Souhaitant aller au-delà des impressions jovialistes quant à l’avenir du français au Québec, Lacroix dresse un portrait détaillé de la réalité démolinguistique en s’appuyant sur un grand nombre de données statistiques, sources primaires et études réalisées par d’autres chercheurs, notamment au sein d’organismes fédéraux et provinciaux. Se voulant une démonstration des problèmes structurels qui affectent le statut et la vitalité du français au Québec, ce livre est une mise en garde contre une nouvelle dynamique linguistique qui s’est enclenchée au tournant du millénaire en conséquence de nombreuses années d’activisme fédéral et de laissez-faire provincial. Partant du fait que le Québec n’arrive toujours pas à franciser une proportion des allophones suffisante afin d’« assurer la stabilité du poids relatif à long terme des francophones au Québec » (p. 12), qu’il estime à 90 % du total, l’auteur s’interroge sur les raisons expliquant pourquoi la communauté anglophone capte jusqu’à 45 % de substitutions linguistiques des immigrantes et des immigrants au lieu des 10 % nécessaires à sa stabilité numérique. Comme l’évoque le titre de son livre, Lacroix souhaite comprendre les raisons expliquant l’échec de la Charte de la langue française à colmater cette brèche dans laquelle s’engouffrent entretemps aussi une partie des francophones, et ce, dans un territoire autonome où ils sont pourtant majoritaires. Pour ce faire, l’auteur a structuré son raisonnement en dix chapitres. Les deux premiers se penchent spécifiquement sur la Charte elle-même, les institutions et événements précurseurs de son adoption en 1977, sa signification, sa portée, ses limites, puis son édulcoration graduelle sous les offensives judiciaires fédérales, surtout en ce qui a trait aux clauses scolaires. Lacroix rappelle que les déséquilibres socioéconomiques de l’époque (incitant aux transferts linguistiques vers l’anglais) et la fin de l’équilibre linguistique fondé sur la surfécondité des francophones (qui ne voulaient plus abandonner aux anglophones l’intégration de l’immigration en vertu d’un pacte tacite ayant prévalu jusque-là) appelaient alors des mesures structurantes et coercitives. Ces changements étaient d’autant plus nécessaires que la loi 22 de Robert Bourassa avait instauré un réel bilinguisme institutionnel. Ainsi, le Québec devait être à la fois « l’État national des Canadiens français, et un “district bilingue” conforme à la loi fédérale. C’était la quadrature du cercle, un état de schizophrénie » (p. 20). Or l’auteur constate que la loi 101 fut en réalité « une pièce de théâtre en un seul acte » (p. 23) plutôt que la première pièce d’une politique ambitieuse qui aurait dû faire du français la langue commune du Québec de manière durable. Si la Charte fut conçue comme un acte de réciprocité fondant un nouveau pacte entre francophones et anglophones (reconnaissance de droits linguistiques contre celle du français comme langue commune), Lacroix reproche aux concepteurs et aux conceptrices de la loi d’avoir négligé le fait que, si les anglophones sont minoritaires au Québec, ceux-ci « constituent la majorité incontestée au Canada » (p. 31), sans parler de l’Amérique du Nord. Ceci fait qu’aujourd’hui « les anglophones, en matière de vitalité linguistique et de rapports de force, possèdent en fait, à Montréal, les attributs sociologiques d’une majorité » (p. 32). Les chapitres restants examinent cette problématique. Doté d’un grand potentiel de vulgarisation, le chapitre 3 tient lieu de cadre théorique de l’ouvrage et présente les facteurs qui agissent sur les substitutions linguistiques, tels que la démographie, l’économie, la culture et le prestige social, mais c’est surtout celui des institutions qui retient particulièrement l’attention de l’auteur. Pour analyser ce dernier, Lacroix emprunte du sociologue Raymond Breton la notion de complétude institutionnelle (et, à la page 43, la définition de Joseph-Yvon Thériault [2014] qu’il ne cite pas) de laquelle …
Appendices
Bibliographie
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