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Introduction

Les maladies fongiques racinaires chez le soya sont causées par un complexe de champignons et d’oomycètes pathogènes présents dans le sol et sont le plus souvent favorisées par un excès d’eau. Au Canada, on retrouve la fonte des semis (Phytophthora sojae M.J. Kaufmann & J.W. Gerdemann, Rhizoctonia solani Kühn, Fusarium spp., Phomopsis spp. et Pythium spp.), la pourriture phytophthoréenne (Ph. sojae), la pourriture pythienne (Pythium spp.), la pourriture fusarienne (Fusarium spp.), le rhizoctone commun (R. solani) et le syndrome de la mort subite (Fusarium virguliforme O’Donnell & T. Aoki (syn. F. solani (Mart.) Sacc. f. sp. glycines Roy)) (Bailey et al. 2004). Phytophthora sojae est spécifique au soya et peut survivre dans le sol sous forme d’oospores pendant au moins trois ans, alors que R. solani et les espèces de Pythium et de Fusarium se conservent dans le sol ou sur les résidus végétaux et s’attaquent à beaucoup d’autres cultures.

Dans les régions chaudes et sèches des États-Unis, on retrouve également la pourriture charbonneuse (Macrophomina phaseolina (Tassi) Goidanich). Cette maladie est considérée mineure au Canada, mais aux États-Unis elle se classe (2007-2014) parmi les six maladies du soya les plus dommageables (Agricultural, consumer, and environmental Sciences [ACES] 2015). Dans ces estimations américaines, le nématode à kyste du soya est la maladie qui cause le plus de pertes, suivie de la fonte des semis (« seedling diseases »), du syndrome de la mort subite, de la pourriture phytophthoréenne, de la pourriture charbonneuse et de la pourriture à sclérotes (Sclerotinia sclerotiorum (Lib.) de Bary). Cette dernière est la seule parmi les six qui n’est pas une maladie de racines, mais de tiges. Au Québec, c’est cette dernière qui est la plus importante économiquement d’après les chiffres (avis de dommage) de La Financière agricole du Québec (FADQ) (Michel Malo, FADQ, communication personnelle). Cependant, les maladies racinaires étant difficiles à diagnostiquer et à dissocier d’autres facteurs de pertes de rendement comme l’excès d’eau, elles ne sont pas répertoriées par la FADQ, quelle que soit la culture.

Les résultats des analyses effectuées au Laboratoire de diagnostic en phytoprotection du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), qui sont publiés dans la revue Inventaires des maladies des plantes au Canada depuis 2006 (http://phytopath.ca/publication/cpds/), indiquent la présence de maladies racinaires dans le soya au Québec. En moyenne, au cours des 10 dernières années, elles étaient en cause dans 42 % des échantillons reçus. Parmi les maladies racinaires diagnostiquées, la pourriture fusarienne était la plus fréquente (44 %), suivie de la pourriture pythienne (23 %), de la pourriture phytophthoréenne (13 %), du rhizoctone commun (12 %) et de la pourriture des racines causée par Corynespora cassiicola (Berk. & M.A. Curtis) C.T. Wei (8 %). Cette dernière maladie est peu importante sur le plan économique selon Bailey et al. (2004), tout comme la pourriture noire des racines causée par Thielaviopsis basicola (Berk. & Broome) Ferraris.

