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L’observation participante étant une des pierres d’assise de la pratique professionnelle des psychoéducateur(trice)s, il est toujours surprenant de constater le peu d’écrits sur le sujet au cours des quarante dernières années (Paquette & Atlan, 2012). Le livre de Pronovost, Caouette et Bluteau est fort important puisqu’il stimulera sans aucun doute la réflexion et donc l’avancement des connaissances et des pratiques non seulement des psychoéducateur(trice)s, qui apparaissent la première clientèle visée par l’ouvrage, mais de tous les intervenants qui interviennent dans le champ de pratique de la réadaptation.

La structure du livre et de chacun de ses chapitres amène le lecteur dans une logique partant du plus générique vers le plus spécifique. Chaque chapitre est autoporteur; une notion est introduite et définie, souvent selon différents points de vue théoriques, la notion est traitée et les références bibliographiques sont présentées. Cette façon de procéder en fait un outil pédagogique intéressant.

Le premier chapitre, celui de Bluteau sur l’observation, propose une caractérisation de l’observation dans le champ des sciences humaines et sociales : elle sera directe, participante, indirecte ou systématique. Dans les deux premières catégories, l’observateur serait acteur d’une interaction sociale, alors que les deux dernières réfèreraient à des observations réalisées à l’aide d’une instrumentation. Nous ne partageons pas cette idée que l’observation directe implique nécessairement une interaction sociale. Pour nous, l’observation est d’abord directe ou indirecte, c’est-à-dire que l’information nous est acquise par nos propres sens ou bien nous est rapportée par quelqu’un d’autre ou par la voie d’un questionnaire ou d’un test. Dans la pratique, l’observation indirecte est souvent présentée comme celle rapportée de vive voix ou par écrit par un tiers, un intervenant ou une personne significative pour le client. Il en n’est nullement fait mention dans le chapitre, ce qui est dommage parce que l’intervenant a souvent à composer avec des situations vécues à l’extérieur de son champ de perception et ces observations indirectes viendront influer sur son évaluation des situations. D’autre part, l’observation peut être libre ou systématique. Enfin, l’observation est participante lorsque l’observateur s’intègre à l’activité de l’individu ou du groupe et y participe (vécu partagé), et non participante lorsque l’observateur est en retrait, soit visible et à distance, soit caché (par exemple derrière un miroir sans tain). L’observation participante est nécessairement libre, alors que l’observation non participante peut être libre ou systématique, dépendamment des objectifs visés. Il va sans dire qu’un observateur visible influe sur le comportement de l’observé.

Ce chapitre aurait aussi pu mentionner que l’observation réfère à au moins trois réalités du quotidien en psychoéducation. Elle est d’abord une étape dans les opérations de l’intervention psychoéducative. Elle est aussi une compétence professionnelle à développer. Et enfin, elle est une description opérationnelle précise de ce qu’une personne dit ou fait dans un contexte donné. L’auteur de ce chapitre omet aussi de parler d’une avancée fort importante dans la science de l’observation et qui est essentielle pour un travail efficace de psychoéducateur(trice)s : la notion de « centration d’observation ». Une centration d’observation est l’observation d’un comportement précis d’une personne dans un contexte et un moment bien précis. Compte-tenu qu’on ne peut tout observer, la centration permet de cerner un champ d’investigation plus restreint mais pertinent à notre questionnement sur le prétendu comportement mésadapté, ce qui rend l’observation plus efficace et plus précise (Berthiaume, 2004). La première étape consiste à décrire le plus précisément possible ce qui se passe, c’est-à-dire la séquence des comportements de l’individu ciblé avec son environnement physique et social, avant de tenter une interprétation de ce qui est perçu. L’auteur du chapitre souligne toutefois l’importance de l’intersubjectivité, une façon d’objectiver davantage nos observations en confrontant notre interprétation à celle des collègues et même à celle du sujet observé.

Enfin, ce chapitre traite assez clairement du dilemme de l’objectivité et de la subjectivité dans l’observation participante. À ce propos, l’auteur précise l’importance, pour l’intervenant qui pratique l’observation participante, d’être « capable de s’analyser lui-même dans son rôle » (p.29) et situe, en référant à un article de Jacques Dionne (1991) sur la supervision, plusieurs enjeux liés à la « capacité d’observer d’une façon engagée » (p.29). Par ailleurs, il aurait été utile de rappeler avec plus d’insistance l’importance de l’encadrement professionnel et de la supervision clinique à cet égard. Il importe ici de rappeler qu’au début de la pratique en éducation spécialisée et en psychoéducation, un soutien régulier au niveau du savoir faire et du savoir être était la norme, alors qu’il est de moins en moins présent de nos jours.

