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Le but de cette recension est de présenter et d’évaluer quelques-unes des plus récentes monographies en français sur le droit international humanitaire (« DIH »), droit de la guerre ou droit des conflits armés, dans une optique pédagogique, c’est-à-dire en termes d’utilité pour l’enseignant et l’étudiant. L’année 2012 a été florissante de ce point de vue, avec la publication, par le Comité International de la Croix-Rouge (« CICR »), de la seconde édition de son Un droit dans la guerre? Cas, documents et supports d’enseignement relatifs à la pratique contemporaine du droit international humanitaire[1], un triple volume de plus de 3000 pages dont la nature est résolument pédagogique; le dynamisme de la maison d’édition Bruylant qui, la même année, a fait paraître trois ouvrages sur le même sujet[2], dont deux sont également conçus comme des outils maniables et accessibles au grand public; et d’autres livres encore qui, faute de place, ne seront pas intégrés à cette recension[3].

Pour préparer un bon cours de DIH, on peut suivre la recette suivante. Utiliser les Principes de droit des conflits armés[4] d’Éric David comme socle. L’abondante matière de ses chapitres peut aisément être divisée en une douzaine de leçons, c’est-à-dire en une douzaine de séances (I). Les compléter ensuite grâce à l’ouvrage de référence du CICR, Un droit dans la guerre?, pour ajouter quelques éléments tirés des textes introductifs, mais surtout pour enrichir chaque séance de cas et documents qui permettront de faire réfléchir les étudiants en classe ou à la maison. Il s’agit donc de confronter la théorie (les Principes de droit des conflits armés d’Eric David) à la pratique (II). Ajouter enfin des ressources à la fois générales (les textes eux-mêmes) et spécifiques (des réflexions plus poussées sur les points les plus problématiques et les enjeux les plus contemporains du DIH) pour enrichir le tout, sans oublier les ressources audiovisuelles dont les vertus pédagogiques sont indéniables et qui permettent d’aérer le contenu du cours (III).

I. Théorie : l’introduction d’Eric David

Parmi les ouvrages intéressants de la cuvée 2012, figure en bonne place la cinquième édition du désormais classique Principes de droit des conflits armés d’Eric David. En dépit de son imposant format (1151 pages) et de sa grande précision, il ne se présente ni comme un traité ni comme un manuel, mais plutôt comme une introduction[5]. Le but n’est pas de couvrir exhaustivement toute la matière du DIH — ce serait vain —, mais plutôt d’introduire à ses principes seulement, c’est-à-dire, selon l’auteur, « à l’essentiel »[6]. À l’inverse de l’ouvrage de référence du CICR axé sur la pratique, il s’agit de rendre compte des débats doctrinaux et c’est en cela, précisément, que ces deux livres sont complémentaires.

Cette cinquième édition met à jour la précédente[7], publiée en 2008, en y incorporant la jurisprudence des dernières années, les travaux récents de la Commission du droit international sur les effets des conflits armés sur les traités, ceux des commissions d’établissement des faits concernant plusieurs épisodes du conflit israélo-palestinien, ainsi qu’une nouvelle présentation de la notion de conflit armé et une synthèse bienvenue du Guide interprétatif[8] du CICR sur la notion de participation directe aux hostilités.

L’auteur, qui enseigne le DIH à l’Université libre de Bruxelles depuis maintenant une quarantaine d’années, a une expérience pédagogique considérable, complétée par une expertise pratique (en tant que président de la Commission consultative de DIH de la Croix-Rouge de Belgique, section francophone, et membre de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits). Il est aussi soucieux d’améliorer sans cesse son volume. Tout cela explique sans doute la très grande qualité de l’ouvrage, qui est remarquablement dense et précis, tout en restant clair et accessible.

Partant de l’observation commune que le « droit des conflits armés » semble paradoxal, puisqu’il réunit deux termes qui a priori s’excluent[9], l’introduction montre d’emblée que « le paradoxe n’est qu’apparent »[10]; la guerre est donc soumise au droit. L’introduction poursuit en montrant comment ce droit spécifique qu’est le DIH est lié à son genre, c’est-à-dire au droit international. Elle donne également quelques éléments historiques et présente ses sources, conventionnelles et coutumières.

