Abstracts
Résumé
L’article[1] présente le point de vue des responsables d’entreprises et organismes d’économie sociale à l’égard du Plan d’action d’économie sociale adopté lors du Sommet sur l’économie et l’emploi du Québec tenu en 1996. On y retrouve les faits saillants d’une recherche évaluative portant sur un échantillon de 365 entreprises qui oeuvrent dans différents secteurs tels les services de garde, l’aide à domicile, l’insertion sociale et professionnelle, l’aménagement forestier, les services funéraires et l’habitation, pour ne nommer que ceux-là. Il ressort des résultats que les entreprises et organismes de l’économie sociale ont généralement une perception positive des retombées du Plan d’action, mais ils sont déçus de certains aspects de leur mise en oeuvre, notamment l’incertitude quant à l’avenir des mesures, les exigences bureaucratiques et l’insuffisance du soutien financier.
Abstract
This paper deals with the social economy organizations’ perspectives of the governmental support approved at the time of The Quebec’s Summit on Economy and Employment in 1996. The data were gathered from an evaluative research based on a sample of 365 organizations working in various areas like day nursery, home services, social and professional integration, forestry, funeral services, housing and so forth. Results show that social economy organizations take the attitude that the governmental support have a positive impact, but they criticise its practice and more precisely its uncertainty for the future, its bureaucratic character and its low level of financial help.
Article body
Ce texte s’appuie sur les résultats d’une recherche évaluative[2] portant sur les effets du Plan d’action d’économie sociale adopté lors du Sommet sur l’économie et l’emploi du Québec en 1996 (Comeau et al., 2001). Ce Plan d’action[3], rappelons-le, visait à développer et à promouvoir l’économie sociale comme partie intégrante du développement social et économique du Québec. L’article présente le point de vue des organismes et des entreprises de l’économie sociale sur la contribution du Plan d’action à leur développement. Il traduit l’appréciation que les responsables des entreprises d’économie font des effets du Plan d’action d’économie sociale adopté lors du Sommet de 1996.
L’économie sociale et le Plan d’action
Il faut se rappeler que ce sommet se situe dans une conjoncture économique et sociale marquée par d’importants changements structurels dans le marché de l’emploi, par des problèmes de chômage et de pauvreté, par une réduction des dépenses dans les services publics et par une « vague » d’économie sociale dont l’impulsion a été donnée par la société civile à partir du milieu des années 1980. Ces phénomènes influencent le Plan d’action sous plusieurs aspects. Sur le plan économique, les récessions qui se sont succédé à partir du milieu des années 1970 (1973-1974, 1981-1982 et 1990-1992) imposent une situation de nécessité par la déstabilisation de la condition salariale et la déchirure sociale entre les « in » et les « out ». L’ampleur de la restructuration économique fait apparaître une société « en sablier » dans laquelle l’existence de la « classe moyenne » est menacée (Lipietz, 1998). Sur le plan politique, l’État manifeste une certaine ouverture à des moyens alternatifs à l’action centralisée, et morcelée dans de nombreux programmes, qui cible des populations précises et répond à une logique strictement financière. L’État souhaite associer à ses interventions les acteurs les plus actifs dans les milieux pour relever le défi de l’aggravation de la pauvreté dans certaines zones urbaines et dans les régions périphériques. Sur le plan social, les collectivités sont disposées à s’engager dans des activités d’économie sociale afin de répondre à des besoins particuliers (garde d’enfants, par exemple) et à des problèmes parfois aigus de chômage, de pauvreté et d’isolement relationnel, d’une part, et souhaite s’approprier sur le plan local les outils de développement, d’autre part.