Une première enquête réalisée au Québec en 2001 et 2002 dans une cinquantaine de champs répartis dans cinq régions (Montérégie-Ouest, Montérégie-Est, Centre-du-Québec, Lanaudière et Mauricie) a révélé la présence de Ph. sojae et d’environ une douzaine d’espèces de Pythium et de Fusarium dans les racines de soya. Cette étude ne ciblait pas les autres genres de champignons et d’oomycètes (Lévesque et al. 2005). Phytophthora sojae a été détecté dans 25 % des champs échantillonnés, Fusarium spp. dans 75 % des champs, Pythium spp. dans 67 % des champs, alors que dans 20 % des champs aucun champignon ni oomycète parmi les trois genres ciblés n’a été isolé des racines. Fusarium oxysporum Schlechtend. : Fr., Fusarium avenaceum (Fr. : Fr.) Sacc. et Fusarium solani (Mart.) Sacc., de même que Pythium sylvaticum W.A. Campbell & J.W. Hendrix, étaient les espèces de Fusarium et de Pythium les plus fréquentes. Fusarium virguliforme, responsable du syndrome de la mort subite, n’a pas été observé lors de cette enquête.

Les conditions environnementales, la présence d’espèces ou de cultivars sensibles ainsi que la présence de l’agent pathogène sont les trois conditions essentielles à la manifestation de toute maladie, y compris les maladies racinaires. Certaines pratiques culturales peuvent avoir un effet sur les conditions environnementales (les sols) et la quantité d’inoculum présent dans le sol. Pour les espèces pathogènes ayant une large gamme d’hôtes comme les Pythium et les Fusarium, ou de bons mécanismes de survie comme Ph. sojae et T. basicola, la rotation comme moyen de lutte est beaucoup moins efficace que pour d’autres agents phytopathogènes (Krupinsky et al. 2002 ; Paulitz et al. 2002). Cependant, la monoculture, qui entraîne la dégradation de la structure et la qualité du sol par la perte de matière organique, conduit à une sensibilité accrue aux maladies des racines (van Bruggen et Termorshuizen 2003). Le peu ou l’absence de rotation des cultures entraîne, comme résultat inévitable, un accroissement des maladies et plus particulièrement des maladies racinaires (Cook 1992). La durée de la rotation pour qu’elle soit efficace dépend de l’agent pathogène en cause, des régions et des conditions environnementales qui favorisent le développement de la maladie (Cook 2003). Par exemple, une rotation d’une à deux années avec des cultures non hôtes est suffisante pour maîtriser efficacement Gaeumannomyces graminis (Sacc.) Arx & D. Olivier var. tritici J. Walker chez le blé (Cook 2006 ; Paulitz et al. 2002), mais ne serait pas suffisante pour réduire l’incidence de Ph. sojae dans le soya. Dans ce dernier cas, la rotation est plutôt utilisée pour éviter un accroissement de l’inoculum dans le champ (Schmitthenner 2000). Pouleur et Comeau (2011) ont montré à partir d’un essai réalisé à Saint-Hyacinthe que la monoculture et les rotations trop courtes entraînaient une augmentation des pourritures de racines du soya.

La grande majorité des études ont montré que les maladies racinaires, quelles qu’elles soient, sont plus graves dans les champs sans travail du sol ou avec un travail réduit (Cook 2006 ; Pankhurst et al. 1995 ; Pouleur et Comeau 2011 ; Schmitthenner 2000). Ce phénomène s’explique principalement par une rétention en eau du sol plus élevée dans ces systèmes qui est due aux résidus laissés à la surface du sol lesquels retardent le réchauffement et l’assèchement des premiers centimètres de sol (8-10 cm) (Cook 2006). Cependant, deux études réalisées à plus long terme ont montré que durant la période de transition entre le travail conventionnel du sol et le semis direct, il y a eu, dans un premier temps, une augmentation de la fonte des semis causée par Rhizoctonia spp., mais qu’après 5 ans (Roget 1995) ou 12 ans sans labour (Schroeder et Paulitz 2006), il y a eu une diminution de cette maladie.