Le livre se divise ensuite en cinq chapitres. Le premier expose le champ d’application du DIH, c’est-à-dire à quoi (ratione materiae), à qui (ratione personae), où (ratione loci) et quand (ratione temporis) il s’applique[11].

Le deuxième présente les principales règles relatives à la conduite des hostilités (droit de La Haye) et au traitement des personnes au pouvoir de l’ennemi (droit de Genève)[12]. La matière couverte par ce chapitre est celle qui, en cours, mérite le plus de développement, c’est-à-dire de séances. On y retrouve des notions fondamentales dont l’interprétation est souvent délicate (personnes civiles, personnes protégées, combattant, prisonnier de guerre, participation directe aux hostilités, enfant soldat, occupation, etc.), des interdictions ou limitations d’emploi de moyens (armes) et de méthodes (manière de les utiliser et tous les procédés visant à dominer et affaiblir l’adversaire) ainsi que des principes (nécessité, distinction, proportionnalité, précaution et interdiction de causer des maux superflus).

Le troisième chapitre est consacré à la mise en oeuvre et au contrôle du droit des conflits armés, c’est-à-dire au rôle des différents acteurs (États, CICR, organisations internationales, ONG, etc.) et aux différents moyens d’enquête, bilatérale ou via la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits[13].

Le quatrième, qui relève du jus post bellum, pourrait plus adéquatement s’appeler « Crimes et responsabilités » plutôt que « Réparation des violations du droit des conflits armés »[14], puisqu’il n’aborde pas les réparations en tant que telles, notamment le régime de la Cour pénale internationale (« CPI »), unique en son genre[15], mais se concentre sur les responsabilités étatique et individuelle des belligérants. L’index est d’ailleurs révélateur à cet égard puisqu’à « réparations » il se contente de renvoyer à « responsabilité »[16]. On trouve donc dans ce chapitre des exposés détaillés sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. On notera que le génocide, bien que traité, ne fait pas l’objet d’une catégorie distincte; il fait l’objet de quelques pages dans la section sur les crimes contre l’humanité. La notion d’intention génocidaire, et en particulier de sa preuve qu’il est parfois si difficile de produire[17], aurait pu faire l’objet d’un traitement plus complet. Ce chapitre intègre aussi quelques éléments de droit international pénal qu’il aurait été pertinent de développer dans un chapitre supplémentaire comportant une section sur les réparations.

Le cinquième et dernier chapitre prend un recul d’autant plus intéressant qu’il est plutôt rare dans les ouvrages de ce type, et se demande pourquoi le DIH est si souvent violé[18]. On quitte alors le champ strict du droit, et c’est là une autre manifestation des bénéfices de l’approche interdisciplinaire. L’analyse proposée est à la fois historique, sociologique et anthropologique et intéresserait également les amateurs de théorie de l’argumentation lorsqu’elle déconstruit les discours-alibis (qu’ils soient idéologiques, stratégiques ou économiques) utilisés pour justifier les exactions[19]. Elle permet de mieux comprendre le contexte du DIH et, du même coup, d’expliquer ce qui limite sa mise en oeuvre. Dans le même élan d’élargissement, la conclusion prend en compte les aspects psychologiques et philosophiques (moraux).

Au final, on trouve dans cet ouvrage toute la matière nécessaire pour préparer, en tant qu’enseignant ou étudiant, un cours d’introduction au DIH. Bien sûr, il n’est pas absolument complet — aucun ouvrage ne l’est et, on l’a dit, l’auteur en est conscient —, mais cette formidable synthèse renvoit à suffisamment de doctrine et de jurisprudence pour être complétée, ici et là, par quelques développements qu’on trouvera ailleurs.

