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Lethbridge — ou Sikohkotoki, qui veut dire « rocher noir » en langue Blackfoot, en référence au charbon abondant dans la région, selon certains, ou en souvenir d’une pierre sacrée maintenant disparue, selon d’autres — est une ville de province située au sud de l’Alberta, en plein coeur d’un territoire historiquement occupé par la nation Kainai (communément appelée Blood, membre de la Confédération Blackfoot) et délimité constitutionnellement par le Traité no 7. Les autorités municipales ont fait construire, il y a quelques années, un hôtel de ville impressionnant orné de fontaines, d’espaces verts et d’aménagements paysagers fort plaisants à l’oeil. La pierre angulaire du premier hôtel de ville, construit en 1885, a été récupérée puis intégrée dans une porte d’arche du nouvel immeuble. L’ensemble architectural comprend une colonnade imposante, composée de 14 piliers de briques qui bordent une allée en hémicycle ceignant une partie du bâtiment. Chacun de ces massifs de maçonnerie est constitué d’un bas-relief qui honore quelques notables de la ville ou commémore un moment d’importance historique. Ces ornements ont été offerts à la ville en 1999 par l’Independent Order of Odd Fellows, organisation caritative originaire des États-Unis qui a pignon sur rue à Lethbridge depuis 1889. Un peu en retrait des piliers, on peut également apercevoir, tel un rappel troublant des politiques d’immigration racistes de l’État canadien, un monument érigé par la Société culturelle chinoise de Lethbridge en l’honneur des immigrants chinois de la ville.

Le premier bas-relief représente Red Crow, mais sans identifier nommément ce chef Kainai qui signa le Traité no 7. Devant lui, se tiennent deux colons qui incarnent la conscience colonisatrice dont participe l’univers socioculturel du sud de l’Alberta. Leur présence aux côtés du chef Kainai sert à mettre en évidence le fait que le rôle de la nation Kainai dans la région est antérieur à la période contemporaine et que celle-ci dût bientôt céder sa place à la colonisation et aux forces du « progrès ». Sur la sculpture en saillie, on peut lire l’inscription suivante : « Au cours des années 1870, des traités entre les membres de la Confédération Blackfoot et le gouvernement du Dominion établirent des réserves indiennes ; avec la colonisation vinrent s’installer la Police à cheval du Nord-Ouest (ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada) et des marchands comme Jerry Potts. » Bref, l’oeuvre célèbre du même souffle l’instauration du capitalisme et de la loi coloniale dans la région de même que le confinement de la nation Kainai dans une réserve.

Le deuxième pilier met en vedette Sir Alexander Galt, entrepreneur bien connu qui, fidèle à la tradition canadienne, a fort bien su marier affaires et politiques, et s’assurer, dit-on, l’appui financier de « plusieurs amis britanniques durant son mandat de Haut Commissaire du Canada à Londres pour mettre sur pied une industrie houillère de grande envergure dans le sud de l’Alberta ». Le troisième pilier est érigé à la mémoire d’Elliot Galt, fils du précédent, pour avoir acheté et exploité la mine de charbon Nicholas Sheran et quelques autres propriétés du même genre (sans, bien sûr, qu’il ne soit fait mention ni de qui, ni de quelle manière il s’est approprié ses divers avoirs fonciers). Le quatrième pilier rappelle qu’au cours des années 1890, Lethbridge était une ville isolée, fondée sur l’exploitation d’une seule ressource naturelle, où les hommes dominaient en nombre. Le cinquième pilier célèbre le chemin de fer Canadien Pacifique. Le sixième signale que plusieurs membres de la « Police à cheval » devinrent fermiers (sans que ne soient évoqués, encore là, les propriétaires originaux des terres qui leur ont été attribuées). Le septième pilier note que les immigrants se répandirent massivement dans le sud de l’Alberta et montre un silo près duquel se tient un homme d’ascendance manifestement européenne. Le huitième souligne la mise en service des canaux d’irrigation de la rivière Sainte-Marie (qui longe la réserve indienne) et laisse voir, encore une fois, un fermier euro-canadien. Les neuvième et dixième piliers portent sur une thématique militaire et rendent hommage à quelques notables. Le onzième pilier commémore la fondation de l’hôpital Galt ainsi que Lillian Parry, la première femme (euro-canadienne) à être élue au conseil municipal. Le douzième pilier fait l’éloge de la contribution des organisations féminines euro-canadiennes à l’histoire de la ville. Le treizième rappelle la fondation de l’Université de Lethbridge. Enfin, le quatorzième pilier salue l’apport d’Anne Campbell, une citoyenne de la ville, au monde de la musique.

Cette colonnade, on l’aura compris, symbolise en quelque sorte l’histoire de Lethbridge. Elle symbolise à tout le moins une certaine vision de cette histoire qui oblitère totalement la réalité de la présence Kainai sur le territoire environnant et les revendications des membres actuels de la nation Kainai contre l’État colonisateur et ses bénéficiaires allochtones. Faut-il s’en surprendre ? Ce retour architectural sur le passé n’est-il pas à l’image du rapport de domination et de subordination, du rapport entre l’occupant colonisateur et le colonisé déplacé et contrôlé, qu’entretiennent depuis quelques siècles les communautés allochtones et les peuples autochtones au Canada ? L’application des notions d’autodétermination, de citoyenneté et de fédéralisme au Canada a toujours été marquée au coin des rapports de pouvoir entre les populations colonisatrices et les populations colonisées que sont les Autochtones — rapports de pouvoir qui n’ont manifestement pas été à l’avantage de ces derniers. Entre la signature du Traité no 11 en 1921 et les années 1960, les peuples autochtones ont été pratiquement absents du paysage politique canadien. « Pendant tout le cheminement du Canada du statut de colonie à celui de nation indépendante », notait, en 1983, Keith Penner, auteur du rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’autonomie gouvernementale des Autochtones, « les peuples autochtones ont été carrément ignorés, sauf lorsqu’il s’est agi de négocier quelque accord pour obtenir plus de terres destinées à la colonisation [1]. »

De profondes cicatrices marquent le corps, l’âme et l’histoire autochtones contemporains, comme autant d’évidences d’une relation délétère avec l’occupant [2]. Pourtant, il faut bien se faire à l’idée que les descendants des colons et les peuples autochtones vivent, ici et maintenant, côte à côte ; il faut constituer un espace partagé, un espace de coexistence et de réconciliation où chacun puisse y trouver son compte. Mais ce n’est pas chose aisée et le fardeau d’une pareille tâche incombe en grande partie à ceux qui ont le plus bénéficié des effets de la colonisation. Du point de vue autochtone, on pourrait dire que l’histoire du Canada ressemble à un palimpseste, un manuscrit dont on a gratté ou effacé l’écriture originale pour y inscrire autre chose, car c’est exactement ce qui est arrivé aux peuples autochtones. Les nouveaux arrivants qui sont venus occuper le territoire ont superposé leur expérience et leur vécu sur le parchemin national, estompant du coup, voire niant les traces laissées par les peuples autochtones. Mais le cumul des réécritures successives fait le palimpseste et le définit dans sa totalité ; les anciennes strates modulent, façonnent même, en quelque sorte, les ajouts subséquents. À l’heure où l’État canadien cherche, dit-on, à redéfinir sa relation avec les peuples autochtones et à aménager les voies de la réconciliation, le vrai défi consiste précisément à ne pas perdre de vue l’empreinte autochtone et le sort qui lui a été réservé.

