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Notre société fortement urbanisée doit de plus en plus affronter une série de risques urbains diversifiés qu’elle cherche à évaluer, à contrôler, voire à annihiler (Beck, 1992). Les événements terroristes du 11 septembre 2001 rappellent aux habitants des villes occidentales que l’insécurité urbaine est une réalité probable, aux lourdes conséquences. D’ailleurs, les médias de nouvelles en continu présentent quasi en temps réel les événements catastrophiques, les incidents criminels et les faits divers les plus dramatiques qui surviennent partout dans le monde, alimentant ainsi la nouvelle construction des risques urbains. Ces risques prennent souvent la figure des crimes et des actes de violence commis dans les espaces publics. Ils suscitent un sentiment d’insécurité dans la population et particulièrement chez certains groupes sociaux comme les femmes. Le sentiment d’insécurité n’est pas qu’une conséquence à l’incertitude et au danger de la violence et de la criminalité en ville ; il constitue une « grille de lecture de la société » et organise « une vision du monde » (Roché, 1993 : 19-20) qui se répercute dans les pratiques spatiales et sociales urbaines. La complexité du phénomène exige que l’on approfondisse les connaissances sur les facteurs d’insécurité favorisant la perception d’un risque d’être victime d’un acte de violence dans les espaces publics.

Dans cet article, nous examinerons le rapport entre la violence et le sentiment d’insécurité en milieu urbain. Nous présenterons les résultats d’une recherche portant sur le processus d’évaluation du risque pour la sécurité dans un lieu public urbain. Nous avons étudié comment se structurent les facteurs d’insécurité urbaine émanant de l’environnement physique et social des espaces publics pour orienter des travailleuses qui les empruntent quotidiennement dans l’évaluation de leur sécurité personnelle. Cet article expose le cadre théorique qui soutient le modèle proposé, les résultats de l’enquête et leur interprétation à la lumière d’une perspective multidisciplinaire.

La toile de fond conceptuelle

Le sentiment d’insécurité : au-delà de la peur de la criminalité

Le sentiment d’insécurité en ville est un phénomène associé à la crainte de la criminalité. C’est pourquoi les taux de criminalité ont continuellement été mis en relation avec le sentiment d’insécurité de la population afin de justifier le bien-fondé des programmes de sécurité ou au contraire juger la population qui aurait peur sans qu’il y ait un risque statistiquement valable. Toutefois, le sentiment d’insécurité de la population varie, en partie, de façon indépendante des taux de criminalité, comme l’ont montré plusieurs recherches (comme celles de Skogan, 1990, et de Hale, 1996). On obtient ce constat étonnant parce que le sentiment d’insécurité, le fear of crime, est un concept polysémique, comme le signale Brodeur (1993), qui regroupe des réalités qui dépassent les bornes de la peur de la criminalité.

La façon traditionnelle et disciplinaire de lier conceptuellement le sentiment d’insécurité et la criminalité cède le pas à une vision théorique plus large qui intègre les incivilités sociales et physiques. Les incivilités (par exemple le vandalisme, l’intimidation des passants, la consommation visible de drogues) constituent une source appréciable d’insécurité parce qu’elles sont perçues comme un indice menaçant (Wilson et Kelling, 1982 ; La Grange, Ferraro et Supancic, 1992). Les incivilités, bien qu’ayant des liens de parenté avec la criminalité et la délinquance, constituent des symboles de désorganisation sociale et d’affaiblissement des normes communément acceptées comme des conditions du vivre-ensemble collectif (Roché, 2002). L’augmentation en visibilité et en fréquence de ces signes incite les résidants à perdre confiance dans le voisinage et à désinvestir psychologiquement du quartier (Skogan, 1990).

Le sentiment d’insécurité face à la violence

Les travaux de chercheuses féministes comme Pain (1991), Stanko (1990), Gordon et Riger (1989) ont permis de constater la grande diversité des situations d’intimidation et de violence, se déroulant souvent dans la vie quotidienne, qui suscitent un sentiment d’insécurité chez les femmes. Produits des rapports sociaux de genre, ces actes s’intègrent dans un continuum de violence et y varient en nature et en gravité, malgré un objectif similaire de contrôle et de domination. Ils concourent à l’insécurité générale des femmes (Turgeon et Rinfret-Raynor, 1993). La prise en compte des actes relevant du continuum de violence peut apporter une contribution fructueuse à la conceptualisation du sentiment d’insécurité. Les actes criminels contre la personne, la plupart des incivilités sociales et les actes d’intimidation et d’agression dans les espaces publics partagent une base commune. Finalement, ce dont ont peur les femmes et les hommes dans les espaces publics lors de situations dites insécurisantes, c’est d’être victimes de violence ou, dans une moindre mesure, être témoins d’actes de violence. C’est pourquoi il est nécessaire d’ajouter aux objets du sentiment d’insécurité en ville la notion d’interaction à potentiel de violence. Les interactions à potentiel de violence qui surviennent dans les espaces publics possèdent des traits communs avec la violence interpersonnelle. Ainsi, des interactions dans les espaces urbains sont à potentiel de violence parce qu’on y perçoit la menace d’une attaque à l’intégrité physique ou psychologique d’un des protagonistes, entraînant des conséquences négatives pour cette victime. De plus, chez le protagoniste agresseur, il y a l’intention d’altérer, de détruire, de rabaisser, de contraindre afin d’avoir un gain et de se placer en position dominante (Jauvin, 2003), ce qui peut aussi correspondre à l’objectif d’un acte de violence hétérodirigée dans l’espace public.

