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Introduction

Jusqu’à récemment, le législateur québécois n’avait pas expressément organisé le formalisme[1] du contrat électronique de consommation. Ce «vide juridique» que tentaient de combler des règles traditionnelles éparses sur les contrats à distance[2] pouvait nourrir l’incertitude juridique si les parties négligeaient d’y prêter attention[3]. Les acteurs les plus diligents ne possédaient que quelques balises jurisprudentielles, dont celles découlant de l’affaire Aspencer1.com c. Paysystems, qui déterminaient la validité du contrat électronique selon la procédure employée dans sa formation[4]. Le 9 novembre 2006, cependant, l’Assemblée nationale du Québec a introduit le Projet de loi no 48, Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur et la Loi sur le recouvrement de certaines créances[5], en vue de moderniser certaines dispositions législatives en matière de consommation. La Loi 48 découlant de ce projet a été sanctionnée le 14 décembre 2006 et son entrée en vigueur progressive a été complétée le 15 décembre 2007[6]. Notre intérêt pour cette loi tient à l’un de ses objectifs centraux, qui introduit un régime de protection particulier pour le contrat conclu à distance, c’est-à-dire le «contrat conclu alors que le commerçant et le consommateur ne sont pas en présence l’un de l’autre et qui est précédé d’une offre du commerçant de conclure un tel contrat»[7]. Le législateur vise notamment les contrats de cyberconsommation[8] et base le nouveau régime sur le Modèle d’harmonisation des règles régissant les contrats de vente par Internet[9] convenu par les provinces et territoires canadiens et le gouvernement fédéral à la suite de l’Accord sur le commerce intérieur[10]. Du coup, le Québec rejoint, entre autres, l’Ontario[11], le Manitoba[12] et la Saskatchewan[13] au concert des provinces canadiennes dont le corpus législatif en matière consumériste comprend désormais des règles substantielles spécifiques applicables au contrat à distance en général et au contrat de cyberconsommation en particulier[14].

Sur le fond, la Loi 48 établit une procédure encadrant les étapes précontractuelle, contractuelle et post-contractuelle de la relation entre le cybercommerçant et le consommateur. Le législateur voit dans l’établissement de cette procédure d’ordre public[15] l’issue idoine aux préoccupations apparues de la conjoncture actuelle où «[l]’émergence des nouvelles technologies, l’expansion du commerce électronique via Internet, l’accroissement de la gamme des biens et des services offerts, les nouvelles pratiques des commerçants sont autant de facteurs qui conduisent [...] à agir afin d’assurer une meilleure protection des droits des consommateurs»[16].

Si l’opportunité de cette action rallie aisément et n’appelle pas de commentaires spécifiques, son essence doit être attentivement discutée, particulièrement en ce qui concerne le contrat de cyberconsommation. La préoccupation essentielle s’envisage en des termes fort usités : le formalisme introduit par la Loi 48 permet-il de dissiper les incertitudes juridiques et de garantir au cyberconsommateur[17] la sécurité technico-juridique recherchée ?

La réponse à cette interrogation nous paraît être tributaire de l’adéquation de ce formalisme légal avec deux prémisses étroitement liées : les particularités techniques de l’environnement électronique, siège des contrats électroniques de consommation, et les défis juridiques que cet environnement soulève au chapitre de la protection du cyberconsommateur[18]. Or, il semble avoir dans la Loi 48 un certain décalage par rapport à ces prémisses. L’analyse qui suit, expressément limitée aux dispositions qui encadrent l’étape précontractuelle, permet en effet de relever plusieurs faiblesses susceptibles de saper la mise en oeuvre de l’obligation d’information établie par le législateur. Ce constat, qui s’appuie sur une étude comparée avec le droit français et les régimes législatifs en vigueur ailleurs au Canada, procède d’abord de l’appréciation de la portée matérielle de l’obligation précontractuelle d’information (dans la partie I). Il découle ensuite de l’analyse de l’impact du média utilisé dans la formation du contrat de cyberconsommation sur la divulgation des renseignements précontractuels (dans la partie II).

I. La portée matérielle de l’obligation précontractuelle d’information

D’emblée, il importe de situer l’acception générale de l’obligation précontractuelle d’information ou de renseignement. Trois sources sont considérées : la première est doctrinale ; la deuxième est jurisprudentielle et inspirée de la première ; la troisième, enfin, est d’origine législative et envisagée comme une codification de la jurisprudence.

En ce qui concerne la doctrine, la définition de l’obligation précontractuelle d’information de Jacques Ghestin retient l’attention :

[C]elle des parties qui connaissait, ou qui devait connaître, en raison spécialement de sa qualification professionnelle, un fait, dont elle savait l’importance déterminante pour l’autre contractant, est tenue d’en informer celui-ci, dès l’instant qu’il était dans l’impossibilité de se renseigner lui-même ou qu’il pouvait légitimement faire confiance à son cocontractant, en raison de la nature du contrat, de la qualité des parties, ou des informations inexactes que ce dernier lui avait fournies[19].

Trois éléments essentiels de cette définition ont été repris par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail ltée[20]. Premièrement, il ressort de cette décision que l’obligation générale d’information lors de la phase précontractuelle requiert la connaissance réelle ou présumée de l’information pour la partie à qui cette obligation incombe. Deuxièmement, elle suppose que la nature de l’information soit déterminante. Il en va ainsi des risques, dangers ou défauts que le fabricant d’un produit connaît ou est présumé connaître et qui, selon la Cour suprême, influencent nécessairement le consommateur dans ses décisions se rapportant à ce produit[21]. Troisièmement, le créancier de l’obligation doit être dans l’impossibilité de se renseigner lui-même, comme c’est notamment le cas lorsqu’il ne détient pas matériellement l’objet du contrat, ou en raison de son inaptitude personnelle[22]. Cette troisième hypothèse couvre également la situation où le créancier de l’obligation précontractuelle d’information a une confiance légitime envers le débiteur. Ainsi en est-il de l’acheteur profane à l’égard du vendeur professionnel, compte tenu de l’inégalité informationnelle entre les deux parties[23].

En droit québécois, l’article 1401, alinéa 2 C.c.Q. se présente comme la codification de l’obligation générale d’information[24]. Cette disposition fait référence au dol et statue que ce vice du consentement «peut résulter du silence ou d’une réticence». Le silence dolosif et la réticence dolosive ne constitueraient pourtant pas une source directe et autonome de l’obligation générale d’information, qui se retrouve plutôt, selon Pierre-Gabriel Jobin[25], dans le principe de la bonne foi, lui-même enchâssé à l’article 1375 C.c.Q.[26]. Entre ces deux sources, une différence s’apprécie notamment au chapitre des sanctions, le fondement de la bonne foi leur procurant une portée plus large[27].

Dans certains domaines, particulièrement en matière consumériste, l’obligation générale d’information se jumelle à une obligation spécifique d’information, expression d’un «formalisme de protection du consentement» imposé par le législateur et destiné à pourvoir un «accès direct à des informations précises»[28]. Il faut insister sur le jumelage cumulatif de ces deux dimensions de l’obligation précontractuelle d’information, la seconde prescrivant la divulgation d’informations qualifiées de «minimales» et de «standardisées»[29]. Au sujet de ce dualisme et de ce rapport de complémentarité, Pierre-Gabriel Jobin rappelle que «[c]e [...] type d’information ne constitue toutefois, en tout état de cause, qu’une information minimale. Le fait que le commerçant s’y soit conformé n’a pas pour effet de le dispenser, par ailleurs, de son obligation plus générale d’information, sanctionnée, elle, par la théorie des vices de consentement et la règle de la bonne foi»[30].

En règle générale, lorsque le législateur élabore l’obligation spécifique d’information, il cible l’information pertinente, c’est-à-dire celle «jugée essentielle à un consommateur moyen pour prendre une décision éclairée, dans un type de contrat particulier»[31]. Dans le même sens, Claude Masse précise : «En matière de protection du consommateur, le formalisme est apparu nécessaire dans le but de permettre au consommateur de donner un consentement réfléchi et de forcer l’information contractuelle de la part du commerçant en ce qui a trait aux éléments les plus importants de l’engagement» [nos italiques][32]. Que penser de ce critère dans l’initiative législative que constitue la Loi 48, qui crée une obligation spécifique d’information dans les contrats de cyberconsommation ?

L’article 54.4 (nouveau) de la L.p.c. oblige le cybercommerçant à fournir au cyberconsommateur, préalablement à la conclusion du contrat, une impressionnante série de renseignements, qu’il est néanmoins possible de répertorier en trois principales catégories. La première catégorie permet l’identification du cybercommerçant ; la deuxième englobe les renseignements relatifs à l’objet du contrat ; la troisième, enfin, concerne les modalités d’exécution de l’obligation contractuelle. Nous apprécierons successivement l’étendue de ces trois catégories d’informations.

A. Les limites de l’identification du cybercommerçant

L’article 54.4 (nouveau) de la L.p.c. exprime la volonté du législateur de rassurer les parties, spécialement le cyberconsommateur, dont la fragilité se trouve exacerbée par la distance et l’immatérialité qui caractérisent l’environnement électronique. En contraignant ainsi le cybercommerçant à divulguer sa dénomination ou sa raison sociale et ses coordonnées d’affaires (notamment ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques, ces dernières étant introduites par la notion ambiguë et peu loquace d’«adresse technologique»[33]), le législateur veut d’emblée permettre au cyberconsommateur de disposer de renseignements utiles à l’identification de son cocontractant, dans un contexte où l’anonymat est souvent de mise[34].