Le présent article soutient que le colonialisme constitue le fondement historique de la dynamique relationnelle qui a marqué et continue de marquer les rapports entre les peuples autochtones et la société canadienne, au bénéfice quasi exclusif de celle-ci. Les pratiques du colonialisme se sont transformées, certes, et se sont adaptées aux différents contextes économiques, technologiques et politiques qui se sont succédé, mais les rapports de pouvoir foncièrement inégalitaires et abusifs sur lesquels s’appuient ces pratiques, eux, demeurent. Cette réalité a été régulièrement niée, obscurcie ou légitimée par le recours constant à une panoplie de techniques et de dispositifs intellectuels, mythologiques, politiques, juridiques, culturels et idéologiques de telle sorte que la majorité des Canadiens l’ignorent. Ils n’ont, en fait, à peu près aucune idée de la situation politico-économique contemporaine des peuples autochtones et ne sont pas en mesure de constater combien ils profitent de privilèges iniques acquis au détriment de ces derniers. Il est impératif que ce type de rapport de pouvoir soit mis au jour, soumis à l’analyse critique et remis en question pour que puisse enfin s’accomplir l’émancipation politico-économique des peuples autochtones. Le Canada ne pourra transcender ses origines coloniales, légitimer son existence, affirmer son identité et devenir une société véritablement postcoloniale sans, au préalable, amorcer un nécessaire processus de décolonisation.

De quelques outils conceptuels

Il n’est pas aisé de transformer une relation historique de domination et de subordination en un arrangement fondé sur le respect mutuel et la réciprocité au sein duquel les parties concernées voient leurs intérêts propres, leurs valeurs, leurs voix et leurs droits honorés d’une manière concrète qui ait une portée politique réelle. La chose est d’autant plus difficile lorsque l’une des parties a amplement profité de la situation : transformer la relation de subordination en un rapport d’estime mutuelle implique nécessairement, pour elle, le renoncement à des privilèges qu’elle avait jusque-là considérés comme acquis. Pourtant, il peut y avoir beaucoup à gagner de cette transformation : stabilité socio-économique, capacité économique accrue, communion morale, respect de la communauté internationale et une plus grande vigueur culturelle, voilà autant d’avantages dont pourrait jouir un Canada postcolonial. Comment alors peut-on formuler un argument convaincant et mettre en oeuvre des stratégies appropriées pour créer les outils théoriques, susciter la volonté politique et rallier le public canadien à un projet de transformation postcolonial ? Le vocabulaire des droits et de la démocratie offrent, à cette fin, des outils conceptuels utiles.

Bien qu’ils aient tous subi les contrecoups de la domination coloniale, les peuples autochtones au Canada sont divers ; ils diffèrent tant par la culture, l’histoire, la géographie que par la réalité politique qui leur est propre. Lorsqu’il est question d’Autochtones, les non-Autochtones pensent généralement aux Indiens avec statut (reconnus en vertu de la Loi sur les Indiens) qui disposent d’une assise territoriale, mais il y a aujourd’hui au moins autant d’Autochtones qui vivent dans les villes et sont donc sans territoire précis. La Constitution de 1867 a prévu deux ordres principaux de gouvernement, provincial et fédéral, chacun jouissant de compétences et de souverainetés définies, de même que des mécanismes particuliers de gestion des relations intergouvernementales. Plusieurs penseurs et activistes autochtones estiment généralement que ce type de régime politico-administratif, qui a été imposé aux peuples autochtones, affirme leur souveraineté originale et, par conséquent, leur droit à l’autodétermination. Cette manière de voir remet en cause la légitimité de la souveraineté et de la structure organisationnelle de l’État canadien. Du coup, elle s’inscrit également en faux contre les velléités étatiques occasionnelles de révision des balises qui circonscrivent l’interface entre les peuples autochtones et l’État (amendements à la Loi sur les Indiens [3], revendications territoriales limitées par l’extinction du titre aborigène, délégation non constitutionnalisée de pouvoirs administratifs). La relation contemporaine entre les peuples autochtones et la société canadienne demeure problématique, dans son fondement même, parce qu’elle est encore largement déterminée par la dynamique colonialiste originelle. La flexibilité dont l’État semble avoir voulu faire preuve au cours des dernières années reste conditionnée par un rapport de domination et légitimée par le racisme.

Le Canada est un État colonial qui continue de dominer les nations colonisées qui sont de son ressort administratif. Pourtant, les principes fondamentaux du droit constitutionnel canadien et l’adhésion de l’État canadien au droit international donnent à penser que le Canada favorise la mise en place d’ordres politiques métaconstitutionnels au sein desquels les droits fondamentaux de la personne sont garantis par des gouvernements démocratiques et représentatifs. Ainsi donc, paradoxalement, l’État canadien se trouve à violer et à protéger, à la fois, les droits humains des peuples autochtones. Il faut avouer cependant que, dans la mesure où le Canada sait prendre son rôle de protecteur des droits au sérieux, ses élites politiques tolèrent moins facilement toute entorse étatique aux droits humains des peuples autochtones et cela se reflète de plus en plus dans la culture politique nationale. De leur côté, les peuples autochtones n’ont pas hésité à dénoncer, tant dans l’arène nationale que sur les tribunes internationales, les abus dont ils sont victimes, utilisant avec un certain succès les outils politiques et juridiques à leur disposition, et faisant appel à l’opinion publique. Aussi, peu à peu, a-t-on vu les conséquences négatives de la colonisation s’amenuiser et le Canada tendre vers un état politique que d’aucuns considéreraient volontiers comme postcolonial. Une certaine dose de prudence s’impose toutefois avant de formuler pareille conclusion. La notion de postcolonialisme implique que le colonialisme est, en quelque sorte, chose du passé [4]. Or, il est encore trop tôt pour affirmer que le Canada a véritablement atteint cet état de grâce.

Le fait est que l’État canadien n’a toujours pas réglé de manière satisfaisante les revendications identitaires qui proviennent non seulement des peuples autochtones colonisés, mais également des Québécois qui ont aussi fait les frais du système colonial canadien (bien que, eu égard aux Autochtones, ils en aient aussi profité). Par ailleurs, plusieurs gouvernements provinciaux n’ont de cesse de presser l’État fédéral de leurs réclamations particulières, mettant à mal l’unité politique du pays. Au cours des dernières années, plusieurs penseurs et activistes de talent [5] ont cherché le meilleur moyen de répondre aux défis que posent à la cohésion sociale et politique du Canada les différentes revendications identitaires, constitutionnelles, administratives et culturelles exprimées par divers milieux, groupes ou mouvements sociaux de tous les coins du pays. Les concepts de citoyenneté et de fédéralisme reviennent souvent à l’avant-plan de leurs réflexions. Le fédéralisme y est vu théoriquement comme un arrangement structurel qui recouvre la citoyenneté canadienne et permet que se réalisent les souverainetés individuelles à l’intérieur d’un État intégrateur qui se veut plus que la somme de ses composantes. Dans la pratique, cependant, le fédéralisme canadien « favorise une distribution inégale de l’influence politique [6] ». S’il fait en sorte que les gouvernements fédéral et provinciaux discutent et négocient entre eux, il n’a encore aménagé aucun mécanisme formel qui permettrait aux gouvernements autochtones de participer à de tels échanges. « Sans ces canaux de communication, les Autochtones n’ont guère d’autre recours que les coups d’éclat tels que les manifestations politiques, les barrages routiers et les poursuites judiciaires [7] ».

