Abstracts
Résumé
Cette recherche vise à comprendre la dynamique des conflits dans un processus de succession familiale, en introduisant dans l’analyse le rôle joué par les structures familiales et leur contexte. Une étude qualitative longitudinale sur quatre ans est réalisée auprès de cinq entreprises familiales tunisiennes. Les résultats montrent en premier le rôle déterminant de la structure familiale, en particulier la place paradoxale du père tantôt source d’autorité et de stabilité, tantôt au coeur du conflit avec les successeurs vu son incapacité à lâcher prise. Le contexte socioculturel et la religion jouent également un rôle important dans la dynamique des conflits.
Mots-clés :
- entreprises familiales,
- Succession,
- dynamique des conflits,
- structure familiale
Abstract
This research aims to understand the dynamics of conflicts in a process of family succession, by introducing in the analysis the role played by the family structures and their context. A longitudinal qualitative study over four years is conducted with five Tunisian family businesses. The results first show the crucial role of the family structure, in particular the paradoxical place of the father, sometimes a source of authority and stability, sometimes at the heart of the conflict with the successors given his inability to let go. The socio-cultural context and religion also play an important role in the dynamics of conflict.
Keywords:
- family businesses,
- succession,
- conflict dynamics,
- family structure
Resumen
Esta investigación tiene como objetivo comprender la dinámica de los conflictos en un proceso de sucesión familiar, introduciendo en el análisis el papel que juegan las estructuras familiares y su contexto. Se lleva a cabo un estudio cualitativo longitudinal durante cuatro años en cinco empresas familiares tunecinas. Los resultados muestran primero el papel determinante de la estructura familiar, en particular el lugar paradójico del padre, a veces fuente de autoridad y estabilidad, otras veces en el centro del conflicto con los sucesores dada su incapacidad para ceder responsabilidades. El contexto sociocultural y la religión también juegan un papel importante en la dinámica del conflicto.
Palabras clave:
- empresas familiares,
- sucesión,
- dinámicas de conflicto,
- estructura familiar
Article body
L’entreprise familiale[1] (désormais EF) constitue un « terrain fertile » pour le développement des conflits (Großmann et Von Schlippe, 2015, Kubíček et Machek, 2020). Ceci peut être expliqué par l’implication de plusieurs membres de la famille dans sa gestion (Qiu et Freel, 2019) et par l’incapacité des dirigeants à trouver un équilibre entre le travail et les besoins familiaux (Caputo et al., 2018). Le processus de succession, qui constitue l’un des sujets les plus étudiés du family business (Bah et al., 2017, Daspit et al., 2016; Kamei et Dana, 2012), est considéré comme une source majeure de conflits entre les prédécesseurs et les successeurs, et, plus largement, au sein de la famille (Frank et al., 2011; Caputo et al., 2018). Ce processus se caractérise par une implication croissante du successeur partant, lorsqu’il intègre l’EF, d’un pouvoir de décision faible ou nul, tandis que le prédécesseur suit une évolution symétrique, de l’omnipotence au désengagement (Cadieux et al., 2002; Daspit et al., 2016; Handler, 1990). Au cours de ce transfert de direction, des conflits entre les acteurs impliqués peuvent apparaitre.
Or, si la recherche sur les conflits dans les EF a augmenté au cours des dernières décennies elle demeure encore théoriquement fragmentée, et comporte peu d’études empiriques (Kubíček et Machek, 2020). Ces études portent sur les sources des conflits (Harvey et Evans, 1994, Kets de Vries et al., 2007), les types de conflits et leur impact sur la performance (Carr et Hmieleski, 2015; Kellermanns et Eddleston, 2007; Jehn, 1995), avec des lectures centrées sur les individus et essentiellement statiques (Danes et al., 2000; Kubíček et Machek, 2020) ce qui les conduit à peu étudier la dynamique des conflits (Qiu et Freel, 2019; Sorenson, 1999). Il en résulte que l’influence de la famille sur cette dynamique n’est pas clairement envisagée, alors même que la particularité de l’EF est ancrée dans la famille (Chua et al., 1999). Questionner le rôle de la famille dans l’émergence et la dynamique des conflits, en interrogeant notamment les structures familiales, désormais SF (Todd, 1985), semble donc judicieux.
Dans le même temps, plusieurs chercheurs ont souligné l’ethnocentrisme des recherches conduites sur les EF (Phan et Butler, 2008; Ramadani et al., 2017), et appellent à une relecture contextualisée du processus de succession en intégrant les spécificités culturelles du contexte étudié (Bah et al., 2017; Jaziri, 2018). La Tunisie présente, sur ce point, un contexte original liant modernité et ancrage traditionnel : le mouvement de création d’entreprises s’est développé fortement dans les années 1970, soutenu par l’Etat (Benmostefa, 2015), ce qui entraine aujourd’hui une forte augmentation des départs en retraite des dirigeants et de leur succession (Fattoum et Fayolle, 2009). Plus récemment, la révolution populaire du printemps arabe a montré la capacité de la Tunisie, tout en conservant son orientation moderne, à réintroduire la tradition, notamment religieuse jusque dans les instances de l’état (Touzani et al., 2015; Springborg, 2012). Cette évolution met en lumière le paradoxe porté par la littérature sur les conflits dans les entreprises familiales qui néglige la dimension collective et structurelle de la famille dans la nature et la dynamique des conflits.
Il ne convient pas de remettre en cause l’approche interindividuelle mais de s’interroger sur le rôle des SF, et du contexte dans lequel elles prennent place, dans cette dynamique de conflits, de façon à articuler les individus et les SF. Cette nouvelle approche permettrait de saisir les conflits interindividuels en leur donnant une lecture structurante. L’objectif de cette recherche est de comprendre la dynamique des conflits pendant le processus de succession en explorant le rôle des SF, pour en saisir les leviers individuels et de politique publique favorisant la succession.
Pour cela, après une revue de la littérature sur les dynamiques de conflits dans les successions familiales, nous avons conduit une étude longitudinale auprès de cinq EF tunisiennes dans lesquelles le processus de transmission était déjà engagé. L’analyse des entretiens conduits auprès des parties prenantes concernées par la succession permet de comprendre en profondeur le processus de succession et son évolution. La discussion porte sur le rôle des SF dans l’analyse de la dynamique des conflits lors du processus de succession, et identifie des leviers actionnables pour gérer ces conflits.
Les conflits dans la succession familiale : de l’analyse interindividuelle aux dynamiques ancrées dans les structures familiales
La succession est un processus à haut risque puisqu’elle s’accompagne d’un changement de la direction et d’un transfert de la propriété (Le Breton-Miller et al., 2004). L’analyse de la littérature souligne la nécessité de passer d’une analyse inter-individuelle des conflits à la prise en compte de dynamiques conflictuelles ancrées dans les SF.
La complexité des conflits dans l’EF
L’interaction entre la famille, le cadre professionnel et la propriété représente une réelle mise en danger de la valeur économique de l’entreprise et de l’ambiance familiale (Davis et Harveston, 2001; Frank et al., 2011). Les conflits émanent de trois sphères constitutives de l’EF — l’organisation, la famille et les différentes parties prenantes — qui peuvent se conjuguer (Harvey et Evans, 1994). Un premier niveau de conflits peut apparaitre au sein d’une des trois sphères sans en influencer les autres. Un deuxième niveau met en jeux deux sphères différentes dont les externalités rendent la résolution des conflits plus complexe. Un troisième niveau implique toutes les sphères simultanément. L’interaction de différents niveaux de conflits engendre des tensions, c’est-à-dire l’incapacité des individus à faire face aux exigences et/ou aux besoins professionnels et familiaux (Carr et Hmieleski, 2015).
