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De plus en plus, les groupes sociaux traditionnellement évincés des instances politiques et des institutions publiques, on pense ici aux femmes et aux personnes issues des groupes ethniques minoritaires[1], revendiquent une intégration accrue en vue de leur pleine participation citoyenne. Faisant écho aux débats qui ont cours en Europe, les sociétés canadienne et québécoise s’interrogent sur les façons d’accroître la représentation politique des femmes et des membres des minorités ethnoculturelles. Leur relative exclusion des lieux de décision politique apparaît de moins en moins légitime compte tenu de leur poids dans la population. Issues de la société civile et du monde politique, des associations diverses prônent une ouverture élargie à l’égard des groupes sociaux traditionnellement exclus de la gestion des affaires publiques, estimant urgent la défense de leurs intérêts.

Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons uniquement au plan municipal[2], palier qui dispose d’un pouvoir de réglementation conféré par les assemblées législatives dans des domaines aussi variés que les loisirs et la culture, la sécurité, les travaux publics, l’habitation, le transport et l’environnement. Notre perspective prend acte du fait qu’au Canada, à la fin des années 1990, certaines provinces, notamment l’Ontario, ont procédé à des regroupements de municipalités en des villes de plus grande taille ; le Québec les a imitées en faisant adopter la Loi 170[3] sur les réorganisations municipales.

Imposé par le haut, ce processus de restructuration s’est par la suite étendu[4]. Nouvellement créées, les grandes agglomérations auront à relever des défis de taille, entre autres celui du partage effectif des prérogatives entre elles et les gouvernements provinciaux. Au Québec, le débat suscité par les fusions municipales a parfois été houleux. Ayant tout misé sur l’élection d’un gouvernement libéral[5], les défusionnistes ont gagné plusieurs référendums en juin 2004, notamment à Montréal et à Longueuil. En conséquence, tant Montréal que Longueuil seront démembrées au cours de l’année 2005.

Pour beaucoup de groupes, le moment des fusions a été l’occasion de questionner la notion de représentativité. Certains faisaient valoir que le regroupement des gouvernements municipaux était l’occasion à saisir pour les nouveaux acteurs désireux de jouer un rôle de premier plan dans le système politique municipal. Au contraire, d’autres groupes se sont inquiétés des effets de la réorganisation municipale sur la représentation des femmes et des personnes issues des groupes ethnoculturels dans les conseils municipaux, allant même jusqu’à prédire une baisse significative de leurs effectifs[6].

Nous analysons ici l’idée selon laquelle les fusions constituent un moment de changement important pour les municipalités et, plus précisément, l’hypothèse selon laquelle les réorganisations municipales favorisent le renouvellement des élites politiques et constituent un potentiel nouveau pour les groupes peu représentés auparavant, en l’occurrence les femmes et les personnes issues des groupes ethnoculturels minoritaires. Cette hypothèse repose notamment sur le travail amorcé par le Conseil du statut de la femme et la Fédération des femmes du Québec pour encourager les femmes à briguer les suffrages au palier municipal. Elle s’appuie également sur l’Avis du Conseil des relations interculturelles, qui propose des pistes d’action en vue d’augmenter la représentation de la diversité ethnoculturelle dans les instances politiques[7].

À la suite des élections municipales de novembre 2001, nous examinons les caractéristiques sociodémographiques et ethnoculturelles des candidats et des élus dans les cinq villes assujetties à la Loi 170, soit Gatineau, Lévis, Longueuil, Québec et Montréal. Nous analysons également leurs trajectoires politique et militante. Quoique de facture essentiellement descriptive et quantitative, notre étude présente des données inédites sur les caractéristiques du personnel politique en poste après les fusions municipales. Tout au long de notre examen de la question de la représentation dans les villes après les fusions, nous défendons l’idée qu’il existe un lien entre la réorganisation municipale et la reproduction ou le renouvellement des élites.

Les questions suivantes sont le fil conducteur de notre analyse : les fusions ont-elles permis l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène politique municipale québécoise ? Encore trop peu présentes au sein des conseils municipaux, les femmes ont-elles été les victimes des réorganisations municipales ? Après les fusions, comment la diversité ethnoculturelle se manifeste-t-elle au sein des conseils municipaux, notamment à Montréal ? Bref, nous tentons d’évaluer si les changements qui découlent des fusions municipales se traduisent par la mise en place d’une nouvelle élite politique.

Au Canada, quelques travaux empiriques ont examiné le caractère élitiste et non représentatif des parlementaires québécois et canadiens[8]. Sur le plan municipal, le cas montréalais a été l’objet d’études importantes, notamment celle de Guy Bourassa pour le compte de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme[9]. Selon lui, à la fin des années 1960, il existait une véritable mainmise des Canadiens français sur le système politique montréalais. Cette domination des Canadiens français « de milieu social moyen » s’effectuait au détriment des autres groupes ethniques, notamment de la minorité anglophone. Quant aux autres groupes minoritaires, dont les Juifs et les Italiens, ils ont fait leur entrée sur la scène municipale au cours de cette période. Depuis, la participation des groupes minoritaires à la vie politique s’est accrue. À Montréal, par exemple, beaucoup d’arrondissements à forte concentration de personnes issues des populations minoritaires sont représentés par des conseillers d’origine minoritaire. Mais, au moment où le monde municipal québécois est en proie à une profonde réorganisation politique et administrative, il importe de savoir si une telle tendance va se poursuivre, non seulement à Montréal, mais également dans les nouvelles agglomérations de Gatineau, de Lévis, de Longueuil et de Québec. Tous ces changements en cours pour redéfinir les structures municipales sont susceptibles, en effet, d’amener de nouveaux leaders sur la scène politique municipale, à qui l’on demandera d’assumer de nouvelles responsabilités. À n’en pas douter, il s’agit là d’une nouvelle possibilité pour les groupes minoritaires préoccupés par la question de la représentativité des conseils municipaux[10].