L’un des points forts du chapitre de Pronovost et Leclerc est de présenter le concept d’adaptation sous différentes perspectives. Nous partageons leur point de vue concernant la place centrale que ce concept occupe, non seulement comme concept fondamental au modèle psychoéducatif, mais aussi son importance dans le choix des modèles théoriques. Les auteurs présentent l’adaptation humaine comme le résultat de processus complexes impliquant des facteurs biologiques, psychologiques, familiaux, sociaux et culturels. Ils font état d’un certain nombre de perspectives théoriques, mais font peu de lien entre celles-ci. Ils se limitent à choisir le modèle de Cummings (1999) comme modèle intégrateur, sans étoffer le rationnel qui le sous-tend, plutôt que de présenter différents modèles possibles ou d’en proposer un nouveau priorisant certains niveaux explicatifs.

Dans ce chapitre, on y dit que l’humain est parmi les espèces les mieux adaptées (p. 39). C’est faux! L’adaptation est toujours relative à un environnement donné : chaque espèce animale ou végétale encore vivante aujourd’hui est adaptée à son propre environnement. Nous pourrions par contre dire que l’espèce humaine a une grande capacité adaptative compte tenu qu’elle a pu survivre dans des milieux très différents partout sur la planète. Mais nous pourrions également parler des nombreux problèmes de santé physique et mentale reliés au décalage entre notre mode de vie actuel et l’environnement de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs qui a façonné notre cerveau. Par ailleurs, l’adoption d’un paradigme de l’adaptation de la personne à son environnement nous fait souvent oublier l’importance chez l’humain d’intervenir sur l’environnement pour contribuer à l’adaptation de la personne.

Le concept d’adaptation en psychoéducation a été emprunté à la biologie et réfère à la notion d’équilibre entre l’individu et l’environnement (Smith, 1962). Au cours des millénaires, les humains ont développé par la sélection naturelle ce qu’on appelle les mécanismes proximaux, des mécanismes leur permettant de s’adapter aux circonstances particulières de leur milieu. Ces mécanismes proximaux ont été très étudiés par la psychologie et la biologie : ce sont les mécanismes physiologiques (nerveux, hormonaux) et psychologiques du comportement (impliquant le tempérament, les émotions et la cognition) ainsi que les processus développementaux (incluant les types d’apprentissage) depuis la conception (ontogenèse). Il est maintenant très important de comprendre le « pourquoi » (les causes ultimes) de l’existence des mécanismes proximaux. En biologie évolutive, le pourquoi fait référence à la fonction du comportement pour l’adaptation à l’environnement en termes de survie et de reproduction. Les auteurs du livre soulignent l’importance d’évaluer la convenance, c’est-à-dire l’écart entre les opportunités offertes par le milieu et les capacités de la personne à composer avec les situations. Selon nous, la biologie nous invite aussi à prendre en considération les besoins des individus, c’est-à-dire les fonctions du comportement. Comprendre le besoin de l’individu sous-jacent à son comportement peut permettre d’évaluer la convenance entre le but visé et les moyens utilisés en fonction des attentes du milieu. Mais pour aller plus loin avec cette idée, il nous faudra répertorier sur une même grille les besoins fondamentaux de l’espèce humaine en les distinguant clairement des désirs (personnels, socioculturels). Quel est le besoin fondamental du jeune qui fait une crise de colère parce qu’il désire une bicyclette neuve? L’intervention psychoéducative n’est-elle pas de faciliter l’ajustement entre l’individu et son milieu tout en lui permettant de se réaliser?

Le court chapitre de Pronovost et Renou situe les concepts d’interaction et de convenance avec une intéressante synthèse. L’intervenant y est invité à concentrer son observation sur les interactions pour statuer sur leur niveau de convenance. Les notions d’assimilation et d’accommodation associées à la perspective piagétienne de l’adaptation y sont présentées clairement et simplement. Ceci permet de situer la genèse de la conceptualisation de l’interaction dans le modèle de Gendreau, autour du rapport entre le potentiel d’adaptation (PAD) de la personne et le potentiel expérientiel (PEX). La notion de convenance est elle aussi clairement exposée, axée sur l’équilibre et le déséquilibre suscités par l’intervention, dans le but de permettre une adaptation plus qualitative, c’est à dire qui fait appel à des motivations de plus en plus intrinsèques chez la personne. Ici encore, sans nier l’importance de soutenir l’adaptation de la personne à son environnement, il importerait de mettre un peu plus d’accent sur les enjeux liés à cet environnement comme vecteur de risques, de protections ou d’occasions en regard de l’adaptation des personnes.

