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Le problème de la réforme de l’ONU se pose dès le début des années 1990. Après plus de quatre décennies d’immobilité forcée, l’institution qui incarne l’idéal même de la paix et de la collaboration entre les nations avait, pour la première fois, la possibilité concrète de réaliser les espoirs nés après 1945. La division du monde en deux blocs antagonistes, libéral et communiste, et la guerre froide ne s’étaient pas seulement avérées contradictoires avec la mission conciliatrice à l’origine de l’ONU, mais avaient empêché de fait le fonctionnement de ses institutions. Moulée sur le rapport de forces qui s’institue au terme de la Deuxième Guerre Mondiale, la structure décisionnelle de l’ONU apparaît déjà vide de sens après Yalta : les intérêts géopolitiques fondamentaux opposés des membres les plus influents du Conseil de sécurité, les États-Unis et l’URSS, font que le mécanisme décisionnel central de l’Organisation est paralysé par le système du veto. C’est pourquoi la fin de l’opposition Est-Ouest a représenté pour l’ONU le tournant le plus significatif de son histoire.
Toutefois, l’évolution géopolitique de la scène mondiale qui a permis le « dégel » des institutions onusiennes a, en même temps, scellé la perte d’actualité du group des cinq, qui est désormais loin de représenter la réalité du pouvoir planétaire. De plus, après cette période d’immobilité prolongée, l’Organisation a dû se confronter à des guerres nouvelles et à des menaces pour la paix issues de crises régionales, dont la complexité dévoile les limites de la « culture diplomatique » de l’ONU et l’inadéquation de ses moyens d’intervention. C’est pourquoi la démarche de l’ONU dans les derniers dix ans a été marquée par des efforts d’adaptation à cette situation nouvelle, efforts qui se sont déployés autour de deux axes principaux : premièrement, autour d’interventions dans les conflits locaux en parrainage avec les organisations régionales, dont l’OTAN ; deuxièmement, autour de l’élaboration d’une culture internationaliste fondée sur le rapprochement Est-Ouest et répondant au défi des conflits régionaux.
Ces deux axes, étroitement liés entre eux, nourrissent le débat autour de la réforme de l’ONU. Ce débat n’a pas jusqu’ici conduit à des progrès significatifs, en ce sens qu’il n’a ni permis la formation d’une nouvelle identité de l’Organisation et ni amélioré son efficacité dans la résolution des situations de crise. Les transformations, du reste très importantes, que les fonctions de l’ONU ont subi au fil des dernières années, sont le résultat d’une adaptation pragmatique aux conditions concrètes qui se présentaient au fur et à mesure plutôt que le produit d’une réflexion théorique globale, laquelle demeure encore très déficitaire, quant au rôle de l’ONU sur l’échiquier international. La tendance qu’on peut observer va dans le sens d’une collaboration de plus en plus étroite de l’Organisation avec les agences régionales : manquant souvent des outils opérationnels aussi bien que culturels indispensables à la gestion des crises locales, l’ONU est obligée par ses faiblesses et ses échecs de confier la gestion des interventions aux alliances militaires d’États, à l’OTAN, notamment, déjà protagonistes de la politique internationale de la guerre froide.
C’est dans ce cadre que se pose la question inspiratrice du colloque organisé par l’« Association franco-canadienne d’études stratégiques », dont les travaux se sont déroulés au Collège militaire royal du Canada à Kingston, les 2 et 3 octobre 1998. L’idée du colloque, et de ce livre qui en recueille les résultats (paru en 2000, donc après l’intervention au Kosovo), était de faire le point sur le processus de transformation de l’ONU. L’ouvrage comprend quatre parties : la première (« La réforme de l’ONU ») propose directement une réflexion sur la nature de l’ONU, sur sa « vocation » dans un horizon international en continuelle transformation ; la deuxième et la troisième parties examinent deux aspects problématiques majeurs de l’activité de l’ONU, étroitement liés : l’usage de la force (« L’Emploi de la force, le désarmement et l’ONU ») et les rapports ONU-OTAN (« L’ONU et l’OTAN ») ; la quatrième partie (« Études de cas ») aborde de façon concrète la démarche et les attitudes à l’égard de la réforme de l’ONU adoptées par une région, l’Europe, et trois pays : les États-Unis, l’Espagne et la France.