Nous nous intéressons ici uniquement aux similitudes relatives à certains critères objectifs d’accès aux postes électifs, à savoir : le sexe, l’origine ethnoculturelle, l’âge, l’occupation, la continuité du mandat électif et le militantisme. À la suite des élections de novembre 2001 dans les nouvelles villes fusionnées de Gatineau, de Lévis, de Longueuil, de Québec et de Montréal, nous dressons successivement le portrait des candidats et des élus. Après avoir analysé les quelques caractéristiques sociodémographiques retenues, nous mettons en parallèle le profil des femmes avec celui des hommes, et nous comparons la trajectoire sociopolitique des personnes des groupes majoritaires et minoritaires. Un tel examen permettra de faire le point en comparant la situation des groupes minoritaires et majoritaires entre les villes ; en outre, il servira à dégager quelques lignes d’action quant à la question de la représentativité des conseils municipaux.

Précisions méthodologiques

Pour mener à bien l’étude dans chaque municipalité, nous avons recensé l’ensemble des candidats à partir des déclarations de candidatures recueillies auprès du président d’élection et sur lesquelles figurent notamment les renseignements suivants : nom, prénom, date de naissance, adresse. En ce qui concerne les élus, nous les avons identifiés à partir des résultats colligés par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) au lendemain du scrutin du 4 novembre 2001. Dans une seconde étape, nous avons mis sur support informatique une fiche descriptive détaillée de tous ceux qui avaient brigué les suffrages. Pour ce faire, nous avons utilisé les notes biographiques des candidats publiées par les partis politiques pendant la campagne électorale ; nous avons également obtenu des partis politiques la plupart des brochures distribuées par les candidats dans les rassemblements publics ou dans leurs activités de porte à porte. Bien que de qualité inégale, ces outils ont tout de même permis de colliger plusieurs données intéressantes. Outre l’âge et le sexe, notre compilation porte sur les origines ethniques, les caractéristiques socioprofessionnelles et quelques éléments de la trajectoire militante et politique. Nous présentons ces données pour l’ensemble des candidats et des élus, selon les villes. Pour ne pas alourdir inutilement la lecture du texte, nous présentons en annexe des tableaux récapitulatifs.

Les candidats dans les villes fusionnées[11]

Le sexe

Lors des élections municipales de novembre 2001 dans les nouvelles villes de Gatineau, de Lévis, de Longueuil, de Montréal et de Québec, on comptait 561 candidats. De ce nombre, 153 étaient des femmes, soit 27,2 % de toutes les candidatures. Les femmes ont brigué les suffrages dans l’ensemble des villes analysées, et tous les partis politiques en lice ont présenté des femmes. Or, la distribution n’était pas homogène d’une ville à l’autre, pas plus d’ailleurs qu’au sein des divers partis politiques. Ce sont les villes de Longueuil et de Montréal qui se sont montrées les plus « ouvertes » aux candidatures féminines, avec respectivement 35,7 % et 28,2 % de femmes candidates. Quant aux villes de Lévis, de Québec et de Gatineau, les données indiquent que le pourcentage des candidatures féminines est inférieur à celui de l’ensemble, soit respectivement 23,6 % à Lévis, 22,5 % à Québec et seulement 13,1 % à Gatineau[12]. Nous notons aussi des différences significatives entre les partis politiques. Trois partis sont nettement en avance sur les autres, soit Équipe Marguerite Pearson Richard (Longueuil : 51,1 %), Vision Montréal (Montréal : 35,5 %) et Renouveau municipal de Québec (Québec : 35 %). Le parti Action civique de Québec, dirigé par l’ex-mairesse de Sainte-Foy, Andrée Boucher, arrive bon dernier avec seulement 15,0 % de candidatures féminines.

En dépit de progrès remarquables accomplis depuis les années 1980, ces résultats montrent que, même au palier municipal, il reste encore beaucoup à faire pour augmenter le nombre des candidatures féminines. Le profil présenté indique l’existence de fluctuations selon le poids démographique des villes ; il révèle également des écarts parfois considérables entre les partis politiques dans une même ville. La piètre performance de la ville de Gatineau (avec seulement 13 % de candidates) ainsi que le faible taux affiché par l’Action civique de Québec (15 %) viennent rappeler le temps où les femmes étaient totalement exclues du domaine politique. C’est un truisme de souligner à quel point il est important que les femmes posent leur candidature si elles veulent l’emporter. Une telle évidence prend toute sa signification à la lumière du fait que, en général, les femmes ont moins de chances de gagner que les hommes[13]. Nous reviendrons sur cette épineuse question dans la section sur les élus.