Dans cette conjoncture, le concept d’économie sociale apparaît véritablement sur la scène publique lorsque les porte-parole de la marche « Du pain et des roses » avancent l’idée d’un modèle de développement égalitaire et redistributif qui reconnaît l’apport de l’économie sociale. C’est alors que le gouvernement du Québec reprend la notion d’économie sociale, qui circulait déjà dans quelques cercles universitaires, et forme un comité d’orientation et de concertation sur l’économie sociale et des comités régionaux. La première instance conseille le gouvernement et favorise la concertation entre les partenaires ; la seconde attribue, sur une base régionale, les fonds de financement aux projets. En prévision du Sommet sur l’économie et l’emploi (29 octobre au 1er novembre 1996) et à la suite de travaux du Comité d’orientation et de concertation sur l’économie sociale, différents documents de travail sont préparés pour conduire à la création du Groupe de travail sur l’économie sociale. Une douzaine de comités formés d’intervenants de différents secteurs d’activité sont également mis sur pied afin d’activer les réseaux et de repérer les projets potentiels. Parallèlement, des comités de travail se penchent sur l’élaboration de mécanismes de financement, de soutien et d’accompagnement. De cette démarche et des pourparlers lors du Sommet socioéconomique de 1996 résulte le Plan d’action d’économie sociale qui couvre plusieurs secteurs, notamment les services de garde, l’aide à domicile, l’emploi pour les personnes handicapées, les coupes d’éclaircies commerciales et l’aménagement forestier, les entreprises d’insertion, les coopératives funéraires, le logement, les ressourceries, le domaine pénal et les services en périnatalité.
La définition de l’économie sociale mise de l’avant lors du Sommet n’est pas étrangère à la tradition universitaire dans laquelle des auteurs désormais classiques (Desroche, 1983 ; Vienney, 1980, 1994) et d’autres plus récents (Laville, 1994 ; Defourny, 1992) proposent des critères pour reconnaître une initiative de l’économie sociale : le statut juridique, la présence d’une association, les valeurs et le projet de société (Lévesque et Ninacs, 1997). Dans le rapport Osons la solidarité !, qui a inspiré le Chantier de l’économie sociale[4] alors qu’il prenait en 1996 le relais du Groupe de travail sur l’économie sociale, l’économie sociale est vue comme l’ensemble des activités et des organismes, issus de l’entrepreneuriat collectif, qui s’ordonnent autour des principes et des règles de fonctionnement suivants :
l’entreprise de l’économie sociale a pour finalité de servir ses membres ou la collectivité plutôt que de simplement engendrer des profits et viser le rendement financier ;
elle a une autonomie de gestion par rapport à l’État ;
elle intègre dans ses statuts et ses façons de faire un processus de décision démocratique impliquant les usagers, les travailleuses et les travailleurs ;
elle défend la primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition de ses surplus et revenus ;
elle fonde ses activités sur les principes de la participation, de la prise en charge et de la responsabilité individuelles et collectives (Neamtan, 1996 : 6-7).
Cette définition appelle un certain nombre de commentaires. On reconnaît bien sûr l’influence de Defourny (1992) sur le plan des valeurs dans cette définition. Il s’agit également d’une conception qui retient l’idée d’entrepreneuriat collectif, car elle suppose que les entreprises de l’économie sociale occupent une place sur le marché, même si elles peuvent être engagées dans d’autres formes économiques (redistribution et réciprocité), comme le mentionne Laville (1994). Elle exprime, en outre, le résultat d’un débat tenu au sommet socioéconomique qui a recherché le consensus entre des acteurs.
Le cadre général de ce Plan d’action se présente comme l’articulation d’un ensemble de programmes et de fonds gouvernementaux[5] et non gouvernementaux (par exemple, le Réseau d’investissement social du Québec ou RISQ) qui se sont associés en vue de mettre sur pied des entreprises et organismes d’économie sociale. Ainsi, les mesures mises en place viennent s’ajouter à d’autres actions de soutien comme, par exemple, la Politique de soutien au développement local et régional adoptée en 1997 et plusieurs fonds locaux de capital de risque à but non lucratif (pour un aperçu des appuis, lire Comeau et al, 2001). Cette stratégie de développement s’est-elle révélée pertinente pour les entreprises ? Pour répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de l’examiner à la lumière des connaissances disponibles sur la naissance et le développement des entreprises de l’économie sociale. Cet exercice conduit d’abord à envisager le Plan d’action comme un phénomène parmi d’autres pouvant être favorables aux entreprises de l’économie sociale. Évidemment, on peut faire l’hypothèse que les secteurs d’activité qui ont été choisis l’ont été parce qu’ils sont dans un créneau prometteur en raison des possibilités du marché (Vachon, 1998 ; Defourny, 1994 ; Cornforth et al., 1988). De plus, le Plan d’action comporte au moins deux phénomènes importants au développement des organismes et entreprises d’économie, d’après les écrits : le soutien extérieur et le financement complémentaire. En revanche, le Plan d’action n’intervient pas directement sur certains phénomènes qui ont de l’influence sur le développement des entreprises, tels que la capacité d’adaptation, la prévision des revenus et des dépenses, l’ouverture d’esprit des dirigeants, les habiletés et l’engagement du personnel, la mise en réseau et la motivation à atteindre des objectifs soigneusement définis (Vachon, 1998 ; Defourny, 1994 ; Cornforth et al., 1988 ; Bhérer et Joyal, 1987). Ces mesures pour le développement des entreprises ou organismes de l’économie visent certaines difficultés bien connues en matière de financement, d’éducation coopérative, de formation à la gestion, de débouchés sur le marché, de formation aux techniques professionnelles, de participation et de contact avec d’autres initiatives de l’économie sociale (Lévesque et al., 1985).