Les mauvaises herbes et les repousses volontaires en train de mourir suite à l’application du glyphosate se font coloniser par les Pythium, Rhizoctonia et Fusarium et constituent une source d’inoculum pour la culture qui sera semée, augmentant ainsi les maladies causées par ces champignons et oomycètes (Lévesque et Rahe 1992 ; Sanogo et al. 2000). Le glyphosate accroît également le piétin-échaudage chez les céréales, mais c’est en réduisant la disponibilité du manganèse dans le sol que cet herbicide favoriserait la maladie (Huber et McCay-Buis 1993). Il a également été démontré que le glyphosate bloquait la voie biochimique impliquée dans les réactions de résistance des plantes contre les agents pathogènes (Lévesque et Rahe 1992 ; Rashid et al. 2013) rendant ainsi les plantes plus sensibles aux infections.

Pour les producteurs, les conseillers agricoles ou les scientifiques, une bonne connaissance des principaux agents pathogènes présents dans les sols d’une ferme ou d’une région donnée est essentielle pour élaborer des stratégies de lutte efficaces. Pour les phytogénéticiens, cette information est indispensable pour développer des cultivars plus résistants à ces agents pathogènes qui seront mieux adaptés aux régions où ils sont destinés. Afin d’avoir un portrait actualisé de la présence de différents champignons et oomycètes phytopathogènes dans les racines de soya de champs commerciaux, un inventaire a été réalisé en 2014 et 2015 principalement en Montérégie-Est et Montérégie-Ouest, les deux régions comptant le plus de superficies en soya au Québec. Cette recherche visait également à évaluer l’état sanitaire des racines de soya prélevées dans ces champs et à obtenir des isolats purifiés afin de les conserver pour d’autres études ou pour développer des cultivars de soya plus résistants à ces agents pathogènes. À titre exploratoire, l’étude visait aussi à établir des liens entre l’état sanitaire des racines ou la présence dans les racines de champignons et oomycètes phytopathogènes et les conditions des champs (égouttement, structure du sol, etc.) ou les pratiques culturales utilisées dans ces champs (rotation, travail du sol, etc.).

Matériel et méthodes

Au total, 84 champs ont été échantillonnés au cours des deux années de l’étude (2014 et 2015), soit 40 champs en Montérégie-Est, 40 champs en Montérégie-Ouest et 4 champs au Centre-du-Québec, trois régions situées dans la province de Québec, Canada. Les champs ont été choisis afin d’assurer leur répartition sur l’ensemble du territoire de ces régions. Pour chacun des champs, trois plantules au stade de deux feuilles trifoliées (V3) (Fehr et al. 1971) ont été prélevées avec racines et sol à quatre endroits bien répartis dans le champ et distants d’au moins 30 m. Une fiche de renseignements sur les pratiques culturales et l’historique du champ a été remplie par le producteur et son conseiller. Les plantules ont été acheminées au laboratoire où les racines ont été lavées minutieusement et les sols conservés à 4 °C pour d’éventuelles études. L’intensité des symptômes de pourriture sur les racines a été évaluée pour chacune des plantules selon une échelle de 1 à 5 : 1 correspondant à une racine en santé (sans nécrose et racines abondantes) et 5, en mauvais état (nécroses et peu de racines). L’indice racinaire est le terme utilisé pour qualifier cette notation qui englobe les symptômes et l’allure générale du système racinaire. Des sections de collet et de racines ont, par la suite, été mises en culture sur différents milieux sélectifs pour révéler la présence des différentes espèces pathogènes. Ces milieux et techniques d’isolement utilisés provenaient des protocoles en usage au Laboratoire de diagnostic en phytoprotection du MAPAQ. L’identification a été faite par l’observation au microscope des parties végétatives ou reproductives des colonies de champignons et oomycètes qui se sont développées sur les milieux de culture.