L’évaluation du risque dans les espaces publics

Nous avons voulu étudier comment se construit le sentiment d’insécurité par rapport à des actes de violence en ville. La relation entre la perception du risque face à certaines offenses criminelles et la peur que ces actes inspirent a déjà été étudiée (Warr, 1987). Les auteurs concluent que la probabilité perçue d’être victime d’un crime et la gravité des conséquences de ce crime orientent l’évaluation d’une situation et le sentiment d’insécurité qui y est associé. Cela expliquerait pourquoi certains groupes sont plus sensibles à l’insécurité, comme les aînés qui craignent les attaques entraînant des blessures et une longue convalescence, de même que les femmes qui redoutent les agressions sexuelles.

Pour cette recherche, nous avons postulé que le sentiment d’insécurité ne provient pas seulement du risque perçu d’être victime d’un crime, d’une incivilité ou de tout autre acte de violence, porteur de conséquences. Le cadre bâti et le milieu social contribuent aussi à la production du sentiment d’insécurité par les facteurs de risque qu’ils comportent. Ainsi, dans le cadre de cette recherche, nous avons élaboré la définition opérationnelle suivante : le sentiment d’insécurité est l’appréhension d’être victime d’un acte défini comme criminel ou non, le plus souvent un acte avec violence contre son intégrité personnelle. Cette crainte, influencée par le contexte macrosocial et les conditions de l’environnement physique et social, provient d’une certaine évaluation personnelle du risque (ÉPR) et peut s’accompagner d’anxiété ou de peur et de certains comportements de protection ou d’évitement, individuel et collectif.

Le milieu bâti et les occasions de violence

Certains lieux publics urbains sont plus susceptibles d’être criminogènes en raison de leur configuration architecturale et urbanistique qui facilite les occasions d’actes incivils et violents (Clarke et Mayhew, 1980). Ces caractéristiques de l’environnement physique constituent des signaux qui sont captés par les agresseurs, mais aussi par les victimes potentielles pour les renseigner sur la faisabilité d’un comportement déviant dans ce lieu donné (Brantingham et Brantingham, 1981). Wekerle et Whitzman (1995) ont identifié l’éclairage, la signalisation et l’achalandage comme des principes de l’aménagement sécuritaire du point de vue des femmes qui réduisent les actes de violence et augmentent le sentiment de sécurité dans l’espace public.

L’évaluation des facteurs d’insécurité : un modèle théorique à développer

En dépit du fait que la plupart des facteurs d’insécurité urbaine ont été mis en lumière par des recherches depuis les trente dernières années (voir par exemple les revues de littérature de Martel, 1999, et de Hale, 1996), on a peu analysé leur arrimage dynamique selon une perspective personnes-environnement urbain. Ainsi, on sait peu de chose sur la façon dont s’orchestrent les facteurs d’insécurité sociaux et situationnels perçus, ni comment ces perceptions de l’environnement urbain contribuent à l’évaluation du risque effectuée par les individus dans les lieux publics. Cette recherche vise à éclaircir cet aspect plus méconnu. L’hypothèse de départ est que c’est à l’aide d’informations spécifiques sur un espace public urbain que les individus analysent cet environnement et évaluent le risque d’y être victime d’un acte agressif. L’ensemble de ce processus peut être suivi d’une réaction d’insécurité (émotions, comportements, renforcement des représentations sociales et des croyances) en fonction des conclusions de cette évaluation. Ce modèle d’évaluation du risque est cognitiviste et s’inscrit dans une vision interactionniste des rapports que les membres d’une société entretiennent entre eux et avec le milieu bâti dans lequel ils prennent place.

Selon le modèle étudié dans cette recherche, les indices de l’environnement externe perçus par les individus sont organisés selon de larges catégories d’informations, permettant ainsi une évaluation subjective du risque. La première dimension, celle des générateurs microsociaux de l’insécurité, est constituée par les activités qui se déroulent dans un endroit donné et par les personnes qui y participent. Le deuxième pôle est composé par la présence de témoins ou d’aide potentielle dans un lieu public. Les témoins contribuent à atténuer le risque d’un acte violent comme le montrent Shotland et Goodstein (1984) avec leur typologie des types de réactions d’aide qui varient en fonction des actions criminelles, des facteurs situationnels et personnels. Le troisième pôle, celui du milieu bâti, est formé par le lieu lui-même, en tant qu’assemblage de structures physiques présentant des caractéristiques architecturales et urbanistiques (par exemple, l’éclairage déficient et le mauvais entretien d’un lieu public). Cette évaluation du risque faite par les individus n’est pas à dissocier d’un contexte macrosociologique qui peut l’influencer (tel que les rapports sociaux de genre, le discours médiatique sur les femmes, les jeunes et la violence, l’intégration sociale des minorités).