II. Pratique : la somme du CICR

L’ouvrage de référence reste celui du CICR, Un droit dans la guerre?, dont le sous-titre annonce d’emblée la nature pédagogique : Cas, documents et supports d’enseignement relatifs à la pratique contemporaine du droit international humanitaire. Sa première édition était motivée par deux facteurs : le mandat du CICR de promouvoir et diffuser le DIH, en l’occurrence en encourageant son enseignement, et l’absence de publication à l’époque sur la pratique du DIH[20]. Le but était alors de produire un outil contenant le matériel nécessaire pour préparer un cours fondé sur la pratique, et non sur la théorie comme c’est le plus souvent le cas. L’ouvrage — de deux volumes à l’origine, traduits en plusieurs langues — est rapidement devenu une référence.

Cette seconde édition contient désormais trois volumes, des textes mis à jour, une soixantaine de nouveaux cas et documents, quatorze nouveaux plans de cours et un CD-ROM sur lequel se trouve le texte intégral des documents auxquels il est fait référence[21]. À noter que l’ensemble est disponible gratuitement au format PDF sur le site du CICR[22].

Le premier volume, intitulé Présentation du droit international humanitaire, expose les « thèmes et sujets majeurs »[23] du DIH : notion, objectif et problématique; le DIH comme branche du droit international public; son évolution historique; ses sources; la distinction entre civils et combattants; les combattants et les prisonniers de guerre; la protection des blessés, des malades et des naufragés; la protection des civils; la conduite des hostilités; le droit de la guerre sur mer et dans les airs; celui des conflits armés non internationaux; la mise en oeuvre du DIH; les relations entre DIH et droit international des droits humains (« DIDH ») ainsi que le CICR. Chacun de ces chapitres est ensuite structuré en plusieurs parties et sous-parties qui, à chaque fois, renvoient à des cas et à des documents numérotés que l’on retrouve dans les deux autres volumes et à de nombreuses références bibliographiques utiles pour approfondir les questions soulevées.

Celles-ci sont parfois développées dans de brefs textes introductifs, qui sont très utiles, mais qui ne sont malheureusement pas systématiques, de sorte qu’un certain nombre de sujets ne font que renvoyer à des suggestions de lecture ou à des cas et des documents, sans donner lieu à des explications, comme si l’ouvrage était davantage un index de la pratique ou une table des matières géante plutôt qu’un manuel. Les textes introductifs semblent aléatoires — certains sujets en ont, d’autres pas, sans que l’on comprenne pourquoi. Un moyen d’améliorer l’ouvrage dans une prochaine édition serait d’écrire davantage de textes introductifs, de les rendre plus systématiques, pour harmoniser le tout et corriger la disparité actuelle entre certains sujets très détaillés et d’autres à peine survolés.

Il y a en outre des manques flagrants, comme la question de la torture, qui relève à la fois du DIDH et du DIH et dont la pertinence a été accrue par le débat qu’elle a suscité dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » américaine. Ce premier volume n’y consacre aucun développement et ne la mentionne qu’occasionnellement, au détour d’une phrase ou dans une référence bibliographique. En guise de définition, il renvoie à deux cas, soit l’affaire Aussaresses et les méthodes d’interrogatoire israéliennes[24], qui ne permettent pas de prendre la mesure du problème que pose sa définition et, surtout, du débat à la fois éthique et juridique auquel elle a donné lieu sous l’administration Bush.

Un autre manque flagrant concerne le progrès technologique, qui pourtant constitue depuis toujours le premier défi posé au DIH et, plus largement, à toute tentative de limiter la guerre. Les problèmes posés par ce qu’on appelle les nouvelles technologies, en premier lieu la robotisation militaire (non seulement les drones, mais aussi les robots létaux autonomes terrestres et sous-marins en développement) et le cyberespace, qui est devenu un véritable champ de bataille ajoutant un théâtre virtuel aux théâtres naturels de la guerre (terre, mer, air), sont tout simplement ignorés. Ils posent pourtant des questions difficiles, qui sont à la fois au coeur même de la raison d’être du DIH et, tous les jours, dans l’actualité et le débat public.