L’origine ethnoculturelle[14]

Dans les cinq villes de l’étude, les candidats sont majoritairement d’origine britannique ou française, soit 451 personnes (80,4 %). On compte 110 candidats d’origine autre que britannique et française, soit 19,6 % du total des candidatures. Les personnes issues des groupes ethnoculturels minoritaires affichent une présence « symbolique » à Longueuil (7), à Lévis (1) et à Gatineau (2) ; à Québec, on ne compte aucun candidat d’origine ethnoculturelle minoritaire, tandis qu’à Montréal, 100 candidats ont été recensés. Près de trois candidats sur quatre y ont brigué les suffrages au sein des deux principaux partis politiques de Montréal, en l’occurrence Vision Montréal (41) et Union des citoyens et citoyennes de l’île de Montréal (34).

Une telle distribution renvoie à la concentration des populations d’origine autre que britannique et française sur le territoire montréalais et sur le fait que, à l’extérieur du grand Montréal, le taux de présence des populations d’origine ethnoculturelle minoritaire est numériquement trop faible pour permettre à ces dernières d’avoir un effet sur les processus de sélection des candidats lors de l’investiture. L’étude attentive de la situation montréalaise nous apprend que l’origine des candidats issus des groupes ethnoculturels ne reflète pas tout à fait la diversité ethnique de la ville. En effet, la plupart d’entre eux sont d’origine européenne et, dans la vaste majorité des cas, ce sont des descendants d’immigrants arrivés au Québec avant la fin des années 1960. Ils proviennent tantôt des pays d’Europe du Nord et du Centre, et sont majoritairement Juifs, tantôt des pays d’Europe du Sud et sont principalement d’origine italienne. D’immigration plus ancienne, ces groupes sont bien enracinés ; leur engagement politique et communautaire dans la vie montréalaise en fait des acteurs à part entière. On ne s’étonnera donc pas que ces deux groupes aient présenté un nombre élevé de candidatures. En effet, 53 candidats (sur un total de 100 personnes, qui sont des hommes dans près de 70 % des cas) proviennent des populations juive et italienne[15] ; ainsi, une candidature sur deux issue des groupes ethniques minoritaires fait partie de ces deux communautés, et ce sont des hommes plus de huit fois sur dix. Il n’y a que 26 candidats issus des minorités visibles (dont 12 femmes), ce qui représente 8,8 % du total des candidatures montréalaises. D’une certaine façon, l’importance relative des candidats originaires d’Europe va de pair avec la faiblesse des candidats issus des minorités visibles.

On le sait, la population de la nouvelle ville de Montréal est composée d’un grand nombre de personnes dont l’origine ethnique est autre que française, britannique et nord-américaine. En outre, le portrait ethnoculturel qui se dégage de l’analyse des dernières données du recensement de 2001 montre l’importance des déclarations d’origines multiples dans plusieurs arrondissements de la nouvelle ville. La distribution des personnes issues des divers groupes ethniques autres que français, britanniques et nord-américains sur le territoire montréalais vient d’ailleurs confirmer certaines tendances, dont les principales sont : une surreprésentation de groupes ethniques dans certains arrondissements, une quasi-absence de ces groupes dans d’autres secteurs géographiques de la ville et une répartition spatiale nuancée ailleurs[16].

Ce modèle d’établissement des groupes ethniques sur le territoire montréalais est susceptible d’influencer l’issue du vote, comme l’ont montré différents auteurs[17]. Sur le plan municipal, en effet, la concentration résidentielle et la taille des unités électorales sont des aspects qui doivent être pris en considération, notamment dans un système à majorité simple comme le nôtre. Nous y reviendrons dans la section sur les élus. Pour le moment, retenons que la quasi-totalité des 100 candidats d’origine autre que française, britannique et nord-américaine ont fait acte de candidature dans des arrondissements montréalais où la population issue des groupes minoritaires dépasse souvent 30 %. En réalité, la grande majorité d’entre eux ont concentré leurs efforts dans dix-sept arrondissements seulement (sur un total de 27), quatre arrondissements sur dix-sept comprenant une population d’origine ethnique minoritaire inférieure à 30 %[18].

L’âge

Au moment des élections, deux candidats sur trois (386/561) avaient de 42 à 61 ans. De toute évidence, les candidats aux élections municipales ne sont pas très jeunes. Cependant, l’analyse comparée révèle que le portrait n’est pas identique d’une ville à l’autre. À Gatineau et à Longueuil, par exemple, les candidats sont plus âgés que dans les trois autres villes. Tandis que près de huit candidats sur dix se trouvent dans les tranches d’âge comprises entre 42 ans et 61 ans à Longueuil, c’est près de neuf candidats sur dix à Gatineau. Des différences existent également entre les hommes et les femmes, ces dernières étant au total plus jeunes. Dans les cinq villes étudiées, plus de 60 % des femmes avaient moins de 51 ans en novembre 2001 ; chez les hommes, c’est moins de 50 %. C’est à Gatineau que les écarts entre les hommes et les femmes sont les plus accentués : les femmes y sont un peu plus jeunes que leurs collègues masculins, 60 % d’entre elles étant nées en 1950 ou après, en comparaison à près de 40 % chez les hommes.