Les notions de droits humains, de citoyenneté et de fédéralisme sous-tendent la manière dont les débats canadiens appréhendent les relations historiques et actuelles entre l’État colonial, les nations colonisées et les populations qui s’y insèrent. Elles sont toutefois d’une mince utilité lorsqu’il s’agit de saisir les cheminements vers la décolonisation qui ne correspondent ni aux normes domestiques ni aux dogmes internationaux à l’égard de la souveraineté, de la nature de la communauté politique nationale et des revendications territoriales. Les théoriciens et les praticiens des relations internationales ont souvent une vision biaisée du monde alimentée par les idées et les idéologies dominantes qu’ils servent en retour à perpétuer. Aussi, les peuples autochtones doivent-ils pouvoir soulever d’autres problématiques et proposer d’autres théories de coexistence et de cohérence politiques, s’ils veulent éviter que leur propre vision du monde ne soit détournée par le langage et les idées de ceux-là mêmes qui les oppriment — une situation que l’universitaire maori Linda Tuhiwai Smith décrit comme l’« appropriation impérialiste de nos cerveaux [8] ». Le juriste anishnabe John Borrows soutient que le droit canadien s’inspire en partie du droit des Premières Nations et qu’on devrait en tenir compte de manière plus systématique dans l’amélioration du système de justice. Il note ainsi l’originalité et la richesse intellectuelles autochtones ; il insiste sur l’importance de recourir au savoir des Aînés et d’individus respectés au sein des communautés autochtones pour donner forme à une approche postcoloniale qui permette aux peuples autochtones de se prendre en main [9].

La création d’une situation postcoloniale de coexistence continue qui serait marquée par des rapports de pouvoir plus égalitaires et une volonté réelle de réconciliation implique que les valeurs qui animaient le colonisateur soient aussi modifiées. Le postcolonialisme repose sur des impératifs beaucoup plus exigeants que les quelques propositions d’autonomie gouvernementale qui ont été avancées jusqu’à maintenant ; il requiert l’« autochtonisation effective » de l’État, de ses institutions, de l’économie, des cultures et des populations à un point que les détenteurs du pouvoir n’ont pas encore osé imaginer. Une vision véritablement postcoloniale de la coexistence entre Autochtones et non-Autochtones ne saurait se satisfaire de simples concessions faites aux colonisés ; elle doit reposer sur un engagement mutuel envers un avenir commun (ce qui ne veut pas dire un avenir où les Autochtones disparaîtraient, assimilés ou homogénéisés). Les processus et les institutions constitutifs d’un ordre politique réimaginé doivent représenter les aspirations, les symboles et les pratiques des Autochtones tout autant que ceux des non-Autochtones.

L’espace juridictionnel à la table constitutionnelle fédérale

Les gouvernements fédéral et provinciaux ont généralement traité les peuples autochtones comme un enjeu politico-administratif sur lequel, selon les circonstances, ils réclament ou nient avoir droit de regard [10]. Les peuples autochtones sont abordés comme un problème de politique publique, un handicap économique ou une source d’embêtement politique. À plusieurs reprises au cours de l’histoire, des nations autochtones ont vu leurs intérêts particuliers manipulés au gré des disputes entre le gouvernement fédéral et les provinces, chacun se renvoyant la balle, niant avoir la responsabilité économique ou administrative de telle ou telle communauté autochtone, selon la nature des dossiers. Le gouvernement fédéral considère n’être imputable que pour les Indiens avec statut vivant dans les réserves ; tous les autres seraient du ressort des provinces. Certaines provinces, par contre, estiment que tous les Autochtones, quel que soit leur statut ou leur lieu de résidence, relèvent du gouvernement fédéral, particulièrement lorsqu’il s’agit du calcul du financement des programmes à frais partagés. Les municipalités, enfin, créatures des administrations provinciales (sauf dans les territoires où elles dépendent du gouvernement fédéral) nient également avoir une quelconque responsabilité financière à l’égard des Autochtones vivant dans les centres urbains, à moins que des fonds spéciaux ne leur soient attribués à cette fin par le gouvernement fédéral ou provincial. Bref, en bout de piste, ce sont les intérêts, les revendications citoyennes et les droits humains des peuples autochtones qui font les frais de ce va-et-vient politique. Pire, le message ainsi lancé aux Autochtones est qu’ils constituent un boulet plutôt qu’un atout pour les communautés auxquelles ils appartiennent.

Le gouvernement fédéral aussi bien que les provinces hésitent à admettre qu’il puisse y avoir un troisième ordre de gouvernement qui serait autochtone et cela, même si la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît les peuples autochtones et leurs droits, constitue une amorce dans cette direction. L’idée implique qu’une certaine mesure de souveraineté politique et de légitimité constitutionnelle soit reconnue aux Autochtones et qu’il faille partager avec eux diverses compétences administratives. Même si la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits des Autochtones et les droits issus de traités et même si l’Accord déchu de Charlottetown en 1992 allait assez loin dans la concrétisation de ces droits, leur existence met en cause la souveraineté de l’État canadien, donc son droit d’exercer sa compétence sur le territoire et les populations qui y résident. Voilà qui en indispose plusieurs et c’est là où le bât blesse.

En fait, le fond de l’affaire tient à ce que reconnaître ces droits signifie aussi, par extension, reconnaître que les Autochtones disposent du droit à l’autodétermination [11]. L’autodétermination englobe toutes les dimensions de la vie sociale, qu’elles soient culturelles, économiques, politiques, juridiques ou administratives ; elle pose le droit des individus et des peuples à l’autodéfinition des paramètres de la citoyenneté. Dans le cas des peuples autochtones, cela peut se résumer à la simple inclusion dans le cadre de l’État canadien, mais cela peut aussi aller jusqu’à la mise en place d’une entité politique autochtone précoloniale ou postcoloniale distincte. Le cas échéant, il faudrait prévoir un fédéralisme trilatéral qui pourrait donner lieu à l’instauration d’une économie politique différente de celle qui prévaut actuellement, car il se pourrait bien que des administrations autochtones indépendantes choisissent de ne pas se conformer au paradigme capitaliste de développement. Ainsi que l’a noté L. T. Smith, « les peuples autochtones disposent de solutions de rechange aux formes dominantes actuelles de développement. Ils s’appuient sur des modèles philosophiques qui lient les êtres humains entre eux et à l’environnement, et qui engendrent des principes de développement durable à l’enseigne du respect [12]. » Au Canada, plusieurs communautés autochtones se sont déjà engagées, en accord avec les impératifs culturels traditionnels qui sont les leurs, dans la voie d’expériences de développement économique non capitaliste, coopératif et solidaire.