Méthodologie

La provenance géographique des répondantes

Les personnes interrogées dans cette recherche travaillent à Montréal dans deux territoires très contrastés démographiquement, économiquement et urbanistiquement. Le premier secteur d’étude est le centre-ville est de Montréal. Il correspond au territoire de service du CLSC des Faubourgs. Ce territoire de 45 365 habitants (Statistique Canada, 2001) comprend des fonctions urbaines typiques d’un centre-ville couplées à des secteurs à dominance résidentielle de forte densité. Plusieurs secteurs et lieux publics sont physiquement dégradés. Le taux de criminalité est élevé (Service de police de la Ville de Montréal, 2000). Par ailleurs, des personnes de catégories sociales diverses y habitent ou fréquentent ses principaux lieux pour des activités professionnelles et sociales multiples. Bien que l’analyse socioéconomique de la population montre que le phénomène de gentrification est grandissant, dans l’ensemble, le territoire connaît un degré élevé de défavorisation avec une proportion non négligeable de personnes en situation d’exclusion sociale, aux prises avec des problèmes sociaux et médicaux importants.

L’autre secteur d’étude est Pointe-aux-Trembles sur le territoire du CLSC Octave-Roussin. Il s’agit d’un large territoire urbain périphérique situé à l’extrémité est de l’île de Montréal et qui accueille 53 065 résidants. Il possède, de façon globale, les caractéristiques d’une banlieue, soit la division des fonctions urbaines en aires spatiales bien délimitées, une certaine homogénéité sociale et une forte proportion de propriétaires résidants. Le taux de criminalité est faible. Le territoire possède quelques secteurs à dominance industrielle, dont certains s’harmonisent mal avec le reste du milieu bâti et sont dégradés.

L’échantillon

Des entrevues semi-dirigées d’environ une heure ont été réalisées à l’hiver 2000 auprès de 51 travailleuses et travailleurs dans deux CLSC (centres locaux de services communautaires) couvrant les territoires à l’étude. Il s’agit d’entrevues auprès du personnel se déplaçant régulièrement à l’extérieur du CLSC pour fournir les services à des clientèles variées. Cette étude traite essentiellement des situations de violence et d’insécurité lors des déplacements, mais elle a été réalisée dans le cadre d’un programme de recherche plus large sur la violence au travail (Kane, Paquin et Fontaine, 2002) qui, en raison du matériel de recherche trop volumineux, ne sera pas abordé ici. Dans l’échantillon, 31 personnes travaillent au centre-ville et 20 personnes sur le territoire de banlieue. La majorité de l’échantillon est composée de femmes et le fait qu’il y ait huit hommes s’explique par leur sous-représentation dans les services sociaux. En raison de ce rapport numérique inégal, nous ne ferons pas de comparaisons systématiques intergenre. Toutefois, nous soulignerons quelques différences qui se démarquent de façon notable.

Selon les données obtenues avec un court questionnaire administré au début des entrevues, l’âge moyen des femmes et des hommes de l’échantillon est de 42 ans. Plus de 40 % des sujets ont au moins trois ans d’expérience à ce CLSC et la grande majorité des sujets se disent assez familiers avec le quartier. De plus, le lieu de résidence a aussi été considéré, car habiter dans un environnement urbain très différent de celui du territoire de travail pourrait amplifier l’insécurité des sujets. Dans l’échantillon du territoire central, un seul sujet réside près de son lieu de travail, neuf de ses collègues habitent dans une banlieue à l’extérieur de l’île de Montréal tandis que les autres résident sur l’île de Montréal, la plupart dans des quartiers centraux. Pour le CLSC de banlieue, 19 personnes sur 20 habitent sur le territoire de travail ou dans une autre banlieue. Ainsi, malgré les relatives similitudes entre les lieux de résidence et de travail, il reste possible, surtout au centre-ville est, que les perceptions des répondantes soient teintées par leur classe sociale dont le lieu de résidence et la catégorie professionnelle constituent des indicateurs. Cela accentuerait la confrontation de normes concurrentes entre celles associées à la classe moyenne, la classe sociale de nos répondantes et celle des segments plus marginalisés de la population rencontrée dans les lieux publics. En revanche, ce sont aussi des professionnelles de la santé qui ont des connaissances sur ces groupes et qui ont l’habitude de ce travail sur ce territoire.

Le personnel qui a participé à l’enquête se déplace à pied, en transport en commun ou, pour quelques-uns travaillant principalement sur le territoire de banlieue, avec leur propre voiture. Comme mesure de prévention, l’employeur, à l’époque de cette recherche, fournissait aux employés des téléavertisseurs de même que des coupons de taxi pour les déplacements le soir.

Afin de vérifier notre hypothèse sur l’évaluation du risque pour la sécurité personnelle, les répondants hommes et femmes ont été interrogés sur des événements insécurisants vécus lors de leurs déplacements dans le quartier de travail de même que sur leurs perceptions des lieux publics.

