dans l’espace politique ? En effet, certaines valeurs, certains comportements peuvent être absolument contraires au modèle dominant prôné par la société. Le rôle de l’histoire, dans la formation de chaque nation, est alors central pour comprendre la variation que l’on peut observer dans les modèles d’intégration (Chanlat et Özbilgin, 2018).

De ce point de vue, on peut constater que le modèle d’intégration à la française est quelque peu différent du modèle d’intégration à l’anglo-saxonne. Ce qui n’est pas surprenant quand on connaît l’histoire de chacun de ces espaces. En France, la définition du citoyen est politique et non ethnique. Si les différences peuvent être reconnues, il reste que c’est la république - indivisible et laïque - qui définit les contours de l’expérience sociale de l’expression de ces différences (Schnapper, 1999; Chanlat et Pierre, 2018; Chanlat et Özbilgin, 2018). Si l’on se tourne maintenant vers les Etats-Unis, on observe une toute autre réalité. Il existe, en effet, dix-huit catégories raciales dans le formulaire officiel de recensement et chaque Américain est obligé de se définir par rapport à l’une de celles-ci. C’est ainsi que le Président Obama a été critiqué lorsqu’il avait coché la case « Noir »; des critiques affirmant qu’il n’était pas « Noir », mais « Métis ». On voit bien ici les effets pervers de ces catégories (Yanow, 2003).

Une autre distinction entre le modèle français et le modèle anglo-saxon est le rapport à la liberté et à l’égalité. Si le modèle français met en avant la liberté, il privilégie toutefois l’égalité des droits pour un certain nombre de questions. Le modèle canadien, quant à lui, est différent. On peut prendre l’exemple du port du casque de motard et du traitement différencié par rapport à la règle de son port. En effet, les Sikhs, ont refusé de le porter au nom de leur religion. Ce cas a été contesté jusqu’à la Cour suprême. Cette dernière, après de longs débats, a donné raison aux Sikhs. On voit bien que, dans ce cas, on a privilégié la liberté de porter ou non un casque au nom de valeurs religieuses au détriment de l’égalité des droits en matière de sécurité routière. En France, la personne aurait été obligée de porter un casque parce que le Sikh est un citoyen comme les autres et qu’il doit être protégé contre un accident éventuel. Si, dans un cas, on va privilégier la liberté, dans l’autre on va donc privilégier l’égalité (Banon et Chanlat, 2018).

Comme nous pouvons le voir, ce sont des questions tout à fait centrales. Alors, en guise de conclusion à ce bref propos introductif sur l’intégration, il nous faut rappeler que cette réflexion sociologique - qui s’est faite au niveau de la société - se retrouve également au niveau de l’organisation; celle-ci étant assujettie au même processus. En effet, depuis les débuts de la réflexion en management - notamment par Fayol, Follett et Barnard -, c’est également une question pivot (Déry, 2010; Chanlat, 2016). A partir des années 1980, la sociologie de l’entreprise - notamment en France - en a fait son objet. Renaud Sainsaulieu et son équipe (Francfort, Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 1995; Sainsaulieu, 1990 et 2001), et nous-même, avons développé au début des années 2000 un Master en Management Interculturel à l’Université Paris-Dauphine. Ce Master s’intéresse à la manière de faire des collectifs, avec des cultures très différentes (Davel, Dupuis et Chanlat, 2009; Chanlat et Pierre, 2018), une réalité de plus en plus prégnante aujourd’hui.

Si les organisations sont avant tout des acteurs en relation qui mettent en place des structures et des cultures en vue d’atteindre des objectifs, les mêmes questions se posent. En ce qui concerne l’intégration, les organisations sont traversées par un certain nombre de tensions (Chanlat, Dameron, Dupuis, De Freitas et Özbilgin, 2013; Chanlat et Pierre, 2018).