La littérature aborde les conflits en croisant les sous-systèmes composant l’entreprise familiale et les types de conflits. Les conflits sont aussi déterminés par leur nature (Caputo et al., 2018; Frank et al., 2011; Qiu et Freel, 2019). Les conflits d’intérêt émanent de la diversité et de la divergence des intérêts au sein de l’EF (Qiu et Freel, 2019). Les membres de la famille peuvent chercher à satisfaire leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt familial commun (Zellweger et Kammerlander, 2015). Avec l’implication de plusieurs membres de la famille (issus de différentes générations), ces conflits tendent à s’accroitre (Kets de Vries et al., 2007; Davis et Harveston, 2001). Les conflits de tâches proviennent de désaccords entre les individus sur la stratégie et les objectifs à atteindre (Jehn et Mannix, 2001). Ils peuvent aussi émerger de différences de compréhension des tâches à accomplir (Amason et Schweiger, 1994). Les conflits de process sont liés aux désaccords sur la manière dont les objectifs doivent être atteints (Jehn et al., 1999), et émanent des différences de points de vue sur la manière dont les ressources doivent être déployées pour atteindre les objectifs. Les conflits relationnels constituent des incompatibilités interpersonnelles (Jehn et Mannix, 2001). Ils s’accompagnent généralement d’hostilité et d’agressivité, produisent des émotions négatives comme la colère ou la frustration (Barki et Hartwick, 2004) et réduisent la bonne volonté, la compréhension mutuelle et le respect des membres du groupe (Jehn, 1995).
Cette littérature souligne les dynamiques interpersonnelles mises en jeu dans les conflits, ce qui rend par la suite, leur résolution plus complexe (Qiu et Freel, 2019; Sorenson, 1999). Pour autant, ces analyses demeurent statiques, et focalisées sur les seuls individus. Or, l’analyse des conflits durant le processus de succession nécessite de prendre en compte la dynamique des conflits qui y prend place. Peut-on alors se contenter d’analyses interindividuelles ? Ne serait-il pas judicieux de prendre en compte la famille comme un construit social fondamental dessiné par des structures ?
Le processus de succession : un catalyseur de conflits
La succession est un processus caractérisé par une évolution imbriquée et dépendante des fonctions et rôles des acteurs concernés (Handler, 1990). La relation entre le fondateur et le successeur est fondamentale dans le processus (Fattoum et Fayolle, 2008; Kamei et Dana, 2012), mais elle évolue d’une phase à l’autre : cantonné à un rôle d’exécutant dans la phase d’intégration, le successeur devient plus confiant et participe à la prise de décision dans la phase de règne conjoint (Cadieux et al., 2002), où les deux acteurs sont a priori sur un pied d’égalité. Ces changements de rôle nécessitent des ajustements et rendent des blocages possibles dans le passage d’une phase à une autre (Handler, 1994). Le prédécesseur et/ou le successeur peuvent être à l’origine de ce blocage : soit le successeur n’assure pas parfaitement ses devoirs, soit le prédécesseur a des difficultés à déléguer les responsabilités, ou à se désengager définitivement (Bah et al., 2017). On conçoit la nécessité pour le prédécesseur et le successeur de s’ajuster dans leurs rôles respectifs et leurs interactions (Handler, 1994), mais aussi l’émergence de risques de conflits liés à l’absence (ou au manque) de concession(s) et d’une vision partagée sur la gestion ou la stratégie de l’EF (Frank et al., 2011; Zellweger et Kammerlander, 2015).
Le processus de succession renforce les possibilités de conflits du fait de la passation d’autorité et des changements de rôle des acteurs familiaux. La revue de littérature systémique de 88 textes sur les conflits dans les EF de Kubíček et Machek (2020) n’identifie qu’une seule étude longitudinale sur ce sujet. Or, la naissance des tensions, la succession des conflits peuvent mettre en péril l’évolution du processus de succession, et entraîner des ruptures entre les acteurs concernés. Une exploration en profondeur est nécessaire. Là encore, peut-on alors se contenter d’une analyse sur les seuls individus ? N’est-il pas judicieux de prendre en compte la SF et le contexte socio-culturel, lesquels semblent jouer un rôle important dans le comportement des individus face à des situations conflictuelles (Rousseau et al., 2018; Sharma et Manikutty, 2005).
Inertie des structures familiales et dynamique des conflits
Les SF influencent les mécanismes d’interaction des membres de la famille entre eux (Todd, 1985). Les familles marquent les attitudes et comportements et portent même des valeurs qui constituent un « sanctuaire » (Sharma et Manikutty, 2005, p.10).
Nous proposons de préciser les types de SF, à la suite des travaux de Todd (1985), Sharma et Irving (2005), Sharma et Manikutty (2005), afin de poser des jalons sur les possibles conflits qui en découlent lors de la succession, avant de revenir sur le cas tunisien, pour boucler l’analyse de l’articulation entre succession et dynamiques de conflit dans ce contexte.
Todd (1985; 2011) élabore une typologie des SF dans le monde dans le prolongement des travaux de Le Play (1871). Les SF présentent des caractéristiques de long terme, car elles s’inscrivent dans une reproduction générationnelle, inconsciente, des valeurs véhiculées par les parents qui eux-mêmes les ont acquises de leurs propres parents. Cet échange conditionne les relations élémentaires qui se développent ensuite entre tous les membres de la famille (Todd, 1985).
Lors de la succession familiale, la SF exerce son influence sur le processus décisionnel et le mode de gouvernance de l’EF (Sharma et Manikutty, 2005; Sharma et Irving, 2005), via deux dimensions (Todd, 1985; 2011) :
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« l’autorité-liberté », liée à la position des enfants dans le groupe familial, définit les relations intergénérationnelles. Soit les enfants sont considérés comme une partie intégrante du groupe familial (autorité), soit ils s’en émancipent à l’âge adulte (liberté).
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« l’égalité-inégalité » définit les relations entre frères et soeurs, et renvoie à la propriété parentale divisée ou non en parts égales entre tous les frères et soeurs.
Quatre types de SF sont différenciés : la famille nucléaire absolue, la famille nucléaire égalitaire, la famille autoritaire (souche), et la famille communautaire. Cette approche des SF permet de comprendre que les conflits observés lors des successions sont marqués par le type de SF à l’oeuvre, celles-ci pouvant jouer tant via les relations intergénérationnelles (autorité-liberté) que par la définition des relations égalitaires (ou non) entre enfants.
Plusieurs intérêts en découlent. Tout d’abord, l’« autorité-liberté » est fortement présente dans le processus de succession puisque le père et son(sa/ses) descendant(e/s) sont conduits à partager le pouvoir. Le comportement des membres de la famille et la nature de la relation entre les parents et leurs enfants sont régulés par les normes et les valeurs communes du système familial : l’autorité inscrit la succession familiale comme une option naturelle, tandis que l’émancipation (« liberté ») conduit à inscrire la succession familiale comme une possibilité parmi d’autres choix de carrière des enfants (Sharma et Irving, 2005). Ensuite, l’égalité-inégalité explique la présence ou l’absence de règles communes au niveau de l’héritage de la propriété, et guide la façon dont les enfants sont traités en matière de succession. Cette dimension représente un aspect très important dans la transmission familiale, car elle conduit à répartir le management et le patrimoine d’une génération à l’autre et, plus encore, à organiser les relations entre enfants lors de la succession.