De plus, il n’y a strictement rien sur la pratique des éliminations ciblées (dont le drone est un moyen, mais il n’est pas le seul), alors que sa légalité, qui relève soit du DIH soit du DIDH en fonction du contexte (présence d’un conflit armé), soulève des questions difficiles et passionnantes. Certaines d’entre elles sortent du cadre strict du DIH (l’interprétation de la légitime défense, de l’imminence de la menace, etc.). D’autres en relèvent directement, notamment parce que le troisième critère qui, dans la doctrine américaine, permet de considérer l’élimination ciblée comme un acte légal de légitime défense est le fait que l’opération soit conduite de façon conforme aux principes du droit de la guerre (nécessité, distinction, proportionnalité et précaution)[25]. Ici, la question de savoir si le civil ciblé participe directement aux hostilités est cruciale, et cette notion est tellement délicate que le CICR y a consacré un guide interprétatif de près d’une centaine de pages[26].

Quelques passages de certains cas (comme l’élimination ciblée de Ben Laden[27]) ou documents (comme la partie sur les nouvelles technologies du rapport du CICR de 2011 sur les défis posés par les conflits armés contemporains[28]) dans le deuxième volume y font référence, mais il manque un développement sur le DIH et les nouvelles technologies dans le premier. Ce genre d’oubli est d’autant plus dommage que cette question fait l’objet non seulement d’une littérature abondante et d’une présence permanente dans les médias, mais aussi d’une curiosité réelle de la part des étudiants, précisément parce qu’ils en entendent tant parler. La séance sur les drones et les éliminations ciblées est en général un moment fort du cours.

On regrettera également l’absence des approches critiques du DIH, en particulier le féminisme et le postcolonialisme, alors qu’elles se développent et qu’il est stimulant, dans l’enseignement, de terminer la session en prenant ce genre de recul. Elles sont, elles aussi, particulièrement prisées des étudiants qui sont souvent sceptiques, parfois même cyniques, à l’égard des éventuels biais du droit international en général. D’où l’utilité de ne pas s’en tenir à une présentation exclusivement juridique et de bénéficier de l’apport d’autres disciplines comme la science politique et la philosophie. Celles-ci peuvent éclairer les débats suscités par la pratique du DIH à l’aide des grandes théories des relations internationales telles que le réalisme, le libéralisme et le constructivisme. L’approche interdisciplinaire me semble à la fois plus riche et plus adaptée aux besoins des étudiants, mais il est tout à fait normal, ceci dit, qu’elle ne soit pas représentée dans l’ouvrage de référence du CICR, dont ce n’est pas la fonction.

Les deux autres volumes, intitulés Cas et Documents, réunissent donc le matériel auquel le premier renvoyait, ou plutôt une partie de celui-ci, car pour que les livres, qui sont déjà très épais, restent manipulables, de nombreux documents ont dû être regroupés sur le CD-ROM joint. L’ensemble est divisé en deux chapitres, le premier réunissant les cas et documents relatifs au DIH en général et le second ceux relatifs à des conflits passés ou actuels, classés par ordre chronologique, de la guerre de Sécession américaine à l’intervention de l’OTAN en Libye. En tout, ce sont 277 documents et 302 cas qui sont ici compilés.

Chaque cas est lui-même composé d’un ou de plusieurs textes (jurisprudence, rapports, articles de presse, etc.) et d’une partie intitulée « Discussion » qui pose une série de questions, sans donner de réponses — pour la simple raison qu’il s’agit en général de questions difficiles auxquelles il n’y a pas une réponse. Elles sont posées pour susciter la discussion en classe, pour que chacun puisse développer et défendre une interprétation, sous la supervision et le contrôle de l’enseignant. Elles sont de ce point de vue très utiles, soit pour des travaux à la maison, lorsque les textes dont il faut prendre connaissance sont longs, soit pour des devoirs en classe. On peut alors faire travailler les étudiants en petits groupes pendant une quinzaine de minutes, durant lesquelles ils lisent les textes d’un cas sélectionné et tentent de répondre à une ou plusieurs questions — à condition toutefois qu’ils soient connectés à Internet puisque celles-ci font référence aux traités de DIH pertinents (en renvoyant à des articles de conventions) qu’ils auront besoin de retrouver et de consulter. Ils confrontent ensuite leurs réponses et cela suscite un débat.