De façon générale, les candidats affichent donc un âge moyen assez élevé qui laisse peu de place aux jeunes, les candidats nés après 1960 ne représentant que 18 % de l’ensemble. De deux choses l’une : soit la politique municipale ne fait guère de place aux jeunes, soit ces derniers boudent plus spécifiquement le niveau local. Pour l’heure, nos données ne nous permettent pas de souscrire à une explication plutôt qu’à une autre.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’âge des candidats issus des communautés ethnoculturelles, il existe de fortes similitudes avec l’ensemble des candidats.

En résumé, du point de vue de l’âge, nous observons quelques écarts dans les cinq villes de l’étude, notamment entre les hommes et les femmes. Cela étant, le profil qui se dégage présente toutefois peu de différences significatives.

L’occupation

Les candidats aux élections municipales de 2001 présentent peu de variations dans leurs trajectoires professionnelles. D’après la classification de Statistique Canada[19], plus d’un candidat sur deux (55 %) travaillait dans trois secteurs d’activité principaux, à savoir : affaires, finance et administration ; sciences sociales, enseignement et administration publique ; ventes et services[20], au moment des élections (288 personnes). À Lévis, à Longueuil et à Montréal, la répartition des candidats entre ces trois secteurs d’activité ne présentait pas de différence notable. Par contre, à Québec, siège du gouvernement du Québec, un peu plus de quatre candidats sur dix travaillaient dans le domaine des sciences sociales, de l’enseignement et de l’administration publique[21].

Les femmes candidates suivent des trajectoires professionnelles relativement similaires à celles des hommes. Dans les villes de Montréal, de Longueuil et de Lévis, 54,7 % d’entre elles étaient actives dans les trois secteurs d’activité cités précédemment. À Québec toujours, quelques différences sont à noter, puisque deux candidates sur trois y étaient employées.

La situation socioprofessionnelle des candidats d’origine ethnoculturelle minoritaire ressemble beaucoup au portrait d’ensemble, 61 % d’entre eux travaillant dans les trois mêmes secteurs d’activité.

À défaut d’établir une classification en termes de catégories sociales ou de professions libérales, faute d’information suffisante, nous retenons, sur la base des données dont nous disposons, que la distribution des candidats dans quelques sphères d’activité montre peu de diversité sur le plan socioprofessionnel.

Le mandat électif

La stabilité et la continuité dans la détention du mandat électif constituent un critère objectif important pour évaluer le degré d’ouverture ou de fermeture d’un système politique. Nos résultats, quoique fort incomplets[22], indiquent néanmoins quelques tendances à propos des possibilités de renouvellement du personnel politique dans les conseils municipaux. Ils suggèrent que l’éventualité de renouvellement des conseils municipaux est relativement élevée. Dans l’ensemble des villes, en effet, moins de 40 % des candidats détenaient un mandat électif. Dans les villes de Gatineau et de Québec, les candidats déjà en poste au moment des élections constituaient respectivement 21 % et 50,5 % des candidatures. En somme, d’après ces données, la vie politique locale présenterait des occasions importantes pour les nouveaux candidats, ceux-ci formant 60 % de toutes les mises en candidature[23].

Qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, on enregistre peu de différences pour l’ensemble des villes : 38,4 % des hommes et 37,2 % des femmes étaient conseillers municipaux en novembre 2001. À Gatineau[24], par contre, seulement 20 % de tous les candidats (tant les hommes que les femmes) étaient dans cette situation. En ce qui concerne Lévis, un écart de 20 % entre les hommes et les femmes indique que les possibilités de renouvellement de la classe politique municipale y sont plus élevées pour les femmes que pour les hommes. Dans la section sur les élus, nous verrons si, dans le cas de Lévis plus particulièrement, l’hypothèse se vérifie.

Du côté des candidats issus des communautés ethnoculturelles minoritaires, les données concernant Longueuil et Montréal[25] montrent d’importantes similitudes avec le portrait d’ensemble. En effet, au moment du déclenchement des élections, près de 37 % des candidats d’origine autre que britannique et française détenaient un mandat électif. À l’instar des autres candidats, on note donc de fortes possibilités de renouvellement pour ceux des communautés ethnoculturelles.

Concernant le mandat électif, notre analyse révèle qu’il existe plus de ressemblances que de différences entre les candidats, en dépit de quelques variations enregistrées entre les villes. À quelques exceptions près, l’examen comparé entre les hommes et les femmes va dans un sens analogue ; il en est de même lorsque sont mises en parallèle l’origine ethnoculturelle des candidats et la détention ou non d’un mandat électif. Lorsque nous examinerons les résultats des élections, ces comparaisons relatives aux éventualités de changement des conseils municipaux seront sans doute relativisées. C’est à cette étape seulement que nous pourrons juger du degré d’ouverture ou de fermeture du système politique.

Peu de contrastes émergent des critères objectifs de sexe, d’origine ethnique, d’âge, d’occupation et de continuité du mandat électif, tant entre les candidats que les villes. Nous complétons le tableau comparatif avec l’examen du parcours militant des candidats.

Le militantisme

Dans l’ensemble, l’analyse détaillée de la trajectoire communautaire des candidats indique qu’ils ont des antécédents bénévoles dans des domaines variés, notamment au sein des organismes communautaires et sportifs, ces deux secteurs surpassant nettement les associations culturelles, syndicales et éducatives. Plus précisément, un peu plus d’un candidat sur deux était actif dans divers types d’associations au moment des élections[26], soit 292 personnes. C’est à Longueuil, à Québec et à Montréal que le nombre et le pourcentage des candidats pouvant témoigner d’une expérience bénévole dans le milieu communautaire est le plus élevé.