N’en déplaise à ceux que l’autodétermination autochtone inquiète, les revendications autodéterministes peuvent contribuer et, de fait, ont déjà contribué à amorcer le passage des structures et pratiques du fédéralisme canadien vers un régime postcolonial. Rappelons que, jusqu’en 1960, on considérait les Autochtones encore incapables de jouir des bénéfices de la citoyenneté [13] et que l’on cherchera même à éliminer leurs réserves, leur statut et leurs traités quelques années plus tard [14]. Pourtant, en 1973, avec l’arrêt Calder, la Cour suprême invitait les Canadiens « à sérieusement envisager la possibilité que les peuples autochtones fassent partie intégrante du paysage politique et juridique du pays [15] ». Plus récemment, les paradigmes juridiques et politiques dominants ont été mis en cause par des décisions et des normes juridiques internationales qui établissent que les peuples autochtones sont victimes de violations de droits de la personne au Canada [16]. À cela s’ajoutent la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones et de leurs droits, la reconnaissance juridique en 2003 des Métis en tant que peuple autochtone de plein droit et la formulation de plus en plus admise dans le langage courant de ces droits en termes de droits de la personne et d’autodétermination. Les peuples autochtones au Canada ont donc progressivement cheminé sur un sentier qui les a menés du déni colonial de leur citoyenneté à leur existence ambivalente actuelle à la fois comme citoyens porteurs d’une double citoyenneté (canadienne et autochtone) et comme agents décolonisateurs en opposition à l’État canadien.

À travers ce processus de transformation, le gouvernement fédéral, depuis la publication du rapport Penner en 1983, s’en est surtout tenu à la notion d’autonomie gouvernementale. Celle-ci, toutefois, n’est pas sans poser problème et rien n’indique qu’il faut y voir la panacée aux pathologies sociales et économiques engendrées par le colonialisme. Comment, par exemple, des instruments de gouvernance peuvent-ils fonctionner au sein de communautés indéterminées ou diasporiques (Autochtones des villes, sans statut ou Métis) ? Comment, par ailleurs, appliquer les principes du droit international de la personne au sein de ces mêmes communautés ? De quelle nature sera le rapport de ces communautés avec l’État fédéral ? Comment se financeront-elles ? Aucune de ces questions ne compromet réellement la reconceptualisation d’un régime fédéral postcolonial, mais toutes soulèvent des défis théoriques et politiques qui n’ont rien d’aisé, et qui interpellent sérieusement les formulateurs de politiques publiques. De plus en plus, la notion d’autonomie gouvernementale fait place au langage de l’autodétermination, laquelle est identifiée désormais comme un droit humain exercé de concert avec d’autres. Cela s’avère une revendication beaucoup plus robuste que la volonté indéterminée et anémique d’autonomie gouvernementale.

Le droit à l’autodétermination

Avant que les Européens ne débarquent sur les rives de l’Amérique, la capacité d’autodétermination des peuples autochtones s’exerçait déjà à travers la souveraineté dont ils jouissaient alors. Le droit à l’autodétermination demeure un droit fondamental reconnu en droit international et confirmé même par la Constitution canadienne. James Anaya définit l’autodétermination comme un univers de droits humains qui s’appliquent généralement aux peuples, donc aux peuples autochtones aussi, et qui reposent sur l’idée que tous doivent également jouir du droit de contrôler leur propre destinée. Il s’agit d’un droit collectif dont le contenu et l’application participent du consensus autour de l’illégitimité du colonialisme et du caractère universel de droits internationalement reconnus. J. Anaya soutient que le droit dérivé des droits humains internationaux impose aux États le devoir de garantir aux peuples autochtones la possibilité de jouir de leurs droits et d’apporter tout correctif nécessaire en cas de violation de ces mêmes droits. De plus, la garantie de l’exercice de ces droits requiert que les normes qui sous-tendent la signature de traités ou d’accords soient enchâssées dans le principe d’autodétermination [17]. Cette manière de conceptualiser l’autodétermination s’inscrit en filigrane du Projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones présentement débattu aux Nations Unies.

Au Canada, l’idée d’autodétermination pour les peuples autochtones a fait son apparition dans le discours public en 1977, au moment de la Commission royale d’enquête dirigée par le juge Thomas Berger sur le projet d’oléoduc dans la vallée du Mackenzie [18]. De façon générale — mais non unanime —, on est assez d’accord avec ce qu’elle suppose, tant qu’elle ne viole pas les frontières de l’État canadien et ne remet pas en question son caractère souverain : va donc pour l’autodétermination, mais bien « à l’intérieur » du Canada. Au fond, dans le contexte canadien, le concept renvoie surtout à l’idée d’autonomie gouvernementale. Les philosophes politiques peuvent bien affirmer qu’elle « représente le plus fondamental des droits démocratiques et offre le cadre à l’intérieur duquel tous les autres droits puisent leur force et leur sens [19] », il n’empêche que l’autonomie gouvernementale n’a pas la profondeur du principe d’autodétermination ; elle ne représente guère mieux qu’une position de compromis pour ceux qui ont été privés de la jouissance de ce principe et qui sont soumis à la domination politique d’une force extérieure ou étrangère.

L’autodétermination dont jouissaient les peuples autochtones avant le contact avec les Européens a été largement réduite par le colonialisme. Tous n’ont pas été affectés au même moment ni de la même manière, mais après la création de la Confédération canadienne en 1867, le colonialisme a progressé de concert avec la mise en oeuvre de la Politique nationale de 1879. Dans ce grand plan d’ensemble de construction de l’État canadien, les Autochtones apparurent rapidement comme des obstacles à la concrétisation de la vision sociale et économique des Pères de la Confédération et l’on convint aussitôt de la nécessité d’aplanir ces obstacles par des politiques et des lois appropriées [20]. L’élite politique canadienne n’a pas hésité à recourir à tous les mécanismes législatifs, administratifs et juridiques à sa disposition pour consolider et institutionnaliser la pratique du colonialisme. Le droit s’est fait instrument au service de cette élite qui y eût recours pour développer et protéger les intérêts des classes capitalistes. Le Canada s’est bientôt vu doter d’un édifice social pourvu de fondations économiques, politiques, juridiques et culturelles qui nient l’authenticité autochtone, violent la souveraineté et les droits humains des peuples autochtones, continuent à ce jour de faire obstruction à tout effort de décolonisation et perpétuent le racisme et les privilèges raciaux sur lesquels reposait à l’origine le projet colonial [21].