Brièvement, le milieu P5ARPH-CMA (Jeffers et Martin 1986) a été utilisé sur pièces non désinfectées avec incubation à l’obscurité et à température de la pièce (20-22 °C) pendant 5 à 7 j pour révéler les oomycètes Ph. sojae et Pythium spp. Le milieu gélosé de pomme de terre ou PDA (« potato dextrose agar ») avec incubation à la lumière et à température de la pièce a été utilisé pour révéler la présence des champignons phytopathogènes. Pour l’identification des espèces de Fusarium, les colonies présentes après 3 à 4 j d’incubation sur le milieu PDA ont été repiquées sur un milieu minimum SNA (« sucrose nutrient agar ») (Nirenberg 1981) pour 5 à 8 j supplémentaires, le temps nécessaire pour que les Fusarium fructifient. Ainsi, l’allure des colonies sur PDA et l’examen des spores au microscope ont permis l’identification des espèces de Fusarium à l’aide de clés d’identification (Nelson et al. 1983). Les espèces de Pythium, quant à elles, n’ont pas été déterminées dans le cadre de cette étude ni les groupes d’anastomose de R. solani. Étant donné le peu de succès obtenu dans l’isolement de Ph. sojae à partir de racines, nous avons tenté d’obtenir des isolats à partir des sols. La technique consistait à semer dans ces sols quelques graines de la lignée de soya OX20-8 fournie par Elroy Cober (Agriculture et Agroalimentaire Canada, Ottawa). Cette lignée contient un gène de résistance, le Rps1a (Vega-Sanchez et al. 2005), envers lequel la plupart des souches de Ph. sojae isolées au Canada sont virulentes (Xue et al. 2015). Par la suite, des sections de racines de ces plantules étaient mises en culture tel que décrit précédemment. Cette technique a permis d’obtenir des isolats et de connaître la fréquence de champs contenant du Ph. sojae.

Un questionnaire a été rempli pour chacun des champs par le producteur et son conseiller afin de recueillir les informations suivantes : date de semis, superficie, cultivar, maturité, type de semence, traitement de semence et le ou les produits utilisés, date d’application des herbicides et les produits utilisés, les précédents culturaux des quatre dernières années, le type de travail de sol à l’automne précédent et au printemps, série de sol (si connue), texture de sol, égouttement (drainage, accumulation d’eau, compaction), fertilisation minérale (formulation, dose, type d’épandage), engrais organique (type, moment et mode d’application), engrais vert (type, gestion d’enfouissement) et finalement le rendement du champ fourni par le producteur.

Analyses statistiques

Pour identifier les facteurs, soit des pratiques culturales ou des conditions de champ, qui affectent le plus les maladies racinaires, nous avons utilisé la méthode « stepwise » et le critère AICC. À l’aide de la version 9.4 du prologiciel SAS (SAS Institute Inc. 2015), cette analyse a été effectuée pour l’ensemble des 84 champs et pour chacune des trois variables réponses afin de sélectionner les facteurs qui ont eu un effet sur la variable réponse (Tableau 1). Cette procédure (GLM-Select) incorpore les facteurs un à un dans le modèle et ne retient que ceux qui apportent une baisse du critère AICC. Cette méthode permet d’éviter une surparamétrisation du modèle en attribuant une pénalité pour le nombre de facteurs dans le modèle. Le meilleur modèle est celui qui permet d’expliquer le mieux la variable réponse avec le moins de facteurs possible. Pour chacune des variables réponses, les champs inclus dans l’analyse sont ceux pour lesquels les données sont complètes pour tous les facteurs. Une analyse de variance (Proc Mixed) a ensuite été réalisée sur chacun des facteurs qui ont été gardés dans le modèle pour expliquer la variable réponse. Des corrélations de Pearson ont également été calculées entre différentes variables.