Si l’on en vient aux caractéristiques de la Tunisie, Touzani et al. (2015) expliquent que dans les sociétés arabes et musulmanes l’entrepreneuriat se conçoit surtout en famille. Même dans les cas où l’initiative vient d’un seul individu, la famille reste très présente dans la création et le développement d’entreprise (Bosma et al., 2012). Le contexte tunisien est marqué par un type de relation patriarcal, marqué par l’autorité du père et une famille communautaire (Benmostefa, 2015; Fahed-Sreih, 2017; Fattoum et Fayolle, 2009; Hammouda, 2018; Touzani et al., 2015; Todd, 2011 : 487). La famille tunisienne est ainsi de type communautaire, marquée par l’autorité, avec une tendance égalitaire : le groupe familial à une tendance endogame (le groupe familial tend être fermé sur lui-même avec un taux élevé de mariage au sein du même groupe), et l’égalité entre les enfants est assurée, la Tunisie s’affirmant comme un Etat civil dans lequel les femmes sont fortement impliquées dans la Société (Yezza, 2019).
Le père dispose, d’un rôle indispensable dans l’éducation de ses enfants (Bentebbaa, 2017) mais son autorité introduit une distance avec eux et tend à limiter l’indépendance et l’autonomie du successeur. Sharma et Manikutty (2005) expliquent que lorsque les générations cohabitent dans un contexte d’autorité assumé par les parents, c’est-à-dire lorsque les familles sont communautaires et autoritaires, les cultures qui leurs sont associées sont plus souvent collectivistes. Ce constat raisonne avec les travaux développés dans le contexte tunisien (Hammouda, 2018; Younes et al., 2016; Zghal, 1994) qui montrent notamment :
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l’attachement à l’appartenance sociale : les relations informelles, qui marquent profondément selon eux les entreprises tunisiennes, favorisent l’attachement aux relations interpersonnelles et l’appartenance sociale. On retrouve ici une particularité du communautarisme (réseau de la même famille, d’une même région et/ou d’une même école etc.) fondé sur la solidarité et la confiance, et qui donne une place significative au népotisme et au réseau social des candidats plutôt qu’aux compétences objectives.
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Le paternalisme : la relation paternaliste est appréhendée d’une manière positive dans le sens où le supérieur hiérarchique exprime un préjugé positif à l’égard des subordonnés mais également prend en charge leurs intérêts professionnels et personnels. Cette tendance conduit à favoriser l’affectivité dans les relations sociales et a pour conséquence dans les EF, une centralisation du pouvoir par le fondateur et l’instauration d’une distance hiérarchique élevée. Le père est au centre du processus de décision ce qui influence alors le processus de succession notamment lors de la phase de règne conjoint et de transition entre le prédécesseur et le successeur (Fattoum et Fayolle, 2009).
Sans doute faut-il aller plus loin, et souligner que des difficultés de partage des responsabilités entre le prédécesseur et le successeur peuvent apparaître, nécessitant davantage de formalisme (Fattoum et Fayolle, 2009). On conçoit sur ce point l’intérêt de l’analyse des SF. Dans un contexte marqué par l’autorité du père, des difficultés de délégation de fonctions et de tâches émergent. Des conflits explicites et de la frustration émergent de la part des enfants, aucun des successeurs ne parvenant à une prise de liberté, ni d’autonomie décisionnelle à la fin du processus. Le prédécesseur conserve sa position de leader durant tout le processus, ce qui va à l’encontre des modèles présentés en matière de succession familiale, pour lesquels l’influence croissante du successeur est soulignée. Ici, quel que soit l’avancement du processus de succession, on comprend que la SF laisse au père un rôle important, voire prépondérant, qui peut bloquer la transmission du pouvoir de décision, et provoquer des tensions intergénérationnelles.
Il n’est, alors, pas étonnant que le processus de succession dans les EF tunisiennes se révèle nettement plus long que ce qu’évoque la littérature issue de pays occidentaux (Fattoum et Fayolle, 2009). Dans la même lignée, Martinez et al. (2010), Mzid Ben Ammar et Mezghani (2010) montrent que les SF exercent une influence en termes de « d’encouragement, d’assistance, d’information, de formation et d’accompagnement » (Touzani et al., 2015, p.169). Ces résultats confirment l’imbrication de l’action entrepreneuriale avec la famille.
Le « paternalisme » présente ainsi un intérêt particulier dans le contexte de la transmission puisqu’il va induire la question du positionnement, potentiellement conflictuel, du successeur par rapport à son prédécesseur. Le respect des ainés (Fahed-Sreih, 2017) peut affecter le comportement au sein des fratries dans le cas d’une reprise par plusieurs membres de la même fratrie. Selon leur âge et/ou leur sexe, ils auront du mal à exprimer clairement leurs attentes et leurs besoins.
Compléter l’analyse interindividuelle des conflits dans le processus de succession des EF par la prise en compte des SF est ainsi important.
Méthodologie
Comprendre la dynamique des conflits et des SF pendant le processus de succession des EF nécessite une vision fine de l’évolution du processus, des étapes et des acteurs impliqués (Danes et al., 2000). Notre recherche s’inscrit dans une approche inductive et interprétative visant à construire une théorie (Nordqvist et al., 2008; Reay et Whetten, 2011) pour cerner et comprendre la dynamique des conflits et des SF pendant le processus de succession. Jaskiewicz et al. (2015) considèrent que cette approche est pertinente pour comprendre les processus sociaux complexes en prenant en considération les interactions entre les membres de la famille. Hlady Rispal (2002, p.47) souligne l’intérêt d’une approche qualitative : « Les comportements humains ne s’expliquent pas par une simple relation de cause à effet. Ils relèvent un ensemble de significations et de valeurs qui donnent un sens aux faits qui sont observés ». L’étude de cas permet également d’analyser un processus et de décortiquer en profondeur le fonctionnement d’un système (Hlady-Rispal et Jouison-Laffitte, 2015). Le principal objectif du recours à plusieurs études de cas est d’étudier en profondeur le phénomène, en prenant en considération les spécificités et les différences des contextes situationnels (Yin, 2009). Par ailleurs, nous retenons une approche longitudinale étant donné que le processus de succession ainsi que l’émergence et le règlement des conflits s’inscrivent dans le temps. Cerner la façon dont les conflits apparaissent et évoluent, comment ils se règlent (ou non) nécessite de suivre les cas dans la durée et de reconstituer le processus à l’oeuvre. Il importe de disposer de cas longitudinaux (Yin, 2009), et de se donner les moyens de saisir leur évolution au cours du temps (Langley, 1999). A cette fin, des interviews régulières ont été effectuées pour saisir la façon dont chacune des parties prenantes perçoit l’évolution des conflits.