Il est donc assez ironique que le droit ait progressivement amené les élites politiques de l’État colonial à revoir la nature des droits autochtones et de la relation de ce dernier avec les peuples autochtones. Le premier coup d’envoi dans cette direction est d’abord venu de la Cour suprême, en 1973, et de l’arrêt Calder qui reconnaissait l’existence du titre aborigène. Cette reconnaissance a bien forcé le gouvernement de l’époque, plutôt porté vers une politique assimilationniste, à admettre que les droits issus de traités étaient plus significatifs qu’il n’eût cru. L’arrêt Calder et les autres décisions juridiques qui suivront, de concert avec les pressions politiques émanant d’organisations autochtones, féministes et plus généralement de Canadiens intéressés à la chose, poussèrent les gouvernements canadiens à reconsidérer leur autorité politique à l’égard des Autochtones. La reconnaissance constitutionnelle des droits des Autochtones et des droits issus de traités n’est donc pas le fruit de la magnanimité naturelle du gouvernement ; elle participe plutôt de l’activisme politique et juridique d’intervenants voués à la promotion de la cause autochtone : ces droits ont été reconnus parce qu’on réalisa bien que, politiquement, il était plus sage et plus prudent qu’ils le soient [22]. L’amendement constitutionnel de 1983, qui protège les ententes territoriales contemporaines (en tant que traités), renforça davantage la présence constitutionnelle autochtone et, comme le nota le rapport Penner, il ouvrit la porte à une reconfiguration du partage des pouvoirs au sein de l’État canadien [23], ce que tenta effectivement l’Accord de Charlottetown en 1992, particulièrement en ce qui concerne l’élargissement des pouvoirs politiques et administratifs autochtones. Toutefois, l’échec référendaire de l’Accord de Charlottetown et le déclin subséquent de l’appui du public canadien pour de vastes initiatives de remaniement constitutionnel amenèrent les gouvernements fédéral et provinciaux à délaisser le processus de décolonisation qui avait été amorcé pour s’en remettre à des projets moins ambitieux dont le potentiel transformateur est passablement plus limité : les dernières tentatives de modifications de la Loi sur les Indiens ont d’ailleurs été accueillies comme le reflet d’une politique néocoloniale d’assimilation et d’extinction des droits [24].

On se retrouve donc presque, aujourd’hui, de retour à la case de départ. Les batailles juridiques qui sont en cours se livrent au cas par cas et portent sur des enjeux spécifiques (droits de chasse, droits de pêche, etc.) de sorte que la lutte plus globale pour l’autodétermination et l’imputabilité des gouvernements coloniaux à l’égard des peuples autochtones s’en trouve diluée. Certes, puisque le colonialisme n’a pas bonne presse et constitue aux yeux du droit international une entorse importante aux droits de la personne et puisque, par ailleurs, le droit des peuples à l’autodétermination représente en droit international un droit humain et que l’État canadien ne veut pas être en reste avec le droit international, le Canada cherche à montrer à la face du monde qu’il s’est engagé à revoir sa relation avec les peuples autochtones et à les considérer de plus en plus comme partie intégrante du processus gouvernemental et constitutionnel canadien. Malheureusement, sa démarche reste équivoque et marquée de politiques et de décisions juridiques contradictoires qui, en définitive, maintiennent le statu quo politique et économique.

Dans presque toutes les décisions des plus hautes instances juridiques du pays impliquant les droits des peuples autochtones, du xixe siècle jusqu’à nos jours, même lorsqu’elles semblent favoriser ces derniers, les tribunaux se sont ingéniés à lier la souveraineté autochtone au droit commun de manière à ne pas contester la souveraineté suprême de la Couronne. L’anthropologue Michael Asch est d’avis que cette réticence à admettre clairement et sans équivoque la souveraineté autochtone résulte de la fiction juridique qui anime le principe de terra nullius enchâssé dans le droit colonial canadien, selon lequel les territoires que se sont appropriés les Européens en Amérique n’appartenaient à personne au moment des premiers contacts et que personne n’y exerçait de souveraineté particulière. Terra nullius sert ainsi à affirmer l’incontestabilité et la prééminence de la souveraineté de l’État colonial sur toute autre souveraineté [25] Dans l’arrêt Delgamuukw en 1997, la Cour suprême a certes reconnu l’existence du titre aborigène des nations Gitksan et Wet’suwet’en en Colombie-Britannique, mais tout en prenant bien soin au préalable de déclarer que cette conclusion ne remettait nullement en question la souveraineté absolue de l’État canadien. Or, le litige qui opposait Delgamuukw à la Colombie-Britannique participait précisément d’une remise en cause de la souveraineté de l’État colonial canadien et des normes juridiques et constitutionnelles qui en sous-tendent la légitimité.

Au fond, dans la mesure où tout le système repose sur la primauté absolue de la souveraineté de l’État canadien, toute démarche visant la réappropriation de la souveraineté autochtone par le recours aux tribunaux est vouée à l’échec, car les postulats culturels, juridiques, économiques et politiques qui fondent l’interface entre l’État canadien et les peuples autochtones sont essentiellement définis par la donne coloniale. Ceci dit, il arrive de temps à autre que des occasions d’affaiblir les pratiques coloniales des gouvernements et des tribunaux se présentent ; elles offrent alors la possibilité de transformer sensiblement la relation entre l’État et les peuples autochtones en entamant un véritable processus de décolonisation. Ce fut le cas, par exemple, au moment de l’arrêt Marshall, en 1999, qui a établi que les droits issus de traités permettaient aux Mi’kmaq de se livrer à la pêche commerciale ; puis, de nouveau, au moment de l’arrêt Powley, en 2003, qui a reconnu aux Métis de Sault-Sainte-Marie le droit de s’adonner à la chasse à des fins de subsistance. Dans ces deux cas, le droit s’est adapté pour s’élever au-delà des thèses convenues qui, d’une part, limitaient l’application des droits des Autochtones à la préservation des pratiques traditionnelles précoloniales et, d’autre part, confinaient les Métis à un purgatoire conceptuel, sans droit reconnu ou justiciable.

La décolonisation est un projet vaste et ambitieux dont la mise en oeuvre et l’issue sont encore indéterminées. Elle implique l’idée de séparation, il va de soi, mais aussi ce que Benedict Kingsbury appelle l’« autodétermination relationelle », c’est-à-dire la restructuration et le maintien de la relation avec le colonisateur [26]. La notion d’autodétermination relationnelle crée un espace conceptuel permettant de poser l’autonomie autochtone dans le contexte historique de proximité géotemporelle et d’interdépendance qui est celui des communautés autochtones et non-autochtones au Canada. Elle recèle, en ce sens, un potentiel important pour justifier la mise en place d’un troisième ordre de gouvernement (qui serait autochtone) au sein de la structure fédérale canadienne. B. Kingsbury rejoint ici Iris Marion Young, qui conçoit l’autodétermination en fonction des notions de solidarité, de non-dominance et d’autonomie relationnelle [27] Poussée à son extrême logique, l’idée s’ouvre à la possibilité d’une autodétermination intégrée qui « autochtoniserait » l’État, le délesterait de ses oripeaux colonialistes et lui confèrerait en cela une légitimité nouvelle [28]. Elle invite en fait à oeuvrer à l’aménagement d’un espace d’autonomie politique et culturelle approprié, et à reconnaître que toutes les communautés politiques sont soumises aux réalités du système étatique international et participent d’une humanité qui lient entre eux tous les individus et tous les peuples. L’autodétermination doit donc prendre corps à l’intérieur de paramètres de solidarité interindividuelle et s’actualiser dans le respect scrupuleux du cadre international des droits de la personne.