En matière d’évaluation, l’économie sociale comporte une certaine complexité parce qu’elle combine une association et une entreprise dans une seule organisation (Vienney, 1994). Pour tenir compte de cette spécificité, trois dimensions sont incontournables dans l’évaluation des entreprises d’économie sociale : la dimension d’efficacité économique, la dimension d’utilité sociale et la dimension institutionnelle. L’efficacité économique touche la performance productrice des initiatives de l’économie sociale : l’emploi, les coûts, les bénéfices, la rentabilité et la performance relative au secteur d’activité font partie des principaux indicateurs. La dimension d’utilité sociale représente une valeur ajoutée caractéristique de l’économie sociale et se retrouve dans des indicateurs tels que les effets structurants, la mobilisation du milieu, les partenariats avec les autres acteurs sociaux, la politique d’équité et de redistribution, entre autres choses, et certains indicateurs économiques comme la création d’emplois. La dimension institutionnelle correspond à la structure du pouvoir et à la place faite aux différents acteurs (employés, usagers-consommateurs, société et public) dans les décisions. Ces dimensions peuvent être examinées de l’extérieur, à partir de données descriptives sur la situation des entreprises à différents moments dans le temps[6]. Mais elles peuvent également être étudiées à partir du point de vue des acteurs engagés dans les entreprises. C’est dans cette seconde voie que se situe le contenu de ce texte.
Méthodologie de la recherche
L’étude a été réalisée auprès de toutes les entreprises[7] qui, selon les informations transmises par les ministères concernés, avaient bénéficié d’une des mesures prévues au Plan d’action. Au départ, la population à l’étude était composée de 1183 entreprises. Les données ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire autoadministré qui était adressé à la direction de l’entreprise. Ce questionnaire comportait deux sections : une section sur la situation de l’entreprise en 1996 et la situation en 1999, sous différents aspects (ressources humaines, ressources financières, produits et services, modalités de gestion, etc.) et une section appréciative sur les effets du Plan d’action. Le contenu de cet article présente les données de cette deuxième section.
Au mois d’octobre 1999, l’équipe d’évaluation a procédé à l’envoi de questionnaires à 1 183 entreprises de l’économie sociale regroupées dans 12 secteurs[8]. Après plusieurs rappels, 365 questionnaires ont été retournés dûment remplis, pour un taux de réponse de 31,3 %. Toutefois, la proportion des entreprises qui ont retourné le questionnaire varie considérablement selon les secteurs, passant de 64,7 % dans le secteur des entreprises funéraires à 25,6 % dans le cas des CPE (Centres de la petite enfance), si on exclut les proportions extrêmes observées dans les secteurs qui comptent peu d’entreprises. Le tableau 1 présente la répartition des questionnaires envoyés et reçus selon les différents secteurs.
On observe un écart très marqué dans le nombre d’entreprises formant la population à l’étude selon les secteurs d’activité ; ainsi, les CPE constituent plus de 70 % des entreprises à l’étude. Même si le taux de réponse est plus faible dans ce secteur, les 206 CPE représentent 56,4 % des entreprises de l’échantillon. Au deuxième rang, on retrouve les SAD avec 59 répondants, c’est-à-dire 16,1 % de l’ensemble des répondants. Ces deux secteurs regroupent à eux seuls plus de 70 % des entreprises de notre échantillon. Puis les secteurs des CTA, des entreprises d’insertion et de l’habitation communautaire regroupent un pourcentage assez semblable d’entreprises, soit respectivement 5,7 %, 5,7 % et 5,4 %. Ensemble, ces trois secteurs représentent 16,8 % des répondants. Les coopératives funéraires (3 %), les organismes du secteur pénal (2,7 %) et les CEC (2,4 %) sont d’autres entreprises soutenues par le plan d’action. Les quatre autres secteurs comptent, quant à eux, moins de 1 % de l’ensemble des répondants. Une analyse des répondants en fonction de critères géographiques, sociaux et économiques, et de certaines caractéristiques spécifiques aux secteurs indique que cet échantillon[9] peut être considéré comme représentatif de l’ensemble de la population à l’étude. La figure 1 illustre la proportion de l’échantillon constituée par chaque secteur. Les questionnaires ont été complétés habituellement par une personne[10] assumant la responsabilité de direction générale (84 % des répondants) depuis six ans en moyenne et oeuvrant dans l’entreprise depuis huit ans en moyenne.