Les résultats

Des événements jugés selon trois pôles

Sur les 51 personnes interrogées, 21 sujets ont vécu des situations insécurisantes (deux sujets du centre-ville est en ont mentionné deux) pour un total de 23 événements insécurisants rapportés, soit 19 pour le centre-ville est et 4 pour le quartier de banlieue. Le quart représente une situation où il n’y a pas eu de contact verbal ou physique direct, mais où les sujets ont ressenti de la crainte en raison du comportement anticipé ou de l’intoxication présumée d’inconnus, tandis que les autres incidents sont constitués par des agressions verbales (insultes, menaces, intimidation) ou de l’intimidation sexuelle (six cas, dont trois en banlieue). Un peu plus du quart des incidents comportait une agression physique « mineure » par des inconnus dans un lieu public du territoire central (par exemple le bras saisi avec force, être frappé avec des objets un peu durs).

De façon générale, le modèle théorique se trouve appuyé par les résultats (voir la schématisation à la figure 1). Le cas suivant est tiré du matériel d’entrevues et illustre concrètement cette évaluation du risque à la base du sentiment d’insécurité dans les lieux publics. Il s’agit d’une situation sans agression physique ou verbale : (résumé situation 11, entrevue F-00-13) une travailleuse du territoire central circule, le jour, sur une rue commerçante importante disposant d’un achalandage régulier malgré des activités de prostitution localisées. Le milieu bâti (pôle bâti) est un peu dégradé et des bâtiments sont vacants, placardés ou amplement marqués par des graffitis. En regardant la travailleuse avec insistance, deux petits groupes de jeunes hommes se font des signes de chaque côté de la rue (pôle générateurs microsociaux). La femme est en alerte, car elle soupçonne avoir été ciblée par ces jeunes qui semblent prêts à un acte agressif contre elle. La travailleuse pense que, théoriquement, sa capacité à se défendre en cas d’agression individuelle est relativement bonne (pôle individu et facteurs personnels), mais il s’agit ici d’un groupe. Elle évalue la situation et regarde autour pour voir ce qui s’offre à elle. Une petite épicerie est ouverte et la travailleuse y entre pour chercher de l’aide (pôle aide-témoin). Elle s’y réfugie pour reprendre son calme et avoir directement de l’aide si la menace se maintenait. Les deux petits groupes ont continué leur chemin et elle ne les a plus revus.

Figure 1

Schématisation du modèle d’évaluation personnelle du risque (ÉPR) et synthèse des observations empiriques

Schématisation du modèle d’évaluation personnelle du risque (ÉPR) et synthèse des observations empiriques

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Les générateurs microsociaux de l’insécurité

Les protagonistes se révèlent un facteur primordial dans la situation d’insécurité et l’évaluation qui en est faite. Une observation attentive des signaux qui mettent en alerte est le début du processus d’évaluation. Selon certains sujets :

Je vais être portée à regarder son attitude, si la personne aborde les gens, comment elle est. Je vais observer quelle attitude ou quel comportement elle a, pour évaluer si je suis à risque d’être interpellée ou impliquée dans quelque chose que je n’ai pas envie d’être impliquée (Entrevue F-99-25).

On va regarder la personne, on va tenter d’identifier c’est quoi la situation. Est-ce quelqu’un qui est intoxiqué, un vendeur de drogues, quelqu’un avec des problèmes de santé mentale ? Tsé… parce que le plus vite que je vais faire une évaluation de la situation, mieux que je vais être pour me positionner au besoin sur ce que je dois faire (Entrevue F-99-17).

Les usagers de l’espace public qui rendent méfiantes les personnes interrogées ou avec qui elles ont vécu une situation insécurisante peuvent se classer dans deux grandes catégories. Ce sont des hommes, sans caractéristique spéciale apparente, sauf l’intoxication à l’alcool pour certains, qui ont manifesté des comportements d’intimidation sexuelle envers les répondantes. Ou bien ce sont des personnes pratiquant des activités criminelles apparentes (avec toute la subjectivité et la relativité qu’une telle représentation sociale comporte), des personnes intoxiquées à l’alcool ou la drogue et des personnes manifestant des problèmes de désorganisation mentale. Ce sont, la majorité du temps, des hommes, quelquefois en groupe. Souvent, ils ont attiré l’attention des travailleuses par de la sollicitation monétaire intensive ou par leur groupement ou en les abordant directement. On dénombre aussi cinq incidents mettant en scène des femmes, seules et délirantes.

