Recensions

Sept leçons sur le cosmopolitisme : agir politique et imaginaire démocratique, de Joseph Yvon Thériault, Montréal, Québec/Amérique, 2019, 229 p.[Record]

  • Francis Moreault

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Portons d’emblée notre attention sur l’originalité du titre de l’ouvrage : Sept leçons sur le cosmopolitisme. L’auteur, Joseph Yvon Thériault, ne prétend pas écrire un essai qui consisterait « à défendre un point de vue » (p. 23) ou à soutenir une thèse sur le cosmopolitisme, mais bien donner quelques leçons sur ce thème. Qu’est-ce à dire ? Reprenant la fameuse distinction wébérienne entre le savant et le politique – le premier produit des connaissances, tandis que le second prend des décisions inspirées par les valeurs –, il ne faut pas, selon le professeur de sociologie, faire la leçon ou faire la morale à qui que ce soit, mais bien donner sa leçon, c’est-à-dire « passer par le long chemin qui cherche la vérité, toujours inatteignable » (p. 29), sur la dimension proprement politique liée au cosmos. Bien qu’il fixe lui-même une limite à cette dichotomie chère à Weber, à savoir que le savant ne peut se soustraire « à toute intention politique » (p. 28), il n’en reste pas moins qu’il doit surtout chercher non pas à convaincre mais à démontrer. Intéressant. L’auteur puise ici à même ses souvenirs : il se remémore cette notion développée par Raymond Aron dans son livre Dix-huit leçons sur la société industrielle (Folio, 1962) au sein duquel ce dernier reprenait les exposés magistraux tenus lors de ses séances et qu’il avait lus pendant ses études supérieures en France. Sept leçons constitue ainsi, en quelque sorte, le « testament académique » de l’intellectuel d’origine acadienne, car celui-ci se retirait récemment de l’enseignement universitaire, et vient clore dès lors plus de quarante ans de recherche et de travaux scientifiques entrepris par la publication de La Société civile ou la chimère insaisissable en 1985 (Québec/Amérique). Suivant un trimestre universitaire à raison d’une leçon à toutes les deux semaines, les sept leçons de cet ouvrage visent « à comprendre comment le débat sur le cosmopolitisme est une dynamique qui cherche à façonner la forme politique de nos sociétés » (p. 24). Fidèle à ses premiers travaux universitaires qui exploraient la question de la démocratie à l’épreuve des sociétés contemporaines, le sociologue tente de saisir dans quelle mesure il est possible d’instituer une politique fondée sur le cosmopolitisme. Bref, le demos peut-il surgir du cosmos ? Dans la première leçon, Thériault retrace le cheminement historique du cosmopolitisme. Celui-ci débute par la Grèce antique où la représentation de la cité universelle s’incarne d’abord au sein de la pensée cynique, chez Diogène, puis ensuite dans la pensée stoïcienne ; il se poursuit par le christianisme augustinien dans lequel la Cité de Dieu, la cité céleste, constitue l’image de l’universalité éternelle, tandis que la cité terrestre est temporelle et éphémère. Il s’inscrit par la suite au sein de l’humanisme civique à l’aube de la Renaissance qui voit dans l’idéal ancien – la cité humaine – le paradigme de l’universel. Il s’achève dans la modernité, la cité devenue monde se déploie dès lors de trois manières : la cosmopolitisation, en premier lieu, où il s’agit d’examiner les mutations de l’État-nation ; le cosmopolitisme culturel, en second lieu, qui consiste à souligner la multiplicité identitaire des individus et, enfin, le projet cosmopolitique qui emprunte deux voies : le cosmopolitique « différencialiste », d’une part (p. 64), au sein duquel la prolifération des droits du sujet est tributaire du développement du multiculturalisme, et le cosmopolitique néo-kantien, d’autre part, qui s’incarne dans le fantasme de la construction de la république universelle. Pour l’auteur, ces deux dernières formes de cosmopolitisme sont problématiques dans la mesure où elles partagent un point commun : celui d’être …