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Ushkat tshe aimian nakana ka itiaku Innuat ka ishpitenitamaku tshitinnu-aimunu, tshipushukatitinau kassinu e itashieku, tshui nishkumitinau katshi takushinieku ute tshetshi natshi natutameku ne tshitassinu tshe atussehtaku anutshish tshishe-utshimauat mak anitshenat ua shuniauatshetau nika itauat, ekuan ne tshimishta nishkumitinau tshika ititinau katshi takushinieku ute mue ka tutamaku ka mishta ishpitenitamaku tshitinnu-aimunu tshetshi kanuenitamaku, minekash tshetshi kanuenitamaku,tshinuau nut takushiniti ute, mue tshe uauitaman anutshish anite eshpint nitassinat Matimekush–Lac-John. Tshinishkumitinau

[Réal McKenzie rappelle ici que la communauté dont il est le chef s’appelle « Matimekush » et qu’il sait qu’il ne dispose que de quinze minutes, ce qui n’est pas beaucoup, compte tenu de ce qu’il aurait à dire.]

J’aurais tellement de choses à vous dire, chers amis. Vraiment, mais pas à peu près ! Ce que je vais dire ici, ce ne sera pas technique, ce ne sera pas l’exposé d’un consultant, d’un écologiste, ni d’un scientifique, mais le point de vue d’un élu. Un élu parmi tant d’autres dans la nation innue que je représente. Je parle à partir du pouvoir qui m’est conféré : de prime abord, celui de protéger et de défendre le droit, le titre et l’intérêt de mon peuple.

C’est pour ça que je suis ici.

Que s’est-il passé à Schefferville et que se passe-t-il aujourd’hui à Matimekush–Lac-John ?

Et on va d’abord se reparler de l’histoire. On a entendu, ce matin, l’historien. J’ai oublié son nom[2]. C’est peut-être vrai, ce qu’il dit [rires]. Mais l’histoire des Premières Nations existe avant tout de la manière et de la façon dont nous l’avons vécue ! À travers nos ancêtres, à travers nos grands-parents qui vivent toujours, de nos parents, de moi-même, de ma génération, et de nos enfants qui vont grandir derrière nous. Et ça, ça s’appelle tout simplement de l’héritage. Lequel ? Celui du territoire sacré.

Ça, c’est purement et strictement politique.

L’histoire de Schefferville remonte à bien avant l’arrivée de l’Iron Ore[3]. Nos ancêtres habitaient, occupaient leur territoire.

1954. Y arrive, le développement : la compagnie minière IOC, la construction du chemin de fer[4], les emplois, la naissance de la ville de Schefferville.

1982. Y arrive la tragédie, qu’on n’aurait jamais pensé vivre…

Pendant l’exploitation minière, qu’est-ce qu’on a retiré de cette compagnie, l’IOC ? En bons termes québécois, vous diriez : « Zéro, puis une barre ». À peine des emplois, pour nos parents qui ont travaillé dur : au pic et à la pelle, dans des fonds de trous de mine, pour installer des tuyaux, pomper l’eau.

C’est ça que nos parents ont eu comme travail.

Des promotions ? Je m’en excuse mais je n’ai pas connu ça. Ma génération n’a pas connu ça, la promotion. [… M. McKenzie explique que les Innus n’ont jamais porté que des casques jaunes, ceux des journaliers.] Je m’excuse, je m’excuse ! Mais non, je ne vais pas m’excuser ! [rires] Pas du tout !

Qui aurait pensé qu’un jour, trente ans après la fermeture de Schefferville, on verrait débarquer non pas une mais deux compagnies minières ? Ce sont elles, il y a trois ans, qui ont demandé le consentement du chef qui vous parle pour rouvrir les anciennes installations minières d’IOC, les mines déjà existantes, abandonnées en 1982 !

Ça n’a pas été facile. Ceux qui ont suivi les actualités, il y a un an, sont au courant : une barricade érigée et un peuple qui dit à son chef : « On ne veut pas revivre l’histoire de l’Iron Ore. »

Quelle est cette histoire ? C’est celle de la manière dont la compagnie minière IOC nous a remerciés : tout simplement en démolissant tout ce qui existait à Schefferville. Au-dessus de trois cents maisons démolies… À l’heure où on se parle, on a une pénurie de logements dans notre communauté. Il nous en faudrait cent dix-huit… !

Politique fédérale : on ne construit que quatre maisons par année… !

C’est incroyable ! C’est inimaginable ce qu’ils ont fait là… !

Je parle juste de logements, là !

Ça me fait mal au coeur de vous dire ça. Mais c’est la vérité pure et dure.

Qu’est-ce qui est arrivé, après ?

Nos enfants…

Je me souviens de la belle époque où j’allais à l’école des Blancs. Dans mon jeune temps. On a tous été jeunes, un jour dans notre vie. Nous, on était mélangés aux Blancs. Jouer au hockey, contre ou avec les Blancs. Profiter de la piscine, du curling, du bowling. On avait un centre récréatif où tout, tout était là pour combler les enfants. Nos enfants. Peu importait la couleur ! Il n’y a pas de couleurs quand il s’agit des enfants. Tout ça, c’était pour leur bien-être. Et ils ont démoli ça aussi.

Ça me fait mal, quand je vous parle de ça.