Sur le territoire de banlieue, la fréquence des situations et leur diversité sont limitées. Dans trois cas, il s’agit d’incidents à caractère sexuel impliquant des hommes ayant consommé de l’alcool, voisins d’une bénéficiaire à visiter, ou d’hommes qui ont suivi avec insistance des travailleuses dans leurs déplacements. Toutefois, dans le territoire central, les situations sont plus variées. Bien que l’on retrouve des comportements d’intimidation sexuelle et des agressions physiques, ce qui se démarque dans le discours des sujets, ce sont les comportements agressifs, déviants à une norme communément acceptée de même que l’apparente désorganisation psychologique ou sociale des protagonistes insécurisants. Dans 9 cas sur 19, ces derniers présentent de forts symptômes de désorganisation psychologique ou physique (yeux vitreux, parle tout seul, mal habillé, etc.). L’analyse des verbatim montre que l’incertitude quant aux comportements de certains usagers favorise l’inquiétude. Le cas type est illustré par les personnes exprimant leur marginalité dans l’espace public, souvent en situation d’exclusion sociale, et qui peuvent agir de façon imprévisible, quelquefois avec agressivité, et selon des valeurs et des modes de vie différents, voire contraires, à ce qui prévaut dans la société. De plus, globalement, ces personnes sont vues comme étant dans le besoin et peuvent donc réagir avec violence, pour se procurer de l’argent ou par exaspération de leur situation. Conséquemment, les travailleuses et travailleurs interrogés s’en méfient. Voici ce qu’en disent quelques personnes lors des entrevues.

Ouais, ça m’est arrivé sur Sainte-Catherine là. Des fois ! j’te dis ! Un exemple très concret ! Un moment donné, il y avait un gars qui était sur la rue pis pas de chemise sur le dos, là, le visage tout en sang pis qui criait d’un bord pis de l’autre : « j’veux de l’argent, j’veux de l’argent ». Y quêtait tout le monde. Tu te dis « Wo », qu’est-ce qui va arriver, y vas-tu... y vas-tu te sauter dessus ? Pis t’sé, tu vois quasiment un fou. Ça, c’est un fait vécu là t’sé, j’ai eu ça ! (Entrevue M-00-5.)

La sollicitation pour de l’argent, c’est insécurisant, je trouve. Tu sais pas ce qui se cache derrière. Je comprends qu’il a besoin d’argent, mais tu sais pas quels moyens il a pris pour être capable d’aller quêter. Parce que tsé, c’est pas drôle de quêter dans le fond. Faque tu sais pas si… C’est ça qui me fait peur. Je me dis qu’il quête ! Bon, on peut dire oui ou on peut dire non, mais tsé quand... t’es la vingtième dans la journée qui lui dit non… Pis qu’il pogne une rage pis qu’il vient de se piquer ou je sais pas quoi… J’aime pas ben ça, moi ! (Entrevue F-99-15.)

Il est à noter, et plusieurs répondantes ont pris le soin de nous le dire, qu’il faut éviter de généraliser certains incidents, certains préjugés à un groupe social en particulier, à toutes les personnes marginalisées par exemple. Toutefois, les nuances dans les représentations sociales de la marginalité ne sont pas toujours présentes et les groupes sociaux et les comportements sont souvent amalgamés. Ces représentations stéréotypées permettent de « lire » rapidement le milieu urbain, mais nuisent à une meilleure compréhension réciproque des acteurs en présence. Il est à noter que les travailleuses et travailleurs oeuvrant auprès des personnes itinérantes ou en urgence psychosociale adhèrent nettement moins à ces stéréotypes. De plus, selon les dires d’une intervenante, elles sont connues du monde de la rue, ce qui leur assurerait une certaine protection.

De cette analyse, il faut principalement retenir que l’imprévisibilité augmente la perception d’un risque et le sentiment d’insécurité. Cette imprévisibilité est, entre autres, personnifiée par le cas type des marginaux, qui font figure d’emblème, fort possiblement parce qu’ils constituent des exemples faciles de cette imprévisibilité. Leurs pratiques de socialisation dans l’espace public peuvent être perçues comme une menace, une intimidation, bien que ces usagers ne posent pas forcément des actes criminels ou n’ont pas de conduite violente. D’ailleurs, on constate que ce ne sont pas les individus comme tels qui font peur, mais plutôt le registre imprévisible de leurs comportements. Souvent, la seule anticipation d’un comportement violent est une condition suffisante pour alimenter l’évaluation subjective d’un risque. C’est pourquoi il nous semble pertinent de parler de situation à potentiel de violence où la notion de construction sociale devient aussi importante que la situation de violence comme telle. L’ÉPR n’est pas une évaluation objective dont les prédictions se réalisent à tout coup. Néanmoins, elle oriente les émotions et les comportements des sujets qui la font. La croyance en cette imprévisibilité et, de façon plus globale, cette méconnaissance de l’Autre sont en grande partie liées aux différences apparentes des groupes sociaux dans l’espace urbain. Le phénomène de l’insécurité urbaine dans les lieux publics peut rendre invisibles d’autres phénomènes. Certains espaces publics constituent des lieux d’appartenance et de sociabilité pour les marginaux et les jeunes de la rue qui les fréquentent (Parazelli, 2004). Il peut en résulter des conflits de cohabitation spatiale, où la question de la sécurité urbaine devient un prétexte et une finalité.