Le choix des cas
L’objectif est de trouver des cas « révélateurs » au sens de Yin (2009) et de Gioia et al. (2013), à savoir des cas qui représentent un fort potentiel pour éclairer un phénomène et combler un gap théorique (Langley et Abdallah, 2011). Les cas sont des EF impliquées dans un processus de succession suffisamment avancé pour que le successeur et le prédécesseur soient explicitement engagés. Le contexte étant important, tous les cas sont issus de la culture tunisienne. Les cas présentent une diversité quant aux phases dans lesquelles le prédécesseur et le successeur sont placés. La littérature souligne que la phase critique en termes d’émergence de conflit se situe au cours de la période allant de l’omnipotence du prédécesseur à son désengagement (Daspit et al., 2016; Le Breton-Miller et al., 2004). Les cas se répartissent entre la phase de règne conjoint, de désengagement et de fin du processus de succession. Cela nous a conduits à retenir cinq cas dont la description est détaillée ci-dessous. Cette approche multi-cas a été mobilisée dans le champ de recherche en entrepreneuriat et sur les entreprises familiales par plusieurs chercheurs (Jaskiewicz et al., 2015; Strike et Rerup, 2016), et est en phase avec Gehman et al. (2018) qui montre l’intérêt de rapprocher les diverses méthodes qualitatives. Notons que nous avons rencontré des difficultés à convaincre les successeurs/prédécesseurs en place de participer à notre enquête, rejoignant Basly (2017). Ces derniers considèrent que la succession et ses conflits constituent un sujet sensible, voire délicat, dont la connaissance ne concerne que les membres de la famille. Deux cas qui ont d’ailleurs participé à un premier tour d’enquête ont ainsi été retirés du fait de leur refus de poursuivre les entretiens.
Cette composition présente un double avantage :
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Avoir des observations en temps réel, ou récentes, pour lesquelles les acteurs impliqués demeurent marqués par les événements vécus, ce qui évite les biais de reconstruction ex post, et les biais de mémoire (Katz et Gartner, 1988), qui peuvent être particulièrement importants pour un processus de long-terme.
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Travailler sur les EF nécessite de rentrer dans l’intimité des dirigeants pour comprendre la diversité des conflits, leurs sources et leurs conséquences. Suivre les EF sur un horizon temporel de quatre ans permet de mieux les approcher, de créer de la confiance et de disposer d’une meilleure compréhension des phénomènes à l’oeuvre (Johansson et al., 2014).
Danes et al. (2000) soulignent l’importance d’accéder à la vision du prédécesseur, de son successeur mais également des autres membres de la famille. Les entretiens auprès de chacun d’entre eux ont été menés séparément de façon à faire ressortir les convergences, mais aussi les divergences de points de vue et d’interprétation[2]. Lorsque des désaccords sont présents sur la narration de l’histoire, un troisième entretien (minimum) a été fait avec un membre de la famille et/ou une tierce personne qui connait bien la nature de la relation entre les deux acteurs (cf. tableau n° 2).
Cette méthode permet de collecter plusieurs points de vue et de limiter le risque de rationalisation a posteriori (Nutt, 1993). La triangulation des sources d’informations est importante pour avoir une vision complémentaire de celle fournie par le prédécesseur et le successeur, ce qui renforce la qualité de l’analyse, la crédibilité des données et enfin la validité des construits (De Massis et Kotlar, 2014). Au total, 42 entretiens semi directifs ont été menés en face à face, avec une durée moyenne de 50 minutes. Tous ont été menés en français. En revanche, les participants ont parfois répondu en arabe pour apporter plus de précisions et de clarté à leurs réponses, ce qui a donné lieu à une traduction par deux enseignants chercheurs de manière indépendante, pour éviter les biais d’interprétation et de traduction. La collecte des données s’est échelonnée entre 2016 et fin 2019. L’étude longitudinale permet d’observer la séquence des évènements et des conflits lors du processus de succession (Daspit et al., 2016) en prenant en considération les particularités du contexte étudié (Rousseau et al., 2018). Le délai entre deux entretiens pour chaque acteur a été établi de 5 à 9 mois, suffisamment raisonnable pour laisser les situations évoluer pour qu’elles puissent être captées par la collecte des données. Les rencontres régulières des acteurs se font jusqu’à saturation des données et concepts. Cette approche permet d’éviter les limites des recherches antérieures qui appréhendent la dynamique des conflits en se basant sur des observations figées (Danes et al., 2000). Nous avons, enfin, collecté des données par le biais d’observations non participantes pour mieux s’imprégner du contexte (Jaskiewicz et al., 2015) et avons pu assister avec l’accord de la famille à des réunions au sein de l’EF, pour observer l’interaction entre les individus et le rôle de chacun dans l’organisation.
Analyse des données
Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Les verbatims ont été traités en s’inspirant de la méthode de Gioia et al. (2013) qui permet une compréhension approfondie des phénomes observés (dynamique des conflits et structures familiales) mais également de l’évolution du processus (succession) et de leur une contribution complémentaire aux travaux antérieurs (Langley et Abdallah, 2011). Un codage de 1er ordre proche des verbatims des répondants a été réalisé avant un 2ème codage qui permet une conceptualisation à travers plusieurs allers-retours entre la théorie et les données (Reay, 2014). La figure 1 illustre les niveaux de codage. Un double codage a été réalisé avant de confronter les analyses individuelles pour choisir les différentes catégories à retenir tout en respectant les étapes préconisées par Gioia et al. (2013). Le logiciel NVIVO 12 a été utilisé pour faciliter le processus de codage.
Résultats
Pour saisir le rôle des SF dans la dynamique des conflits pendant le processus de succession, nous avons distingué cinq principaux thèmes : (1) le rôle de la SF, à travers la figure du père, (2) les difficultés de la relation père-enfants (3) les conflits entre enfants, (4) le rôle de la religion et enfin (5) l’évolution des conflits et des SF dans le temps. Nous observons l’évolution des conflits pendant quatre ans dans les cinq cas étudiés (cf. annexe 1).
La figure du père et son empreinte
Les cas montrent l’importance de la SF dans la dynamique des conflits avant même l’intégration officielle des successeurs dans l’EF. La figure du père est ainsi en phase avec l’analyse conduite par Todd (1985), et occupe une place centrale, en tant que figure « d’autorité ». Le père veille à contrôler ses enfants afin d’assurer leur réussite selon ses propres croyances et convictions. Il participe au choix des études de ses enfants en prévision de la relève. « Mon père m’a forcé à choisir cette spécialité (topographie marine) et je regrette d’avoir accepté » (Successeur — Suc. — cas 2).
L’autorité du père marque tout le processus de succession, notamment pendant la phase de règne conjoint avec ses enfants : « Mon père ne nous accorde pas la liberté de faire ce que nous voulons, surtout dans l’entreprise » (Suc. cas 5), et tous les cas sont marqués par des verbatims similaires. Dans cette phase, le prédécesseur est censé partager le pouvoir avec ses enfants afin de préparer son départ, sauf que les dirigeants ont du mal à lâcher prise par crainte de perdre le contrôle sur leurs enfants. Ceci est, confirmé par plusieurs des prédécesseurs : le préd. 1 indique ainsi que « (s)mon fils prend également les décisions mais il ne faut pas oublier que je suis encore vivant et que tout passe par ma validation » tandis que le préd. 5, censé être dans la phase de désengagement, affirme « l’entreprise c’est mon refuge, j’ai passé des années à développer cette activité,… je préfère qu’il (son fils) reprenne l’entreprise après mon décès au moins je ne vois rien ».