L’utilité des renseignements visant à identifier le cybercommerçant avait déjà été perçue par les législateurs de l’Ontario, du Manitoba et de la Saskatchewan, dont les lois respectives encadrant les contrats conclus entre commerçants et consommateurs renvoient à des règlements d’application qui énoncent la même obligation d’identification[35]. Dans les faits, cette homogénéité trouve sa source dans les trois premiers alinéas de l’article 3(1)(a) du Modèle d’harmonisation de 2001[36], que les législateurs ont reproduit de manière presque identique. L’objectif d’uniformisation qui a guidé la rédaction de ce modèle est d’ailleurs en voie d’accomplissement à l’échelle nationale et internationale. À preuve, le Consumer Protection Act on Electronic Transaction, qui réglemente les ventes à distance en Corée du Sud, impose une obligation similaire au cybercommerçant[37]. Il en va de même du Code de la consommation français, qui associe cette obligation à l’offre et précise notamment :

L’offre de contrat doit comporter les informations suivantes : 1o Le nom du vendeur du produit ou du prestataire de service, des coordonnées téléphoniques permettant d’entrer effectivement en contact avec lui, son adresse ou, s’il s’agit d’une personne morale, son siège social et, si elle est différente, l’adresse de l’établissement responsable de l’offre[38].

L’article 19 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique[39] va même plus loin, sur deux points : d’abord sur les informations nécessaires à l’identification ; ensuite sur la qualité des assujettis. Sur le premier point, six catégories d’informations sont requises, au nom de la transparence[40], selon que l’assujetti soit une personne physique ou morale, qu’il soit soumis aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, qu’il soit soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, à un régime d’autorisation ou aux exigences relatives à une profession réglementée :

  1. S’il s’agit d’une personne physique, ses nom et prénoms et, s’il s’agit d’une personne morale, sa raison sociale ;

  2. L’adresse où elle est établie, son adresse de courrier électronique, ainsi que des coordonnées téléphoniques permettant d’entrer effectivement en contact avec elle ;

  3. Si elle est assujettie aux formalités d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de son inscription, son capital social et l’adresse de son siège social ;

  4. Si elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et identifiée par un numéro individuel en application de l’article 286 ter du code général des impôts, son numéro individuel d’identification ;

  5. Si son activité est soumise à un régime d’autorisation, le nom et l’adresse de l’autorité ayant délivré celle-ci ;

  6. Si elle est membre d’une profession réglementée, la référence aux règles professionnelles applicables, son titre professionnel, l’État membre dans lequel il a été octroyé ainsi que le nom de l’ordre ou de l’organisme professionnel auprès duquel elle est inscrite[41].

Une septième catégorie avait été introduite en première lecture du projet de loi français avant d’être écartée. Également inscrite sous le sceau de la transparence et envisagée comme une «réelle incitation pour les entreprises à avoir le niveau de protection le plus élevé possible»[42], elle prescrivait aux prestataires de renseigner leurs clients sur «les noms et versions des logiciels utilisés pour effectuer des transactions et pour garantir la confidentialité des informations personnelles circulant sur le réseau ainsi qu’une indication sur la disponibilité de leur code source»[43]. Il semble que le retrait de cette exigence ait été motivé par l’ambiguïté de sa portée pour la très grande majorité des internautes et la surcharge informationnelle qu’elle aurait occasionnée. Le risque d’une telle surcharge n’en demeure pas moins dans la mouture actuelle de cette disposition[44].

Qui plus est, au chapitre de la qualité des assujettis, l’article 19 de la LCEN soumet à l’obligation d’identification, non seulement le cybercommerçant, mais aussi «toute personne qui exerce l’activité définie à l’article 14». Cet article définit le commerce électronique et identifie les activités et les personnes assujetties au régime juridique y étant relatif :

Le commerce électronique est l’activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services.

Entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations, y compris lorsqu’ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent.

En ce qui concerne l’obligation d’identification, les articles 14 et 19 de la loi française n’opèrent aucune distinction en fonction de la nature des activités visées (qu’elles soient contractuelles ou non) ou au regard de la qualité des intervenants (qu’ils soient commerçants, consommateurs ou autres). Selon Michel Vivant, l’obligation s’applique ainsi :

[À] tout opérateur [...] et même si celui qui est «installé» sur les réseaux ne propose pas de biens ou services, puisque, de la définition même donnée du commerce électronique précisément à l’article 14 de la loi, il résulte que celui-ci couvre même le simple cas de fourniture d’informations en ligne (art. 14 al. 2). C’est dire qu’elle joue «détachée de toute offre et tout processus contractuel» [...] mais aussi qu’elle joue pour le B to B ou le B to C comme, puisque générale, pour le C to C[45].

Les renseignements requis au chapitre de l’identification, tant en droit québécois qu’en droit français, sont-ils tous pertinents ? Sont-ils essentiels au consommateur moyen dans la formation du contrat de cyberconsommation ? Les informations non essentielles, mais dont la mention est obligatoire, pourraient entraîner une surcharge informationnelle risquant d’affaiblir la protection dont est censé bénéficier le cyberconsommateur. En droit français, une récente évaluation de l’application du droit de la consommation au commerce électronique fournit des éléments de réponse riches en enseignements, qui devraient intéresser le nouveau droit québécois de la cyberconsommation[46].

De cette évaluation, il est d’abord possible de relever un rapport favorable aux renseignements qui permettent une identification directe du cybercommerçant. Il est notamment question du nom ou de la dénomination sociale, du numéro d’inscription au registre du commerce et des sociétés, ce numéro donnant notamment accès à des informations relatives à la situation financière des entreprises. Au Québec, aucun équivalent de ce numéro n’est requis. Il eut été approprié de le prévoir comme complément à l’exigence relative au nom ou à la dénomination sociale. Il nous apparaît malgré tout possible d’apprécier la fiabilité du cybercommerçant avant la naissance d’un lien contractuel. Cette démarche informelle de précaution pourrait reposer sur les registres électroniques publics, par exemple celui du Registraire des entreprises du Québec ou la base de données de l’Office de la protection du consommateur du Québec[47], dont la consultation diligente permet de glaner des renseignements de base fort utiles sur les entreprises qui font des affaires au Québec[48].

En revanche, certaines exigences du droit de la consommation français se sont avérées d’une pertinence limitée et l’utilité de plusieurs autres divise les acteurs du commerce électronique. L’exemple type des premières exigences réside dans l’obligation relative au capital social, prévue pour renseigner sur la solvabilité du cybercommerçant. Or, comme le remarque le Forum des droits sur l’internet, comment cette mention peut-elle être indicative de la solvabilité quand «des sociétés à faible capital peuvent être très profitables et solvables alors que des sociétés avec un capital important peuvent se trouver au bord de la liquidation»[49] ?

Les secondes exigences, qui se retrouvent par ailleurs en droit québécois[50], concernent la mention du numéro de téléphone et de l’adresse de messagerie électronique. L’obligation aurait la particularité, selon certains acteurs français, de défavoriser les cybercommerçants de faible importance, créant une brèche dans la protection des droits des cyberconsommateurs : «[L]es cybermarchands de faible importance ne sont pas toujours en mesure d’offrir un service clientèle téléphonique. Cette difficulté entraîne, soit l’absence d’affichage d’un numéro, soit l’affichage d’un numéro erroné ou l’affichage d’un numéro auquel aucun opérateur ne répond»[51].

Par ailleurs, la pratique du commerce électronique va souvent à l’encontre de l’exigence légale de fournir une adresse courriel. Cette adresse, rapporte le Forum,

est très rarement affichée sur les sites [I]nternet. La solution privilégiée consiste à mettre en place des formulaires de contact masquant le destinataire. [...]

Le refus d’afficher une adresse électronique correspond notamment au besoin de limiter la réception de courriers électroniques non sollicités («spam») par les entreprises. Il est en effet déconseillé d’afficher une adresse de messagerie sur la toile, au risque de voir celle-ci collectée par des moteurs et utilisée à des fins parasitaires[52].

Ces considérations se heurtent pourtant aux intérêts des associations de consommateurs généralement favorables à ces mentions, en raison du cadre de communication formel qu’elles établissent entre le cybercommerçant et le cyberconsommateur. Toutefois, ces différents intérêts auraient pu être réconciliés par les législateurs français et québécois afin d’atteindre la meilleure protection du consommateur en souscrivant à une approche neutre technologiquement, qui aurait l’avantage de prévenir le vieillissement prématuré de l’exigence de fournir une adresse courriel du fait de l’évolution technologique. La recommandation du Forum à ce sujet s’inscrit dans cette perspective :

Pour faire face à l’évolution des moyens de communication, le Forum des droits sur l’internet préconise d’assouplir les textes nationaux et communautaires et d’éviter toute référence à un mode de communication particulier, tel que le courrier électronique.

Il propose de reprendre la formule utilisée à l’article 5 de la directive Commerce électronique : «les coordonnées permettant d’entrer en contact rapidement et de communiquer directement et efficacement avec» le professionnel. Une telle formulation large pourrait être employée aussi bien pour la vente à distance et le commerce électronique.

Le Forum des droits sur l’internet recommande aux professionnels d’informer clairement les consommateurs sur les modes de communication qu’ils utilisent[53].

Somme toute, si la récente évaluation française de l’application du droit de la consommation au commerce électronique peut inspirer une évolution positive des exigences québécoises en matière d’identification du cybercommerçant, l’impératif de protection du cyberconsommateur qui sous-tend cette évolution suggère aussi une précision des renseignements requis au chapitre des biens ou services offerts et devant faire l’objet du contrat. À ce niveau, en effet, il existe des incertitudes quant à l’étendue du dispositif législatif.

B. De l’opportunité d’une description «détaillée» du bien ou du service

Sans doute pour atténuer certains effets de l’immatérialité ou de la distance qui caractérisent l’environnement électronique (où le cyberconsommateur ne peut ni palper ni sentir le bien avant de l’acheter), l’article 54.4(d) (nouveau) de la L.p.c. impose une description détaillée[54] de tous les biens ou services faisant l’objet du contrat, alors que le Modèle d’harmonisation de 2001 évoque une «description valable et exacte»[55]. La formulation distincte du législateur québécois laisse toutefois planer la même ambiguïté et imprécision sur l’étendue de la prescription visée. Peut-être cette imprécision trouve-t-elle sa source dans la variété des biens et des services offerts dans le cyberespace, et de manière incidente, dans l’illusion attachée à une éventuelle standardisation de leur description. Comment alors s’assurer que le cybercommerçant remplit son obligation d’information, d’autant plus que les seuls indices suggérés par le législateur permettent de croire que la «description détaillée» ou même la «description valable et exacte» d’un bien ou d’un service inclut, sans s’y limiter, la divulgation de ses caractéristiques et spécifications techniques ? La «description détaillée» des caractéristiques exactes, mais non essentielles, d’un bien, est-elle valable ? La «description détaillée» recoupe-t-elle nécessairement la divulgation des caractéristiques essentielles du bien ou du service ?