L’aide possible ou les témoins

Selon notre hypothèse de départ, la présence de témoins ou d’aide potentielle dans un lieu public constitue le deuxième pôle d’informations « sensibles » pour évaluer le risque que représente une situation, à un moment et dans un lieu. Les analyses des entrevues montrent que le pôle d’aide est un concept émergent plus important que prévu. Ainsi, afin de bien évaluer la situation qui les met en alerte, les travailleuses doivent connaître les ressources à proximité qui peuvent être mobilisées pour augmenter la sécurité. Dans l’échantillon total, la moitié des expériences insécurisantes sont survenues dans des endroits publics où aucune aide n’était disponible et où le sujet était seul (p. ex., l’événement se déroule sans témoin dans un lieu isolé, tôt le matin ou devant des commerces fermés). Il s’agit de 40 % des situations avec agression et d’au moins 50 % des situations insécurisantes (sans agression formelle).

La possibilité d’obtenir de l’aide auprès des commerçants est perçue comme étant plus fiable (refuge, aide directe, possibilité de téléphoner) et constitue un premier choix en cas de problème. Les téléphones publics ou cellulaires, en tant que moyen de communication pour des appels à l’aide, peuvent aussi constituer des moyens de protection. D’ailleurs, plusieurs travailleuses emportent avec elle leur téléphone cellulaire personnel.

Les témoins peuvent, par leur seule présence, avoir un effet dissuasif sur les incivilités et les crimes comme le postulent les approches de prévention situationnelle en prévention du crime (voir notamment Clarke, 1983). De plus, les passants forment des regroupements auxquels une personne seule peut se joindre momentanément pour se défiler. Des répondantes mentionnent qu’elles veulent éviter de rester seules face à un individu qui leur semble louche, ce qui constituerait un facteur aggravant et rendrait une situation plus propice à de la violence. Paradoxalement, dans le centre-ville est, près de la moitié des incidents insécurisants se sont produits sur les deux rues les plus commerçantes du territoire central (rues Ontario et Sainte-Catherine), donc disposant d’un achalandage régulier. Une analyse urbanistique de ces deux rues indique qu’on y retrouve de nombreux restaurants et des commerces axés sur les loisirs pour adultes qui attirent une grande affluence de personnes diversifiées, en transit, profitant, dans un anonymat relatif, de la densité des activités. Ces deux rues commerciales sont aussi très fréquentées par des segments de population en situation d’exclusion sociale extrême. Selon les personnes interrogées, les témoins sur ces rues peuvent être indifférents à la situation (ce qui est arrivé dans quelques cas). À ce sujet, Latané et Darley (1970) ont montré que lorsqu’il y a plusieurs témoins, la responsabilité de porter secours à une victime est diluée. Cette affluence perçue comme peu aidante dans le centre-ville est s’explique aussi par l’hétérogénéité des usagers, qui ont des intérêts et des modes de vie différents, souvent difficiles à concilier. Cela a comme effet d’atténuer les liens sociaux de confiance et le sentiment de responsabilité envers les autres (caring) dans les lieux publics. Cette méfiance et ces doutes sur l’aide disponible dans les lieux publics du centre-ville est est étendue aux habitants du quartier. Ainsi, l’appréhension de rencontrer en cas de problème des résidants indifférents à leur milieu ou mal intentionnés accentue la difficulté à faire confiance à l’environnement social et communautaire. Les expériences des travailleuses ou de leurs collègues sur le territoire, les témoignages des bénéficiaires soignés contribuent à étayer cette croyance.

Le regard est différent, presque simplificateur, dans le quartier de banlieue. L’aide serait disponible un peu partout, même des passants et des résidants. De l’analyse des entrevues se dégage l’idée que l’homogénéité socioéconomique et le mode de vie familial de la banlieue favorisent la responsabilité des résidants envers leur milieu et donc leur capacité d’aider lors d’une situation présentant un danger. Il s’agit avant tout d’une représentation sociale, car aucune répondante n’a eu à demander de l’aide chez des résidants de la banlieue ou même des passants.

La qualité et l’efficacité de l’aide disponible à proximité constituent donc une condition de base pour que ce facteur de protection puisse jouer un rôle atténuateur du sentiment d’insécurité. Nous en concluons que dans les espaces publics où il semble plus difficile et incertain de mobiliser les ressources d’aide, la personne doit se fier à ses seules ressources, ce qui peut accentuer son sentiment d’insécurité lors d’une situation à potentiel de violence.

Le pôle du milieu bâti

La troisième dimension du patron d’organisation de l’information servant à alimenter l’ÉPR d’une personne dans un espace public est le lieu lui-même et ses caractéristiques. L’analyse des données montre que ces endroits sont jugés à risque parce que les lacunes de certains éléments urbanistiques et architecturaux ne sont pas suffisamment contrebalancées par les autres ressources de l’environnement. Cet extrait d’une entrevue dans le territoire de banlieue l’illustre bien.

Surtout, ce qui était le plus effrayant, c’était qu’il était genre 18 h 30 le soir, il faisait noir, j’étais toute seule, les autres maisons à côté étaient très éloignées, je pense que c’était un garage sur un coin de rue. Puis, en avant, c’était le chemin de fer, il n’y avait pas de lumière sur la rue, faque j’étais cuit. C’est sûr qu’il ne faut pas toujours s’imaginer le pire, mais si c’était arrivé, j’avais pas les ressources devant moi, j’avais rien (Entrevue P-00-6).

