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Cet ouvrage s’adresse aux praticiens qui ont ou qui auront à intervenir auprès de familles susceptibles d’infliger des maltraitances à leurs enfants. Si la vocation donnée à cet ouvrage était d’inciter « […] les praticiens concernés à mettre à jour leurs connaissances sur la maltraitance et à miser sur des pratiques rigoureuses et efficaces », comme l’indique la quatrième de couverture, on peut dire aux directrices que la mission est accomplie. En effet, l’équipe de direction, à l’aide des 22 auteurs qui se joignent à elle, est parvenue à livrer un ouvrage qui traite des fondements théoriques de la maltraitance, mais surtout des pratiques à mettre en place par les cliniciens et les gestionnaires afin d’offrir des interventions qui tiennent compte de la complexité de la situation et de la réalité des enfants maltraités et de leurs familles. Chacun des chapitres de ce livre donne l’impression d’avoir passé au peigne fin la littérature portant sur la maltraitance. L’ouvrage comporte six chapitres, accompagnés d’une introduction et d’une conclusion analytiques rédigées par l’équipe de direction et permettant de dresser un portrait des connaissances les plus actuelles tant sur la problématique que sur les pratiques d’intervention.

Le premier chapitre porte sur les différents programmes qui visent à prévenir la maltraitance envers les enfants. Un portrait complet du concept de prévention, de ses fondements théoriques et des différentes formes qu’il peut revêtir est dressé. Les auteures de ce chapitre, qui sont également les directrices de l’ouvrage, mettent l’accent sur l’importance de prévenir la maltraitance dans le but de minimiser les effets qu’elle engendre chez les victimes sur le plan sociosanitaire et de diminuer les dépenses liées au traitement de ces effets. On suggère d’intervenir de manière proactive avant que les problèmes n’apparaissent, selon une perspective de réduction des méfaits. Pour bien illustrer cette logique, les auteures présentent des modalités de prévention de la maltraitance et donnent des exemples pour chacune d’elles (campagnes médiatiques, programmes destinés aux enfants, programmes destinés aux parents et visites à domicile). Des critiques sont formulées quant aux différents programmes qui sont présentés, permettant au lecteur de se familiariser avec les critères d’efficacité et les caractéristiques à privilégier. Étrangement, les auteures ne mentionnent aucun des programmes d’intervention découlant des Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance mis en place par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, qui auraient pu être cités à titre d’exemple au lieu de certains programmes internationaux présentés à travers le chapitre. Ceci aurait contribué à rendre les pistes d’intervention proposées par les auteures d’autant plus applicables et pertinentes au contexte québécois.

Les programmes d’intervention présentés au deuxième chapitre s’inspirent de la théorie de l’attachement et ne visent pas à prévenir la maltraitance comme ceux présentés dans le premier chapitre, mais bien à améliorer la relation qu’entretiennent les enfants maltraités avec leurs parents et à prévenir l’apparition de difficultés d’adaptation liées à la maltraitance. Les auteures introduisent d’abord la théorie de l’attachement et les différents éléments qui peuvent influencer l’attachement d’un enfant à son parent. On nous présente ensuite les principes qui guident les programmes d’intervention fondés sur cette théorie, ainsi que les différentes modalités selon lesquelles ils peuvent être appliqués pour maximiser leur efficacité. Enfin, un programme d’intervention conçu par une des auteures de ce chapitre, soit celui d’Ellen Moss, nous est présenté, accompagné d’une vignette clinique pour faciliter sa compréhension et son application. Tout au long de ce chapitre, l’information est présentée de manière claire et simplifiée. Parfois, le lecteur peut même avoir l’impression de lire une checklist des comportements d’un enfant, des causes de ceux-ci et de l’intervention à appliquer pour s’y attarder. Si ce chapitre pourrait facilement servir d’outil clinique à un praticien désirant intervenir auprès d’enfants présentant des difficultés sur le plan de l’attachement et de leurs parents, il ne parvient cependant pas à remettre en question et en contexte cette lecture des comportements, entendus ici comme autant de signes nécessitant une intervention. Or, les auteures proposent différentes stratégies d’intervention à appliquer et nous expliquent avec brio comment les mettre en oeuvre, en plus de tenir compte de la réalité et des ressources qui sont disponibles dans les milieux d’intervention oeuvrant auprès de cette clientèle.

Le troisième chapitre traite des troubles mentaux chez les jeunes victimes de maltraitance. Les auteurs présentent d’abord, comme pour mettre la table, les différents symptômes que peuvent présenter les jeunes victimes, ce qui permet au lecteur, surtout s’il est un praticien, de reconnaître sa clientèle à travers le texte. Des explications lui sont par la suite offertes afin de rationaliser ces comportements et de comprendre les mécanismes desquels ils résultent. Même les gestionnaires peuvent y trouver leur compte, puisqu’un passage leur est destiné et vise à documenter la manière dont ils peuvent contribuer à faciliter la pratique des intervenants auprès de ces enfants. Les auteurs proposent, tout au long du chapitre, une analyse critique du sujet et, jusqu’au dernier mot, on ressent leur désir de contribuer à une meilleure offre de services, plus personnalisée et axée sur les forces, pour ces enfants victimes de maltraitance et leurs familles qui sont trop souvent pointées du doigt au lieu d’être soutenues adéquatement. Toutefois, ce chapitre est vraisemblablement moins accessible que les autres qui composent l’ouvrage. Certains termes sont très techniques et les auteurs oublient parfois de vulgariser leurs propos, ce qui pourrait rendre la compréhension plus ardue pour un lecteur qui s’y connaît peu en matière de psychopathologie.