La relation père – enfants au centre des conflits
Les cas font ressortir combien les conflits sont fréquents pendant le processus de succession. La relation au père est centrale pour saisir la dynamique des conflits observée. Mais, si la figure du père est respectée, la succession conduit les enfants — successeur pressenti et sa fratrie — à changer de rôle dans l’EF. Le successeur qui gagne en responsabilités souhaite affirmer son rôle et son autonomie, voire sa compétence. Dans le même temps, la simple présence du père dans l’entreprise rend délicate cette prise de responsabilités, ce qui conduit à devoir s’affranchir du père. Dès lors les ingrédients sont présents pour susciter des conflits, que ceux-ci soient latents — et renvoient aux frustrations des personnes, ou éclatent au sein de la famille, voire au grand jour. Comment ces conflits se résolvent-ils conflits ? L’état de santé du père a souvent joué un rôle de « juge de paix » dans les cas observés.
Le passage de témoin peut être marqué par des désaccords sur la conception du travail plus ou moins marqué selon les phases de la succession et la capacité à dialoguer sur les méthodes de travail qui peuvent dégénérer en conflits de différente intensité. « Quand mon père prépare un devis il ne prend pas en considération tous les coûts de production. Lui, il se contente de travailler, pas plus, pas de calcul rigoureux ! » (Suc. A cas 1). Les deux acteurs avaient un problème de gestion financière, et le successeur n’était pas satisfait de la stratégie de son père vu l’absence des règles précises dans la gestion quotidienne de l’EF. La même expérience s’est produite dans le cas 2 : le prédécesseur fait confiance et ne fait pas attention au comportement opportuniste des certains salariés, « malheureusement les salariés profitent de l’absence de mon père en surestimant les coûts et la charge de travail ! Le problème si mon père apprécie quelqu’un est qu’il n’assure pas le suivi ni le contrôle derrière » (Suc. cas 2).
Dans tous les cas, les enfants ont signalé la centralisation du pouvoir par le fondateur — « tu ne peux pas contredire mon père, c’est lui qui décide ! Nous sommes des simples exécutants » (Suc. cas 2) — mais également la difficulté à convaincre le père, le faire changer d’avis et/ou de position par rapport à une décision : « je passe des heures à lui expliquer ma vision, finalement il prend la décision qui lui convient » (Suc. N cas 4). On observe la prégnance de la SF qui impacte fortement le processus de succession, et entraîne à la fois l’émergence de conflits et la difficulté à les gérer car l’autorité du père est respectée. Les conflits ne proviennent pas seulement de dynamiques interindividuelles, ils prennent corps dans une SF qui confère au père un rôle d’autorité. Les enfants, respectueux du père, tout en étant successeurs, ne peuvent que difficilement devenir autonomes dans la prise de décision.
Les conflits entre enfants
Si la SF joue de manière forte sur la dynamique des conflits entre prédécesseur et successeur, n’influence-t-elle pas également les conflits entre enfants ? Todd (2011) montre que la SF donne une place plus ou moins égalitaire aux enfants. Si l’égalité entre enfants est assurée, notamment légalement, la relation reste pour autant patriarcale : lorsque le père disparaît c’est — généralement — le frère ainé qui obtient l’autorité (qui devient le patriarche), mais il importe de cerner ce réaménagement de relations entre membres de la fratrie car un non-respect de cette règle pourrait augmenter les tensions entre les individus. « Mon mari était respecté par ses frères et soeurs et malgré la présence de quelques conflits. Leur relation était basée essentiellement sur le respect jusqu’à aujourd’hui » (cas 5).
L’étude des cas met en lumière une observation intéressante : tant que le père est présent, les conflits entre héritiers n’apparaissent pas. Les enfants peuvent être associés à la gestion de l’entreprise (cas3). Ici, les tensions vis-à-vis du père ne s’accompagnent pas de tensions entre frère et soeurs, ce qui tend à confirmer la place centrale occupée par le père dans le dispositif. Le cas 3 montre un changement : le décès du père s’accompagne ici du développement de conflits entre les frères et soeurs. Le père assumait précédemment un rôle de médiateur en cas de conflits. « Depuis le décès de mon père, je fais parfois appel à mon oncle et les amis proches de mon père pour intervenir et résoudre un problème entre nous ! Quand-même mes frères les respectent énormément donc ça facilite un peu la résolution des conflits » (Suc.e I du cas 3). Les relations familiales entre les enfants sont ainsi régies par l’autorité parentale qui peut disparaitre après le décès du père, « mon père nous obligeait à se réunir et se voir, maintenant chacun s’occupe de ses affaires et cherche ses propres intérêts » (Suc.e cadette cas 3). Une telle observation peut être liée au fait que, s’agissant d’une SF patriarcale, la disparition du père entraine ipso facto un réaménagement des relations entre les membres de la fratrie. Le frère ainé, ou bien celui qui a été désigné comme successeur, se voit investi de l’autorité, mais des heurts sont possibles.
Le rôle de la religion : un point d’appui à la SF
L’analyse des données souligne une dimension importante dans le comportement des individus : la « position sacrée » des parents dans les pays arabo-musulmans. Certains successeurs préfèrent faire des concessions pour éviter les tensions et les conflits avec leurs parents, « Mon père devient de plus en plus sensible suite à la maladie, je ne veux pas le contredire, tout ce que je cherche maintenant : comment le rendre content et satisfait ! Je fais tout ce qu’il me demande de faire » (Suc. cas 2), ou bien « je fais des concessions à mon père pour lui faire plaisir; quand même il faut qu’il soit satisfait de ce que je fais » (Suc. cas 1). Les verbatims montrent l’attachement des successeurs aux croyances religieuses, et l’importance de la bénédiction des parents dans la religion musulmane, ainsi qu’en témoignent plusieurs passages du Coran (le texte sacré de l’islam) : « N’adorez que Lui; et (marquez) de la bonté envers les père et mère : si l’un d’eux ou tous deux doivent atteindre la vieillesse auprès de toi, alors ne leur dis point : “Fi !” et ne les brusque pas, mais adresse-leur des paroles respectueuses » (Sourate AL-ISRA, verset 23). Les interprétations sont multiples mais s’articulent autour de la relation entre l’approbation divine et la satisfaction des parents. On conçoit alors que dans une situation de conflit le successeur prenne sur lui, afin de ne pas désobéir ni remettre en question ce précepte.
Notons que la dimension religieuse peut interagir avec les aspects juridiques. La Tunisie est, un Etat laïc depuis 1957, et son régime constitutionnel et juridique est fortement inspiré de la pratique française (Jaidane, 2002). La législation en vigueur interdit au prédécesseur de déshériter un de ses enfants (art. 123 du code du statut personnel/CSP). En revanche, la différence majeure s’établit dans la conception du régime successoral, qui est marqué par la religion musulmane (Bourdoncle, 2017). Les procédures de succession privilégient a priori le genre masculin en prévoyant la règle de la double part pour les hommes au détriment des femmes : « l’héritier du sexe masculin a une part double de celle attribuée à un héritier de sexe féminin » (art. 103 CSP), tout en introduisant la possibilité pour les personnes de contourner cet article, la Loi permet par voie testamentaire de partager l’héritage à parts égales entre les enfants (hommes et femmes). Ce jeu entre religion et laïcité a été confirmé par plusieurs successeurs « Pour éviter tous les conflits, avant son décès, mon père a partagé 80 % de son patrimoine à part égale entre nous. Le reste sera réparti en fonction des règles instaurées par la loi » (Suc. cas 3).