  • La première tension, c’est la tension entre l’universalité des droits et la diversité. Dans cette première tension, la question qui se pose est la suivante : jusqu’où doit-on reconnaitre les différences ? Selon le type de différences, certaines peuvent poser problème et d’autres, non. Ces variations étant acceptées ou non en fonction du modèle social en place (Chanlat et Özbilgin, 2018).

  • La deuxième question, c’est la tension entre l’égalité des droits et la diversité. En effet, au nom de l’égalité doit-on réduire les discriminations observées en mettant en place des politiques différentes ? C’est ici toute la question qui, aujourd’hui, concerne la parité, la politique des quotas, la discrimination positive, etc.

  • La troisième tension, c’est la tension entre diversité et performance. Cette tension intéresse tout particulièrement les organisations. Si le discours dominant a tendance à louer la variété et les différences en tant que facteurs de performance (Chanlat et Özbilgin, 2018), l’innovation passant par les déviants (Alter, 2000), nos travaux montrent que - même si cela peut être vrai - ce n’est pas parce que vous mettez des gens différents côte à côte que cela va fonctionner (Bruna, Chanlat et Chauvet, 2018). Ce n’est pas mécanique. Un exemple, tiré de l’univers du football professionnel, va nous permettre de l’illustrer. Cet exemple est celui de l’équipe de France de 1998. Très diverse, elle a bénéficié d’une dynamique de groupe qui lui a permis de gagner la coupe du monde. En revanche, en 2010 - tout en étant aussi diverse que la précédente et possédant trois des meilleurs buteurs des principaux championnats européens - l’équipe n’a pas marqué un but. Eliminée au premier tour, elle a fait preuve d’une dynamique sociale délétère. Dans un cas, nous avons observé une dynamique très porteuse; dans un autre, une dynamique négative. Que s’est-il donc passé ? Ce qu’on a constaté, c’est que le mode de gestion de l’équipe n’a pas été le même. Ce qui est très important, c’est la manière de piloter et de gérer les gens. On oublie trop souvent qu’Aimé Jacquet, l’entraineur en 1998, n’avait pas sélectionné Eric Cantona alors que ce dernier était considéré à l’époque comme l’un des meilleurs joueurs du monde. Pourquoi ? Parce qu’il était considéré comme ingérable. L’entraineur a préféré, au nom de la dynamique de l’équipe, s’en passer. En effet, ce n’est pas parce que vous avez onze étoiles dans une équipe que vous allez avoir un collectif soudé; on le constate tous les jours. Une bonne dynamique collective est le fruit d’un art subtil qui permet à des qualités complémentaires de s’exprimer et à faire en sorte que les gens performent grâce à cette chimie.

  • Hier soir, en regardant la télévision dans ma chambre d’hôtel, j’ai assisté à un reportage sur l’équipe de Monaco qui devait affronter la Juventus de Turin. Ce reportage faisait écho à ce que je viens de vous dire et à notre question de départ, notamment à la logique communautaire de Weber. Les analystes et les joueurs expliquaient les bons résultats de l’équipe de Monaco parce que ces derniers s’aimaient. On revient donc aux éléments que j’ai évoqués concernant l’intégration : c’est parce qu’il existe un véritable sentiment partagé, en l’occurrence ici une forte solidarité, que les individus sont performants.

La question de la cohésion sociale et de l’harmonie sociale est une vielle question. Cette question revient évidemment aujourd’hui nous hanter parce qu’on est aux prises avec des transformations majeures que l’on a déjà évoquées, et qui ne sont pas sans produire des effets dans nos organisations et nos sociétés (Sainsaulieu, 2001; Alter, 2009).

Comme le rappelait déjà Mauss en 1931, cette question doit être mise à l’étude car elle est absolument centrale. Derrière cette question, ce sont les fractures, les tensions etc., qui - si on ne les analyse pas finement - peuvent poser des problèmes dans les contextes contemporains. Cela vaut autant pour les sociétés que pour les organisations. De ce point de vue, la mondialisation des échanges, les mouvements migratoires, la révolution numérique… sont quelques éléments qui en reconfigurent les contours. Le management international ne peut l’ignorer.