En la matière, l’expression privilégiée par le législateur français nous paraît plus appropriée. L’article L. 111-1 du Code de la consommation dispose en effet que «[t]out professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître lescaractéristiques essentielles du bien ou du service» [nos italiques].

Cette formulation de l’obligation d’information relative à l’objet du contrat rappelle davantage que le contexte immatériel de l’interaction contractuelle implique de se prémunir contre tout déficit d’information pouvant altérer le consentement. Une règle de base en matière contractuelle veut que les parties s’engagent en connaissance de cause. Mettre l’accent sur la connaissance des caractéristiques essentielles du bien ou du service faisant l’objet du contrat, plutôt que sur sa «description détaillée» ou sa «description valable et exacte», est une application salutaire de cette règle[56]. Le consommateur moyen à qui les caractéristiques essentielles du bien ou du service qu’il recherche sont divulguées nous paraît en effet mieux informé (il sait presque automatiquement si le bien ou le service conviendra à ses besoins ou non) que celui qui bénéficie d’une description dont les critères de validité restent diffus, ou pire, d’une «description détaillée» qui, justement, à force de détails, risque de noyer les caractéristiques essentielles du bien dans un extraordinaire amalgame d’informations pouvant altérer son consentement. Est-il essentiel au consommateur moyen de connaître le poids ou la profondeur du boîtier d’un ordinateur personnel pour arrêter sa décision d’achat sur celui-ci ? C’est pourtant ce type d’informations, auxquelles s’ajoutent aisément une cinquantaine d’autres, qui se retrouvent sur certains sites Internet et qui sont censées décrire de manière détaillée les biens ou services offerts.

S’il fallait s’arrêter à la divulgation des caractéristiques essentielles de l’objet du contrat, la référence à la Loin° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs[57] (Loi Chatel) serait indiquée pour en apprécier l’essence. L’article 39 de cette loi modifie le Code de la consommation et y insère un nouvel article L. 121-1, qui associe les caractéristiques essentielles d’un bien ou d’un service à :

ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service.

Moins équivoque est l’obligation de l’article 54.4(e) et suivants de la L.p.c., relative au prix du bien ou du service faisant l’objet du contrat, le maître-mot à ce chapitre étant la transparence. Elle impose une divulgation franche et exhaustive à deux niveaux.

Au premier niveau, le cybercommerçant doit informer le cyberconsommateur du prix de chaque bien ou service, de même que des frais connexes et des taxes applicables, le tout devant faire l’objet d’un «état détaillé». De plus, il relève de sa responsabilité de fournir une description de tous les frais supplémentaires qui pourraient être exigibles du fait du caractère processuel du contrat électronique[58] ou de l’intervention de tiers dans son exécution, par exemple des frais de douane ou de courtage. Cette obligation du cybercommerçant n’existe toutefois que lorsque le montant de ces frais ne peut être raisonnablement calculé[59]. Autrement dit, le cybercommerçant pourrait être amené à fournir, non une description ou un portrait de ces frais, mais un état plus précis ou une indication claire de ceux-ci, lorsqu’ils ne sont pas raisonnablement calculables.

Au second niveau, c’est le total des sommes encourues à l’occasion du contrat qui doit être porté à la connaissance du cyberconsommateur, y compris, le cas échéant, le montant des versements périodiques et les modalités de paiement[60]. À l’étape du projet de loi, cette obligation avait soulevé l’inquiétude de certains acteurs, dont le Consortium de l’industrie des télécommunications, qui avait fait valoir l’impossibilité de s’y conformer en raison des limites à la détermination des coûts de certains biens ou services accessoires. Il faut préciser que la pertinence de cette préoccupation de l’industrie des télécommunications n’était pas diminuée par l’existence, avant la réforme de la Loi 48, d’une exemption partielle à l’article 5(c) de la L.p.c. au profit des contrats relatifs aux services de télécommunications fournis par une société exploitante. Cette disposition établissait notamment que «[s]ont exclus de l’application du titre sur les contrats relatifs aux biens et aux services et du titre sur les sommes transférées en fiducie : [...] un contrat relatif à tout service de télécommunications fourni par une société exploitante [...]»[61].

Claude Masse mentionne une première explication à la pertinence de la préoccupation du Consortium. Les attributions de la Régie des télécommunications et sa loi constituante[62] permettaient en effet de préciser la faible portée de l’article 5(c) de la L.p.c. : «La juridiction de la Régie des télécommunications ayant été très fortement amputée par certaines décisions de nos tribunaux au profit du gouvernement fédéral, cette exclusion partielle devient de plus en plus académique»[63]. L’abrogation subséquente de la Loi sur la Régie des télécommunications le 18 mars 1998 a d’ailleurs entraîné la disparition de la Régie des télécommunications, et par ricochet, de ses prérogatives, parmi lesquelles l’habilitation des sociétés exploitantes précitées[64]. En lien direct avec cette explication, la seconde justification de la pertinence de la préoccupation du Consortium, qui est aussi la plus fondamentale, découle donc de cette abrogation de l’exemption de l’article 5(c) de la L.p.c. par l’article premier de la Loi 48.

Le Consortium de l’industrie des télécommunications a prétendu qu’il était inopportun d’obliger le commerçant à divulguer au consommateur, avant la conclusion du contrat, le total des sommes que ce dernier pourrait être amené à défrayer. D’abord, il est impossible de prévoir certains coûts (par exemple, dans un contrat de fourniture d’accès, les frais occasionnés par le dépassement des téléchargements en amont ou en aval ou les frais d’itinérance dans la communication mobile). Ensuite, les tarifs fluctuent dans l’industrie, y compris pendant le terme du contrat (compte tenu, entre autres facteurs, de l’évolution législative)[65]. Aussi, le Consortium a-t-il proposé que «seuls les frais périodiques fixes applicables au moment de la conclusion du contrat soient couverts par le paragraphe g» [nos italiques][66].

La seconde prétention du Consortium pourrait être incompatible avec l’article 12 de la L.p.c., selon lequel «[a]ucuns frais ne peuvent être réclamés d’un consommateur, à moins que le contrat n’en mentionne de façon précise le montant». Par contre, la première prétention semble fondée et pourrait avoir influencé la mouture finale de l’article 54.4(g) de la L.p.c. Cette version prescrit en effet de divulguer, hormis le total des sommes que le consommateur doit débourser en vertu du contrat, et le cas échéant, le montant des versements périodiques, «le tarifapplicable pour l’utilisation d’un bien ou d’un service accessoire» [nos italiques].

En outre, lors de l’étude du projet de loi, le législateur a reçu la recommandation de modifier l’exigence relative à la divulgation de la devise dans laquelle les montants exigibles sont payables[67]. Était-il utile, en effet, de contraindre le cybercommerçant à indiquer expressément que le paiement est dû en dollars canadiens quand le prix des biens ou services qu’il offre est déjà affiché dans cette devise ? Sur ce point, il a été avantageux de se démarquer du Modèle d’harmonisation de 2001[68] pour suivre l’exemple ontarien, où cette mention n’est nécessaire que lorsque ces sommes ne sont pas exprimées en dollars canadiens[69].

Nonobstant ces concessions du législateur sur certains renseignements requis avant la conclusion du contrat de cyberconsommation, le niveau de détails imposé demeure élevé et il faut craindre que cette situation n’altère le noble objectif qui consiste à assurer au cyberconsommateur un degré de protection sinon supérieur, du moins analogue à celui qui balise les relations entre commerçants et consommateurs dans le commerce traditionnel. Cette crainte est d’ailleurs considérablement amplifiée par le silence de la Loi 48 en ce qui concerne l’encadrement de la divulgation des autres modalités d’exécution du contrat et de la masse d’informations que ce silence pourrait générer, au grand dam du cyberconsommateur.

C. L’encadrement déficient des «autres restrictions et conditions applicables au contrat»

La réalité du besoin informationnel du cyberconsommateur dans les relations qu’il entretient avec le commerçant est un lieu commun, particulièrement dans le cyberespace. Ce besoin est aussi légitime, car la bonne foi et les qualités requises du consentement dans un engagement contractuel[70] sous-tendent l’obligation de renseignement. Néanmoins, comme suggéré précédemment, il nous apparaît indispensable de circonscrire la satisfaction de ce besoin à ce qui est réellement essentiel à la prise de décision et à l’expression du consentement du cyberconsommateur. À défaut, la dilution évoquée par Vincent Gautrais risque de s’opérer : «On peut par exemple s’interroger sur la validité des politiques d’utilisation de sites comme eBay, ou Yahoo! qui accumulent les pages, parfois presque une centaine, de liens en liens, accumulant obligations, exonérations et autres limitations sans qu’un consommateur n’ait une chance raisonnable de connaître ce à quoi il s’engage» [note omise][71].

Cela est d’autant plus vrai que la Loi 48, en plus de la divulgation de l’identification du cybercommerçant et de l’objet de la transaction, impose au commerçant de dévoiler les modalités d’exécution de l’obligation contractuelle, soit «la date ou les délais d’exécution de son obligation principale» ; «le cas échéant, le mode de livraison, le nom du transporteur et le lieu de livraison» ; et «le cas échéant, les conditions d’annulation, de résiliation, de retour, d’échange ou de remboursement»[72] et toutes «autres restrictions et conditions applicables au contrat»[73].