Au moment de l’analyse des données, pour éviter que la distribution des réponses soit trop influencée par les CPE qui représente plus de 50 % des répondants, un regroupement a été réalisé en s’appuyant sur une exploration du profil des entreprises sur quelques variables (le nombre d’employés, le nombre de bénévoles et les revenus). Cet exercice conduit à l’identification de quatre catégories de secteurs : les CPE (206 répondants), les SAD (59 répondants), les CTA-CEC (30 répondants) et la catégorie « Autres » (70 répondants) qui regroupe les coopératives funéraires, l’habitation communautaire, le secteur pénal, les CEC, les centres de ressources en périnatalité, la communautique, les journées de la culture et la sécurité-incendie. Les données ont donc été analysées en fonction de ces quatre secteurs. Par ailleurs, les tests non paramétriques ont été privilégiés en raison du petit nombre de répondants dans certains secteurs, de l’absence de distribution normale des réponses pour la plupart des variables et de la présence de scores extrêmes dans plusieurs secteurs[11].
Pour compléter les informations quantitatives recueillies par le questionnaire, des groupes de discussion regroupant les différentes catégories d’acteurs engagés dans les projets d’économie sociale ont été formés. Treize rencontres de groupe, dont deux à caractère territorial – dits « groupes régionaux » (un groupe de discussion à Montréal et un autre à Rimouski) – et onze groupes sectoriels, ont été tenues. Les rencontres, d’une durée d’environ deux heures et demie, ont réuni 46 personnes : 31 d’entre elles occupaient la fonction de directeur général, sept étaient agents de développement et huit étaient des employés ou des bénévoles.
L’appréciation des effets par les répondantes et répondants
Les répondants ont apprécié les effets du Plan d’action sur leur organisme à partir d’une grille comportant 22 énoncés (voir le tableau 2).
La figure 2 présente le score moyen normalisé (valeur entre 0 et 3) pour chacun des trois facteurs, selon les catégories de secteurs, à savoir les CPE, les SAD, les CTA-CEC et la catégorie « autres ».
On constate que, dans les CPE, les répondants sont moins enclins à indiquer que les mesures du Plan d’action ont eu un effet positif sur la réalisation de leur mission (p < 0,001) et sur le resserrement des liens avec la communauté (p < 0,01) ; les scores moyens normalisés à ces deux facteurs se situent respectivement à 1,10 et à 0,65, alors que dans les autres secteurs, ils se situent entre 1,63 et 1,86 sur la réalisation de la mission et entre 0,81 et 1,08 en ce qui a trait au resserrement des liens avec la communauté. Par ailleurs, il n’y a pas de différence en ce qui concerne l’amélioration des relations de travail.
L’appréciation des effets sur l’emploi
Le point de vue des répondants relativement à l’influence du Plan d’action sur la création et le maintien des emplois dans leur entreprise est très partagé, comme le montre la figure 3. À propos du maintien des emplois, cet effet s’est principalement fait sentir dans les entreprises regroupées dans la catégorie CTA-CEC (91,7 %) et dans les entreprises d’aide à domicile (77,6 %) ; il est moins fréquent dans les CPE (29,4 %). En ce qui regarde la création d’emplois, dans toutes les catégories de secteurs, une majorité de répondants estiment que les mesures de soutien ont eu un effet positif ; toutefois, comme pour le maintien des emplois, les répondants des entreprises de la catégorie CTA-CEC (97,7 %) et ceux oeuvrant dans l’aide à domicile (88,0 %) mentionnent davantage cet effet.
