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Ce petit livre est une invitation à prendre soin de soi, autant pour prévenir l'épuisement que pour le surmonter ; les deux facettes ont leur importance. Cet ouvrage, comme le souligne Diane Bernier dans l'introduction, a pour but d'amener le lecteur à examiner ses attentes et ses besoins liés au travail. Les auteures nous font vite découvrir, à travers une perspective contextuelle, que « l'épuisement est un phénomène global qui ne découle pas uniquement du travail » (p. 10).

Ce livre, ajoute Diane Bernier, « a le grand mérite d'être cohérent et de proposer des concepts qui servent de fil conducteur tout au long de la démarche » (p. vi). Car c'est une démarche de conscientisation et de maîtrise de son environnement que proposent Arcand et Brissette. Dix courts chapitres et leurs exercices, concis et explicites, nous y convient. La démarche, élaborée à partir d'expériences de consultation, fait référence « aux valeurs, aux croyances, au vécu émotif ainsi qu'aux besoins observés chez les travailleurs sociaux » (p. 2) et « s'applique tant à la prévention de l'épuisement qu'au recouvrement de l'énergie » (p. 2). Tout intervenant en relation d'aide profitera certainement d'une telle démarche.

Même si l'ouvrage est présenté sous forme de démarche de réflexion et se fonde sur le développement gradué de notions et d'attitudes, trois parties s'en dégagent. La première (chapitres 1 à 4) établit les bases conceptuelles de la démarche : l'énergie, les attentes et la motivation, le surinvestissement, la satisfaction des besoins. L'épuisement est présenté comme un phénomène relationnel où l'énergie vitale se perd chez celui ou celle qui veut porter le sort du monde. C'est aussi un phénomène global : il concerne toujours une personne et l'ensemble de sa vie (p. 53). La deuxième partie énonce les principaux éléments contribuant à prévenir ou à contrer l'épuisement. Enfin, la troisième partie traite de quelques composantes de l'environnement (l'équipe, l'organisation) intimement liées à ce phénomène.

Le premier chapitre renvoie d'emblée au principe maintes fois énoncé dans la formation et la pratique des travailleurs sociaux, à savoir que le premier instrument de travail d'un intervenant social, c'est lui-même. Ce principe est rappelé avec conviction. Certes, le travailleur social doit être « une bonne personne » pour pouvoir aider les autres... et voilà le mythe de la gratuité, du don de soi, de l'altruisme inconditionnel décrié. Intervenir dans des situations comportant de lourdes problématiques sociales, souvent avec et malgré d'importantes contraintes financières et organisationnelles, exige de l'énergie, le carburant de toute action. Le premier chapitre nous ramène donc à ce principe de l'énergie. Une énergie qui existe, à des niveaux divers selon les individus, qui s'épuise et qui se renouvelle si certaines conditions sont respectées. C'est à la découverte et au respect de ces conditions que nous sommes conviés ; les avenues du ressourcement sont multiples et diverses (p. 8).

Le deuxième chapitre aborde une question de fond : les attentes de l'intervenant social face à sa profession. Les auteures abordent successivement les notions de motifs (ce qui attire ou propulse), d'attentes (ce qui engendre un investissement), de retour (l'énergie qui nous revient après un investissement), pour faire comprendre comment la conjugaison de ces éléments est à la base du phénomène de l'énergie et comment ils sont reliés à la motivation ou à la démotivation.

Le troisième chapitre nous amène à considérer le surinvestissement à travers les pressions (socioéconomiques, émotives) rattachées au rôle d'intervenant social, pour amorcer une réflexion sur la culpabilité (ses effets, sa fonction, ses origines) et ses divers visages. Les auteures insistent sur la nécessité de tenir compte du contexte dans tous les domaines, pour apprendre à distinguer culpabilité et responsabilité (p. 33). La responsabilité des intervenants sociaux est de « trouver des réponses, mais sans être expressément tenus de les appliquer » (p. 35).

Avec le quatrième chapitre s'amorce le tournant vers le changement. Première étape, distinguer besoin, désir et caprice. Selon les auteures, « les besoins sont des éléments indispensables au maintien de l'équilibre physique et psychique » (p. 39) ; « chaque individu construit sa propre hiérarchie de besoins » (p. 43) et ceux-ci diffèrent donc d'un individu à l'autre et d'une étape de vie à une autre. Il faut d'abord les reconnaître, puis y répondre. « L'épuisement dans le sens de lassitude morale ou de brûlure interne a une composante émotionnelle très importante » (p. 48). Aussi les auteures insistent-elles sur la perception différenciée des trois A : les besoins d'Attention, d'Affection et d'Affiliation. Selon elles, cette grille permet « de mieux cibler nos interventions et nous rend plus facile la compréhension des différents scénarios de vie » (p. 45). Puisque nous investissons tous de l'énergie pour satisfaire ces besoins, le secret est de « toujours rester en lien avec l'adéquation besoin-réponse » (p. 48) : obtenir un retour (rétroaction) gratifiant et nourrissant pour nos investissements d'énergie.

