Comptes rendus

Alain Policar, Ronald Dworkin ou la valeur de l’égalité, Paris, CNRS Éditions, 2015, 223 pages[Record]

  • Pascal Soligniac

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  • Pascal Soligniac
    Cégep Marie-Victorin

Cette remarque de Karl Jaspers au sujet de la philosophie pourrait s’appliquer au livre d’Alain Policar, Ronald Dworkin ou la valeur de l’égalité. Comme le titre l’indique, Policar y présente l’oeuvre de Ronald Dworkin, juriste et philosophe politique américain, dont la contribution philosophique reste méconnue à l’extérieur de la sphère anglo-saxonne. Son objectif premier consiste donc à combler cette lacune en déployant un panorama de la philosophie de Dworkin. Tout en accompagnant le lecteur au coeur des enjeux soulevés par le libéralisme dworkinien, l’auteur n’hésite pas à dialoguer avec, et parfois contre les positions soutenues par Dworkin, ce qui confère à son propos une dimension interprétative qui dépasse la seule vulgarisation d’une pensée complexe. Agencé en trois parties, le texte suit l’évolution chronologique des thèmes sur lesquels Dworkin s’est penché : d’abord, la philosophie du droit, ensuite, la philosophie politique, enfin, l’épistémologie et l’ontologie des valeurs. La première partie retrace la genèse de la théorie du droit dworkinienne, le droit-intégrité, à travers son affrontement avec le positivisme juridique. Policar procède en trois temps. Il caractérise d’abord le positivisme juridique, plus particulièrement la variante développée par Herbert L.A. Hart. Puis, contre cette toile de fond, il fait ressortir la critique de Dworkin à l’endroit de Hart, et enfin explique en substance la théorie du droit-intégrité. Cette démarche par contraste, l’auteur éclairant d’abord ce à quoi s’oppose la philosophie dworkinienne, est intéressante à deux titres. D’une part, le propos du texte gagne en accessibilité : il n’est pas nécessaire de disposer d’une connaissance approfondie des débats qui agitent la philosophie du droit pour saisir l’apport de Dworkin. On le voit, par exemple, dans la présentation de la distinction entre règles de droit et principes juridiques. Si celle-ci constitue un trait incontournable de la pensée de Dworkin, elle n’est intelligible qu’en tant que réponse à la thèse du pouvoir discrétionnaire au juge. Celui-ci l’emploierait pour résoudre les cas qui ne relèvent pas d’une règle de droit explicite ou de précédents. En l’absence de ce point d’opposition et de l’ensemble théorique qui l’entoure, il devient difficile de saisir en quoi les principes mis de l’avant par Dworkin procèdent d’une conception du juge comme chercheur découvrant la bonne solution à un cas — activité qui relève du registre de la vérité — plutôt que d’une conception du juge comme législateur occasionnel — ce qui relève du registre de l’autorité. D’autre part, le contraste ainsi créé accentue les traits propres du droit-intégrité dworkinien. Ainsi, Policar souligne fort à propos l’imbrication constante chez Dworkin des méthodes heuristiques et des valeurs substantielles : les principes spécifient à la fois la manière dont le droit doit être compris pour résoudre les cas difficiles mais expriment aussi la valeur au nom de laquelle il importe d’en combler les lacunes. Cette imbrication méthode-valeur devient la trame avec laquelle Policar reconstitue la philosophie du droit de Dworkin. Il analyse donc la valeur qui anime la théorie dworkinienne, l’intégrité. Cette dernière désigne une exigence de cohérence morale selon laquelle une communauté politique doit agir sur une base unique de principes afin de traiter chacun de ses membres en égal. Mais pour ce faire, et c’est la force de l’exposé de Policar que de montrer que la première ne peut se passer de la seconde, il importe d’employer la méthode appropriée, nommément, l’interprétation créative. Celle-ci consiste à interpréter un objet à la lumière des principes qui en font le meilleur exemple en son genre. Deux critères guident le processus interprétatif : l’adéquation de l’interprétation proposée avec la doctrine passée, et la justification de cette dernière au regard des principales valeurs de la morale …

Appendices