Le quatrième chapitre s’inscrit dans la même lignée que le troisième et offre un portrait du développement cognitif de l’enfant victime de maltraitance. On nous explique en profondeur, mais avec une étonnante simplicité, les mécanismes qui peuvent entraîner des déficits cognitifs chez les enfants victimes de maltraitance et comment les épisodes de maltraitance et le stress lié au traumatisme qu’ils engendrent peuvent entraver la maturation cérébrale et affecter négativement les fonctions cognitives. Ce chapitre est particulièrement intéressant pour un clinicien qui s’y connaît peu en neuropsychologie mais qui désire en apprendre davantage, puisque les problèmes de comportement qui sont parfois présents chez les enfants victimes de maltraitance lui seront expliqués en termes de déficits cognitifs, plutôt qu’en termes de troubles de comportement. Cette vision est beaucoup moins accusatrice et permet d’ajuster les objectifs d’intervention pour les rendre plus adaptés aux usagers.

Le chapitre qui suit porte sur la polyvictimisation des jeunes, sujet qui cadre parfaitement au sein de cet ouvrage sur la maltraitance des enfants. En effet, à travers ce chapitre, le lecteur apprendra qu’un enfant victime d’une forme de violence quelconque est plus à risque de subir d’autres formes de violence au cours de sa vie. Cette réalité justifie d’autant plus que ce phénomène soit abordé. À travers ce chapitre, les auteures citent notamment les travaux de David Finkelhor, auteur ayant introduit le terme « polyvictimisation », mais présentent aussi leur propre étude sur le sujet, qu’elles ont menée au Québec. Les caractéristiques de la polyvictimisation et des enfants polyvictimisés sont présentées en détail, selon le contexte, les formes de victimisation, l’âge et le sexe de la victime, les facteurs de risque et de protection, les conditions associées, etc. Les auteures proposent aussi des pistes d’intervention qui découlent toutes de constats théoriques et scientifiques rigoureusement présentés à travers le chapitre. Cela plaira sans doute au lecteur intéressé à se familiariser avec la littérature portant sur la polyvictimisation, mais semblera moins pertinent au praticien qui désire des outils d’intervention et des exemples concrets qui lui expliquent comment transposer la théorie dans la pratique.

Finalement, le dernier chapitre traite de la diversité culturelle dans un contexte de maltraitance et de ses effets et implications pour la pratique. Ce sujet, plus que jamais d’actualité, mérite d’être abordé dans cet ouvrage, puisqu’il engendre des enjeux qui peuvent poser problème pour certaines interventions, notamment celles qui prennent place en contexte d’autorité. Les auteures présentent un portrait statistique de la proportion des minorités visibles au sein des services en protection de la jeunesse. Elles traitent des facteurs qui influencent la surreprésentation et la sous-représentation de certaines cultures au sein de notre système, ainsi que des enjeux qui peuvent nuire à ou bonifier la relation intervenant-client en contexte de diversité culturelle. Elles terminent en proposant des stratégies pour améliorer l’intervention. Ces stratégies peuvent être appliquées par les cliniciens, mais elles requièrent d’abord une collaboration des gestionnaires pour offrir les conditions optimales aux intervenants afin qu’ils puissent les appliquer.

En conclusion, les personnes qui parcourront cet ouvrage apprécieront sûrement leur lecture. Les débutants apprendront les bases, alors que ceux qui s’y connaissent pourront mettre à jour leurs connaissances sur le phénomène de la maltraitance et sur les meilleures pratiques d’intervention qui s’y rattachent. Aussi, le caractère multidisciplinaire que revêt cet ouvrage contribuera sans doute à son succès, puisque le lecteur pourra se familiariser avec différents domaines dont il n’est pas issu mais qui sont grandement pertinents pour sa pratique ou liés à ses champs d’intérêt. En réalité, les auteurs ayant participé à la rédaction de cet ouvrage peuvent se vanter d’offrir un livre qui rassemble des experts issus de domaines variés, permettant de comprendre le phénomène de la maltraitance selon différentes perspectives et d’offrir des pistes d’intervention contribuant, chacune à sa manière, à prévenir et à aider les enfants victimes de maltraitance. Toutefois, le lecteur désireux d’une compréhension plus globale des racines sociales et structurelles de la maltraitance et des modèles d’intervention qui s’y rattachent restera sur sa faim.

Or, ce qui saute aux yeux et ce qui semble faire l’unanimité, à travers les chapitres de cet ouvrage, est que le côté sombre de la maltraitance (c’est-à-dire les causes, les conséquences, les symptômes, etc.) est abordé dans le seul but de pouvoir proposer des méthodes d’intervention adaptées à la réalité des enfants victimes et de leurs familles, afin de pouvoir amoindrir la prévalence du phénomène ou du moins la sévérité de ses effets. En effet, cette idée est centrale à travers le livre et elle est parfois présentée d’une manière tellement simpliste qu’elle frôle l’utopie. Le lecteur se demandera d’ailleurs à certains moments si les propositions tiennent compte de la complexité de certains milieux d’intervention et de la réalité politico-socio-économique dans laquelle on vit et sont plongées les familles susceptibles de vivre de la maltraitance. Une chose est sûre toutefois, dans cet ouvrage, on s’élève au-dessus d’une description superficielle de la maltraitance, puisque la littérature déborde d’écrits qui s’y attardent déjà amplement. Dans cet ouvrage, on nous donne l’impression que l’on parle de l’affliction dans le but de mieux parler de l’espoir. Et c’est pour cette raison que cet ouvrage porte si bien son titre.