Le cinquième chapitre nous amène au coeur du sujet : le pouvoir personnel et la liberté d'action. Le pouvoir personnel (empowerment) fait contrepoids à l'impuissance apprise et correspond à « la capacité qu'a tout être humain de diriger sa vie » (p. 56). D'autres auteurs entendent, par ces termes, l'autodétermination. De toute façon, ce qui est en jeu, c'est la perception que nous avons de notre marge de manoeuvre. Cette perception est tributaire du cadre d'exercice de notre profession (règles, directives, contraintes, normes, éthique, etc.) et de nos propres convictions quant à notre pouvoir personnel (champ, portée, étendue, etc.). Pour nous orienter, les auteures insistent sur « le pouvoir que nous nous accordons et celui qu'on nous laisse » (p. 59), sur la nécessité de « s'entourer de gens positifs et de belles choses » (p. 62), sur notre capacité de bouger à l'intérieur du cadre d'exercice de la profession ou de notre vie quotidienne. Enfin, elles nous invitent à la créativité, à « explorer des avenues nouvelles » (p. 68), à nous percevoir comme des personnes hardies, « des personnes engagées, qui ont le sentiment d'avoir du contrôle sur leur vie et qui voient les changements comme des défis, et non comme des menaces » (p. 70).

Le sixième chapitre, intitulé « Empêcher le surmenage : une question d'attitude », nous amène à faire un pas de plus en avant. Les auteures nous font comprendre comment « une attitude est la résultante de l'intention et de la disposition intérieure que nous entretenons à l'égard d'une chose, d'une personne ou d'une situation » (p.71) et combien notre état de santé, physique et mentale, est d'abord une question d'attitude. La protection de notre santé énergétique suit quatre principes énoncés par Alexander Lowen (1988) : respirer, s'exprimer, régler ses conflits, s'entourer de gens positifs et de belles choses. Le monde des émotions et des attitudes s'ouvre alors avec harmonie.

Au chapitre suivant, nous retrouvons l'essentiel du changement requis pour se remettre en forme : l'action. La nouveauté est source d'enthousiasme (p. 88) même si, parfois, elle peut s'avérer pénible ou difficile. La clé du succès : travailler sur son estime de soi, s'orienter différemment quant à son cadre de travail (y introduire des fantaisies), changer l'ordre de ses valeurs.

Le huitième chapitre encourage la protection du capital énergétique des intervenants engagés dans des équipes dysfonctionnelles (p. 113) en favorisant l'adoption de positions et d'attitudes nouvelles. Le chapitre recadre les répercussions du changement dans l'équipe, leurs effets sur les rôles, les règles et sur l'homéostasie. Diverses formes de violence psychologique au sein d'une équipe sont évoquées ; diverses stratégies de protection sont décrites.

L'avant-dernier chapitre aborde la question de l'organisation comme partenaire contribuant à l'épuisement ou à sa prévention. L'organisation représente le contexte du phénomène de l'épuisement. Selon les auteures, « l'épuisement est une faillite énergétique, dont la responsabilité se partage entre l'individu et son milieu » (p. 116). Elles invitent à bouger, car « ne pas pouvoir bouger crée le sentiment de ne pas avoir de pouvoir sur la situation et sur sa vie » (p. 120). « Pour prévenir l'usure, il faut réfléchir à son avenir dès l'obtention de son diplôme, puis continuer sa formation à bon escient » (p. 121). Cette démarche permet de maximiser son autonomie, sa mobilité, pour organiser son travail, etc.

Le dernier chapitre prend la forme d'une conclusion : reprendre le pouvoir sur sa vie. Les auteures illustrent combien il est difficile de négocier pour soi (charge émotive, valeurs personnelles, image projetée, etc.). Les principes majeurs de la négociation sont passés en revue : types de négociation, précision des attentes, contexte de la négociation...

En somme, les auteures basent leur message sur l'énoncé suivant : « le succès du traitement de même que la prévention de l'épuisement résident dans le changement » (p. 137). Bien que les principes d'une gestion plus adéquate du capital-santé soient expliqués, le message semble porter sur la prévention de l'épuisement plutôt que sur sa restauration. Deux ou trois autres remarques s'imposent. L'expression du message est simple et claire, faisant référence au quotidien des intervenants sociaux ; il s'agit là d'une force importante. Cependant, la structure interne de certains chapitres oblige parfois le lecteur à une gymnastique intellectuelle indue : des raccourcis semblent à la limite de contrevenir aux règles de la logique. Certains chapitres auraient bénéficié d'une introduction ou d'une conclusion plus explicites pour mieux faire ressortir le coeur du message. Enfin, quoique les citations soient explicites et généralement appropriées au contexte et aux buts poursuivis, les propos auraient eu avantage à être étayés de références plus récentes. De plus, la bibliographie est minimale. Néanmoins, cet ouvrage représente un superbe effort et vaut la peine d'être lu.