Les interventions sont très variées, aussi bien au niveau des sujets que des perspectives méthodologiques. On y trouve tout aussi bien des considérations théoriques sur l’évolution des institutions démocratiques, des réflexions sur les exigences structurelles de réforme des institutions onusiennes ou sur les enjeux des relations internationales après la guerre froide, que des évaluations des difficultés de gestion des partenariats locaux. Cette variété est le miroir des multiples formes du débat qui, au cours des dernières années, a pris corps autour de la réforme de l’ONU. Dans les différents articles qui composent l’ouvrage, tout comme dans la réalité du processus de transformation de l’Organisation d’ailleurs, demeure sensible le déséquilibre entre l’observation des dynamiques concrètes et la réflexion globale sur le rôle que l’ONU devrait assumer, abstraction faite des contraintes ponctuelles imposées pendant les épisodes de crise.
La première partie de l’ouvrage est la seule qui est explicitement dédiée à l’examen de la culture diplomatique de l’ONU. Les articles de cette section abordent les rapports entre l’Organisation et le nouveau cadre international par un biais qui se veut principalement théorique, en ce sens qu’il s’interroge sur la « vocation » même de l’ONU. D’instrument de résolution des conflits, celle-ci devient promotrice d’une certaine idée de l’ordre mondial.
L’intervention de Stanislav J. Kirschbaum, qui ouvre la discussion, aborde la question de « la “paix démocratique” et l’ONU ». La généralisation progressive des formes démocratiques de gouvernement, qu’on a pu observer à partir des années 1990, entraîne, selon l’auteur, des conséquences importantes sur les rapports internationaux. Si l’on accepte la thèse que les démocraties ne se font pas la guerre, l’ONU devrait fonder toute son action sur l’impératif démocratique, c’est-à-dire sur l’application la plus large possible à l’intérieur de chaque État du schéma de la « polyarchie » de Robert Dahl : élections compétitives et justes, possibilité de renversement du parti au pouvoir, respect des droits civiques.
Les autres parties de l’ouvrage abordent de façon plus concrète le problème des obstacles auxquels l’Organisation devra se confronter pour adapter ses moyens à la réalisation d’une nouvelle culture de la paix. Pour se réformer, l’ONU devra relever les défis majeurs posés par l’équilibre des forces à l’intérieur de l’Organisation et par la gestion des conflits régionaux.
La première question est abordée par l’article de Daniel Colard (« L’impératif de démocratisation, les Nations unies et le système de sécurité internationale »). L’auteur constate que la « paix démocratique » doit se fonder sur une démocratisation des mécanismes de la politique internationale. Le problème qui se pose donc d’abord est celui de la réforme du système décisionnel de l’ONU : ce n’est que sur cette base que l’Organisation saura imposer un nouveau modèle de sécurité internationale adapté à la nouvelle conception de la paix.
En deuxième lieu, l’idéal de la « paix démocratique » devra se confronter à des enjeux internationaux qui s’avèrent être de plus en plus locaux. C’est pourquoi une partie importante de la réforme de l’ONU devra se pencher sur les rapports avec les organisations régionales. La question posée par l’article de Houchang Hassan-Yari, (« La réforme de l’ONU et la mondialisation du système de sécurité : l’apport régional ») porte sur les rapports entre l’ONU et la plus influente des organisations régionales, l’OTAN. Plusieurs articles discutent la question de l’opposition entre deux cultures de la paix profondément différentes. Celui de Philippe Chapal (« La coopération entre l’ONU et l’OTAN ») adopte un point de vue remarquable. Sa thèse centrale est que l’ONU et l’OTAN ne pourront jamais collaborer de façon profitable par suite d’une profonde différence entre leurs cultures, l’une étant essentiellement diplomatique, l’autre, essentiellement militaire. Cette divergence est cultivée par les États-Unis, qui maintiennent fermement leur hégémonie dans l’OTAN et qui n’accepteront jamais d’intervenir dans une crise internationale sans y avoir un intérêt direct.
L’ouvrage a le mérite de tenter une présentation de différentes approches de la question de la réforme de l’ONU. Cependant, il nous semble que la discussion ne consacre pas assez de place à la question centrale de la redéfinition d’une culture de la paix et de la vie en commun au delà des frontières nationales, culturelles et idéologiques, laquelle ne peut être fondée que sur l’impératif de la démocratisation.
L’idée de la « paix démocratique », tout en étant un concept assez récent en science politique, s’enracine dans une longue tradition, qui remonte jusqu’au Projet de paix perpétuelle de Kant. Cet idéal pourrait offrir à l’ONU le noyau d’une nouvelle « culture diplomatique », d’une « mission » qui soit adaptée aux enjeux de la situation géopolitique actuelle : dans un contexte « global », mais qui est fortement déterminé par les dynamiques régionales, le partage des valeurs démocratiques et du respect des droits communs pourrait offrir un terrain de rencontre et d’échange sur un pied d’égalité, qui seul pourrait garantir la prise en compte de tous les intérêts.