Du côté des femmes, le portrait diffère légèrement de celui qui précède. D’une part, les candidates sont plus nombreuses à avoir milité au sein d’organismes bénévoles que l’ensemble des candidats : 63,4 % contre 52 %. D’autre part, si les candidates ont participé à des associations communautaires au même titre que tous les candidats, elles ont nettement préféré les organismes culturels et éducatifs aux regroupements sportifs. Ces particularités apparaissent notamment à Longueuil, à Québec et à Montréal.

Les données concernant les candidats issus des groupes ethnoculturels minoritaires montrent qu’ils ont été actifs au sein d’associations bénévoles dans des proportions comparables (60 %) à celles de l’ensemble des candidats (56 %). Sans toutefois avoir mis de côté les organismes à vocation communautaire et sportive, on ne s’étonnera toutefois pas qu’ils aient privilégié les organismes ethniques, et ce, deux fois plus souvent que l’ensemble des candidats.

De fortes ressemblances relatives aux divers traits significatifs caractérisant les 561 candidats de l’étude semblent se dégager dans l’ensemble des villes. Bon nombre de similitudes ressortent, notamment à propos du secteur d’occupation et du parcours militant. Cela étant, la plupart des candidats sont des hommes blancs d’âge mûr. Quoique présentant des variations importantes selon les villes, la présence des femmes et des personnes d’origine ethnoculturelle minoritaire parmi les candidats constitue un indice de la capacité du système politique municipal à dépasser le caractère traditionnellement non représentatif des conseils municipaux. Soulignons également les multiples ressemblances entre les hommes et les femmes (les femmes étant toutefois un peu plus jeunes) et entre l’ensemble des candidats, quelle que soit leur origine ethnoculturelle.

Les élus dans les villes fusionnées

Les députés de l’Assemblée nationale affichent des caractéristiques sociales qui ne sont pas toujours à l’image de la société québécoise[27]. Pour vérifier si nous pouvons faire le même constat à propos des conseillers municipaux, nous brossons le profil général des élus dans les cinq villes à l’étude. Nous reprenons donc le même schéma d’analyse utilisé pour les candidats, de manière à faire ressortir les similitudes et les différences entre les élus, d’une part, et entre les candidats et les élus, d’autre part.

Le sexe

Dans les cinq villes de l’étude, 222 personnes ont été élues. De ce nombre, 61 étaient des femmes, ce qui représente 27,5 % du total des élus. Le pourcentage des élues est semblable à celui des candidates (27,3 %), ce qui veut dire que les femmes ont été élues dans des proportions égales à celles de leurs candidatures[28]. Somme toute encourageants, de tels résultats cachent tout de même des écarts entre les villes. À Gatineau et à Québec, les résultats enregistrés par les femmes sont en deçà de ceux qu’elles ont obtenus dans les trois autres villes et inférieurs à la moyenne observée dans l’ensemble des villes. Par contre, à Montréal, à Lévis et à Gatineau, le pourcentage de femmes élues est supérieur à leur taux de candidature. Dans ces trois dernières villes, donc, les femmes ont enregistré un taux de succès supérieur à celui des hommes. Finalement, dans chaque ville[29], un parti se distancie de son rival au regard du plus grand nombre de femmes élues, soit : l’Union des citoyens et citoyennes de l’île de Montréal (18 femmes) à Montréal, l’Équipe Olivier / Parti municipal Rive-Sud (12 femmes) à Longueuil, le Renouveau municipal de Québec (6 femmes) à Québec, et le Parti des citoyens et des citoyennes (5 femmes) à Lévis. À Montréal, à Longueuil et à Lévis, les partis ayant fait élire le plus grand nombre de femmes ont remporté l’élection. La croyance voulant que les femmes se fassent élire au sein de partis ayant peu de chances de gagner ne se vérifie donc pas ici, un certain[30] contingent de femmes faisant désormais partie des équipes au pouvoir.

L’origine ethnoculturelle

À l’issue des élections de 2001, 36 personnes d’origine ethnique minoritaire ont été élues dans les cinq villes de l’étude, ce qui représente 16,2 % de l’ensemble des conseillers municipaux. Ce pourcentage étant inférieur de 3,4 % à celui des candidatures provenant des communautés ethnoculturelles, les candidats appartenant à ces groupes ont donc moins de chances de se faire élire que ceux des groupes majoritaires. Comme pour les candidatures, c’est à Montréal que la présence d’élus d’origine ethnique minoritaire, des hommes dans 80 % des cas, est la plus significative (31/36). Ils y représentent près de 30 % du conseil municipal, ce qui est inférieur à leur présence dans l’ensemble du territoire montréalais. À Longueuil, par ailleurs, quatre personnes de groupe ethnique minoritaire sur sept ont remporté l’élection et, à Gatineau, c’est un candidat sur deux[31]. Revenons à Montréal pour rappeler que le parti du maire Tremblay a fait élire la plupart des conseillers d’origine ethnique minoritaire, soit 24 au total.