Le dernier pan de l’obligation est particulièrement problématique, compte tenu de son imprécision. Que recoupent, en effet, ces «autres restrictions et conditions applicables au contrat» ? Cette préoccupation rappelle certains commentaires doctrinaux relatifs à une obligation similaire née de l’article 1369-4 du Code civil français. La disposition commande que quiconque propose, à titre professionnel et par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, mette à disposition les «conditions contractuelles applicables» d’une manière qui permette leur conservation et leur reproduction. Certes, l’utilisation de l’expression «conditions contractuelles applicables» s’inscrit dans un contexte quelque peu différent, mais elle n’est pas plus prolixe et entraîne la même imprécision :

On pourrait s’interroger sur l’expression «conditions contractuelles applicables» qui n’est vraiment pas très bonne. Qu’est-ce que cela recouvre exactement ? Est-ce que ce sont les dispositions du contrat proposé ? Est-ce [que] cela désigne au contraire le droit auquel le contrat est soumis, ainsi que semblerait l’indiquer l’emploi du terme applicable ? Cela pourrait préciser par exemple la loi applicable, ou encore éventuellement la déontologie à laquelle se soumettrait l’auteur de l’offre, qu’elle soit obligatoire ou volontaire [note omise][74].

En fait, l’utilisation de l’expression «autres restrictions et conditions applicables au contrat» à l’article 54.4(l) (nouveau) de la L.p.c. s’inspire de l’article 3(1)(a)(xiii) du Modèle d’harmonisation de 2001, qui prescrit de manière tout aussi laconique que soient déclarées, en plus des mentions obligatoires précédemment énumérées, «toutes les autres restrictions, limitations ou conditions susceptibles de s’appliquer aux achats». Au Manitoba, une disposition règlementaire ayant une portée quasi identique est prévue à la suite des autres mentions obligatoires, avec cependant une courte liste indicative des informations souhaitées. L’article 3(1)(m) du Règlement sur les conventions Internet requiert en effet que les vendeurs fournissent, avant la conclusion du contrat, «les restrictions ou les conditions qu’ils imposent, notamment les limitations géographiques s’appliquant à la vente ou à la livraison des biens ou des services» [nos italiques][75]. Ces restrictions ou conditions font partie intégrante du contrat, conformément à l’article 3(2) du Règlement. Enfin, en Ontario, l’article 32(14) du règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur commande que soient divulguées, entre autres, «[t]outes les autres restrictions et conditions qu’impose le fournisseur» [nos italiques][76], à nouveau sans autre forme de précision.

À la lumière de la pratique actuelle du commerce électronique, l’ambiguïté de l’obligation de divulguer les «autres restrictions et conditions applicables au contrat», en plus des mentions précédemment énumérées, peut conduire pour un même contrat à un mélange hétérogène de clauses, voire de documents contractuels, dont la pertinence n’est pas avérée : garantie des plus bas prix ; politique relative aux erreurs typographiques ; politique de remise publicitaire ; politique de concours ; gestion de la propriété intellectuelle ; garantie de magasinage ; convention relative au site Internet ; plan de remplacement, etc.[77]. À ces clauses, il faut ajouter celles souvent qualifiées de purement inutiles, mais dont les cybercommerçants, lorsqu’ils «choisissent» de divulguer des informations précontractuelles, ne font pas forcément économie. Ces clauses sont évoquées dans les conclusions d’un récent projet de recherche analysant cent contrats canadiens de cyberconsommation :

D’abord, il est surprenant de constater l’inutilité de la majorité des clauses contractuelles. Des pages et des pages de contrats s’évertuent à reproduire le droit existant et à recopier la substance de lois ou autres sources juridiques. [...]

Un autre ordre d’inutilité contractuelle peut aussi être aperçu dans des énumérations sans fin, par exemple, de comportements qui seraient jugées préjudiciables à l’entreprise et dont la liste est systématiquement précédée par une mention d’un «notamment» selon lequel les situations répertoriées sont indicatives mais pas exclusives[78].

En la matière, l’exemple du site Internet de réseau social Facebook[79] est éloquent. Le document qui encadre les relations avec les usagers et aménage leur accès aux divers services du réseau (services par ailleurs gratuits) est un ensemble complexe de documents internes et parfois externes au site. Il s’agit de documents liés les uns aux autres par une multitude d’hyperliens, le tout constituant un contrat alambiqué de plusieurs dizaines, voire centaines de pages Internet, que les trois cent cinquante millions d’usagers[80] sont censés avoir lu et accepté.

Bien que cette pratique soit difficilement conciliable avec l’esprit du droit consumériste, la Loi 48 ne l’élimine pas. Au contraire, l’article 54.4(l) (nouveau) de la L.p.c. ouvre une porte qui, à elle seule, fait perdre l’équilibre recherché dans l’information du cyberconsommateur. La portée quasi illimitée de cette obligation va certainement ramener aux clauses «fourre-tout» décrites ci-haut et caractérisées par l’accumulation préjudiciable d’obligations, d’exonérations et autres limitations. À cet égard, il nous semble donc que la Loi 48 n’innove que très peu, dans un contexte où l’information du cyberconsommateur, jusqu’ici balisée par des repères informels composites, avait pourtant cruellement besoin d’orientation, ne serait-ce que pour prévenir la surabondance des données.

L’innovation de la Loi 48 aurait pu consister à établir, avant tout, une obligation d’information quantitativement équilibrée. Au regard de notre analyse liminaire, cette innovation nous semble avoir été manquée, pour les raisons qu’il nous paraît salutaire de rappeler : la Loi 48 s’éloigne du principe invitant le législateur à cibler l’information pertinente, c’est-à-dire l’information jugée essentielle, ou mieux, les éléments les plus importants de l’engagement, dans la détermination de l’obligation spécifique d’information[81]. Comme nous achevons de le démontrer, l’éloignement face à ce principe concerne plusieurs des renseignements exigés du cybercommerçant, l’écart le plus significatif existant à l’égard de l’encadrement de la description du bien ou du service offert et surtout de la prescription relative aux «autres restrictions et conditions applicables au contrat»[82]. Cette constatation établie[83], notons avec probité que la contrainte des cybercommerçants à divulguer des renseignements à l’étape précontractuelle n’en demeure pas moins un début de solution à une pratique pour le moins alarmante. Pour s’en convaincre, rappelons une autre étude relative à la proportion des cybercommerçants qui, en 2002, accordaient quelque considération à la divulgation précontractuelle des renseignements de base touchant l’objet du contrat et certaines modalités de son exécution, notamment le prix des produits disponibles en ligne, la devise utilisée pour la facturation, les frais d’expédition, l’information sur les taxes ou les douanes et les conditions relatives à la livraison ou à la politique de paiement.

Proportion des sites web québécois et ontariens qui, en 2002, respectaient le devoir précontractuel d’information[84]

Proportion des sites web québécois et ontariens qui, en 2002, respectaient le devoir précontractuel d’information84

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L’étude porte sur 4485 sites Internet québécois et ontariens, dont 2457 ont été identifiés à des entreprises dont le siège social est au Québec et 2028 à des entreprises ontariennes. Sur le total des sites Internet analysés, seulement 292 ont rempli cette obligation d’information de façon «normale», soit 6,5 pour cent des 4485 sites Internet, alors que pour 2977 d’entre eux (soit 66,4 pour cent), l’information était purement et simplement absente.

L’équilibre quantitatif ne nous paraît donc pas avoir été atteint. La Loi 48 aurait aussi pu innover en prévoyant une manière originale de divulguer l’information, de façon à en garantir la prise de connaissance. Or, les particularités des nouveaux moyens de communication ne semblent pas avoir été suffisamment prises en compte et tendent également à compromettre l’innovation à ce chapitre.

II. L’impact du média sur la divulgation de l’information

L’article 54.1 (nouveau) de la L.p.c. évoque la notion de «contrat à distance» pour désigner le «contrat conclu alors que le commerçant et le consommateur ne sont pas en présence l’un de l’autre et qui est précédé d’une offre du commerçant de conclure un tel contrat». Le choix des termes ne devrait pas porter à confusion : le législateur emploie les vocables «commerçant», «consommateur»[85] ou «contrat à distance» pour traduire sa volonté de ne pas limiter le cadre légal établi par la Loi 48 aux seuls contrats de cyberconsommation. Ainsi, sont par exemple soumises à ce nouveau régime les ventes par Internet, télécopieur, téléphone fixe ou mobile, dès lors que les parties ne sont pas face à face et que les conditions relatives à l’offre sont satisfaites[86]. Plusieurs ont salué ce choix du législateur, dont le Barreau du Québec, qui y a vu «une approche très ingénieuse qui permet de couvrir la gamme sans cesse croissante de nouvelles technologies et qui ne se limite pas à l’ordinateur de table»[87].

L’appréciation, qui rappelle le concept de la neutralité technologique[88], se base sur une comparaison avec le cadre législatif manitobain, où le législateur a choisi de réglementer de façon spécifique les «conventions de vente au détail et de location-vente au détail conclues à l’aide de communications Internet»[89]. Plus restreint encore est le champ d’application des dispositions adoptées par la Saskatchewan, qui visent les contrats de vente par Internet, les termes exacts utilisés («Internet sales contract») étant exclusifs au contrat de consommation qui répond aux deux conditions suivantes : «(i)the consideration for the goods or services exceeds the prescribed amount; and (ii) the contract is formed by text-based Internet communications»[90].

L’approche québécoise n’est pas pour autant à l’abri des critiques. L’ingéniosité qui lui est attribuée est quelque peu édulcorée lorsqu’elle est comparée à d’autres législations. Ainsi, l’article L. 121-16 du Code de la consommation français, qui définit la vente à distance, est similaire en plusieurs points à l’article 54.1 (nouveau) de la L.p.c. :

Les dispositions de la présente sous-section [relative à la vente à distance] s’appliquent à toute vente d’un bien ou toute fourniture d’une prestation de service conclue, sans la présence physique simultanée des parties, entre un consommateur et un professionnel qui, pour la conclusion de ce contrat, utilisent exclusivement une ou plusieurs techniques de communication à distance.