Tableau 1

Facteurs analysés pour chacune des variables réponses à l’aide de la méthode « stepwise » et le critère AICC

Facteurs analysés pour chacune des variables réponses à l’aide de la méthode « stepwise » et le critère AICC

a Indice racinaire moyen par champ

b Somme des détections de Fusarium spp. révélées par champ

c Somme de tous les genres/espèces de champignons et oomycètes pathogènes détectés par champ

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Résultats et discussion

Indice racinaire

La moyenne de l’indice racinaire pour l’ensemble des champs a été de 2,6 en 2014 et de 3,2 en 2015. C’est surtout en Montérégie-Ouest que cette différence entre les années s’est fait sentir puisque plus de plantules se trouvaient dans les catégories les plus élevées d’indices racinaires en 2015 qu’en 2014, alors qu’en Montérégie-Est on n’a pas observé de différence notable entre les deux années (Fig. 1). Pour ce qui est du Centre-du-Québec qui ne comptait que deux champs par année et qui, par conséquent, n’a eu que peu d’influence sur la moyenne globale, l’indice racinaire a été de 3,8 en 2014 et 2,5 en 2015. D’après les conditions météorologiques qui ont prévalu pendant ces deux printemps en Montérégie-Est et Ouest, on se serait attendu à observer plus de racines malades au printemps 2014 qui a été plus pluvieux que celui de 2015 (Tableau 2). On peut peut-être expliquer ce résultat par une moindre vigueur des plantules en 2015 due à des conditions plus sèches qui ont prévalu du semis au prélèvement (mi-mai à mi-juin) et des températures plus fraîches de juin (début à mi-juin) (Tableau 2). Ainsi, les plantules en 2015 auraient été plus vulnérables aux attaques de champignons et oomycètes pathogènes que celles de 2014. La différence de précipitations entre les deux printemps de l’étude était d’ailleurs beaucoup plus marquée en Montérégie-Ouest (101,8 mm) qu’en Montérégie-Est (39,3 mm).

Figure 1

Nombre de plantules

Nombre de plantules

(maximum 240 plantules par région par année) par catégorie d’indice racinaire en Montérégie-Est et en Montérégie-Ouest en 2014 et 2015.

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Tableau 2

Températures moyennes (°C) et précipitations totales (mm) relevées entre la mi-mai et la mi-juin aux stations météorologiques d’Environnement Canada de Saint-Hubert en Montérégie-Est et de L’Acadie en Montérégie-Ouest, en 2014 et 2015

Températures moyennes (°C) et précipitations totales (mm) relevées entre la mi-mai et la mi-juin aux stations météorologiques d’Environnement Canada de Saint-Hubert en Montérégie-Est et de L’Acadie en Montérégie-Ouest, en 2014 et 2015

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Champignons et oomycètes phytopathogènes

Parmi les champignons et oomycètes pathogènes isolés des racines des 84 champs à l’étude, les plus fréquents ont été les Pythium spp. et Fusarium spp. qui étaient présents dans 100 % des champs et plus de 80 % des plantules en 2014, et dans près de 100 % des champs et 75 % des plantules en 2015 (Fig. 2). Rhizoctonia solani a été plus répandu en 2015 (90 % des champs et 36 % des plantules) qu’en 2014 (55 % des champs et 8,5 % des plantules), et T. basicola a suivi exactement la même tendance avec une fréquence de champs un peu moindre (86 % en 2015 et 50 % en 2014) (Fig. 2B) et une fréquence de plantules un peu plus élevée en 2015 (39 %) (Fig. 2A) que pour R. solani. Que T. basicola ait été aussi fréquent que R. solani est un résultat inattendu puisque ce champignon cause une maladie considérée mineure (Bailey et al. 2004). On le rapporte toutefois plus fréquemment dans le Midwest américain ces dernières années (Bennett 2010) d’où l’intérêt de suivre l’évolution de sa présence au cours des prochaines années. Quant à Ph. sojae, il n’a été détecté dans aucune plantule, que ce soit en 2014 ou en 2015. Cette dernière année, 9 % des plantules ne présentaient aucun champignon ni oomycète pathogène, alors qu’en 2014, aucune plante n’était complètement saine (Fig. 2A). Au final, au cours des deux années, tous les champs comptaient au moins une plantule infectée par au moins un champignon ou oomycète phytopathogène (Fig. 2B).