Les conflits, l’individu et la SF : une évolution dans le temps
Les résultats confirment l’évolution des conflits dans le temps, ce qui témoigne d’une interaction entre SF et comportements individuels.
Nous avons montré que des conflits peuvent apparaître entre les enfants et le père et se développent et/ou évoluent dans le temps « Quand j’ai intégré officiellement l’entreprise familiale, j’avais des désaccords avec mon père sur l’organisation et les méthodes de travail, quand je me suis impliqué dans la direction nos différends concernent plutôt les objectifs, la stratégie et l’avenir de l’entreprise » (Suc. cas 1). Les résultats obtenus montrent que les types de conflits évoluent en fonction du processus de succession mais également en fonction de l’implication du successeur dans l’EF « avant il y avait des désaccords sur les méthodes de travail maintenant c’est des problèmes plus sérieux qui concernent les intérêts de chaque membre de la famille » (Suc. cas 5). Le cas 1 confirme également ce résultat « après le développement de l’entreprise, mon père ne me fait plus des remarques sur les objectifs à atteindre mais plutôt sur la manière de travailler. J’avoue que nous avons encore des désaccords sur certains points ». Enfin, les résultats montrent également que l’intensité des conflits évolue dans le temps « au début, nos conflits étaient plus au moins gérables, mais avec le temps et le développement de la rancune entre nous, les désaccords ont pris une autre ampleur. Je le comprends car il y a quand même un enjeu financier important et chacun cherche à défendre ses intérêts » (Suc.e I cas 3).
Pour résumer, dans la majorité des cas, les conflits sont initialement latents : du fait du respect de la structure familiale, et notamment de l’autorité et de la figure du père, les enfants ne disent pas forcément ce qu’ils pensent. Avec le temps, et l’implication croissante des enfants/successeurs dans l’EF, les conflits se développent et éclatent, allant jusqu’à conduire au départ du successeur présumé. Même dans ce cas, il est cependant intéressant de noter que la relation de respect avec les parents demeure présente. Ceci rend possible un retour dans l’EF, dans le cas où le père en éprouve le besoin, voire dans le cas d’une incapacité (maladie, etc.) à faire face aux besoins de l’entreprise.
On conçoit alors que la compréhension du processus de succession nécessite, au-delà de la dimension interindividuelle, la prise en compte de la structure familiale et du contexte culturel et religieux. La place sacrée accordée aux parents conduit les enfants (successeurs) à être extrêmement attentifs à la satisfaction des parents de leur comportement. Les relations au sein de la fratrie seront influencées par les règles successorales.
Discussion
Notre objectif a consisté à éclairer la dynamique des conflits lors de la succession en prenant en compte la SF (Todd, 1985; 2011). Plusieurs contributions en découlent.
Prendre en compte la SF permet d’aider à combler le gap théorique sur les conflits pendant la transmission familiale (Qiu et Freel, 2019; Kubíček et Machek, 2020). L’autorité-liberté permet de saisir les relations intergénérationnelles, et l’intensité de de la latitude accordée aux enfants par rapport aux parents (et au père), tandis que l’égalité-inégalité souligne comment les relations entre membres de la fratrie jouent sur les dynamiques de conflits. Plus que la mise en lumière de tel ou tel type de conflit, l’analyse conduite souligne que la relation d’autorité au sens de Todd (2011) marque profondément le processus de succession et sa dynamique. La figure emblématique du père limite l’autonomie de l’héritier et, plus largement, des enfants, et entraine — malgré l’importance du respect que ceux-ci accordent au prédécesseur — la multiplication des conflits. Le déroulement du règne conjoint et de la phase de désengagement du prédécesseur sont marqués par cette SF qui influence les types de relations entre prédécesseur et successeur(s), voire le déroulement du processus (Yezza et al., 2021b). Nous comprenons que (1) les conflits peuvent prendre leur source en dehors de seuls rapports entre individus (Caputo et al., 2018; Frank et al., 2011; Qiu et Freel, 2019), et (2) que les constats dressés dans le contexte tunisien (Fattoum et Fayolle, 2009) ont une part de leur origine dans la SF. Ensuite, alors que les modèles de succession identifient des étapes (Cadieux et al., 2002; Daspit et al., 2016) qui semblent linéaires, la prise en compte des SF permet de comprendre les blocages, les retours en arrière, voire les risques de rupture du processus, du fait de l’autorité du père. Ce dernier, même « désengagé » peut revenir dans le jeu de l’EF (Yezza et al., 2021a). Le « juge de paix » du processus de succession est l’état de santé du père, seul à même de permettre aux enfants de prendre la main. En outre, notre recherche ne se limite pas à la relation entre prédécesseur-successeur, elle ouvre aussi sur les relations entre successeurs au sein des fratries (Deschamps et al., 2014), situation génératrice de conflits. Le contexte tunisien est apparu là aussi intéressant : les relations au sein de la fratrie se sont dégradées après la disparition du prédécesseur, et l’on perçoit la difficulté à implémenter un système qui se veut égalitaire, alors même que certains sont « plus égaux que d’autres ». Le changement de génération entraine une remise en question des rôles et places de chacun, qui donne lieu à des tensions entre les personnes, l’ainé se sentant généralement légitime du fait de la tradition, tandis que ses frères et soeurs insistent sur la nécessaire évolution des mentalités. Eclairer la succession nécessite réellement d’articuler l’étude des SF, des dimensions individuelles et interindividuelles, en prenant en compte les perceptions individuelles. Les compétences sociales et relationnelles des successeurs (Yezza et Chabaud, 2020a) apparaissent ici importantes à cultiver, rejoignant l’accent mis par Kamei et Dana (2012) sur l’importance capital humain pendant le processus de succession, car elles peuvent aider à désamorcer les conflits (Yezza et Chabaud, 2020b). Plus encore, un enjeu de formation en ressort : prédécesseurs et successeurs doivent être sensibilisés aux particularités et aux risques inhérents à la SF, afin d’avoir une meilleure appréhension des conflits qui peuvent apparaître dans la succession.