Citoyenneté et identités

L’État colonial canadien a toujours tracé les frontières de la citoyenneté autochtone selon des critères qui lui sont propres. Par des instruments tels que la Loi sur les Indiens, il a en quelque sorte construit de toute pièce une notion de l’autochtonie adaptée aux conventions et aux impératifs bureaucratiques en vigueur. L’Autochtone est ainsi devenu un objet de gestion étatique. Mais ce statut essentiellement déterminé par l’État ne permet pas de saisir l’identité réelle d’une communauté ou d’une nation donnée. En se faisant fort de définir l’Autochtone selon des paramètres qui lui conviennent d’abord, l’État s’en tient à des formules pan-nationales englobantes qui gomment la nature particulière des réalités diverses et multiples des peuples autochtones au Canada. Ce faisant, il se montre insensible aux particularités des différentes communautés et aux rapports souvent complexes qu’elles entretiennent entre elles. En fait, l’État ramasse l’histoire, les particularismes culturels et les aspirations polymorphes des peuples autochtones en un tout qu’il cherche à rendre le plus homogène possible et qu’il inscrit à l’enseigne d’une catégorie bureaucratique identifiable de manière à en faciliter la gestion : il s’agit, bien sûr, du statut d’« Indien » qu’il n’accorde, il faut le dire, qu’à un nombre limité d’individus sur la foi de critères patrilinéaires et colonialistes.

Cet état de fait complique la démarche de décolonisation. Dans la mesure où l’identité autochtone est ainsi étroitement circonscrite et contrôlée par l’État, elle exclut du compte tous les individus qui ne correspondent pas strictement à cette identité, tous ceux, en fait, à qui l’État ne reconnaît pas le statut d’Indien, même s’ils ont fait les frais de la dynamique colonialiste. La réalité des rapports historiques entre colons et colonisés s’en trouve, du coup, minimisée, réduite, voire banalisée, comme si elle n’avait pas affecté autant de personnes qu’il est généralement reconnu. En bout de piste, la relation coloniale demeure, car l’État reste en dernière analyse celui qui fixe l’identité autochtone et détermine à la fois qui peut s’adresser à lui en vertu de cette identité et les questions qu’il est loisible, dès lors, d’aborder avec lui. Une relation postcoloniale, au contraire, ouvrirait la voie à une citoyenneté qui n’est pas imposée, mais choisie ; une citoyenneté qui n’oblitère pas les aspirations nationales autochtones, mais qui permet plutôt qu’elles s’affirment.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1982, en particulier, la citoyenneté est devenue le point de mire des théoriciens politiques et de ceux qui cherchent à en modifier les paramètres. Le terme est à la fois objectif, normatif et objet de contestation. Pour Alan Cairns, qui s’est intéressé au sujet dans le contexte des rapports entre les peuples autochtones et l’État au Canada, la citoyenneté « est le concept central de l’État providence démocratique [29]. » Il renvoie à une démarche sociopolitique encadrée par l’État qui se veut inclusive, ouverte, fondée sur la solidarité entre les individus et les communautés auxquelles ils appartiennent, et qui se refuse à toute distinction arbitraire entre eux selon l’origine ethnoculturelle, des critères raciaux ou l’orientation sexuelle. A. Cairns, toutefois, à l’instar de la plupart des théoriciens de la citoyenneté et de l’autodétermination, ne sait reconnaître combien l’État peut s’avérer problématique lorsque ce dernier est considéré à travers la lorgnette des peuples autochtones. Participant d’emblée de l’héritage intellectuel des penseurs non-autochtones que le caractère colonial de l’État ne semble pas interpeller a priori, A. Cairns et ceux qui s’inscrivent dans la même mouvance ne s’attardent guère à supputer l’influence de cet héritage sur la construction des théories de la citoyenneté et de l’autodétermination qu’ils avancent. Leur conceptualisation de la citoyenneté, de la décolonisation et de l’État est nécessairement partiale ; elle ignore les différents modèles, formules et possibilités théoriques que d’autres fondements intellectuels peuvent produire.

La citoyenneté est vue par A. Cairns et plusieurs autres comme le moyen par excellence d’unifier en un grand tout les multiples composantes de la diversité ethnoculturelle canadienne. À vrai dire, la citoyenneté n’est, dans le plus optimiste des scénarios, qu’une promesse encore non remplie ; dans le pire, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une imposition du colonisateur [30]. En 1967, le Rapport Hawthorn-Tremblay sur la situation des peuples autochtones proposa de considérer les Autochtones comme des « citoyens plus » (citizens plus), notion qui aurait superposé les droits autochtones à la citoyenneté canadienne. En réalité, Hawthorn et Tremblay procédaient à rebours : par définition, les droits autochtones viennent en premier et c’est la citoyenneté canadienne qui se rajoute. Il ne s’agit pas d’un caprice sémantique. La citoyenneté canadienne ne peut avoir de légitimité aux yeux des peuples autochtones que si elle vient compléter la reconnaissance de leurs droits qui, logiquement et nécessairement, précèdent l’existence de l’État et de ses droits. C’est à tout le moins ce que soutient le projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones selon lequel « les peuples autochtones ont le droit collectif de déterminer leur propre citoyenneté en accord avec leurs coutumes et leurs traditions. La citoyenneté autochtone n’entrave pas le droit des individus autochtones d’obtenir la citoyenneté des États au sein desquels ils vivent [31]. » Les droits autochtones sont des droits humains et leur existence émane tout à la fois de la relation coloniale et du refus de celle-ci. Une citoyenneté qui reposerait sur la primauté des droits autochtones serait beaucoup plus susceptible de rectifier le rapport inégalitaire qui a si longtemps opposé les peuples autochtones et l’État, et instituerait dès lors un véritable processus de décolonisation.

Il faut toutefois admettre qu’il n’existe pas encore de consensus quant à l’applicabilité de la citoyenneté canadienne aux peuples autochtones. En 1969, Harold Cardinal, alors chef de l’Association des Indiens de l’Alberta, estimait que les Canadiens « doivent reconnaître que nous sommes des citoyens à part entière, mais que nous disposons aussi de droits spéciaux [32]. » Pour sa part, l’intellectuel mohawk Taiaiake Alfred rejette la citoyenneté canadienne en faveur de l’identité politique traditionnelle des peuples autochtones souverains [33]. A. Cairns prêche pour une citoyenneté axée sur le présent, qui sache transcender les blessures infligées par les politiques assimilationnistes et ségrégationnistes du passé. Au congrès à la direction de l’Assemblée des Premières Nations, en 1997, à une question provenant d’un délégué s’enquerrant de leur auto-identification citoyenne, trois candidats répondirent qu’ils se réclamaient d’une double citoyenneté, autochtone et canadienne ; les trois autres affirmèrent rejeter la citoyenneté canadienne, pour différentes raisons. Ovide Mercredi, candidat sortant qui briguait à nouveau le poste de Grand Chef après six ans à la barre de l’organisation, admit que s’il s’était toujours considéré auparavant comme citoyen autochtone et canadien à la fois, après deux mandats comme représentant des intérêts des peuples autochtones, il s’identifiait désormais comme Cri et non plus comme Canadien : « On ne peut servir deux maîtres à la fois, seulement un », avait-il alors déclaré. Phil Fontaine, qui devait l’emporter sur O. Mercredi, soutint, quant à lui, que les « peuples autochtones au Canada ont le droit de posséder à la fois la citoyenneté canadienne et la citoyenneté autochtone, avec tous les droits et les obligations que l’une et l’autre impliquent [34]. »