Figure 2

Fréquence de plantules (A) et de champs (B)

A

B

dans lesquels des champignons et oomycètes pathogènes ont été détectés dans les racines en 2014 et 2015.

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Aucun isolat de Ph. sojae n’a pu être isolé de racines, mais le piégeage à partir des sols conservés a permis d’isoler et de purifier Phytophthora spp. dans 25 % des sols échantillonnés en 2014 et 49 % des sols en 2015. Il s’agit d’un pourcentage de champs infestés similaire à celui de l’enquête de 2001-2002 qui avait révélé, à l’aide de techniques moléculaires appliquées sur des extraits de racines, la présence de Ph. sojae dans 30 % des champs (Lévesque et al. 2005). Des isolats de Phytophthora spp. et Pythium spp. ont été envoyés à la Collection canadienne de cultures fongiques à Ottawa (DAOMC) pour confirmation de l’identification et pour conservation à long terme (numéros d’accession NFIS-4235 à NFIS-4275). Quant à la fréquence de champs avec Pythium spp. et Fusarium spp., elle était de 70 % en 2001-2002 (Lévesque et al. 2005) et aux environs de 100 % en 2014-2015. Aussi, 25 % des champs en 2001-2002 ne contenaient ni Pythium spp. ni Fusarium spp. ou Ph. sojae, alors qu’en 2014-2015, il n’y a eu qu’un champ exempt de ces agents pathogènes. Il est possible que l’intensification de la culture de soya en Montérégie-Est et Montérégie-Ouest au cours des 12 années qui ont précédé la présente étude ait contribué à l’augmentation de la présence de champignons et d’oomycètes pathogènes. Il est difficile de l’affirmer puisque les champs échantillonnés n’étaient pas les mêmes et aussi parce que la première enquête couvrait plus de régions que la présente étude.

Figure 3

Fréquence de plantules (A) et de champs (B)

A

B

dans lesquels différentes espèces de Fusarium ont été détectées dans les racines en 2014 et 2015.

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Espèces de Fusarium

Les fréquences de plantules et de champs dans lesquels différentes espèces de Fusarium ont été isolées à partir des racines sont présentées à la Figure 3. Les Fusarium les plus répandus, dans au moins 60 % des champs au cours des deux années, étaient F. solani, F. equiseti et F. oxysporum. L’espèce de Fusarium la plus fréquente, soit F. solani, était présente dans 100 % des champs en 2014, 93 % des champs en 2015, et dans plus de 40 % des plantules chaque année. Les espèces habituellement associées à la fusariose de l’épi des céréales, soit F. avenaceum, F. graminearum et F. sporotrichioides, étaient aussi présentes. On retrouvait cette dernière espèce dans une proportion équivalente de champs pendant les deux années. Fusarium graminearum, quant à lui, était plus répandu en 2015 qu’en 2014, alors que c’était l’inverse pour F. avenaceum présent dans plus de champs et de plantules en 2014 qu’en 2015. Fusarium avenaceum étant généralement plus présent que F. graminearum dans les régions ou pendant les saisons plus fraîches (Bourdages et al. 2006), on peut supposer que le printemps 2014 a été en moyenne plus frais que celui de 2015. Or, pendant la période de croissance qui a précédé les échantillonnages au champ, soit de la mi-mai à la mi-juin, nous n’avons pas observé de différence de températures entre les deux années, et ce, quelle que soit la région (Tableau 2). En revanche, de la mi-mai à la fin-mai, soit pendant les deux semaines qui ont suivi le semis, les températures ont effectivement été plus faibles en 2014 qu’en 2015 dans les deux régions. Il s’agit peut-être de la période durant laquelle la plantule est plus sensible aux attaques des racines par ces deux Fusarium. La proportion de plantules exemptes de Fusarium était semblable pendant les deux années de l’étude, soit 15-16 %, et un champ seulement ne comptait aucune racine avec du Fusarium. Le F. virguliforme n’a pas été détecté. À notre connaissance, ce Fusarium phytopathogène n’a pas encore été rapporté au Québec.