Cependant, la différence entre les deux cadres juridiques provient du traitement qu’ils font de l’obligation d’information, du moins de la manière ou de la forme de la divulgation de l’information. La question se pose particulièrement à l’égard des équipements de téléphonie mobile, dont les prouesses techniques incarnées par la technologie EDGE (Enhanced Data Rates for GSM Evolution) permettent, outre la téléphonie classique, le téléchargement à haute vitesse de courriels, de pièces jointes, de contenu, ainsi que la navigation sur Internet et l’accès à des sites html et wap[91]. Associées aux champs d’application étendus des articles L. 121-16 du Code de la consommation français et 54.1 (nouveau) de la L.p.c., ces fonctionnalités permettent de considérer les équipements de radiocommunication mobile, tout comme les téléphones fixes, pour la conclusion de contrats à distance, y compris dans le cyberespace. Dans ce contexte, comment divulguer la longue série de renseignements obligatoires relatifs à l’identification du commerçant, au coût de la transaction et aux modalités du contrat, quand la taille de ces équipements de téléphonie mobile tend à être réduite ?

Même s’il est difficile de prédire la quantité de contrats conclus par ce moyen, cette préoccupation liée aux problèmes pratiques du m-commerce («mobile-commerce») est prise en considération par le droit français. D’abord, l’article L. 121-18 du Code de la consommation insiste sur deux éléments lorsqu’il y a démarchage par téléphone ou par toute autre technique assimilable : l’identification du professionnel et l’indication du caractère commercial de l’appel, ces deux éléments devant faire l’objet d’une divulgation expresse au début de la conversation. Ensuite, la LCEN de 2004 rappelle cette obligation d’information précontractuelle à ses articles 19 et 25[92] et habilite le pouvoir exécutif à formuler une solution spécifique aux équipements de radiocommunication mobile[93]. La disposition préfigure ainsi un traitement particulier de l’obligation d’information dans les contrats à distance conclus par le moyen de terminaux de radiocommunication mobile, préservant de fait l’effectivité du formalisme introduit par la disposition.

Ni la Loi 48 ni son règlement d’application ne prévoient de dispositions équivalentes, qui auraient le mérite de tenir compte de certaines spécificités de l’environnement électronique. Au contraire, les contrats à distance conclus par le moyen de terminaux de radiocommunication mobile sont traités sur le même pied que les contrats conclus par le biais de téléphones fixes ou d’ordinateurs personnels classiques reliés au réseau Internet. Le Consortium de l’industrie des télécommunications avait pourtant critiqué cette approche lors de l’étude du projet de loi :

La rédaction proposée de l’article 54.4 exige une divulgation détaillée d’une longue liste d’informations avant la conclusion d’un contrat à distance. Or, aucune considération quant au moyen de communication utilisé lors de sa conclusion n’est prise en compte. Nous vous soumettons que les exigences ainsi mises de l’avant ne peuvent s’appliquer sans égard à cette distinction.

Ainsi, dans le cas de la conclusion d’un contrat à distance par téléphone, qui représente le moyen de communication le plus souvent utilisé dans la vente des services des entreprises du consortium, et vu les caractéristiques inhérentes à ce moyen de communication, le niveau de divulgation requis par la loi est disproportionné par rapport au niveau de détails pouvant être raisonnablement communiqués au consommateur[94].

Faut-il voir dans les critères mis de l’avant dans la Loi 48 pour encadrer la divulgation des renseignements précontractuels une solution appropriée aux préoccupations en présence ? Ces critères sont de trois ordres : la loi commande la présentation «évidente et intelligible» des renseignements précontractuels, lesquels doivent aussi être «expressément» portés à la connaissance du consommateur et finalement bénéficier de fonctionnalités permettant à celui-ci de les conserver et de les imprimer aisément sur support papier[95]. En vérité, si l’esprit de ces critères vivifie l’objectif de protection du consommateur, sa lettre ne parvient pas à lever les incertitudes déjà évoquées. Certains de ces critères soulèvent même d’autres incertitudes.

A. L’appréciation des critères d’«évidence et d’intelligibilité»

Les premiers critères à la lumière desquels la divulgation des renseignements précontractuels doit être faite évoquent la présentation «évidente et intelligible» de ces renseignements, l’absence de précisions complémentaires forçant le recours à l’acception courante de ces vocables pour en saisir l’essence. Selon le dictionnaire général de la langue française au Canada, le terme «évident» désigne ce «qui est connu tout d’abord et sans peine»[96]. Quant à l’intelligibilité, elle renvoie à ce qui est «intelligible», c’est-à-dire aisé à comprendre[97].

Les règles du Code civil du Québec relatives à la force obligatoire et au contenu des contrats éclairent toutefois au-delà du sens commun de ces vocables. L’article 1436 C.c.Q., en particulier, fait référence à deux notions qui nous paraissent entretenir une certaine proximité avec les concepts d’évidence et d’intelligibilité : les notions de lisibilité et de compréhensibilité. Plus exactement, la disposition traite de la clause «illisible ou incompréhensible» dans les contrats de consommation ou d’adhésion. Dans ce contexte, le terme «illisible», selon Pierre-Gabriel Jobin, est relatif à la forme de la clause, tandis que le vocable «incompréhensible» s’applique au fond :

Le terme «illisible» doit être compris dans le sens matériel ; il s’agit en quelque sorte d’une exigence de forme. Ainsi, une clause rédigée en caractère si fins qu’il devient impossible à une personne raisonnable de la lire pourra être caractérisée d’illisible. Le terme «incompréhensible», quant à lui, réfère plutôt à la formulation, au contenu de la clause et au vocabulaire utilisé [notes omises][98].

Il faut par la suite situer les concepts d’évidence et d’intelligibilité, acceptés comme renvoyant au caractère lisible et compréhensible des renseignements précontractuels[99], à travers le prisme de la «personne raisonnable»[100]. Celle-ci constitue le modèle abstrait de référence à la lumière duquel le caractère lisible ou compréhensible d’une clause s’apprécie dans le contrat de consommation ou d’adhésion[101]. En effet, suivant l’article 1436 C.c.Q. :

Dans un contrat de consommation ou d’adhésion, la clause illisible ou incompréhensible pour une personne raisonnable est nulle si le consommateur ou la partie qui y adhère en souffre préjudice, à moins que l’autre partie ne prouve que des explications adéquates sur la nature et l’étendue de la clause ont été données au consommateur ou à l’adhérent [nos italiques].

À ce chapitre, citons les commentaires de la professeure Nicole L’Heureux au sujet de la personne raisonnable :

Il faut [...] en évaluer les effets in abstracto par rapport à un adhérent ordinaire capable de comprendre et de lire. Ce n’est donc pas par rapport au commerçant qu’il faut évaluer la portée de la clause. Dans le cas du consommateur, on doit se référer au consommateur moyen, profane non averti et inexpérimenté.

Le commerçant devra faire la preuve que la nature et l’étendue de la clause ont été expliquées au consommateur [note omise][102].

Dans les ventes en ligne par le biais d’équipements terminaux de radiocommunication mobile ou d’instruments semblables, ces considérations accentuent l’obligation du cybercommerçant relative à la présentation «évidente» des renseignements précontractuels, compte tenu, d’une part, de l’ampleur des mentions à rendre évidentes au consommateur moyen, profane non averti et inexpérimenté, et d’autre part, des spécificités techniques du média utilisé.

Par ailleurs, en France et au Québec, la présentation «intelligible» des renseignements pourrait supposer l’usage de la langue française[103]. Il en va ainsi dans les ventes par Internet où les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, ainsi que toutes les autres publications de même nature doivent être rédigés en français, sauf quelques dérogations[104]. Il s’agit d’une prescription d’ordre public, qui a trouvé illustration en 2001 dans l’affaire Hyperinfo Canada[105].

Dans cette affaire, la Commission de protection de la langue française reçoit une plainte à l’effet qu’une firme québécoise (Hyperinfo Canada, dont le siège social et la place d’affaire sont situés à Hull, province de Québec) exploite un site Internet commercial unilingue anglais. Après examen, la Commission fait parvenir une missive à l’entreprise, dans laquelle elle l’informe que la publicité commerciale diffusée sur Internet doit être faite en français, en conformité avec l’article 52 de la Charte de la langue française[106]. Moins d’une semaine plus tard, Hyperinfo Canada assure à la Commission qu’elle a apporté les correctifs appropriés, bien que dans les faits, certaines informations du site demeurent en anglais, par exemple celles concernant les stratégies d’affaires et l’index des produits offerts en vente. L’entreprise reçoit donc une mise en demeure et décide de fermer, puis de rouvrir son site web en y mentionnant une mise en garde expresse selon laquelle les produits et services offerts ne sont pas destinés aux résidants du Québec, pour éviter d’avoir à se soumettre à la Charte de la langue française. Une programmation particulière installée sur le site empêche d’ailleurs les personnes ayant une adresse électronique comportant un suffixe «.qc» de consulter ses pages Internet.

Sur le fond, la Cour du Québec relève d’abord la perméabilité du dispositif technique et précise, de manière incidente, que ce filtre n’a aucun effet sur les obligations légales de l’entreprise. La Cour établit une «présomption de caractère impératif» à l’égard de l’article 52 de la Charte de la langue française et analyse ensuite la validité de la mise en garde du site web pour conclure :

[L]’article 52 de la Charte possède les attributs que l’on associe à une disposition d’ordre public. [...]

En principe, il n’est pas permis à un individu de déroger soit par voie contractuelle ou par son action ou omission aux dispositions d’une loi ayant un caractère d’ordre public. [...] Dans l’espèce, le législateur avait l’intention de promouvoir l’usage de la langue française et de sanctionner les manquements aux diverses obligations faites tant aux citoyens qu’aux corporations. En conséquence, il n’est pas possible de se soustraire à l’application d’une loi d’intérêt public.