En somme, Un droit dans la guerre? a en tout trois parties. La première est une introduction au DIH (volume I). La seconde, un recueil de cas pratiques et documents (volumes II et III ainsi qu’un CD-ROM). Et la troisième, sur CD-ROM seulement, rassemble pour les enseignants des réflexions sur l’enseignement du DIH, quatorze exemples de plans de cours utilisés par des professeurs d’université et deux exemples d’exercices sur le DIH. L’ensemble est donc très complet et constitue, de loin, l’ouvrage de référence le plus important pour quiconque enseigne, étudie ou même pratique le DIH.

III. Ressources complémentaires

La principale ressource dont disposent les enseignants, les étudiants, les chercheurs et les praticiens francophones aujourd’hui reste Internet, et en particulier le site du CICR[29]. Celui-ci contient trois bases de données — des traités (avec commentaires et liste des signatures et ratifications), de la mise en oeuvre du DIH et du DIH coutumier (règles et pratiques des États) — ainsi que de nombreux articles de fond, des fiches pédagogiques, des vidéos pour téléchargement, des cartes, des liens, des actualités, le tout mis à jour quasi quotidiennement. D’autres sites le complètent utilement[30].

La recherche sur Internet pouvant rapidement devenir très chronophage, avec un risque élevé d’éparpillement, les monographies organisant et synthétisant l’état et la pratique du droit sont des ressources complémentaires importantes.

A. Les codes

Le Code de droit international humanitaire[31] d’Eric David, Françoise Tulkens et Damien Vandenmeersch est un compagnon de travail pratique et maniable, grâce à son format poche. Lui aussi en est à sa cinquième édition, avec l’ajout, par rapport à la précédente, de deux conventions et trois instruments statutaires. Lui non plus n’a pas l’ambition d’être exhaustif : il ne contient pas tous les traités de DIH, seulement les plus importants, mais il ne contient pas non plus que des traités de DIH. On y trouve en effet plusieurs textes qui relèvent du droit international pénal — ce qui est très pertinent puisque, comme on l’a vu, ces deux branches qui correspondent à la division traditionnelle entre jus in bello et jus post bellum ont des liens étroits.

Si toutefois l’on poussait la logique jusqu’au bout, il faudrait aussi y incorporer les textes importants pour le jus ad bellum qui relèvent du droit international public, comme la Charte des Nations unies[32] et les principales conventions de DIDH[33], puisque nous sommes souvent amenés, en cours, par les questions des étudiants ou l’actualité à commenter, à déborder le strict cadre du DIH et à faire référence à ces autres textes. D’autres codes le font[34] mais — qui trop embrasse mal étreint — ils sont du même coup moins précis et moins complets sur le DIH en tant que tel s’ils veulent conserver un volume raisonnable.

En réalité, on peut se demander si ces codes imprimés ont vraiment un intérêt et surtout de l’avenir, puisque les enseignants, les étudiants, les chercheurs et les praticiens sont désormais constamment connectés à Internet où ils ont accès non pas à une sélection de textes nécessairement incomplète, mais à tous les textes sans exception. Ces textes en ligne offrent en plus la possibilité de faire des recherches d’occurrences (ce qui fait gagner un temps considérable), de connaître instantanément l’état des ratifications, d’être parfaitement à jour lorsque des amendements ou de nouveaux textes viennent s’ajouter au corpus, et ce, gratuitement. Le Code de droit international humanitaire, qui est très bien fait, reste néanmoins utile, et pas seulement en l’absence de connexion Internet, puisque son index permet en un coup d’oeil de connaître les articles pertinents pour les notions recherchées.

B. Les ressources spécifiques

Après s’être assuré d’avoir accès, d’une manière ou d’une autre, sur Internet ou sur papier, aux textes pertinents, il faut compléter ces ressources générales par des ressources spécifiques, pour approfondir le thème de chaque séance (champ d’application, moyens et méthodes de combat, protection des personnes, des biens, de la propriété culturelle, de l’environnement, DIH et terrorisme, DIH et DIDH, DIH et nouvelles technologies, mise en oeuvre, crimes et responsabilité, justice pénale internationale, approches critiques, etc.). La matière tirée des Principes de droit des conflits armés de David et de l’ouvrage de référence du CICR en fournissent à chaque fois la base, mais, en fonction du niveau du cours, il peut être nécessaire d’aller plus loin. En consultant les bibliographies spécifiques que ces livres ne manquent pas de donner, on veillera à ne pas oublier ce qui leur fait souvent cruellement défaut : les défis les plus contemporains.