Les résultats conduisent également à questionner l’analyse de Todd (1985; 2011), en montrant que les questions d’égalité sont à relayer aux aspects institutionnels et religieux. En outre, si la SF influence les comportements au long cours, et connaît des évolutions très lentes, il sera intéressant d’étudier la façon dont les évolutions plus larges de société — notamment en Tunisie — renforcent les tensions. La place centrale du père dans la SF tunisienne, toujours en vigueur et valorisée par la société, a semblé heurter les jeunes générations en demande de plus de liberté. La tension ainsi générée pose la question de la résolution de ces conflits dans le respect de SF faiblement adaptables aux évolutions de la société. Un second type d’apport réside dans notre contribution à une meilleure prise en compte des contextes : Ramadani et al., (2017) et Kubíček et Machek (2020) ont affirmé le besoin d’éclairer des contextes non occidentaux, tandis que Rousseau et al. (2018) insistent sur la prise en compte des contextes culturels différents dans les conflits. Nous répondons à leur appel en étudiant un type de SF peu étudié (Hammouda, 2018; Jaziri, 2018; Basly, 2017; Bah et al., 2017). Notre étude permet de percevoir des points communs avec le contexte sénégalais exploré par Bah et al. (2017) qui souligne que la dimension autoritaire, la difficulté des prédécesseurs à lâcher prise et le rôle des croyances religieuses. La question est d’autant plus intéressante à poser en Tunisie depuis le printemps arabe qui a constitué une véritable secousse institutionnelle à l’origine d’un affaiblissement de l’Etat et de sa légitimité (BenSlimane et al., 2020) favorable à l’autonomisation des communautés, de leurs valeurs. S’intéresser aux SF et à la religion qui ont démontré leur permanence par rapport aux autres institutions (dont politiques), illustre ainsi l’imbrication de la modernité et de la tradition. Touzani et al. (2015) soulignent que les règles économiques et légales, s’inspirent largement de la religion musulmane, même si la Tunisie fait partie des nations arabo-musulmanes les plus reliées au monde occidental (El Harbi et al., 2009). Le projet de loi sur l’égalité hommes-femmes en matière d’héritage, une première dans le monde musulman, illustre bien l’intersection entre modernité et tradition. En effet, ce texte de loi, approuvée par le conseil des ministres et soumis au parlement fin 2018, a connu une résistance de la société civile et des parlementaires, et demeure bloqué à ce jour. Ceci confirme la résistance au changement en Tunisie (Ghachem, 2009) et explique son attachement à la tradition et à la religion.
L’étude présente des limites, et requiert des prolongements. Notre étude longitudinale de la succession de 5 EF tunisiennes a permis une analyse en profondeur des cas. Les observations ont porté sur des entreprises qui passent à la 2ème génération, ce qui conduit à ne pas prendre en compte les différences liées à la présence de « consortiums de cousins ». Le développement économique de la Tunisie ayant débuté dans les années 70 (Benmostefa, 2015) explique certainement la rareté des entreprises passant à la 3ème génération dans le tissu économique. En outre, alors que Neal et al. (2005) précise que le travail féminin se développe massivement dans les pays Arabes (Salloum, 2003; UNDP, 2002, p. 158; ILO, 1998, p. 218; Al-Lamki, 1999), nous n’avons pas de cas de succession féminine dans notre échantillon. Il serait pourtant pertinent d’intégrer cette dimension pour déterminer si le genre, dans les pays arabo-musulmans, produit une influence sur la dynamique des conflits dans le processus de succession (Koburta et al., 2020; Ramadani et al., 2017). Si nous avons souligné les relations entre SF et religion, ouvrant ainsi vers la culture, mais les cas étudiés ne permettent qu’une vision partielle car ils tous issus de la même ville d’une région touristique en Tunisie. Compléter par des cas ancrés dans des territoires ruraux serait pertinent. Il est pertinent de considérer l’influence des SF sur la succession dans le contexte de famille communautaire, et nos résultats sont différents des études conduites dans le contexte occidental plus marqué par des familles nucléaires. Un programme de recherche comparatif s’impose pour compléter ces connaissances et mieux cerner les facteurs contextuels contingents. Une étude comparative entre plusieurs pays musulmans et pays non-musulmans serait intéressante pour affiner l’analyse des structures familiales et de la religion comme déterminants de la dynamique des conflits et de son influence sur la réussite de la succession.
Conclusion
On ne peut saisir le processus de succession sans prendre en compte les structures familiales. Le succès du processus ne dépend pas uniquement de la compétence et de la volonté de reprise par le successeur et de la capacité du fondateur à lâcher prise, car ces aspects sont influencés par la structure familiale dans laquelle prédécesseur et successeur se situent. Prendre en compte dans l’analyse l’impact des SF et, plus largement du contexte culturel, est alors nécessaire pour décrypter le processus de succession et ses difficultés. Ce n’est qu’à cette condition de prise en compte simultanée des relations interindividuelles et du contexte familiale, voire institutionnel, que l’on parviendra à une compréhension des processus de succession dans les entreprises familiales.
Appendices
Annexe
annexe 1. Présentation des cas
Cas 1 |
EF fabriquant des meubles et de l’ameublement en bois d’olivier destinés aux touristes et aux exportateurs. Pendant la phase d’intégration (5 ans), le fils travaille à temps partiel dans l’EF, en étant un simple exécutant : cela lui permet de comprendre le fonctionnement de l’entreprise et la stratégie adoptée par son père. Il a, d’ores et déjà quelques interrogations sur les choix effectués. Après l’obtention de son diplôme il rejoint officiellement l’EF (phase de règne conjoint). Le fils fait alors des propositions d’évolution sur la stratégie et les méthodes de travail, qui sont toutes refusées par son père. La relation entre père et fils se dégrade, débouchant sur des conflits déclarés, du fait des refus réitérés du père de faire évoluer l’EF, et de laisser de l’autonomie de décision au fils. Les conflits professionnels gagnent en intensité, et débordent sur la vie privée : père et fils ne se parlent plus, conduisant ce dernier à quitter l’entreprise pendant 4 mois. Le père prend alors conscience — suite à des demandes de clients — que les idées de son fils sont intéressantes et demande alors au fils de revenir à ses côtés. La mise en place des idées du fils est un succès, ce qui conduit le prédécesseur à laisser de l’autonomie à son fils, tout en exigeant d’être consulté. Le fils considère qu’il est « prêt à prendre une décision plus coûteuse si elle fait plaisir à mon père ». |
Cas 2 |
Le fondateur a travaillé dans une multinationale spécialisée dans la topographie marine, avant de lancer sa propre entreprise dans ce secteur en 1981 (l’une des premières dans le secteur, également exportatrice). Le fils travaille pendant les vacances avec son père depuis 6 ans. Ce dernier a obligé son fils à choisir une formation dans le domaine d’activité de l’EF. L’échec scolaire du fils entraine une détérioration de la relation avec son père alors même que le fils rejoint l’EF. Des conflits latents apparaissent : le père considère que son fils n’agit pas de façon responsable et garde le pouvoir de décision, tandis que le fils regrette de ne jamais être reconnu pour son travail. Plus largement le fils a le sentiment que son père fait plus confiance aux employés qu’à lui (il a remarqué des anomalies dans les notes de frais). Des propositions d’évolution des méthodes de travail sont refusées par le père, ce qui crée un « sentiment d’injustice » chez le fils. Le fils, quoique mécontent, considère que « quoi qu’il arrive je respecte mon père, il faut qu’il soit content et satisfait par ce que je fais ». |
Cas 3 |