Dans l’enquête de 2001-2002, à peu près les mêmes espèces de Fusarium avaient été détectées, mais dans des proportions de champs un peu différentes. On observe cependant une différence notable entre les deux enquêtes dans la fréquence de champs sans Fusarium qui était de 25 % en 2001-2002 et de pratiquement nulle (1 %) en 2014-2015.

Effet des pratiques culturales et des conditions de champ sur les maladies racinaires

La méthode « stepwise » a sélectionné trois facteurs pour déterminer le modèle qui expliquait le mieux la variation de l’indice racinaire. Le « type de semence » était le facteur le plus significatif, suivi du facteur « nombre d’années en soya au cours des quatre années précédentes » et du facteur « fertilisation potassique ». Les racines des cultivars non-OGM (organisme génétiquement modifié) étaient significativement en moins bonne santé (indice racinaire de 3,2) que celles des cultivars RR (Round-up Ready) (indice racinaire de 2,5) (Fig. 4A). De prime abord, on peut penser que l’effet significatif du facteur « type de semence » proviendrait d’un effet indirect des traitements de semence qui sont plus courants chez les cultivars RR que chez les cultivars non-OGM. Par contre, si tel avait été le cas, on pense que le facteur « traitement de semence » aurait été retenu par la méthode « stepwise ». Or il ne l’a pas été. Une autre explication serait que les semenciers mettent plus d’effort dans les programmes d’amélioration génétique pour développer des cultivars OGM que dans ceux menant à des cultivars conventionnels. Quant au facteur « nombre d’années en soya », il semble que l’intensification de la culture du soya entraîne plus de problèmes racinaires puisque les champs en monoculture ou ayant été en soya trois ans au cours des quatre années précédant l’échantillonnage ont produit des plantes avec des indices racinaires significativement plus élevés (moyenne de 3,5) que ceux ayant été en soya deux ans (indice racinaire de 2,9) ou un an (indice racinaire de 2,5) (Fig. 4A). Ces résultats concordent avec ceux de Pouleur et Comeau (2011) qui ont montré que les pourritures de racines du soya se manifestaient plus dans un système de monoculture ou de rotations courtes que dans un système à rotations plus longues. Pour ce qui est du facteur « application de potasse », malgré le fait qu’il ait été sélectionné lors de la procédure GLM-Select, aucune différence significative n’a été observée lors de l’analyse de variance (Fig. 4A).

Figure 4

Effet des trois facteurs identifiés par la procédure GLM-Select sur l’indice racinaire (A) et du facteur travail du sol sur les Fusarium totaux (B)

A

B

Les Fusarium totaux égalent la somme des détections de Fusarium spp. révélées par champ. Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de champs impliqués pour la catégorie du facteur.

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Pour les Fusarium totaux, un seul facteur a été sélectionné par l’analyse « stepwise ». Il s’agit du travail du sol. La somme des détections de Fusarium révélées par champ était significativement plus élevée pour le semis direct (moyenne de 15,5) que pour le travail conventionnel (moyenne de 10,6), alors que le travail réduit (moyenne de 13,3) n’était différent ni du travail conventionnel ni du semis direct (Fig. 4B). Ce résultat rejoint en quelque sorte ceux de diverses études (Cook 2006 ; Pankhurst et al. 1995 ; Pouleur et Comeau 2011 ; Schmitthenner 2000) qui ont montré une plus forte incidence des maladies racinaires dans les champs sans travail de sol ou en travail réduit que dans les champs avec un travail de sol conventionnel (labour). Pour ce qui est des champignons et oomycètes totaux, aucun facteur n’a été retenu par la procédure GLM-Select.