À cet égard, l’ouvrage collectif Le droit international humanitaire face aux défis du XXIe si[è]cle[35], dirigé par Abdelwahab Biad et Paul Tavernier, est un complément utile. Actes d’un colloque organisé en 2010 à Rouen, il s’intéresse à la manière dont l’évolution des conflits armés — en particulier l’apparition de nouveaux acteurs (non étatiques), de nouvelles armes et de nouvelles méthodes de combat — teste l’adaptabilité et les limites du DIH existant.

On savait déjà qu’il était utile de confronter la théorie (les Principes de droit des conflits armés de David[36]) à la pratique (l’ouvrage de référence du CICR[37]), tant l’écart parfois est saisissant : c’est d’ailleurs un autre locus communis de l’enseignement du DIH que d’avoir à répondre aux étudiants qui font observer que les normes exposées ne sont pas, et même parfois n’ont pas les moyens d’être, respectées dans les faits. Il est ici très intéressant d’avoir en classe des militaires ou des anciens militaires pour qu’ils puissent témoigner que, dans le feu de l’action, il n’est pas toujours facile, par exemple, d’appliquer les trois critères qui selon le CICR permettent d’établir la participation active aux hostilités (seuil de nuisance, causalité directe et lien de belligérance[38]), alors qu’il faut décider en un quart de seconde s’il est légal ou non de tirer sur ce civil. Dans le même esprit, le volume dirigé par Biad et Tavernier sur les défis les plus contemporains permet de se demander si les conventions de La Haye (1907)[39] et de Genève (1949)[40], par exemple, sont bien adaptées aux conflits d’aujourd’hui.

Il est crucial de se poser la question et d’en faire même un objet d’étude en classe, car les étudiants, eux, se la posent, et pourraient à juste titre penser d’un enseignant qui débite un par un les principes, les interdictions et les limitations qu’il est totalement déconnecté de la réalité. L’ouvrage de Biad et Tavernier donne quelques pistes pour ne pas perdre pied et réfléchir collectivement à la caducité du droit et à des amendements possibles — la critique est aisée, mais l’art est difficile, c’est ce que les étudiants comprennent lorsqu’on leur demande comment améliorer la situation.

Il se divise en trois parties. La première s’intéresse aux développements du DIH coutumier, conventionnel et de la jurisprudence. Jean-Marie Henckaerts fait un bilan de l’étude du CICR sur le droit coutumier publiée en 2005[41] et explique pourquoi il devient particulièrement important dans les conflits armés contemporains[42]. François Bugnion revient sur un autre développement récent, adopté la même année : le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel[43]. Le signe adopté, le cristal rouge, évite en effet les connotations religieuses et, par extension, politiques et nationales, de la croix rouge et du croissant rouge[44]. Paul Tavernier s’interroge sur les relations entre les deux principales sources du DIH, la convention et la coutume, et leur actualité[45]. Rafaëlle Maison se demande, en s’appuyant sur des affaires récentes, dans quelle mesure le juge international, qui n’est pas militaire et qui n’a donc pas d’expérience combattante, est compétent pour comprendre la situation de la personne qu’il juge, pour se mettre à sa place alors qu’elle est, elle, un combattant[46]. Enfin, Marco Sassòli et Julia Grignon mettent également en évidence les limites de cette justice pénale internationale, dont l’essor est considérable depuis deux décennies et qui suscite parfois des espoirs démesurés[47], dans la mise en oeuvre du DIH[48].

La deuxième partie porte sur les victimes : les personnels humanitaires, qui sont de plus en plus souvent victimes des conflits armés dans lesquels ils tentent de travailler (Arnaud de Raulin[49]); les femmes, qui subissent des viols et autres violences sexuelles (Mélanie Dubuy[50]); et les enfants, dont la protection exige une articulation entre les normes du DIH et du DIDH (Antoine Meyer[51]).