Par ailleurs, environ un répondant sur quatre indique que le Plan d’action a permis à son entreprise de transformer des emplois à temps partiel en emplois à temps complet, à l’exception de l’aide à domicile où cette proportion se situe à 41 %. Enfin, la transformation d’emplois contractuels en emplois réguliers correspond à une réalité qui est celle de 20 % des entreprises, et ce, quel que soit le secteur. En ce qui concerne le nombre d’emplois créés et le nombre d’emplois transformés de temps partiel à temps plein ou de contrat en emplois réguliers, les SAD et CTA-CEC viennent en première place. Toutefois, si l’on tient compte de la taille des entreprises, ce sont les SAD qui ont créé le plus d’emplois, viennent ensuite la catégorie « autres », les CTA-CEC et les CPE. Pour les emplois transformés, les SAD et les CPE obtiennent de meilleurs résultats. Le tableau 3 fournit le détail de ces informations.
En chiffres absolus, le nombre d’emplois maintenus est plus important dans les CTA-CEC (26,7 emplois maintenus) et les SAD (11,7 emplois maintenus) que dans la catégorie « autres » (3,3 emplois maintenus) et dans les CPE (2,8 emplois maintenus). La création d’emplois a été plus forte dans les SAD (15,3 emplois créés en moyenne), les CTA-CEC (11,9 emplois créés) que dans les CPE (2,4 emplois créés) et la catégorie « Autres » (2,3 emplois créés). En ce qui a trait à l’amélioration des emplois précaires (emplois à temps partiel et emplois contractuels), le classement en fonction du nombre d’emplois transformés apparaît semblable à celui des emplois créés : les SAD (3,5 emplois transformés) et les CTA-CEC (1,8 emploi transformé) viennent avant la catégorie « Autres » (0,6 emploi transformé) et les CPE (0,5 emploi transformé). Cette analyse permet de distinguer trois profils. Le premier, le type efficient, est associé aux SAD : on y trouve le plus grand nombre d’emplois créés, maintenus et transformés, à la fois en termes absolus et relatifs. Le deuxième, le type quantitatif, crée, maintient et transforme un nombre d’emplois dont l’importance relative est faible comparativement aux chiffres absolus ; c’est le cas de la catégorie CTA-CEC. Le troisième profil, nommé type consolidateur, correspond aux CPE et à la catégorie « autres » : il se caractérise par une performance dans la moyenne des entreprises en matière de maintien et d’amélioration des emplois.
Les éléments critiques
Pour compléter ce portrait des mesures de soutien à l’économie sociale mises en place dans le cadre du Plan d’action, les répondants étaient invités à répondre à une question ouverte leur demandant de nommer « l’élément le plus positif des mesures de soutien de l’économie sociale ». On observe une grande diversité dans les points de vue sur les éléments plus marquants. En fait, seulement quatre éléments sont mentionnés par plus de 10 % des répondants : la création ou le maintien d’emplois, l’insertion sur le marché du travail de personnes ayant besoin d’être soutenues, une meilleure réponse aux besoins de la population et la stabilisation de la situation financière des entreprises d’économie sociale. Par ailleurs, deux énoncés font l’objet d’une appréciation marquée dans certains secteurs. Il s’agit de l’intégration sur le marché du travail de personnes en besoin, qui se retrouve chez plus de la moitié (56,5 %) des répondants dans la catégorie CTA-CEC, et de la création ou du maintien d’emplois, énoncé qui est indiqué par plus du tiers (34,7 %) des répondants du secteur de l’aide à domicile. Les répondants ont également été invités à se prononcer sur « la principale faiblesse des mesures de soutien à l’économie sociale ». La réponse à cette question fait également ressortir une grande hétérogénéité dans les points de vue. Trois éléments sont mentionnés par au moins un répondant sur dix : l’incertitude quant à la prolongation des programmes mis en place (12,6 %), les exigences bureaucratiques dans la gestion des programmes (11,5 %) et l’insuffisance des sommes d’argent octroyées (10,0 %).