Vient ensuite le chapitre de Pronovost pour un rappel historique de la notion d’adaptation selon Bernard Tessier. En 1968, Bernard Tessier avait proposé une méthode afin d’établir la structure fonctionnelle d’un fait d’observation, et Michèle Devroede lui avait par la suite donné le nom de TOCA. Il importe de rappeler que ses travaux de conceptualisation ont été menés durant les années 50 et 60, dans le contexte particulier de la rééducation en internat et en fonction des connaissances scientifiques et des approches cliniques qui prévalaient à l’époque. Cette méthode a été délaissée au fil du temps par la plupart des psychoéducateurs pour des raisons pratiques et par manque de perspective clinique (Grégoire, 2012; Paquette et Atlan, 2012).

Dans leur chapitre, Pronovost et Caouette disent innover en créant le MOACA (Méthode d’Observation et d’Analyse des Comportements Adaptatifs) par l’ajout d’un cadre d’analyse clinique au TOCA (Technique d’Observation des Comportements Adaptatifs). De fait, leur idée d’utiliser les dix composantes de la structure d’ensemble de Gilles Gendreau pour l’analyse de la convenance nous apparaît très intéressante. Par contre, ces auteurs se montrent peu critiques sur le TOCA et réutilisent les mêmes concepts de base qui s’avèrent complexes à comprendre et à utiliser. De plus, leur méthode ne s’applique qu’à l’observation participante alors que les psychoéducateurs sont aussi amenés à faire des observations libres ou systématiques des personnes en difficulté en se tenant en retrait (observation non participante). Enfin, ils ne font aucunement mention de l’article de Paquette et Atlan (2012) qui présente le PIDA, une procédure d’observation permettant d’identifier le défi adaptatif d’une personne dans un contexte précis, et ce avant d’élaborer le plan d’intervention. Dans cet article, l’analyse des observations y est faite en fonction d’hypothèses émises sur le lien possible entre le comportement du sujet ciblé et des besoins. Le défi adaptatif qui en résulte constitue l’ensemble des compétences que le sujet devrait développer pour respecter à la fois ses besoins et les exigences de la réalité extérieure. Mais la conclusion peut parfois être que les exigences extérieures (attentes, normes, etc.) sont exagérées et qu’il faille intervenir sur l’environnement plutôt que sur la personne. Selon nous, la méthode scientifique est tout autant appliquée par les psychoéducateur(trice)s que par les chercheurs. L’observation offre une base de données sur laquelle peut s’appuyer l’évaluation pour générer des hypothèses explicatives du comportement. Si le plan d’intervention s’avère inefficace pour changer le comportement, soit qu’il n’a pas été appliqué correctement, soit que l’hypothèse de base n’était pas valable. Dans le second cas, il faut retourner faire des observations pour formuler une nouvelle hypothèse.

Dans le dernier chapitre, Plourde et Jenniss présentent un outil d’évaluation et de structuration d’activités de groupe, l’OOESAG (Outil d’Observation, d’Évaluation et de Structuration d’Activités de Groupe). Cet outil vise à encadrer l’observation, la structuration, l’évaluation des activités de groupe et la consignation des informations recueillies. Il est structuré autour des opérations professionnelles et de la structure du modèle d’ensemble de Gendreau. Les référents théoriques de l’outil proviennent des champs de la psychoéducation, du travail social et de la communication sociale. Les notions utilisées pour caractériser le type de groupe, son niveau de développement, les rôles joués par les sujets et les facteurs de changements observés sont organisés de façon claire, sous forme de tableaux. L’OOESAG comporte deux parties, une fiche descriptive du groupe et une fiche de suivi de celui-ci. Il peut être complété par l’animateur de l’activité, ou tout au long de celle-ci, par un observateur extérieur. L’utilisation de la structure d’ensemble permet de prendre en compte des composantes structurelles et relationnelles dans l’observation. L’outil apparait assez convivial et simple à utiliser. Il présente d’après nous une faiblesse importante au niveau de l’analyse de la rencontre (p. 133). On réalise celle-ci à l’aide des concepts du TOCA, ce qui donne une apparence d’objectivité, mais sans faire aucun lien avec le niveau d’atteinte des objectifs généraux et spécifiques visés par l’activité, qui représentent pourtant le pivot de la structure d’ensemble. Ajouter cet aspect à l’analyse permettrait d’après nous de mieux circonscrire les centrations d’observation des intervenants.

En somme, nous saluons les auteurs dans cette initiative d’écriture sur l’observation en psychoéducation, et en même temps nous invitons les lecteurs à demeurer critique et à nuancer le tout en fonction de leur propre expérience.