Les éléments de l’environnement peuvent constituer des facteurs de risque ou des facteurs de protection. Ainsi, une placette mal éclairée (milieu bâti), occupée par un groupe d’individus jugés louches (générateurs microsociaux), pourra être moins insécurisante s’il y a la possibilité d’obtenir de l’aide à proximité, par le facteur de protection que représente ce dernier élément. Au même titre qu’un lieu bien éclairé (milieu bâti), mais isolé (pas d’aide disponible) pourra devenir insécurisant en raison des facteurs de risque qui viennent diminuer le facteur de protection qu’est l’éclairage. Finalement, la façon dont sont aménagés les lieux publics peut favoriser chez la personne qui juge la situation insécurisante l’évitement et la fuite, deux stratégies de protection assez fréquentes parmi l’échantillon. De façon globale, le cadre bâti oriente l’évaluation du risque de façon moins importante que nous le soupçonnions au départ, compte tenu de la littérature traitant de cette question. Koskela et Pain (2000) ont déjà souligné l’impact relatif du cadre bâti sur le sentiment d’insécurité. Ces auteures accordent une place importante à des variables de nature macro, particulièrement aux rapports sociaux de sexe, dans le sentiment d’insécurité des femmes.

Les variables personnelles et le contexte macrosociologique

Bien que l’évaluation du risque d’une situation dans un lieu public soit réalisée à partir des indices qui sont fournis dans l’environnement, les personnes sont des agents actifs qui doivent interpréter ces indices pour bien en saisir le sens et jauger la menace. On peut postuler que l’évaluation est aussi tributaire de filtres personnels qui peuvent colorer la perception des choses. Notre recherche montre que le genre, la perception de la capacité à se défendre, la familiarité avec le quartier et les expériences de victimisation passées dans le quartier sont les principales variables personnelles qui affectent la perception du risque. Bien qu’il soit possible que l’âge et la classe sociale exercent une influence sur la façon dont l’environnement urbain est perçu (Pain et al., 2001), nous n’avons pu, en raison de l’échantillon spécialisé de travailleuses, le vérifier. Conséquemment, il n’apparaît donc pas dans la schématisation du modèle à la figure 1.

L’analyse du matériel d’entrevue indique que la capacité à se défendre et l’état de santé sont des facteurs individuels qui exercent une influence sur l’ÉPR. Les deux tiers des femmes de l’échantillon du territoire central ont la conviction d’être incapables de se défendre en cas d’agression. Parmi elles, cinq affirment qu’elles ne sont pas en bonne santé. Dans le secteur d’étude de banlieue, 9 femmes sur 17 soutiennent la même affirmation, dont 3 femmes qui ont des problèmes de santé. Killias et Clerici (2000) ont démontré que la mauvaise condition physique et les handicaps physiques augmentent la vulnérabilité présumée et le sentiment d’insécurité. Fait plus intéressant, Riger, Gordon et LeBailly (1982) avaient identifié l’autodéfense comme étant un moyen pertinent pour les femmes de faire face à l’environnement urbain et lutter contre la violence. Cette observation reste toujours aussi pertinente.

Contrairement aux femmes, les hommes ont tous mentionné savoir se défendre. De plus, ils ne se voient pas comme des victimes possibles sur leur territoire de travail, contrairement aux femmes qui sont conscientes de présenter, comme groupe social, une vulnérabilité à la violence sexuelle. Cette conviction aggrave le sentiment d’insécurité. Toutefois, ces observations rappellent que même si la capacité d’autodéfense est une variable personnelle, elle est aussi influencée par l’environnement macrosociologique dans lequel les personnes se développent. Les femmes et les hommes ont une socialisation sociospatiale différente, marquée par les rapports sociaux de sexe (Little, 1993). De plus, bien que les femmes soient principalement victimes de violence dans l’espace privé, ce sont les espaces publics qui canalisent leurs craintes, particulièrement celle de la violence sexuelle. C’est le paradoxe spatial de l’insécurité des femmes (Valentine, 1989). Cette sensibilité des femmes au sentiment d’insécurité dans l’espace public les rend plus vigilantes à l’égard de l’environnement et plus promptes à parler de l’insécurité. En revanche, et c’est le cas dans cette recherche basée sur un échantillon formé majoritairement de femmes travailleuses, la dimension transversale du genre est présente dans les résultats de recherche. Des précautions devront être prises lorsqu’on généralisera aux hommes et aux femmes les analyses sur l’ÉPR dans les lieux publics urbains.

Plusieurs auteurs associent aussi le sentiment d’insécurité à l’instabilité d’une société en changement qui voit ses repères traditionnels se modifier, voire éclater en raison de profondes transformations sociales, technologiques et économiques. Cette incertitude multiforme peut occasionner un sentiment de perte de contrôle du milieu. Cela pourrait expliquer pourquoi, malgré les connaissances et la familiarité que peuvent avoir les travailleuses interrogées avec les groupes sociaux marginaux, ces derniers sont souvent perçus comme étant des générateurs microsociaux de l’insécurité. L’omniprésence des médias place les individus devant l’éphémère, devant la fragilité de leur position dans la société et leur présente des faits divers qui nourrissent cette panique morale. La précarité et l’incertitude entretiennent la méfiance envers la différence. Sparks, Girling et Loader (2001) suggèrent même de considérer le phénomène du sentiment d’insécurité en ville comme une vaste métaphore qui englobe la crise de la modernité, ou comme l’affirment Hollway et Jefferson (1997), comme un produit d’une époque particulière et de ses craintes collectives. L’environnement macrosocial contribue à construire l’univers de référence des travailleuses et des travailleurs interrogés. Toutefois, en raison des objectifs poursuivis dans cette étude, cette dimension a été très peu explorée, mais pourrait faire l’objet de recherches futures.