La mise en garde apposée par la défenderesse n’a pas d’effet juridique et ne constitue pas une dérogation valide à l’application de la Loi[107].

Eu égard aux termes et conditions de la transaction, l’usage de la langue française pourrait aussi être obligatoire en vertu de l’article 5 de la Charte de la langue française, qui donne au consommateur le droit d’être informé et servi en français. Dans le même sens, l’article 55 de cette loi prescrit l’utilisation du français dans certains types de contrats, notamment dans les contrats d’adhésion et dans les documents s’y rattachant[108]. Au demeurant, il faut se demander si ces dispositions, auxquelles s’ajoutent les règles du régime juridique des contrats d’adhésion, préservent suffisamment les droits des consommateurs pour rendre superfétatoires et exempter de l’application de l’article 26 de la L.p.c.[109] les contrats visés par l’article 6.3 du Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur lorsqu’ils sont conclus à distance[110].

Outre la question de la langue, la présentation «évidente et intelligible» des renseignements précontractuels au consommateur moyen, profane non averti et inexpérimenté suppose une importante rationalisation de la description des biens et des services proposés, de même que des conditions de vente et du jargon technique et souvent complexe qui les exprime[111]. Cette contrainte est salutaire. La présentation «évidente et intelligible» des renseignements précontractuels suppose aussi l’adoption de standards au chapitre de la mise en forme des contenus, standards qui ont l’avantage de tenir compte des spécificités des médias utilisés. À ce niveau, il faut espérer que les normes informelles, comme celles du World Wide Web Consortium (W3C)[112], parviendront à remédier aux conséquences que l’absence d’indications formelles claires dans la Loi 48 pourrait avoir sur la protection des cyberconsommateurs. L’opportunité de ces normes informelles s’apprécie d’ailleurs aussi à l’égard du deuxième critère de divulgation imposé par la Loi 48.

B. Les conditions d’une présentation «expresse» de l’information

La Loi 48 oblige le cybercommerçant à «porter expressément» les renseignements précontractuels à la connaissance du consommateur[113]. Que désigne cette obligation, particulièrement dans le contexte électronique où la transposition des concepts et des notions juridiques traditionnels est parfois forcée et souvent critiquée[114] ? En l’espèce, la définition du vocable «expresse»[115] à l’article 54.4 in fine (nouveau) de la L.p.c., du moins son application dans le cyberespace, demeure incertaine. En effet, dans le commerce électronique, la présentation expresse des renseignements précontractuels vise-t-elle, comme en droit français, à garantir à ceux à qui est destinée la fourniture de biens ou la prestation de services un «accès facile, direct et permanent utilisant un standard ouvert»[116] à certains renseignements précontractuels[117] ? L’obligation est-elle remplie lorsque, comme il ressort du Modèle d’harmonisation de 2001, les renseignements précontractuels sont «rendus accessible[s] d’une manière qui garantit (i) que le consommateur y a accès»[118] ? Comment, en pratique, rendre des informations accessibles d’une manière qui garantit leur accès ?

Il paraît indiqué de rechercher l’intention du législateur pour situer l’étendue de la prescription. En la matière, le Journal des débats de la Commission permanente des institutions, rapportant l’étude du projet de loi no 48, fournit quelques éléments de réflexion : «[O]n ne veut pas simplement mettre à la disposition du consommateur une information qui pourrait par ailleurs se trouver quelque part en disant : Écoutez, l’information se trouve quelque part. On veut s’assurer que cette information-là soit portée littéralement à la connaissance du consommateur»[119].

Faut-il y décrypter la volonté du législateur de corriger certaines procédures ou pratiques du commerce électronique qui renvoient presque systématiquement les cyberconsommateurs à plusieurs couches de liens hypertextes dont l’épaisseur varie en fonction des sites Internet ? Ces hyperliens saucissonnent et noient souvent les termes et conditions applicables à la vente dans une pléthore d’informations dont la pertinence n’est pas évidente. L’accès aux informations pertinentes nécessite parfois plusieurs opérations, y compris l’utilisation d’ascenseurs verticaux, bien que ces informations aient une incidence majeure sur les obligations des parties et que leur nature milite pour une meilleure communication.

Certes, il peut être aisé de prétendre que cette pratique ne permet pas de satisfaire à l’obligation de l’article 54.4 in fine (nouveau) de la L.p.c. voulant que les renseignements précontractuels soient «expressément» portés à la connaissance du consommateur. Quelle pourrait alors être une alternative appropriée ? Comment, en pratique, le cybercommerçant peut-il se conformer à cette obligation, particulièrement dans les ventes par Internet recourant à des ordinateurs ou à des équipements terminaux de radiocommunication mobile ? Est-il permis de se satisfaire de «pop ups» ou de fenêtres contextuelles intrusives qui apparaissent systématiquement à chaque nouvelle session d’achat et qui arborent les informations prescrites, avec l’obligation pour le cyberconsommateur d’en attester la prise de connaissance avant de poursuivre le processus d’achat ?

Il n’est pas certain que le niveau de détails des renseignements devant être fournis soit compatible avec cette approche. Déjà, la jurisprudence française permet d’en préfigurer la réception mitigée. La décision issue de l’affaire Voyages Sur Mesure suspend en effet la validité de la communication des conditions générales de vente suivant une approche similaire à l’existence de certaines fonctionnalités élémentaires :

Le tribunal dans un souci d’information s’est rendu sur le site litigieux et a pu constater que la nouvelle version des conditions générales de vente s’affiche avant la passation de la commande qui ne peut être confirmée avant d’avoir coché la case indiquant que le client a pris connaissance de ces conditions. Toutefois, le clic donnant accès à ces conditions aboutit à une fenêtre réduite impossible à afficher en pleine page, ce qui rend malaisée sinon impossible une lecture attentive de ces conditions générales qui comportent pourtant une dizaine de pages... La communication des conditions générales de vente est donc illusoire[120].

Ces fonctionnalités semblent tout aussi déterminantes dans la jurisprudence américaine. Leur présence a un impact majeur sur la validité du processus contractuel, comme l’affirme l’arrêt Feldman v. Google :

The terms and conditions were offered in a window, with a scroll bar that allowed the advertiser to scroll down and read the entire contract. The contract itself included the pre-amble and seven paragraphs, in twelve-point font. The contract’s pre-amble, the first paragraph, and part of the second paragraph were clearly visible before scrolling down to read the rest of the contract. The preamble, visible at first impression, stated that consent to the terms listed in the Agreement constituted a binding agreement with Google. A link to a printer-friendly version of the contract was offered at the top of the contract window for the advertiser who would rather read the contract printed on paper or view it on a full-screen instead of scrolling down the window. [...]

At the bottom of the webpage, viewable without scrolling down, was a box and the words, “Yes, I agree to the above terms and conditions.”[...]The advertiser had to have clicked on this box in order to proceed to the next step. [...]If the advertiser did not click on “Yes, I agree...” and instead tried to click the “Continue” button at the bottom of the webpage, the advertiser would have been returned to the same page and could not advance to the next step. If the advertiser did not agree to the AdWords contract, he could not activate his account, place any ads, or incur any charges[121].

Au Québec, le législateur n’a pas fixé les critères de la divulgation «expresse» des renseignements précontractuels dans le commerce électronique pour éviter le vieillissement accéléré de la loi compte tenu de l’évolution technologique. Ce souci de pérennité est actuel, mais sa prise en compte ne nous paraît pas incompatible avec une approche visant sinon à éliminer, du moins à réduire les incertitudes que peut créer la transposition des concepts traditionnels dans le commerce électronique. En guidant l’industrie, cette approche permettrait aussi à la loi de remplir pleinement sa mission, c’est-à-dire de protéger le consommateur. En ce sens, pour clarifier l’exigence relative à la divulgation expresse, le législateur pourrait s’inspirer de la rédaction de l’article L. 121-18(7) du Code de la consommation français[122]. Cette disposition a la particularité de tenir compte des spécificités du média utilisé dans la transaction tout en restant générale dans sa lettre : «Ces informations, dont le caractère commercial doit apparaître sans équivoque, sont communiquées au consommateur de manière claire et compréhensible, par tout moyen adapté à la technique de communication à distance utilisée [nos italiques]».

Au reste, les récentes conclusions de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dell[123] fournissent quelques indices du sens à donner au terme «expresse» dans le contexte de la cyberconsommation. L’arrêt se prononce sur les modalités de transposition de certaines notions classiques dans le commerce électronique. En l’espèce, il détermine la définition que doit recevoir la notion de «clause externe» de l’article 1435 C.c.Q. lorsqu’un contrat électronique est envisagé. Plus exactement, la Cour suprême répond à la question suivante : «La clause d’arbitrage accessible au moyen d’un hyperlien figurant dans un contrat conclu par Internet constitue-t-elle une clause externe ?»[124]. L’article 1435 C.c.Q. dispose :

La clause externe à laquelle renvoie le contrat lie les parties.

Toutefois, dans un contrat de consommation ou d’adhésion, cette clause est nulle si, au moment de la formation du contrat, elle n’a pas été expressément portée à la connaissance du consommateur ou de la partie qui y adhère, à moins que l’autre partie ne prouve que le consommateur ou l’adhérent en avait par ailleurs connaissance [nos italiques].

Une précision s’impose avant d’exposer la réponse de la Cour suprême à la question ci-dessus posée : l’article 1435 C.c.Q. se distingue de l’article 54.4 de la L.p.c. Le recours à la décision Dell à ce stade a pour seul but d’examiner le raisonnement de la Cour suprême afin de voir s’il est possible d’y déceler quelques éléments éclairant le sens et la portée qui pourraient être attribués au terme «expresse».