Les groupes de discussion ont également fourni des informations riches sur les éléments critiques du Plan d’action, mais elles peuvent difficilement être résumées en quelques phrases. De manière générale, les entreprises d’économie sociale doivent faire face à des contradictions lorsque sont mises en présence les logiques développementale, normative et bureaucratique, contradictions qui apparaissent plus difficiles à résoudre dans certains programmes et avec certaines agences gouvernementales. L’analyse qualitative a permis de cerner cinq principaux problèmes : 1) les inconsistances entre les objectifs d’économie visés par la centralisation et l’addition de normes gouvernementales, 2) les difficultés de la multiplicité des agences gouvernementales avec lesquelles les entreprises ont à traiter, 3) la complexité des exigences posées par certains programmes, notamment en habitation communautaire ; 4) l’insuffisance des sommes octroyées en particulier pour le développement et la gestion ; 5) l’incertitude, pour ne pas dire l’insécurité, qui résulte de l’avenir incertain des mesures annoncées.
Il ressort de ces données que, pour les répondants, le Plan d’action a favorisé une meilleure réalisation de la mission des entreprises (dans une moindre mesure pour les CPE), un resserrement des liens avec la communauté, une amélioration des conditions de travail, la création d’emplois (en particulier dans la catégorie CTA-CEC et le secteur SAD) et l’intégration au marché du travail (notamment dans la catégorie CTA-CEC). Ainsi, plusieurs répondants affirment que le Plan d’action a favorisé une meilleure réalisation de la mission de leur entreprise. L’adoption de mesures aussi spécifiques que le PEFSAD, la politique familiale, le Fonds de développement des coopératives funéraires et AccèsLogis a contribué à cet accroissement de biens et services. En outre, plusieurs nouvelles entreprises, dans l’aide à domicile principalement, mais également des entreprises d’insertion, des organismes d’habitation communautaire et des coopératives funéraires, ont été créées dans la foulée du Plan d’action, ce qui a également contribué à l’augmentation du volume de biens et de services offerts. Les répondants estiment que le Plan d’action a favorisé le resserrement des liens, d’une part, entre les entreprises d’économie sociale et, d’autre part, entre la communauté et ces entreprises, ce qui peut traduire une contribution à la mobilisation du milieu. Par ailleurs, les entreprises existantes auraient connu des améliorations de la qualité des emplois, au point de vue des conditions de travail et de la formation. Les données plus descriptives traduisent que les salaires ont effectivement augmenté entre 1996 et 1999, soit 13,8 % en moyenne et qu’il y a eu une augmentation de 50 %, pendant la même période, des montants consacrés à la formation et du nombre de personnes qui en ont bénéficié.
En ce qui a trait à la création d’emplois, l’appréciation de la contribution du Plan d’action est très variable d’un secteur à l’autre et elle fluctue selon les sources d’information utilisées. Cependant, une majorité de répondants estime que le Plan d’action a contribué à créer des emplois, principalement dans les entreprises des catégories CTA-CEC et SAD. Quant au nombre moyen d’emplois créés dans chaque entreprise, même si les informations varient selon qu’elles viennent des répondants ou des ministères, elles vont dans le même sens : plus d’emplois auraient été créés dans les entreprises appartenant aux catégories SAD et CTA-CEC que dans les CPE et les « autres » entreprises. En ce qui regarde l’insertion en emploi, le Plan d’action aurait contribué à une augmentation significative du nombre d’emplois dans les entreprises, particulièrement dans celles de la catégorie « autres ». La formation à l’emploi montre un bilan un peu plus positif. Il ressort des résultats qu’une augmentation de 50 % des sommes affectées à la formation et du nombre de personnes formées a été enregistrée. Aucune donnée ne permet à l’étude de faire des constats sur la réduction du travail souterrain. Même si le Plan d’action a engendré des retombées, en particulier sur les plans social et économique, et qu’il n’a pas eu d’effets contraires aux objectifs qu’il s’est fixés, il n’en demeure pas moins que les entreprises se sont heurtées à des difficultés et à des obstacles liés à la mise en oeuvre du Plan d’action. Ces difficultés peuvent être résumées en trois considérations : l’incertitude quant à l’avenir des mesures, les exigences bureaucratiques et l’insuffisance du soutien financier. Le problème des exigences bureaucratiques concerne notamment la centralisation dans la conception des programmes, l’addition de normes, la multiplicité des agences gouvernementales et la complexité des exigences posées par certains programmes. Les mesures comportent toutes des travers bureaucratiques qui semblent amplifiés dans certains secteurs tels les services de garde, l’aide à domicile et l’habitation communautaire, et dans les régions périphériques comme le Bas-Saint-Laurent où a eu lieu un groupe de discussion. Ces difficultés ont pour effet de retarder les projets, d’exiger plus d’efforts de la part des entrepreneurs, d’en décourager plusieurs et d’entraver des dynamiques de développement local.