À Montréal, à l’instar des candidats, les élus appartenant aux communautés ethnoculturelles sont regroupés dans 13 arrondissements seulement (sur 27). L’effet de la concentration résidentielle évoqué précédemment a donc permis aux groupes ethniques d’influencer l’issue du scrutin puisque, dans la quasi-totalité de ces 13 arrondissements, le taux de présence des groupes ethniques minoritaires dépasse souvent 30 %. On considère d’ailleurs qu’à partir du seuil de 10 %, les groupes ethniques peuvent avoir une influence sur le plan électoral.

À la section portant sur les candidatures d’origines ethniques minoritaires, nous avons noté le dynamisme électoral de deux communautés, italienne et juive, en particulier. Il est intéressant de constater qu’elles ont fait élire 71 % des candidats appartenant aux groupes ethnoculturels (pour un total de 22 : 21 hommes et 1 femme). Un tel résultat, en plus d’illustrer le degré de participation politique de ces populations, constitue un bon indicateur de leur solidité et de leur poids démographique. Rappelons qu’à Montréal, les personnes d’origine juive et italienne représentent les deux communautés les plus importantes quant à leur nombre après celles d’origine française, britannique et nord-américaine.

Compte tenu des effectifs atteints en 2001 par les groupes ethnoculturels à l’échelle de la ville (près de 50 %), la présence de leurs représentants au Conseil municipal devrait s’améliorer. D’ailleurs, souvenons-nous qu’à l’occasion du débat entourant les fusions municipales, plusieurs groupes avaient prédit une baisse significative des représentants des groupes ethnoculturels à l’Hôtel de Ville de Montréal étant donné la forte diminution des postes à combler[32]. Fort heureusement, les résultats des dernières élections ne leur ont pas donné raison. Cela étant, la diversité ethnique des élus des groupes minoritaires ne reflète guère le portrait ethnoculturel de Montréal. Certes, l’intégration politique semble aller de soi pour les communautés italienne et juive, mais, eu égard à d’autres groupes dont le nombre est de plus en plus appréciable sur le territoire montréalais, notamment les personnes des communautés haïtienne et chinoise, il y a loin de la coupe aux lèvres. Bien que ces dernières communautés se trouvent fortement concentrées sur le plan géographique, elles semblent incapables, pour l’instant, de traduire leur enracinement local dans le contexte politique montréalais.

Étant donné leur arrivée récente à Montréal, il est possible que le niveau d’organisation de ces communautés ne soit pas suffisamment solide et structuré pour permettre aux candidats de ces groupes de traduire leur engagement politique en victoire électorale[33].

L’âge

Dans l’ensemble des villes, les élus sont plus âgés que les candidats ; sur un total de 222 élus, 164 sont nés de 1940 à 1959, soit 73,9 % (la proportion est de deux sur trois du côté des candidats). Les villes de Lévis, de Québec et de Montréal présentent peu de variations à cet égard ; à Gatineau et à Longueuil par contre, les élus sont plus vieux qu’ailleurs. Ils y sont également plus âgés que les candidats.

Nous avons déjà souligné que les femmes candidates étaient plus jeunes que leurs homologues masculins. En revanche, les femmes élues sont respectivement légèrement et nettement plus âgées que leurs homologues masculins et que l’ensemble des candidates aux mandats municipaux. On constate également des variations entre les villes : à Lévis, à Québec et à Gatineau, les femmes élues sont en moyenne plus jeunes qu’à Montréal et à Longueuil.

Comme ces données le révèlent, pour pouvoir accéder à des fonctions électives sur le plan municipal, il faut donc avoir un âge assez avancé. Comme nous le verrons ultérieurement, cette impression de vieillissement des politiciens locaux sera confirmée par le fait que la plupart d’entre eux témoignent d’une expérience politique active plus ou moins longue.

Finalement, notons que les élus issus des communautés ethnoculturelles ne font pas exception au portrait général : ils se trouvent majoritairement dans les mêmes tranches d’âge que l’ensemble des élus, 71 % d’entre eux étant nés de 1940 à 1959.

L’occupation

Le portrait qui se dégage des domaines dans lesquels travaillaient les élus varie par rapport à celui des candidats. Si, dans les villes[34], les élus se trouvent majoritairement dans les mêmes secteurs d’activité que les candidats, à savoir : affaires, finance et administration ; sciences sociales, enseignement et administration publique ; ventes et services, leur proportion y est toutefois supérieure, soit 67,3 % (contre 55 % pour les candidats). Les villes de Lévis et de Québec présentent des singularités à ce volet. À Lévis, les élus se trouvent également, dans des proportions relativement importantes, dans d’autres secteurs d’activité tels que la gestion et les professions propres au secteur primaire. À Québec, un élu sur deux était, au moment des élections, actif dans le domaine des sciences sociales, de l’enseignement et de l’administration publique.

Les femmes qui ont été élues étaient actives, elles aussi, dans les mêmes secteurs de travail que l’ensemble des élus, quoique dans une proportion légèrement inférieure (61,4 %). À Lévis, outre les trois domaines d’activité principaux, les élues travaillaient également dans les domaines de la gestion et de la santé ; à Québec, par contre, cinq élues sur sept étaient employées dans les secteurs des sciences sociales et de l’administration publique.