Entre ces différentes positions, il faut pouvoir concevoir un espace citoyen qui convienne aux peuples autochtones, mais qui constitue aussi une véritable amorce de décolonisation et contribue, du coup, à transformer la citoyenneté canadienne elle-même. Dès lors qu’on aura d’emblée et inconditionnellement reconnu que les peuples autochtones existaient avant l’occupation coloniale comme entités politiques autodéterminées, dotées d’une culture particulière et contrôlant un territoire donné, et, qu’en vertu de cet état de fait, ils sont bénéficiaires de droits propres, on aura franchi le premier pas vers une nouvelle relation de nature postcoloniale entre l’État canadien et les peuples autochtones. Il faut en arriver à accepter que l’intégration des droits autochtones dans l’architecture même de l’État constitue un préalable essentiel à l’enrichissement et à la légitimation de la citoyenneté non-autochtone. Pour cela, il faut plus qu’une simple inclusion de façade de contenus ou d’individus autochtones dans le corps politique canadien ; il faut changer la donne, renverser la logique colonialiste de manière à autochtoniser l’État, c’est-à-dire de manière à imprégner l’État de l’imagination sociétale autochtone. L’autochtonisation de l’État exige de procéder à la transformation des structures institutionnelles existantes, des processus économiques et politiques dominants, et des canons de la raison universitaire et de la culture populaire, non pas simplement en incorporant ou en rendant hommage à quelque valeur supposément autochtone, mais bien en veillant à ce que toute la fibre de l’imaginaire autochtone soit directement impliquée dans cette dynamique de transformation. Tant que les Canadiens ne se seront pas véritablement saisis des impératifs de cette transformation, la citoyenneté et la souveraineté canadiennes resteront soumises à la logique colonialiste des origines.

L’autodéfinition citoyenne est sans doute l’une des expressions les plus fondamentales du droit humain à l’autodétermination et du droit de tout individu à vivre au sein de sa propre communauté culturelle et en accord avec ses préceptes. La conscience politique autochtone en est une d’opposition. Elle refuse l’appropriation par l’État de la souveraineté et de la capacité à s’autodéterminer des nations colonisées ; elle pose le droit inhérent des peuples autochtones à s’autodéfinir. Cela ne va toutefois pas sans poser certains défis politiques et conceptuels. Contrairement aux diktats universalistes de la pensée politique libérale qui cherchent à désamorcer les particularismes (raciaux, ethniques, culturels, etc.) dans le rapport que l’État établit avec les citoyens, l’identité autochtone est plus souvent posée comme une prémisse essentielle de l’autodétermination autochtone. Le particularisme est un attribut caractéristique de l’identité autochtone. Bien qu’il n’y ait à cela aucun mal en soi, il faut bien admettre que, dans leur facture actuelle, certaines revendications anticolonialistes autochtones se réclament de visions éminemment nationalistes, voire fondamentalistes de la communauté politique et s’alimentent de conceptions étroites et racisantes du « nous ». Certes, les nations autochtones doivent pouvoir disposer de suffisamment d’autonomie et de marge de manoeuvre pour déployer les critères sociaux et culturels qu’elles jugent nécessaires à leur intégrité collective et à leur préservation politique, mais aucun gouvernement autochtone postcolonial ne saurait se soustraire aux injonctions des régimes internationaux des droits de la personne. Il n’est pas impossible que cela remette en cause le contenu du « nous » et des frontières nationales que cherchent à construire certaines nations autochtones, mais les codes de citoyenneté et d’appartenance fondés sur le droit du sang ou sur quelque formule raciste, que proposent actuellement certaines administrations autochtones, ne constituent pas une solution de rechange acceptable au regard des droits de la personne.

Pour un fédéralisme postcolonial

Le fédéralisme sous-tend la notion d’État multinational au Canada. Le concept s’est avéré extrêmement porteur aussi bien du point de vue de la flexibilité du système politique canadien qu’en termes symboliques. Appliqué au contexte canadien, le fédéralisme a constamment évolué. Longtemps ancré dans un mode opératoire qui mêlait concurrence et collaboration entre les différents gouvernements armés de compétences précises applicables sur des zones géographiques clairement délimitées, il permet aujourd’hui de plus en plus aux groupes sociaux de se mobiliser, de s’affirmer et de définir leurs intérêts en dehors de paramètres territoriaux et juridictionnels stricts [35]. Qu’en est-il alors, dans ce contexte, des nations autochtones qui ont presque toutes des revendications territoriales ? Le fédéralisme canadien est-il capable de se réaménager en un espace politique postcolonial qui réponde aux exigences des peuples autochtones ? La chose relève en grande partie du droit et de la politique plutôt que de quelque remaniement structurel ou technique. John Borrows a bien démontré que les tribunaux canadiens ont constamment défini et redéfini le lien fédéral et les compétences des composantes de la fédération en s’appuyant sur les principes tacites (et non écrits) du fédéralisme. Il doit bien être possible de faire la même chose à l’égard de l’interprétation des différents traités qu’ont signés les Autochtones en s’appuyant sur la tradition orale [36].

Du point de vue politique toutefois, la chose pourrait être moins aisée. Les relations entre les Autochtones et l’État sont tissées dans un écheveau de rapports de pouvoir caractéristiques de l’électoralisme majoritariste, du capitalisme et du système de privilèges dont bénéficient principalement les Canadiens de race blanche [37]. Les intérêts de classe et de race de la majorité colonisatrice s’expriment à travers un système électoral qui n’est neutre qu’en apparence [38] et produit de fausses majorités, lesquelles, en retour, conduisent au pouvoir des gouvernements assez peu représentatifs. Fondé sur le principe de majorité simple, le système électoral canadien favorise la concentration régionale d’appuis politiques au détriment d’appuis nationaux et d’une représentation régionale plus équilibrée. C’est là une conséquence structurelle de la dominance électorale de partis politiques dont à peine trois pourcent de la population canadienne sont membres et pour lesquels moins des deux tiers des électeurs inscrits ont voté en 2000 — un système, en d’autres mots, sur lequel les Autochtones n’ont aucune chance d’exercer quelque contrôle que ce soit, même s’ils devaient en venir à voter en bloc pour un seul parti [39]. Le système politique partisan au Canada repose sur la reproduction de privilèges de classe, raciaux, coloniaux et patriarcaux qui filtrent tout candidat potentiel ne répondant pas aux conditions préétablies de succès politique. Pourtant, il n’y a pas que les peuples autochtones qui profiteraient du remplacement de ce système insatisfaisant par une structure politique fédérale autochtonisée ; c’est la démocratie et la culture politique canadiennes dans leur ensemble qui s’en trouveraient grandies.