Dans sa réponse, la Cour suprême pose le principe de l’accessibilité raisonnable de l’information :

La clause d’arbitrage en litige, qui est accessible au moyen d’un hyperlien figurant dans un contrat conclu par Internet, ne constitue pas une clause externe au sens de l’art. 1435 C.c.Q. et est valide. [...] Le critère traditionnel de séparation physique, qui permet de reconnaître le caractère externe des stipulations contractuelles sur support papier, ne peut être transposé sans nuance dans le contexte du commerce électronique. La détermination du caractère externe des clauses sur Internet requiert donc de prendre en considération une autre règle qui est implicite à l’art. 1435 C.c.Q. : la condition préalable d’accessibilité. Cette condition s’avère un instrument utile pour l’analyse d’un document informatique. Ainsi, une clause qui requiert des manoeuvres d’une complexité telle que son texte n’est pas raisonnablement accessible ne pourra pas être considérée comme faisant partie intégrante du contrat. De même, la clause contenue dans un document sur Internet et à laquelle un contrat sur Internet renvoie, mais pour laquelle aucun lien n’est fourni, sera une clause externe. Il ressort de l’interprétation de l’art. 1435 C.c.Q. et du principe d’équivalence fonctionnelle qui sous-tend la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information que l’accès à la clause sur support électronique ne doit pas être plus difficile que l’accès à son équivalent sur support papier[125].

Quelques préoccupations subsistent néanmoins. D’une part, cette approche de la Cour suprême est fortement critiquée par la doctrine. Le professeur Alain Prujiner relève le risque réel de voir disparaître la pertinence même de la notion de clause externe dans le contexte d’Internet[126]. D’autre part, l’une des prémisses de la Cour suprême motivant le dépassement du critère traditionnel de séparation physique de la clause renvoie à la notion de document et appelle quelques remarques. La Cour suprême constate, en effet :

Une page Internet peut comporter une multitude de liens, chacun conduisant à son tour à une nouvelle page Internet susceptible d’en comporter elle aussi une multitude, et ainsi de suite. À l’évidence, l’on ne saurait prétendre que toutes ces différentes pages reliées entre elles constituent un seul document, voire que l’ensemble du Web défilant devant l’écran de l’internaute n’est qu’un seul et même document[127].

Même s’il ne peut être clairement établi que la notion de document dans le passage ci-dessus doit s’entendre dans le sens qui lui est accordé dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[128], l’invocation de cette loi par la Cour suprême dans son argumentation relative à l’accessibilité et le contexte général des technologies de l’information dans lequel s’inscrit cette décision nous inclinent à explorer ce sens. Sur ce point, référons-nous à l’article 4 de la L.c.c.j.t.i. :

Un document technologique, dont l’information est fragmentée et répartie sur un ou plusieurs supports situés en un ou plusieurs emplacements, doit être considéré comme formant un tout, lorsque des éléments logiques structurants permettent d’en relier les fragments, directement ou par référence, et que ces éléments assurent à la fois l’intégrité de chacun des fragments d’information et l’intégrité de la reconstitution du document antérieur à la fragmentation et à la répartition.

La disposition pose ainsi deux conditions cumulatives pour qu’un document technologique[129] soit considéré comme formant un tout, nonobstant la fragmentation de l’information qui le constitue. Premièrement, il faut que des éléments logiques structurants permettent d’en relier les fragments. Deuxièmement, ces éléments logiques structurants doivent assurer l’intégrité de chacun des fragments de l’information et l’intégrité de la reconstitution du document lui-même. L’unicité du document technologique est compromise lorsque l’une de ces conditions n’est pas remplie.

Que sont ces éléments logiques structurants ? Véronique Abad et Ivan Mokanov proposent l’exemple d’un texte de loi pour expliquer ce concept : «[U]ne loi qui serait découpée et accessible par article, à l’aide de liens hypertexte[s] continuerait à ne former qu’un seul et unique document technologique, tant que l’intégrité de chacun des articles est préservée» [nos italiques, note omise][130]. Pour les simples fins de l’analyse, cette notion de document, généralement invoquée en matière de preuve dans le cadre des nouvelles technologies, peut-elle trouver ici une quelconque pertinence ?

À tout le moins, en prenant pour acquis que l’élément logique structurant peut être un hyperlien, pourrions-nous prétendre qu’un contrat électronique (ou un contrat établi sur document technologique), qui serait «découpé» et accessible par clause à l’aide de liens hypertextes, continue à ne former qu’un seul et unique document technologique, sous réserve du critère d’intégrité ? Une réponse positive suppose que toutes les clauses qui ont fait l’objet de cette fragmentation font partie intégrante du contrat électronique et qu’aucune d’elles n’est une clause externe[131]. Qu’en serait-il alors si ces clauses faisaient référence, à leur tour, à des clauses subsidiaires, ces dernières faisant aussi référence à d’autres clauses subsidiaires accessibles par hyperlien ?

Dans cette hypothèse, à la lumière de l’analyse de la Cour suprême, qui par ailleurs ne fait pas directement référence à l’article 4 de la L.c.c.j.t.i.[132], il semble que la présence d’éléments logiques structurants ne soit pas déterminante pour trancher la question, le risque de devoir qualifier l’ensemble d’Internet de document unique paraissant réel[133]. L’argumentaire de la Cour suprême suggère-t-il alors que l’unicité du document technologique ou du contrat électronique soit rompue dès que l’une des clauses faisant l’objet de la fragmentation n’est pas raisonnablement accessible ?

En attendant de trouver réponse à cette préoccupation, la Cour suprême érige indirectement un standard technique en matière d’accessibilité raisonnable des clauses, la procédure contractuelle électronique utilisée par Dell Computer ayant en l’instance réussi le test. Il nous apparaît utile d’en restituer la substance :

[L]e consommateur peut accéder directement à la page du site Internet de Dell où figure la clause d’arbitrage en cliquant sur l’hyperlien en surbrillance intitulé «Conditions de vente» (ou «Terms and Conditions of Sale» dans la version anglaise de ce site). Ce lien est reproduit à chaque page à laquelle le consommateur accède. Dès que le consommateur active le lien, la page contenant les conditions de vente, dont la clause d’arbitrage, apparaît sur son écran. En ce sens, cette clause n’est pas plus difficile d’accès pour le consommateur que si on lui avait remis une copie papier de l’ensemble du contrat comportant des conditions de vente inscrites à l’endos de la première page du document.

[...] [L]’accès du consommateur à la clause d’arbitrage n’est pas entravé par la configuration de cette clause dont il peut lire le texte en cliquant une seule fois sur l’hyperlien menant aux conditions de vente. La clause d’arbitrage ne constitue donc pas une clause externe au sens du Code civil du Québec[134].

Comme la Cour suprême ne qualifie pas la disposition contractuelle de clause externe selon l’article 1435 C.c.Q., il n’est par conséquent pas nécessaire de la porter «expressément» à la connaissance du consommateur ou de l’adhérent. Du coup, l’éclairage que nous recherchions pour saisir l’essence du vocable «expresse» se trouve diminué, la conclusion de la Cour suprême écourtant l’argumentation. L’accessibilité raisonnable y paraît néanmoins comme un critère relativement large, qui pourrait même servir à apprécier l’application au contexte électronique (avec le principe d’équivalence fonctionnelle[135] en filigrane) de plusieurs notions voisines, comme les notions de «clause illisible ou incompréhensible» au sens de l’article 1436 C.c.Q. À ce sujet, la juge Deschamps précise :

[M]a conclusion aurait été la même si l’Union avait aussi plaidé que la clause était illisible ou incompréhensible au sens de l’art. 1436 C.c.Q. Comme il a été mentionné précédemment, l’hyperlien en surbrillance paraît à chaque page à laquelle le consommateur accède et il n’a été présenté aucune preuve permettant de conclure que le texte était difficile à repérer à l’intérieur du document, ou qu’il était difficile à lire ou à comprendre[136].

Dans ce contexte vient une ultime question : la clause accessible au moyen d’un hyperlien est-elle aussi «expressément portée à la connaissance» du consommateur ou de l’adhérent au sens de l’article 1435 C.c.Q. ? Les juges Bastarache, LeBel et Fish (dissidents dans l’instance) sont affirmatifs, à quelques conditions près :

La convention d’arbitrage n’est pas nulle parce qu’elle se trouve dans une clause externe qui n’a pas été portée expressément à la connaissance de D, comme l’exige l’art. 1435 C.c.Q. Même si l’hyperlien menant aux conditions de la vente était en petits caractères en plus d’être situé au bas de la page de configuration, cette pratique est conforme aux normes de l’industrie. On peut donc conclure que l’hyperlien était évident pour D. De plus, la page de configuration contenait un avis selon lequel la vente était assujettie aux conditions de vente, accessibles par hyperlien, les portant ainsi expressément à la connaissance de D [nos italiques][137].

Cette indication, même si elle émane de l’opinion dissidente de la Cour suprême, peut-elle guider la mise en oeuvre pratique de l’obligation de l’article 54.4 (nouveau) de la L.p.c. de «porter expressément» les renseignements précontractuels à la connaissance du consommateur ? Bien qu’il s’agisse d’une interprétation de l’article 1435 C.c.Q., le regard que les juges Bastarache, LeBel et Fish portent sur la présence d’hyperliens dans le dispositif du contrat de cyberconsommation nous interpelle. Une interprétation aussi généreuse à l’égard de ces hyperliens a-t-elle pu être dans l’intention du législateur québécois quand il a exigé du commerçant qu’il porte expressément les renseignements précontractuels à la connaissance du consommateur ? Il faut voir. Il pourrait être aussi nécessaire de discuter de la pertinence des normes informelles de l’industrie auxquelles les juges dissidents font référence. Dans cette analyse, le séquençage suggéré relativement à la phase précontractuelle sera sans doute rediscuté, l’exercice nous paraissant du reste fort utile, notamment au regard du récent abandon des exigences de forme prévues à l’article 26 du Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur[138] concernant certains contrats, lorsque ceux-ci sont conclus à distance[139]. En effet, il nous semble qu’un séquençage approprié aurait l’avantage de restituer la fonction de prise de conscience relativement à l’acte, précédemment associée aux exigences de forme ainsi abandonnées.