Somme toute, les résultats de la recherche amènent à conclure au bien-fondé et à l’à-propos des mesures du Plan d’action pour une bonne partie des entreprises. Cependant, la mise en oeuvre de certaines mesures a créé des difficultés pour les entreprises. Ces problèmes constituent pour le gouvernement l’occasion d’explorer avec les entreprises de l’économie sociale d’autres modes d’appui à ces dernières autour des deux pistes suivantes. Premièrement, une nouvelle perspective du financement public à l’égard des entreprises de l’économie sociale devrait considérer la contribution particulière de ces entreprises à l’intérêt général. Deuxièmement, il faudrait que l’expertise des entreprises d’économie sociale soit davantage mise à profit, notamment dans un mécanisme de révision permanente des programmes gouvernementaux afin de permettre à ceux-ci de rendre compte de l’usage des fonds publics par des mécanismes souples et adaptés aux particularités de l’économie sociale.
Appendices
Notes
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[1]
Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’un appel d’offres du Conseil québécois de la recherche sociale, auquel étaient associés le Sommet du Québec et de la Jeunesse, le Chantier de l’économie sociale et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.
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[2]
Cette recherche résulte de l’appel d’offres lancé par le Conseil québécois de la recherche sociale en décembre 1998. Le rapport est disponible au Centre de recherches sur les services communautaires à l’Université Laval.
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[3]
C’est ainsi qu’est désigné dans l’ensemble du texte le Plan d’action d’économie sociale accepté lors du Sommet socioéconomique de 1996.
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[4]
Le Chantier de l’économie sociale est devenu en 1999 un organisme autonome faisant la promotion de l’économie sociale et regroupant au Québec diverses fédérations d’économie sociale, des centrales syndicales, des mouvements sociaux (femmes, coopération, écologie, communautaire), des organismes de développement et des comités régionaux d’économie sociale.
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[5]
Parmi les principales mesures gouvernementales, mentionnons la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde et le Programme d’exonération financière pour les services d’aide à domicile (PEFSAD).
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[6]
Le lecteur intéressé par ce type d’analyse pourra consulter le rapport de Comeau et al. (2001), L’économie sociale et le Plan d’action adopté lors du Sommet sur l’économie et l’emploi, Québec, CRSC, Université Laval et ÉNAP.
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[7]
Il faut préciser d’emblée que cinq secteurs ciblés par le Plan d’action de l’économie sociale ont été exclus, soit parce que les établissements regroupés étaient trop hétéroclites (« Fondation de la faune »), soit parce que les activités n’étaient pas encore démarrées au moment de l’enquête (« l’aménagement forestier », « Fermes Épillet », « Système intégré d’aide à la décision », « Usine de transformation »).
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[8]
Même si 1 183 questionnaires ont été envoyés au départ, 18 entreprises ont été par la suite retirées de la population à l’étude, soit les 15 ressourceries, qui au moment de la collecte des données n’avaient pas encore reçu les fonds pressentis, et les trois entreprises du secteur Boulot-dodo.
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[9]
Une réserve s’impose pour la catégorie « Autres » à cause des très faibles taux des répondants, surtout dans le secteur de l’habitation communautaire dont 12 des 20 entreprises sont en démarrage, et des particularités constatées dans le secteur pénal. Il est clair que, s’il y avait un biais dans la catégorie « Autres », il se ferait au détriment de ces deux secteurs. L’utilisation de la catégorie « Autres » est donc faite en conservant cette réserve à l’esprit.
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[10]
Tous secteurs confondus, les répondants sont majoritairement des femmes (71,6 %). Toutefois, il existe une certaine variabilité entre les secteurs. Les répondants des secteurs SAD, CPE et du domaine pénal sont en majorité des femmes, alors que les répondants masculins sont majoritaires dans les secteurs des coopératives funéraires, habitation communautaire et entreprises d’insertion.
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[11]
Le principal avantage des tests non paramétriques tient au fait qu’ils ne sont pas soumis à des conditions d’application aussi restrictives que les tests paramétriques en ce qui concerne la distribution des réponses ; ces tests sont plus sensibles aux médianes qu’aux moyennes (Howell, 1998 : 726).
Bibliographie
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