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Présentation

Cet ouvrage intitulé Apprendre et enseigner en contexte d’alternance. Vers la définition d’un noyau conceptuel est le fruit d’une collaboration entre des auteurs belges, français, suisses et québécois qui s’intéressent à l’alternance dans les dispositifs de formation de divers champs professionnels. L’objectif commun de ces chercheurs est de faire émerger des concepts incontournables contribuant à la définition de l’alternance en contexte de formation; ont-ils réussi? Nous tentons d’apporter des éléments de réponse à cette question à travers ce manuscrit.

Précisons d’emblée qu’il s’agit d’un ouvrage qui est le résultat de travaux et de réflexions itératives et collectives sur la formation en alternance, partagés lors des rencontres du Réseau éducation et formation (REF, 2011, 2013, 2015). Les chapitres de l’ouvrage sont répartis en trois parties en fonction de leurs objets. La première partie, constituée de trois chapitres, aborde la question de la pratique réflexive en contexte d’alternance. La deuxième partie présente des usages atypiques de l’alternance dans différents dispositifs de formation, est constituée des chapitres 4, 5, 6 et 7. La troisième partie s’attarde à la collaboration en contexte d’alternance et la question des modes relationnels nécessaires; elle est composée des chapitres 8 et 9.

Le premier chapitre, rédigé par Chaubet, Correa Molina et Gervais, a pour but d’enrichir la réflexion sur les pratiques d’accompagnement réflexif concernant les expériences d’intervention vécues par des enseignants stagiaires québécois. Les auteurs présentent les moyens de faire réfléchir les stagiaires utilisés par des tuteurs (enseignants associés et superviseurs universitaires) ainsi que la nature des réflexions. Dans le deuxième chapitre, Malo s’intéresse à la contribution des interactions avec les différents acteurs du stage en enseignement aux apprentissages des stagiaires québécois. Des pistes de réflexion sont suggérées par l’auteure pour une meilleure conception de la formation en alternance afin de mieux arrimer les attentes de l’institution de formation et celles du contexte de travail.

Au troisième chapitre, Gagnon aborde l’alternance dans un contexte de formation en alternance travail-études (ATE) dans la formation professionnelle au secondaire, au Québec. L’auteure s’attarde principalement sur la fonction des superviseurs des élèves lors de la visite de supervision en milieu de travail. Au quatrième chapitre, Boudjaoui et Ibert présentent un dispositif d’alternance avec une configuration atypique qui alterne entre le milieu universitaire et le milieu des affaires avec un élément original: les incubateurs d’entreprise. Les chercheurs soulignent la différence entre l’alternance vécue et l’alternance prescrite dans ce dispositif, ainsi que le cheminement des étudiants dans la création de leurs projets d’entreprise. Toujours dans le contexte européen, cette fois en Suisse, dans le cinquième chapitre, Breithaupt et Clerc-Georgy étudient le phénomène de rupture qui s’opère entre l’appropriation de savoirs théoriques de référence et leur usage dans un programme de formation à l’enseignement préscolaire et primaire en alternance.

Dans l’étude de Masson, présentée au chapitre six, l’auteure explore l’alternance dans une formation professionnelle de production et de transformation du lait dans un lycée français. Elle démontre que les types d’activités (production de bien et construction de soi) proposés dans ce type de dispositif de formation pourraient donner le caractère d’alternance à celle-là. Le septième chapitre fait objet d’une étude menée par Françoise de Viron en Belgique francophone sur l’introduction possible d’un dispositif de master universitaire en alternance. L’auteure présente les perceptions et les représentations de ces acteurs par rapport à l’alternance ainsi que les modalités organisationnelles nécessaires pour instaurer ce dispositif de formation. Au huitième chapitre, Portelance et Caron étudient les points de vue de chacun des acteurs de la triade stagiaire-enseignant-superviseur par rapport au processus d’évaluation des stagiaires en enseignement au secondaire, au Québec. Selon les auteures, en contexte d’alternance, ce processus semble être un objet de tension en ce qui concerne les finalités et les objets de l’évaluation ainsi que les rôles des formateurs-évaluateurs. Toujours dans le contexte québécois, dans le neuvième chapitre, Leroux et Portelance enquêtent auprès des acteurs des milieux universitaires et des milieux professionnels afin de dresser un portrait des initiatives existantes dans ces deux milieux pour mieux préparer les étudiants à la transition vers l’insertion professionnelle. Dans leur texte, les auteurs proposent des pistes d’actions pour favoriser la collaboration entre les deux milieux et améliorer la transition vers l’insertion professionnelle dans un contexte d’alternance.

De façon originale, les auteurs des neuf chapitres de cet ouvrage ont situé leur article (les objets, contextes et orientations épistémologiques et méthodologiques de leurs travaux) sur un diagramme étoile de 12 axes récapitulatifs des éclairages et des concepts clés de la formation en alternance. Les principes qui ont présidé à la structuration de ce diagramme sont présentés dans l’introduction de l’ouvrage.