La troisième partie, la plus intéressante pour mettre à jour un cours de DIH (puisque les autres traitent des problèmes somme toute relativement classiques, qui restent actuels bien entendu mais qui ne sont pas nécessairement nouveaux), porte sur les nouveaux acteurs et la notion de participation directe aux hostilités. La fameuse interprétation que le CICR fait de cette notion problématique est d’abord analysée par Stéphane Ojeda[52]. Puis le colonel Pierre Ferran revient sur la problématique de l’adversaire irrégulier, notamment dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme »[53]. La notion de « terroriste » fait d’ailleurs l’objet de l’étude suivante, par Philippe Guillot, qui analyse ses liens avec le DIH en revenant, lui aussi, sur le cas américain[54]. Enfin, Philippe Lagrange clôt le volume avec d’autres acteurs des conflits qui, parfois, violent aussi le DIH : les forces des Nations unies, récemment impliquées dans plusieurs scandales, qui contribuent, selon certains, à la crise de légitimité dont souffriraient aujourd’hui l’ONU et ses opérations de paix[55].

Bien entendu, ce volume est incomplet. On peut d’ailleurs lui faire le même reproche qu’aux autres puisqu’il ignore l’un de ces défis du XXIe siècle auquel le DIH doit faire face, et non le moindre : les conséquences du progrès technologique, notamment de la robotisation militaire et de la constitution d’un cyberespace comme théâtre de guerre. On y trouvera toutefois quelques pistes susceptibles d’enrichir plusieurs séances de cours.

C. Les ressources audiovisuelles

Ce tour d’horizon des ressources pertinentes pour préparer un cours de DIH ne serait pas complet sans mentionner la vidéographie, c’est-à-dire les films, de fiction ou documentaires, et les séries télévisées, dont des extraits peuvent être utiles pour casser le rythme et stimuler les étudiants dans les longs cours de trois heures, où leur déficit d’attention est proportionnel à la monotonie de l’enseignement. En plus d’adopter un style interactif — c’est-à-dire introduire une dose de dialogue à travers des questions fréquentes, même dans la partie magistrale du cours, et faire travailler les étudiants sur des exercices en petits groupes et des exposés individuels — on peut relancer leur attention en diffusant de courts extraits vidéo, pour illustrer un point ou susciter un débat.

Les ressources ne manquent pas. Depuis quelques années, le club de la Croix-Rouge de l’Université d’Ottawa organise d’ailleurs un petit festival du film sur le DIH : Even Wars Have Limits. En plus des capsules vidéo du CICR, qui sont disponibles en ligne[56], et d’une vaste sélection de documentaires[57], on peut utiliser des oeuvres de fiction, des films[58], par exemple le récent Zero Dark Thirty[59] pour aborder la « guerre contre le terrorisme », la torture ou les éliminations ciblées, et même des séries télévisées. Des extraits de Generation Kill[60] peuvent ainsi illustrer l’obligation de soigner les blessés, celle de retirer les restes explosifs de guerre d’un territoire contrôlé ou les difficultés d’interprétation de la notion de participation directe aux hostilités. Les étudiants sont en général très réceptifs à ces initiatives, qui renforcent leur intérêt pour la matière et permettent aussi d’incarner des idées qui, pour ceux n’ayant pas d’expérience de combat, restent très abstraites.

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Cette structure en trois couches (théorie, pratique, ressources complémentaires), qui s’appuie sur ces quelques ouvrages francophones récents, permet de bâtir un cours de DIH solide et à géométrie variable, c’est-à-dire dont le degré de complexité peut être adapté au niveau des étudiants. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le droit reste à la remorque de l’action — ce que comprennent très bien les étudiants, qui le jugent par rapport aux événements internationaux — et qu’il faut donc le confronter sans cesse aux plus récentes évolutions des conflits armés. Les livres de DIH sont au mieux les miroirs fidèles des consensus d’hier. Ils doivent donc être complétés d’un regard critique sur les actualités pour permettre d’imaginer ceux de demain.