Depuis 1982, en particulier, la dynamique politique constitutionnelle au Canada a accru le nombre d’acteurs dans la sphère fédérale. Progressivement, les deux niveaux de gouvernement en sont venus à inclure implicitement les peuples autochtones et divers groupes de citoyens dans les débats constitutionnels. Cela n’a pas été, bien sûr, sans contribuer à élargir le processus politique — même si l’engagement réel des citoyens est, au fond, plutôt symbolique. Mais, remarque le politologue Peter Russell, cela « soulève aussi en même temps une question fondamentale à savoir les citoyens d’un État-nation ont-ils suffisamment en commun, particulièrement en ce qui concerne leur idée de la justice politique et leur identité collective, pour partager la même citoyenneté sous l’égide d’une constitution commune [40] ? »

Les citoyens se sont hissés à l’avant-scène constitutionnelle de deux manières : d’abord en tant que partie prenante aux débats constitutionnels, puis en tant que porteurs de droits et de libertés garantis par une Charte qui force les gouvernements à respecter et à appliquer ces mêmes droits et libertés. La participation de divers groupes de citoyens, y compris les peuples autochtones, à la ronde de débats constitutionnels des années 1990 a pu démontrer en quelque sorte que le statut de citoyen au Canada ne se limite pas simplement à une relation passive entre les individus et leur gouvernement. Il n’en reste pas moins que le processus constitutionnel et fédéral canadien est entaché d’une ambivalence caractéristique quant à la nature profonde du projet politique canadien, et cette ambivalence tient à l’absence d’une identité cohérente [41]. Elle résulte d’une géométrie politique triangulaire entre le Québec, le Canada anglais et les peuples autochtones, une géométrie à l’intérieur de laquelle chaque composante de l’équation existe dans un rapport tendu avec les autres, de telle sorte que la souveraineté de l’État et l’identité nationale sont régulièrement remises en cause [42]. Au Canada, l’identité est toujours contextuelle, conditionnelle et sous-tendue par la dynamique oppositionnelle historique de forces politiques qui se sont, d’abord, affrontées dans le creuset du colonialisme et, de nos jours, dans le contexte de luttes plus contemporaines pour l’authenticité politique et historique dont l’État est l’enjeu. L’identité qu’un individu se reconnaît en tant qu’Autochtone ou Canadien, par exemple, participe de processus historiques qui mettent en jeu l’État et les différentes communautés d’appartenance que l’on retrouve au Canada. La construction identitaire renvoie à une dialectique sociétale profonde ; l’identité ne se réduit pas à un ensemble statique de caractéristiques formées à jamais. C’est là une dimension cruciale qu’il importe de bien saisir, car si l’objectif ultime du projet politique canadien est d’en venir à une définition consensuelle et intégratrice de l’identité citoyenne, comme s’interroge P. Russell, nous faisons peut-être fausse route. Les revendications actuelles des peuples autochtones et les exigences d’une démarche postcoloniale donnent plutôt à penser que la cohérence de la citoyenneté et de l’identité canadienne ne peut prendre forme au détriment de spécificités identitaires que l’État canadien a cherché à ostraciser ou à nier au cours des ans. Aussi la relation entre les peuples autochtones et l’État au Canada ne prendra-t-elle un tour plus égalitaire et le fédéralisme ne livrera-t-il tout son potentiel démocratique que si le cadre politique et institutionnel canadien s’insère d’emblée dans une démarche foncièrement postcoloniale enracinée dans le respect du droit international de la personne et la reconnaissance d’espaces politiques autochtones autonomes.

Conclusion

Pour les membres de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui rendit son rapport en 1996, le renouvellement de la relation entre les peuples autochtones et l’État canadien doit passer par la négociation et la mise en oeuvre de nouveaux traités qui supposent au préalable le caractère souverain des parties impliquées. Aussi louable que cette injonction puisse paraître, elle n’en est pas moins problématique, car elle présume la permanence identitaire à la fois du colon et de l’Autochtone, mais néglige l’évolution historique des cultures, des pratiques et des peuples. Elle présume également que les parties se satisferont jusqu’à la fin des temps de leur statut politico-identitaire actuel et des frontières institutionnelles ou des arrangements administratifs qui auront été négociés sur la foi de ce statut. Pareille approche a-historique souffre de courte vue et sous-estime à la fois les problèmes bureaucratiques et les questions liées aux droits de la personne, que peut soulever à long terme le maintien des compromis négociés aujourd’hui. C’est pourquoi, comme le présent texte l’a soutenu, l’autochtonisation de l’État — une injection de valeurs, de priorités et d’imaginaires autochtones dans la fibre même de l’État — semble constituer un objectif plus porteur et plus prometteur, qui est susceptible d’accomplir de véritables transformations et de renouveler la donne entre Autochtones et non-Autochtones d’une manière beaucoup plus positive et féconde.

Comment en arriver là sans sombrer dans la tentation de concessions mièvres et de changements pusillanimes qui, en bout de piste, ne feraient tout au plus qu’édulcorer la logique colonialiste sans pour autant la désarmer ou la faire disparaître ? Sans une relecture du palimpseste canadien qui tienne compte de manière authentique de sa complexité inhérente et des multiples histoires qui le composent, le Canada restera l’entité coloniale qu’il a toujours été, conçue, d’abord, au profit de l’élite économique, puis, éventuellement, au profit de l’élite politique qui la sert. La quête autodéterministe des peuples autochones est fondamentalement contraire aux intérêts particuliers de ces élites et paraît incompréhensible à la culture de masse raciste qu’a entretenue l’État colonial au fil des ans. Mais le Canada se trouve maintenant à la croisée des chemins. Les revendications autochtones n’iront pas en disparaissant ; tant que perdurera la logique coloniale, elles s’intensifieront sans doute, au contraire, remettant toujours plus en question la légitimité de l’identité et de la citoyenneté canadiennes. Celles-ci, toutefois, peuvent se reconstituer sur des bases nouvelles à la condition qu’elles sachent inclure désormais l’autochtonité constitutive de l’essence canadienne, trop souvent écartée. En d’autres mots, la cohésion de la société et de l’État canadiens, la restructuration du fédéralisme et la recomposition de la citoyenneté canadienne ne sont possibles qu’au prix d’une reconnaissance mutuelle authentique et d’une volonté réelle de faciliter aux peuples autochtones l’accès à un espace politique autodéterminé au sein duquel ils puissent se reconnaître.

Les individus et les peuples qui n’ont pas à craindre pour la pérennité de leur identité personnelle et collective éprouvent moins le besoin de politiser ou de raciser cette identité : respectée et admise, elle se fera politiquement moins virulente. Il y a donc beaucoup à espérer d’une démarche d’acceptation mutuelle et d’interpénétration culturelle, car elle est porteuse des espaces et des cultures d’hybridité si nécessaires à la mise en déroute des catégories racistes et des divisions identitaires qui entravent la formulation de projets politiques communs. On ne peut que souhaiter que les Canadiens sachent relever le défi.