Le sentiment d’insécurité et le stress urbain

Les situations insécurisantes et, plus largement, les différentes problématiques urbaines du centre-ville est, parce qu’elles y sont plus nombreuses et dramatiques, causent un malaise.

T’sé, le matin, tu t’en viens travailler là, c’est quotidien, là, que tu doives affronter cette peur-là, te dire j’espère que… (Entrevue F-99-06).

Je sais que je suis un gars. C’est pour ça que je te dis, dans mon travail à moi il n’y a pas rien que les gens qu’on va voir à la maison. Non. Rien que le fait de te promener au centre-ville, c’est déjà… veut veut pas, ça t’attaque le cerveau, parce que tu vois souvent de la misère puis, là, en dedans, toi, tu te dis… t’as peur (Entrevue M-00-16).

En arrivant, c’était comme ça. Puis, des fois, je me suis dit : « Je vais m’habituer. » Mais je ne m’habitue pas à voir la pauvreté, la dureté (Entrevue F-100-16).

Les conséquences de cette insécurité sur la santé et la qualité de vie au travail restent encore à déterminer. Toutefois, on peut relier ce malaise exprimé par quelques personnes à un stress urbain. Moser (1992) associe le stress urbain aux nombreuses situations imprévisibles auxquelles les citadins doivent s’adapter, dans le bruit et malgré la densité, et sur lesquelles ils n’ont qu’un faible contrôle. Les dures réalités du centre-ville dont les travailleuses et les travailleurs sont témoins s’ajoutent aux diverses situations à potentiel de violence auxquelles ils peuvent être confrontés en raison des déplacements requis dans le cadre de leur travail. Les situations d’insécurité, et plus largement d’exclusion sociale visible dans les espaces publics, exigent des efforts d’adaptation pour le personnel. De plus, les situations d’insécurité sont aussi difficilement prévisibles et le contrôle que peuvent exercer les travailleuses et les travailleurs est assez limité. La vigilance et les mesures de protection comme le soutien organisationnel de l’employeur, l’autodéfense pour femmes et les téléphones cellulaires contribuent à prévenir la violence sur la rue, mais sont inadéquats pour transformer les problèmes sociaux reliés à la vie urbaine.

Conclusion

Cette recherche avait pour objectif de présenter les composantes les plus importantes dans l’évaluation personnelle du risque (ÉPR) dans les lieux publics de la ville. Basée sur des indices externes qui mettent en alerte, l’ÉPR regroupe trois pôles d’information provenant de l’environnement immédiat (générateurs microsociaux, aide-témoin, milieu bâti) et des facteurs personnels et macrosociologiques. C’est par ces pôles qu’est organisée l’information provenant de l’environnement, afin de juger des risques que comporte une situation à potentiel de violence dans l’espace public urbain. L’intérêt de ce modèle réside, entre autres, dans l’importance accordée aux perceptions à la base des jugements sur la sécurité. Afin de diminuer le sentiment d’insécurité en milieu urbain, les programmes de prévention devraient porter sur plusieurs aspects qui sont pris en considération dans une ÉPR. Une problématique multidimensionnelle comme l’insécurité urbaine requiert des solutions diversifiées.

Des recherches futures basées sur un échantillon égal d’hommes et de femmes pourraient approfondir les différences significatives selon le genre dans le poids accordé à chaque dimension de l’ÉPR. Par exemple, il est possible que les hommes accordent une importance moins grande à la disponibilité de l’aide, se fiant plus à leurs ressources pour se sortir d’une situation à potentiel de violence. De plus, des études longitudinales permettraient de suivre l’évolution de l’ÉPR et des perceptions qui l’alimentent.

L’étude du sentiment d’insécurité de travailleuses et de travailleurs dans les lieux publics révèle que les déplacements dans l’espace urbain constituent une dimension non négligeable du travail et que des situations insécurisantes à potentiel de violence n’y sont pas sans conséquence. De plus, bien que tirées d’une enquête avec un échantillon spécialisé, les observations sur l’ÉPR offrent des pistes pour comprendre cette évaluation chez d’autres catégories sociales. De même, le modèle d’ÉPR illustré ici peut contribuer à enrichir des programmes de prévention de l’insécurité urbaine qui renforcent, du point de vue de la population, les facteurs de protection du milieu, comme l’aide et la cohésion sociale ainsi que l’aménagement des lieux publics. Finalement, cette recherche rappelle que la question de la cohabitation sociale des groupes sociaux dans les lieux publics reste un défi toujours actuel, aux solutions complexes.