Abstracts
Mots-clés :
- écriture de plateau,
- partition,
- Marguerite Duras,
- absence,
- enfant en scène
Riche et complexe, ce mode d’écriture de plateau en collectif impose de réinventer le mode de production en allongeant notamment le temps de travail en salle de spectacle avec l’appareillage technique, et permet, avant tout, de déhiérarchiser les rapports de force entre les sensations (les sens) et la signification (le sens) dans l’expérience théâtrale. Le rôle traditionnel de la lumière au théâtre est d’orienter le regard. Or, dans notre volonté d’inviter le public à circuler de façon plus libre à l’intérieur d’un paysage, la lumière est ici traitée de façon diffuse et jamais dirigée directement sur un objet ou une personne. Chacun·e choisit le trajet de son regard. L’objectif est de proposer une vision périphérique, et une réception physique et non narrative de la lumière. En jouant aux extrêmes des intensités et des rythmes de mouvements de lumière, Nancy Bussières fait travailler l’oeil hors de sa zone de confort, l’obligeant à s’engager vers une autre façon de voir. Ce désir d’immédiateté de la lumière avec le corps est renforcé par l’utilisation de la fumée qui donne l’impression de baigner dans la lumière et donc dans l’espace scénique. Cette lumière diffuse, libérée de ses fonctions habituelles qui consistent à donner à voir, peut ainsi avoir une parole autonome et s’inscrire à part entière dans l’écriture du spectacle. S’adressant d’abord à l’oeil et à l’ouïe sans sous-tendre de référent sémiotique, l’oeuvre est conçue pour amener le public vers d’autres modes de perception et de réception. En témoigne, par exemple, l’ouverture du spectacle qui agit tel un « white out » (« phénomène du voile blanc » en français) produit par une tempête du nord qui efface les repères du paysage. Ce premier tableau veut avant tout secouer fortement le corps du ou de la spectateur·trice en déjouant ses perceptions visuelles et sonores. Car si l’éclairage vient jouer avec la persistance rétinienne, le son aussi cherche à déstabiliser. L’oreille humaine renouvelant constamment ses points de référence, des changements très lents dans l’intensité sonore lui laissent le temps de s’adapter et de passer le message au corps qu’il doit accepter les fortes puissances. De même, les fréquences graves, avec lesquelles Thomas Sinou travaille dans cette ouverture, sont ressenties par le corps humain plus qu’entendues. Elles viennent faire vibrer les organes internes et créer un massage intérieur. Dans de lentes montées, le son passe de la douceur à la violence, aboutissant à un climax qui secoue le ou la spectateur·trice jusque dans son for intérieur. Cette expérience immersive et intense, suivie d’une cassure vers le silence et la voix douce et intime de la comédienne, peut susciter un état d’écoute et d’attention extrêmement aiguisé, qui facilite l’entrée dans l’univers, entre rêve et réalité, se déployant par la suite. Premier tableau : La tempête « Il n’y a plus rien dans la chambre que vous seul. Son corps a disparu. La différence entre votre amour et vous se confirme par son absence soudaine. » Les premières phrases dites en voix off dans le noir au début de la tempête sont issues de La maladie de la mort (Duras, 1982) et servent de pré-texte, voire de pré-spectacle. La violence de « l’absence soudaine » (ibid. : 54) que chacun·e éprouve à un moment de sa vie ouvre un gouffre mais aussi une porte, celle de la dépression profonde d’où l’on pourra renaître. Parce que l’absence, ce n’est pas le rien; c’est l’empreinte, c’est-à-dire la mémoire de la présence. Et la mémoire, constamment, réinterprète, réinvente, réécrit l’Autre, le magnifie et le multiplie. Sonder la trace de l’Autre disparu peut ainsi éveiller une multitude de récits qui …
Appendices
Bibliographie
- DURAS, Marguerite (1982), La maladie de la mort, Paris, Minuit.
- PEREC, Georges (1974), Espèces d’espaces, Paris, Galilée, « L’espace critique ».