Pour leur part, les élus issus des communautés ethnoculturelles se trouvent en très grande majorité dans les trois domaines d’activité déjà identifiés. En réalité, 27 sur 31 y avaient un emploi, soit près de neuf personnes sur dix. Sans aucun doute, une telle concentration des élus d’origine minoritaire dans ces trois domaines d’activité constitue un bon indicateur de leur intégration sociale et économique. Au total, donc, il y a peu de contraste quant à la situation socioprofessionnelle des élus, tant du point de vue du sexe que de l’origine ethnique. En revanche, on relève quelques différences liées aux villes.

Le mandat électif

Dans la section précédente, nous avons vu que le pourcentage élevé de candidats (moyenne de 60 %) ne détenant pas un mandat électif sur le plan local montrait des possibilités élevées de renouvellement du personnel politique. L’analyse comparée des trajectoires politiques des élus permet-elle de prêter foi à cette éventualité ou, au contraire, de soupçonner un phénomène inversé ? Nos données indiquent que près de 70 % des élus (155/222) étaient en poste au moment du déclenchement des élections. À Montréal et à Québec[35], ces taux sont supérieurs et atteignent 75 %. Contrairement à l’ouverture constatée en matière de candidatures, il semble donc exister une véritable filière locale par laquelle sont passés la majorité des nouveaux élus, la plupart siégeant déjà soit à titre de maire, soit comme conseiller municipal dans les villes concernées par les réorganisations municipales. En somme, il n’est pas exagéré de soutenir que le 4 novembre 2001, les réélections[36] ont été la règle plutôt que l’exception.

En moyenne, peu de différences séparent les hommes et les femmes, 70 % des premiers ayant obtenu un renouvellement de mandat contre 67 % des secondes. Par contre, à Lévis et à Longueuil, les écarts hommes/femmes sont plus importants qu’ailleurs. Tandis qu’à Lévis, seulement 40 % des femmes élues étaient déjà conseillères municipales (contre 72 % des hommes), à Longueuil, la proportion est carrément inversée : 85 % des femmes ont été réélues (contre 63 % des hommes). Pour la plupart des femmes de Lévis, l’élection à titre de conseillère municipale constitue donc une première. Rappelons qu’à Lévis, cinq femmes ont été élues (sur un total de 16 postes à combler), ce qui, proportionnellement, constitue le plus haut taux des cinq villes de l’analyse.

En dépit du nombre élevé de nouveaux venus sur la scène électorale municipale, et sur la base des données mises à notre disposition, nous pouvons conclure que la plupart des néophytes ont mordu la poussière, la majorité des élus possédant déjà une expérience en politique municipale.

En novembre 2001, les élus issus des communautés ethnoculturelles détenaient déjà un mandat électif dans une proportion de 83 %. Cette donnée, supérieure à la moyenne constatée pour l’ensemble de l’étude (70 %), souligne à quel point la filière locale demeure peu ouverte aux nouveaux candidats d’origine ethnoculturelle. Pour ces derniers, en effet, la fermeture du système politique local est encore plus grande que pour les femmes.

De la comparaison du taux de renouvellement du personnel politique entre les villes se dégage un profil des élites locales marqué par une ressemblance forte. En somme, le fait de détenir un mandat semble constituer une ressource élective quasiment insurmontable. À elle seule, cette donnée montre que, même sur le plan municipal, les possibilités de renouvellement du personnel politique sont nettement plus faibles qu’escompté précédemment. La ville de Lévis semble toutefois constituer une exception pour les femmes, les nouvelles venues représentant 60 % des élues[37].

Le militantisme[38]

L’examen de la trajectoire communautaire des élus fait voir des analogies avec celle des candidats. Au total, 141 personnes, soit 63,5 % de tous les élus, ont milité dans des organisations communautaires et ont été actifs dans diverses associations. Nos données montrent que les élus sont attirés surtout par le milieu communautaire et les associations de sport et de loisir. Un tel profil se rencontre dans toutes les villes de l’étude ; il est clair que le fait d’avoir des antécédents comme militant dans des groupes bénévoles permet aux futurs élus de développer des qualités et d’acquérir de l’expérience qui leur seront fort utiles après les élections. De surcroît, l’engagement au sein d’organisations communautaires fait en sorte que les futurs élus pourront compter sur l’appui d’un réseau déjà constitué.

De leur côté, les femmes élues témoignent d’un parcours militant plus important encore. Selon nos données, 72,6 % d’entre elles se sont engagées dans des organisations bénévoles. C’est notamment dans les villes de Longueuil et de Lévis que le phénomène est le plus marqué. Notons également que les femmes élues sont plus nombreuses à avoir des antécédents bénévoles que les femmes candidates et, comme ces dernières, participent activement à des organismes communautaires tout en étant plus actives que l’ensemble des élus dans les secteurs culturels et éducatifs, et un peu moins dans le secteur sportif. C’est entre autres dans les villes de Montréal et de Longueuil que ces différences sont les plus importantes.

Les élus issus des communautés ethnoculturelles ont été actifs dans les associations bénévoles plus que l’ensemble des élus[39], 75 % d’entre eux témoignant d’un engagement à ce chapitre (contre 60 % pour les candidats ethniques). À l’instar de ces derniers, beaucoup se sont engagés dans des organismes préoccupés par la défense et la promotion des intérêts des groupes ethniques minoritaires, mais n’ont pas délaissé pour autant les autres associations communautaires, pas plus que les organismes voués aux loisirs et aux sports.