C. De la pérennité des renseignements précontractuels

Le troisième et dernier critère évoqué par l’article 54.4 in fine (nouveau) de la L.p.c. et à la lumière duquel la divulgation de l’information doit être faite soulève davantage une question de pertinence, encore que certaines questions de fond puissent subsister. Il précise que «lorsqu’il s’agit d’une offre écrite, [le commerçant] doit présenter ces renseignements de façon à ce que le consommateur puisse aisément les conserver et les imprimer sur support papier».

L’opportunité de ce formalisme est critiquable, particulièrement dans les ventes visées par notre étude, c’est-à-dire les ventes en ligne où il faut considérer que l’offre est écrite[140]. Est-il en effet nécessaire d’exiger une présentation des renseignements prescrits à l’article 54.4 (nouveau) de la L.p.c. de façon à ce que le cyberconsommateur puisse les conserver et les imprimer quand il n’est lié par ceux-ci que lorsqu’il les a acceptés ? Or, leur acceptation forme le contrat et l’article 54.6 (nouveau) de la L.p.c. stipule que le contrat doit être constaté par écrit et indiquer lesdits renseignements, tels qu’ils ont été divulgués avant la conclusion du contrat. Qui plus est, l’article 54.7 (nouveau) de la L.p.c. oblige le cybercommerçant à transmettre au cyberconsommateur un exemplaire du contrat dans les quinze jours suivant sa conclusion.

Il aurait pu s’agir d’aménager la preuve afin de permettre au cyberconsommateur, le cas échéant, d’obtenir la résolution du contrat en démontrant, conformément à l’article 54.8(a) (nouveau) de la L.p.c., que le cybercommerçant n’a pas divulgué les renseignements obligatoires avant la conclusion du contrat. Or, compte tenu du dynamisme inhérent au contrat électronique, ces renseignements, qui représentent en principe l’offre, peuvent être modifiés entre le moment où le cyberconsommateur les télécharge ou les imprime et le moment où il accepte l’offre. Par exemple, il n’est pas exclu que le cyberconsommateur, après avoir téléchargé ou imprimé les renseignements précontractuels, décide d’ajourner le processus transactionnel en cours. Or, entre ce moment et le moment de la reprise du processus, le cybercommerçant peut avoir modifié les conditions contractuelles. Le cyberconsommateur risque ainsi de se retrouver avec une version obsolète des renseignements précontractuels s’il n’a pas le réflexe de les télécharger ou de les imprimer à nouveau. La version qui importe nous semble donc être celle qui est effectivement acceptée par le cyberconsommateur. En conséquence, outre l’obligation de transmettre au cyberconsommateur un exemplaire du contrat dans les quinze jours qui suivent sa formation, le législateur aurait plutôt dû exiger que le contrat, une fois formé, soit présenté de manière à ce qu’il puisse être conservé ou immédiatement imprimé.

Cela dit, la question de la preuve demeure entière et doit être considérée davantage par le cybercommerçant que par le cyberconsommateur. L’affaire Dupéré fonde ce constat[141]. Dans cette affaire, les demanderesses achètent des billets d’avion par l’entremise du site Internet de la défenderesse. Elles croient acheter des billets pour San Jose (Costa Rica), mais se retrouvent avec des billets pour San Jose (Californie) et allèguent une défectuosité du système informatique. Pour soutenir cette prétention et réfuter, par la même occasion, celle de la défenderesse, selon laquelle l’erreur provient d’une mauvaise sélection de la destination avant la formation du contrat, les demanderesses produisent des copies de fichiers récupérés dans l’ordinateur utilisé pour la transaction. Elles tentent ainsi de restituer les informations précontractuelles en vigueur au moment de la transaction, y compris les informations relatives aux choix qu’elles ont effectués.

Cette démarche informelle est indicative de l’approche que le cyberconsommateur doit suivre pour se prévaloir du droit de résolution du contrat établi à l’article 54.8 (nouveau) de la L.p.c.[142]. L’avantage de cette avenue réside dans la présomption légale d’intégrité attachée aux documents technologiques (par exemple, les fichiers récupérés dans l’ordinateur) en vertu de l’article 7 de la L.c.c.j.t.i.[143].

Il s’ensuit que le cyberconsommateur est dispensé de prouver l’intégrité des documents technologiques produits, puisque le fardeau de la preuve appartient à celui qui conteste l’admission du document, par exemple le cybercommerçant. Ce dernier doit établir, par prépondérance des probabilités, qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document[144]. Cette contestation se fait en trois temps, comme le précise Claude Fabien :

Dans un premier temps, la partie qui conteste l’intégrité du document technologique, que l’on a produit contre elle, doit alléguer expressément, dans un acte de procédure, les faits et les motifs qui rendent probable l’atteinte à l’intégrité du document, comme l’exige l’article 89 C.p.c. Elle doit joindre un affidavit (déclaration assermentée). Elle doit enfin prouver par prépondérance de preuve l’atteinte à l’intégrité du document (art. 2[8]40 C.c.Q.)[145].

Fait pour le moins surprenant, ni la présomption légale d’intégrité des documents technologiques ni la procédure impérative de contestation de cette présomption n’ont été invoquées dans l’analyse de l’affaire Dupéré. La défenderesse a remis en cause l’intégrité des fichiers informatiques produits par les demanderesses et aucun indice ne laisse croire que ses prétentions à ce sujet ont été rejetées par le tribunal, qui rend par ailleurs une décision qui lui est favorable[146] :

[I]l s’agit de fichiers temporaires, imprimés selon le document fourni par les demanderesses à dix heures seize minutes (10h16) alors que les réservations des demanderesses ont été complétées à onze heures et deux minutes (11h02) et onze heures six minutes (11h06). Or, après cinquante minutes, ces fichiers peuvent être modifiés de sorte qu’ils ne peuvent constituer une preuve de la sélection qui a été véritablement faite[147].

Du reste, une dernière difficulté découle du libellé de l’article 54.4 in fine (nouveau) de la L.p.c. Selon cette disposition, «lorsqu’il s’agit d’une offre écrite, [le commerçant] doit présenter ces renseignements de façon à ce que le consommateur puisse aisément les conserver et les imprimer sur support papier» [nos italiques].

En pratique, même si le terme «aisément» se rapproche de l’utilisation de standards ouverts[148], est-il matériellement possible pour le commerçant de permettre au consommateur d’«imprimer aisément» sur support papier un document qui l’est déjà ? La difficulté naît de deux éléments. Elle découle d’abord de l’utilisation de la conjonction de coordination «et» dans la disposition, laquelle laisse croire, d’une part, que la conservation et l’impression sont des conditions cumulatives, et d’autre part, que le document visé par le législateur est celui fixé sur un support technologique. Or, le champ d’application de la Loi 48 n’est pas spécifique au contrat de cyberconsommation. En effet, la loi vise les contrats à distance dans leur ensemble et l’article 54.4 in fine (nouveau) de la L.p.c. aurait dû refléter plus clairement ce fait.

À titre d’exemple, la disposition équivalente en droit français établit que «[q]uiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d’une manière qui permette leur conservation et leur reproduction» [nos italiques][149].

Conclusion

L’initiative du législateur québécois dans la Loi 48 est marquée par deux bonnes intentions. Il s’agit, d’une part, d’assurer la sécurité juridique des transactions de plus en plus nombreuses réalisées par les consommateurs dans le cyberespace. L’obligation d’information imposée au cybercommerçant participe ainsi de l’intention d’outiller les consommateurs dans un univers caractérisé par l’immatérialité. Il fallait, d’autre part, s’inscrire résolument dans une certaine mouvance générale adoptée par la plupart des législations à travers le monde et dictée par la dimension mondiale du réseau Internet. En cela, le Modèle d’harmonisation de 2001 anticipait déjà les modifications législatives québécoises. Cet effort du législateur mérite donc d’être salué. Après les appels répétés de la doctrine, les remous entendus dans le sillage de l’affaire Dell ont fini par convaincre de la pertinence d’une telle intervention législative[150].

Le texte québécois, dans la définition des modalités de l’obligation d’information, n’a toutefois pas su résister à la tentation d’imposer une divulgation prenant essentiellement la quantité des informations fournies au consommateur comme critère. La protection du consommateur aurait pu suggérer une autre démarche. En effet, devant les possibilités techniques offertes par le cyberespace, nombre de cybercommerçants n’hésitent pas à noyer le consommateur dans un flot d’informations. Ce dernier ne sait pas toujours distinguer l’utile du superflu, l’accessoire du principal, et n’accorde au final que très peu d’intérêt à ces informations précontractuelles. Le défi est moins de contraindre les cybercommerçants à divulguer le plus d’informations possible que celui de les pousser à mettre l’accent sur l’information la plus pertinente possible dans la décision du consommateur[151]. La qualité de l’information du consommateur, et par-delà, celle du commerce électronique, repose d’ailleurs sur la capacité de discipliner les cybercommerçants.

Si le choix fait par le législateur de viser tous les contrats à distance témoigne d’une prudence et d’une sagacité de sa part, la surcharge informationnelle qui découle des exigences de l’obligation d’information trahit indubitablement la prépondérance donnée aux contrats conclus sur Internet et plus particulièrement au moyen d’ordinateurs. À cet égard, une autre intervention législative n’est pas à exclure, notamment pour raffiner certaines dispositions actuelles de la L.p.c. devant le développement des transactions commerciales au moyen de terminaux mobiles (nouvelles méthodes de vente regroupées sous le vocable de commerce mobile ou m-commerce). Même à défaut d’une réécriture, un effort d’adaptation sera nécessaire, à moins de laisser aux juges le soin d’interpréter les dispositions actuelles et de les adapter aux nouveaux médias, ce qui n’est pas forcément un prix de consolation compte tenu du cadre très évolutif des technologies de l’information. Encore faut-il espérer que la décision Dell ne serve de modèle et que les juges se laissent véritablement imprégner du contexte unique de ces technologies.