À la fin de chaque chapitre, un ou deux regards courts d’autres auteurs sont ajoutés afin d’apporter au lecteur un éclairage sur le contenu et/ou le lui faire apprécier sous d’autres angles. À la conclusion de cet ouvrage, une mise en contraste des matrices d’éclairages et concepts clés des différents auteurs est réalisée et les faits saillants communs sont discutés.

Point de vue

Cet ouvrage est pertinent pour tout lecteur (chercheur, formateur, gestionnaire, etc.) en quête de repères à la fois théoriques et pratiques sur l’alternance. Une de ses visées est de donner des outils permettant d’explorer les concepts mobilisés par la communauté scientifique afin d’étudier l’alternance dans une multiplicité de contextes qui la sous-tendent et de bénéficier de différents angles. En effet, chaque auteur apporte son point de vue et son éclairage sur l’alternance à la lumière de ses propres recherches s’inscrivant dans un contexte de formation atypique, que ce soit au Québec, en Belgique, en Suisse ou en France. En faisant état autant de résultats de recherches empiriques que de textes de réflexion, les chercheurs explicitent le sens qu’ils donnent au concept d’alternance, selon leur contexte. Bien que l’ouvrage regroupe plusieurs chercheurs oeuvrant dans contextes de formation différents, il est à noter que les textes faisant référence au contexte québécois (n = 5) et à la formation à l’enseignement (n = 5) sont significativement représentés.

Pour appréhender le concept d’alternance à travers la multiplicité de ses déterminants et manifestations, les directeurs de l’ouvrage ont tenté de créer une forme de théorisation ancrée des recherches constituant les chapitres du livre. Ils ont donc proposé de modéliser le concept d’alternance selon trois grandes dimensions: 1) le cadre; 2) les moyens; 3) les effets. Concernant le cadre, il s’agit de déterminer le niveau d’analyse de l’alternance (p. ex. macro ou politique, méso ou organisationnel, micro ou pédagogico-didactique), la nature de l’alternance (p. ex. juxtapositive, associative ou intégrative), les visées (p. ex. adaptabilité, employabilité, flexibilité…), les finalités sociales (p. ex. professionnalisation, autonomisation, mise en oeuvre ou développement de compétences) et les acteurs (p. ex. formateurs, accompagnateurs et stagiaires). Concernant les moyens, ils invitent à se pencher sur les dispositifs en tant que tels en considérant les éléments contextuels suivants: les prescriptions (référentiels), les intentions/cibles versus les pratiques, le ou les types d’accompagnement, le nombre de séquences et leur durée, les activités pédagogiques (contenus, savoirs mobilisés, etc.) et les modalités d’évaluation. Enfin, les effets de l’alternance renvoient notamment au vécu des acteurs ainsi qu’à leurs apprentissages respectifs, en matière de connaissances et de compétences développées.

Bien que les auteurs relatent au début de l’introduction la façon dont ils ont procédé pour élaborer ce modèle de référence, les opérations – ou démarches – suivies pour créer les schémas récapitulatifs (diagramme) de chaque chapitre auraient mérité d’être décrites de façon plus claire et explicite. En effet, certains questionnements subsistent quant à la façon dont les contributeurs ont procédé pour créer ce diagramme (un schéma), puisqu’aucun n’explicite leur démarche.

En ce qui a trait au contenu, d’abord, l’introduction et la conclusion du livre sont à notre avis moins accessibles à un vaste ensemble de lecteurs (notamment les professionnels) intervenant au sein des programmes de formation par alternance. L’explication de la modélisation proposée ainsi que la synthèse conceptuelle visuelle élaborée (diagramme) nous semblait complexe pour des néophytes de l’alternance. Ensuite, le lien qu’établissent les codirecteurs de cet ouvrage entre les trois premiers chapitres apparaît ténu. Nous avons également constaté que le regroupement des chapitres est plutôt teint par le contexte dans lequel les études sont menées. À cet égard, nous nous demandons dans quelle mesure les chapitres de l’ouvrage auraient pu être regroupés selon les schémas conceptuels qui coiffent chaque chapitre afin de, comme mentionné, «chercher le commun dans le différent», dans un exercice de comparaison-découverte, ce qui pourrait mener à la «production d’une théorie» sur l’alternance.

Alors, finalement ont-ils réussi leur pari de clarifier le concept d’alternance? On peut répondre globalement par l’affirmative. Compte tenu de la grande variété d’objets d’études, des contextes et des angles d’approche des différents collaborateurs de cet ouvrage, chaque chapitre amène sa contribution menant à la mise en évidence d’un noyau dur de concepts permettant de circonscrire l’alternance. Toutefois, un vaste chantier de recherches demeure pour étudier l’alternance en contexte de formation. Les auteurs expriment d’ailleurs combien «d’angles aveugles» il reste encore à éclairer. Cependant, plusieurs nouvelles pistes prometteuses de recherche sur l’alternance sont dégagées qui permettront assurément de poursuivre l’amélioration continue des dispositifs de formation professionnalisante.