Conclusion

À l’aide de critères objectifs, nous avons comparé les villes issues de la réorganisation municipale dans le but de relever les ressemblances et les dissemblances entre les candidats et les élus. L’analyse qui s’achève permet de faire le point sur les conséquences de ces transformations qui, selon l’hypothèse posée au départ, permettraient un renouvellement des conseils municipaux en favorisant l’arrivée de nouveaux groupes peu représentés jusqu’alors. Bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer de manière définitive les effets des nouvelles contraintes institutionnelles sur ces derniers groupes, entre autres depuis la tenue de référendums gagnants dans les nouvelles villes fusionnées, nous pouvons tout de même suggérer quelques interprétations de nos résultats.

En ce qui concerne les caractéristiques des nouveaux élus dans les villes de l’étude, nous notons que, à l’instar des candidats, la plupart sont des hommes blancs d’âge mûr, déjà détenteurs d’un mandat électif à l’échelle locale. Quoique présentes[40], les femmes continuent d’être minoritaires, tant en nombre qu’en pourcentage, et elles sont légèrement plus âgées que les hommes. Toutefois, le fait d’être une femme ne semble plus constituer un obstacle de taille, les femmes se faisant élire dans des proportions équivalentes à celles de leur candidature. Par contre, bien que les femmes aient détenu un mandat électif presque aussi souvent que les hommes, un grand nombre de nouvelles venues en politique ont fait des percées intéressantes. Sur le plan de l’engagement communautaire, les femmes (candidates et élues) témoignent d’une trajectoire militante plus importante que le portrait d’ensemble. Par ailleurs, les conseillères sont nettement plus engagées dans le milieu bénévole que les candidates, d’une part, et que l’ensemble des conseillers, d’autre part. Finalement, retenons que les hommes et les femmes diffèrent quant aux types d’associations dans lesquelles ils s’engagent. Les écarts les plus importants concernent les associations sportives, ces dernières demeurant la chasse gardée des hommes.

En dépit d’une présence grandissante des personnes d’origine autre que française et britannique dans les autres villes de l’étude, les élus issus des groupes ethnoculturels minoritaires demeurent, quant à eux, concentrés à Montréal. Ce sont aussi des hommes d’âge mûr, majoritairement d’origine italienne ou juive (22/31[41]), ayant souvent à leur actif une carrière politique à l’échelle municipale. À cet égard, ils ressemblent beaucoup aux autres élus de l’étude. En revanche, ils témoignent d’un militantisme plus important que ces derniers au sein d’organismes à vocation ethnoculturelle. Par ailleurs, le manque de renouvellement constaté parmi les élus d’origine ethnique minoritaire a pour effet de priver les populations concernées de toute relève. Il en découle de fâcheuses conséquences, dont une quasi-absence d’élus issus des minorités visibles[42] et une accentuation du caractère non représentatif des élus des groupes minoritaires.

Si la représentation signifie un rapport de ressemblance avec l’ensemble de la population, il nous faut conclure de ce qui précède que les élus qui nous gouvernent sur le plan local ne sont pas à l’image de l’électorat municipal, tant en ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques que l’origine ethnoculturelle et l’expérience communautaire et politique.

On aurait pu croire que la création de mégavilles permettrait une relative ouverture du système politique local à des groupes qui en avaient été traditionnellement exclus, notamment les femmes et les personnes des groupes ethniques minoritaires[43], mais il n’en est rien, comme si les nouvelles réalités institutionnelles tiraient peu à conséquence. Relativement homogène, le profil dégagé renvoie à la concurrence politique accrue suscitée par les fusions et à laquelle se sont livrés les partis pour recruter des candidats en vue dans leur communauté. Par ailleurs, il montre à quel point l’appartenance aux élites locales est cruciale, d’où le faible taux de renouvellement constaté : plus de deux élus sur trois témoignent en effet d’une stabilité et d’une continuité dans la détention de leur mandat électif. En bref, pour toute personne désireuse de poser sa candidature aux élections municipales, être déjà en poste constitue une ressource élective déterminante.

Le caractère non représentatif des élus a déjà été mis en évidence, notamment pour les députés fédéraux et provinciaux. Le portrait qui s’achève des nouveaux élus municipaux à la tête des villes fusionnées de Gatineau, de Lévis, de Longueuil, de Québec et de Montréal met en lumière l’importance accordée à ces lieux de pouvoir par les élites municipales, lesquelles proviennent majoritairement de couches limitées de la société civile. La portée et les conséquences d’un tel constat devront être examinées ultérieurement ; la réalité du phénomène politique local se mesure également à la façon dont les problèmes sont réglés, notamment en matière d’attribution des ressources et des services offerts.

Au moment où ces lignes sont écrites, d’anciennes villes fusionnées ont gagné leur pari ; l’avenir dira si elles pourront revenir à la situation qui prévalait avant les réorganisations municipales. S’il est difficile, aujourd’hui, d’imaginer clairement les nouveaux contours du milieu municipal québécois, on peut tout de même argumenter que la future organisation du milieu municipal va constituer un moment crucial pour la représentation des nouveaux acteurs, notamment les femmes et les minorités ethnoculturelles. Il leur revient donc de saisir cet autre moment de changement.