Le facteur traitement de semence n’a pas été sélectionné par la méthode « stepwise » pour aucune des trois variables réponses. Toutefois, étant donné que les traitements de semence avec des fongicides sont utilisés pour réduire les maladies racinaires au tout début de la croissance des plantes, nous avons procédé à une analyse de variance pour ce facteur sur les trois variables. Cette analyse a révélé une différence significative entre les trois différents traitements de semence pour l’indice racinaire, mais pas pour les Fusarium totaux ni pour les champignons et oomycètes totaux. Les racines du témoin sans traitement de semence étaient significativement en moins bonne santé (indice racinaire de 3,2) que celles du traitement de semence comprenant fongicide et insecticide (indice racinaire de 2,6), mais non différentes de celles du traitement fongicide seul (indice racinaire de 2,8) (Fig. 5). Comme explication, on peut présumer que les insecticides sur la semence ont réduit les dommages sur les racines des plantules dus aux insectes du sol réduisant par conséquent les portes d’entrée pour les champignons et oomycètes pathogènes. Les dommages dus aux insectes n’ont cependant pas été évalués dans la présente étude. Dans leur étude réalisée au Québec en 2015 et 2016, Labrie et al. (2017) ont aussi observé, pour 1 champ sur les 16 dans lesquels un essai avait été établi, une réduction de l’indice racinaire dans les parcelles dont les semences avaient été traitées avec des fongicides et insecticides (CRUISER MAXX® Vibrance® ; thiaméthoxame, difénoconazole, métalaxyl-M et sédaxane) comparativement aux parcelles témoins établies avec des semences traitées seulement avec des fongicides. Or, le peu de dommages aux racines dus aux insectes en 2015 et l’absence de tels dommages en 2016 (Labrie et al. 2017) ne permettent pas d’appuyer l’hypothèse qu’un indice racinaire moindre serait dû à moins de dommages causés par des insectes. Il est possible que le double enrobage des semences, une première fois avec fongicides et une seconde fois avec insecticides ou vice-versa, permette aux fongicides de rester plus longtemps autour de la semence et, par conséquent, d’être en mesure de protéger plus longtemps les racines contre les attaques de champignons et oomycètes pathogènes.

Figure 5

Effet du traitement de semence sur l’indice racinaire

Effet du traitement de semence sur l’indice racinaire

Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de champs impliqués pour la catégorie du facteur.

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Corrélations

Les coefficients de corrélation de Pearson n’ont pas montré de lien entre l’indice racinaire et les champignons et oomycètes totaux, ni entre l’indice racinaire et les Fusarium totaux, ou entre l’indice racinaire et chacun des champignons ou oomycètes individuellement (résultats non présentés). Il est difficile d’expliquer cette absence de lien entre l’état sanitaire des racines et la détection de champignons et oomycètes pathogènes dans ces racines. Les interactions entre les espèces du microbiome du sol sont très complexes et plus d’études sur le sujet seraient nécessaires pour apporter quelques explications.

CONCLUSION

Cette étude a montré que les Fusarium, Pythium et R. solani étaient très présents dans les champs des deux principales régions productrices de soya du Québec. Elle a aussi permis de constater que T. basicola pouvait être aussi fréquent que R. solani et qu’il était difficile d’étudier le Ph. sojae par des techniques d’isolement conventionnelles. L’usage de techniques moléculaires aurait grandement aidé à détecter cet oomycète pathogène, de même qu’à identifier les espèces de Pythium. L’analyse statistique par la méthode « stepwise » a permis de faire ressortir des facteurs pouvant influencer l’état sanitaire des racines de soya. Nous devons cependant rester prudents dans l’interprétation de ces résultats puisque cette analyse a été effectuée à partir de données d’une enquête et non à partir d’essais établis selon un dispositif expérimental. On ne sait pas non plus si l’effet observé d’un facteur sur l’état sanitaire des racines peut avoir eu un impact sur le rendement puisque ce dernier a été fourni pour l’ensemble du champ et non pour les zones du champ qui ont été échantillonnées.