Le fondateur a lancé en 1984 une entreprise qui commercialise des outils, fournitures et du matériel de bricolage, puis a créé une usine de serrage et de fabrication de clous. Il développe ensuite un réseau de distribution et abandonne la quincaillerie pour se concentrer sur la production. Le père était plutôt « cool » avec ses enfants même s’il décide sans concertation, et considère que « tout le monde doit respecter mes décisions ». Il implique ses enfants dans la gestion mais garde le contrôle, et demeure le seul décideur. Quelques conflits sont présents entre le père et ses enfants sur les méthodes de travail, mais « tout fonctionne » quand même car le père a un réseau relationnel « énorme ». Après son décès en 2013, les conflits se développent entre les frères et soeurs sur les méthodes de travail, la stratégie de l’entreprise. Des conflits d’intérêt (liés aux enjeux financiers) apparaissent qui sont renforcés par un manque de confiance, et l’absence de communication, le frère cadet estimant que « c’est plus légitime que le garçon qui porte le nom de famille soit le décideur et succède à son père ». Alors même que sa pratique religieuse est réduite, il souhaite appliquer la règle des deux parts pour le garçon une part pour la fille : règle juridique issue de la religion. |
Cas 4 |
Le fondateur a créé un garage de réparation automobile et a obtenu une franchise du concessionnaire officiel d’une marque internationale. Après avoir travaillé pendant les vacances scolaires, les enfants rejoignent l’EF après avoir fini leurs études. Si les successeurs font des propositions d’évolution, le père demeure seul décideur : les enfants se considèrent comme « des exécuteurs ». Le père considère que son fils cadet a un comportement « exemplaire », « respectueux » alors que les autres enfants « ne font pas leurs preuves », et ont tendance à tirer profit de leur activité dans l’entreprise (en faisant de la perruque). Le fils cadet adopte un comportement d’évitement, cherchant à convaincre son père, sans jamais le contredire devant les tiers. Inversement les autres enfants sont régulièrement dans la confrontation. Au final, le fils cadet est imposé comme successeur « légitime », et le reste de la fratrie doit désormais passer par lui pour faire évoluer les choses. |
Cas 5 |
EF spécialisée dans la production de café. Le fils ainé travaille avec son père pendant plusieurs années mais quitte l’EF car il a « des désaccords ». Le fils cadet rejoint alors l’EF pendant 4 ans mais finit par quitter l’EF car le père « refuse toutes mes propositions ». 6 mois après ce départ, le fils ainé revient et se heurte à nouveau aux refus du père. Il reste dans l’EF mais des confrontations régulières apparaissent qui laissent le père insatisfait : « moi qui suis l’aîné de la famille, ils (les enfant) me disent quoi faire : ils ne me respectent plus »; tout comme le fils : « je ne sais plus comment le faire bouger ». |
Remerciements
Les auteurs remercient les rapporteurs pour leur commentaires et conseils qui ont conduit à fortement améliorer le texte. Ils demeurent, bien évidemment, responsables des erreurs et omissions.
Notes biographiques
Hedi Yezza est professeur adjoint en entrepreneuriat à l’école de gestion – Université de Sherbrooke, Québec (Canada) et chercheur affilié à la chaire « Entrepreneuriat Territoire Innovation » de l’IAE Paris-Sorbonne - France (http://chaire-eti.org/). Ses recherches s’intéressent principalement aux entreprises familiales notamment le processus de succession, la régénération stratégique, la gestion des conflits et le capital social. Il a publié de nombreux articles sur ces sujets dans des revues académiques, colloques nationaux et internationaux ainsi que des chapitres d’ouvrages. Il a reçu le « Prix de Thèse » décerné par l’Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME (AIREPME). Il occupe depuis 2020 le poste de secrétaire de rédaction de la « Revue de l’Entrepreneuriat/Review of Entrepreneurship ».
Didier Chabaud est professeur en entrepreneuriat et stratégie à l’IAE Paris Sorbonne Business School, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, France, où il dirige la chaire entrepreneuriat Territoire innovation (http://chaire-eti.org/). Président honoraire de l’Académie de l’entrepreneuriat et de l’innovation (www.entrepreneuriat.com), et ancien co-rédacteur en chef de la Revue de l’entrepreneuriat, il a publié plus de 100 articles et livres sur les dynamiques de création d’entreprise, et les stratégies de développement des organisations et des territoires.
Céline Barredy : est Docteur en finance de l’Université de Bordeaux (France), spécialiste des entreprises familiales, et diplômée d’une Habilitation à Diriger les Recherches de l’Université de Lille (France). Elle est actuellement Professeure des Universités, agrégée du supérieur à l’Université Paris Nanterre et membre du laboratoire CEROS. Ses travaux de recherche portent sur le financement et la gouvernance des entreprises familiales. Elle s’intéresse particulièrement aux conséquences sur la valeur de l’entreprise familiale des relations entre les membres de la famille et entre la famille et les actionnaires qui n’en sont pas membres. Elle a publié sur le rôle des administrateurs externes dans les conseils d’administration d’entreprises familiales, sur les interactions entre le private equity et les membres de la famille et sur l’influence exercée par le droit de la famille sur la valeur et la gouvernance des entreprises familiales. Son travail porte une orientation internationale tournée tant vers l’Europe que vers l’Amérique du Nord, notamment au Canada par des travaux partagés avec des collègues de l’Université Concordia à Montréal et une association avec l’Université du Québec à Trois Rivières. Elle est également membre de l’équipe française, portée par Audencia, du Projet STEP. Depuis 2020, elle est co-rédactrice en chef de la Revue de l’Enrepreneuriat/Review of Entrepreneurship (FNEGE 2).
Notes
-
[1]
Nous suivons Chua et al. (1999) pour qui une EF est une organisation dont la gestion et la propriété sont contrôlées par une coalition familiale, ayant l’intention de transmettre direction et propriété à la génération suivante.
-
[2]
A l’exception du cas 3 pour lequel le prédécesseur étant décédé, nous avons observé les conflits entre les successeurs.
-
[3]
Un troisième entretien n’a pas été possible du fait du décès du prédécesseur.
Bibliographie
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Appendices
Biographical notes
Hedi Yezza is assistant professor of Entrepreneurship & Family Business at the Business School of Sherbrooke – Université de Sherbrooke, Québec (Canada) and affiliate researcher of the academic chair “Entrepreneuriat Territoire Innovation” at IAE Paris-Sorbonne Business School - France (http://chaire-eti.org/). His current research focuses on family businesses, particularly the succession process, strategic renewal, conflict management and social capital. He has published numerous articles on these topics in academic journals, national and international conferences, as well as book chapters. He received the Best PhD Award in entrepreneurship from the French-speaking international association “Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME (AIREPME)”. Since 2020, he serves as Editorial Assistant of “Revue de l’Entrepreneuriat/Review of Entrepreneurship”
Didier Chabaud is a Professor of Entrepreneurship and Strategic Management at the IAE Paris – Sorbonne Business School, University of Paris I Pantheon Sorbonne, France, director of the Chair ETI (Entrepreneurship Territory Innovation, http://chaire-eti.org/). Honorary President of the French Academy of entrepreneurship and innovation, and past-co-editor in chief of the Revue de l’entrepreneuriat, his research focuses on the processes of entrepreneurship, social networks, and family business and he has published more than 100 articles, chapters and books.
Céline Barrédy is PhD in Finance and Family Business from the University of Bordeaux (France), and owns a diploma in PhD supervision from the University of Lille (France). She is currently Full Professor of Finance and Entrepreneurship at the University of Paris Nanterre (France). Her research interests include finance and governance in family business. She is particularly interested in the consequences on firm value of family relationship and of family – external stakeholder’s interactions. She has published research on outside directors’ role in family business board, the family business and the private equity capital, the role of the family law on family business value and governance. She has an international orientation through invited professorship in Europe and at Concordia University in Canada and she is part of international projects family business oriented like the STEP. She is editor-in-chief of the Revue de l’Enrepreneuriat/Review of Entrepreneurship, an English and French speaking academic journal.