[M. McKenzie indique qu’il a compris qu’il ne dispose que de quinze minutes…]

Mais qu’est-ce que le peuple a dit, l’an dernier, à son chef ? … Chez les Innus, chez, toutes les Premières Nations du Québec, et même au niveau national, à travers le Canada, on est rendus, de nature, très – mais pas à peu près – méfiants ! À l’égard de ces promoteurs. À l’égard des politiques gouvernementales. Pourquoi ? À cause de la manière dont on s’est fait traiter. À cause de l’injustice qu’on vit encore aujourd’hui.

Ce qui se passe à Schefferville aujourd’hui, c’est que j’ai signé une entente avec deux compagnies minières. Labrador Iron Mines (LIM) en est une. L’autre est New Millenium Capital Corp que, par la suite, on connaîtra sous le nom de Tata Steel. Et maintenant, vous vous imaginez connaître ma position à propos du Plan Nord… ?

Détrompez-vous.

Nous, on est assis sur la frontière Québec-Labrador. Tous les jours, on pile sur la frontière. Tous les jours. Un pied au Québec, un pied au Labrador. Ce n’est pas nous qui avons tracé cette frontière-là. C’est la Couronne britannique ! En 1927, à l’époque de la loi d’extension des frontières[5]. Est-ce qu’on nous a demandé notre avis avant de couper notre territoire en deux ? L’histoire que les gouvernements vous enseignent ne vous est pas toujours livrée dans toute sa vérité.

Et quelle complexité… ! Se retrouver avec cette ligne-là entre nos deux jambes ! Deux provinces ! D’un bord, le Québec. De l’autre, Terre-Neuve.

Et je précise : les ententes que j’ai signées avec le consentement du peuple étaient du côté « Labrador », qui n’a rien à voir avec le Plan Nord, à l’heure où on se parle. Nous, on n’a pas encore consenti à ce projet du Plan Nord.

Oui, évidemment, d’ici trois à cinq ans, LIM et New Millenium vont traverser la frontière pour aller exploiter les gisements du Québec…

C’est ça, qui est arrivé à Schefferville.

Ça, c’est l’histoire…

Je parle de l’époque où l’Iron Ore a fermé la mine…. Qui, ici, dans cette salle, peut parler mieux que moi de la misère et de l’isolement que nous avons vécus, aux niveaux social, économique, politique, culturel… ? Qui, ici, peut parler des conséquences des coupures budgétaires de l’État fédéral, dans tous nos programmes… ? Du non-respect de la constitution du Canada, selon laquelle ce gouvernement a l’obligation de nous servir comme il se doit ? De son manquement à son devoir de fiduciaire ? De l’insuffisance des budgets dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux, et j’en passe !…

Ce n’est pas rien, ce que je vous dis ici. Et ça ne se passe pas juste dans ma cour, chez nous. C’est à l’échelle canadienne. C’est ça que Matimekush–Lac-John a vécu pendant les trente dernières années, elle a vécu dans la misère et l’isolement.

Et voilà que, trente ans plus tard, ces gens-là reviennent ! C’est drôle, il y a seulement un an ou deux, ma communauté et moi nous n’existions pas dans le nord du Québec !

Mais, pardon ! Dans le cas des ententes avec ces deux compagnies minières-là, on est … au Labrador ! On n’est pas encore au Québec ! Il y a un an ou deux, mon téléphone ne dérougissait plus. J’étais probablement plus important, moi, comme chef de Matimekush–Lac-John, que le Premier Ministre du Québec ! Toutes les minières voulaient faire des affaires avec moi.

Est-ce que je dois m’exciter devant tout ça ?

Par respect envers ma communauté, je dois répondre « oui ». Parce que, dans l’histoire de ce peuple, on est en pleine mutation, en transition. D’un côté il y a ce qu’on appelle notre mode de vie traditionnel, celui de nos ancêtres, la volonté de se battre pour la survie de cette culture, pour la pratique de notre langue et tout ce qui va avec. De l’autre, il y a les nouvelles générations, la mienne et celle de nos enfants, orientées vers un mode de vie différent…

[M. McKenzie est interrompu par une feuille qu'on vient de poser sur le lutrin et qui lui indique que le temps passe…]

Et c’est pour ça que ce n’est pas évident d’être chef dans une communauté, aujourd’hui. De trancher cette question-là. Entre la protection de notre culture et l’avenir de nos enfants, qui passe par l’éducation catholique des Blancs… J’en suis un exemple, moi qui ai reçu une formation de pilote d’avion.

Et, en tant que pilote, je les ai vues, toutes ces minières-là ! Je les ai transportés, tous ces mineurs-là ! Quelqu’un parlait du lac Otelnuk… J’en ai fait, des voyages d’hydravion dans ce coin-là. Le projet du lac Otelnuk, c’est celui d’une des compagnies majeures du Plan Nord : la compagnie Adriana Resources : treize milliards d’investissements.

Mais il n’y a rien de réglé. Ni avec le Québec, ni avec cette minière.

On entend parler de la construction d’un chemin de fer sur neuf cents kilomètres. C’est ce qu’on nous a dit. Mais ce chemin de fer-là va traverser le territoire innu, un territoire aujourd’hui régi par une entente qui s’appelle la Convention de la Baie James et du Nord québécois, une entente que nous, Innus, n’avons pas signée ! En vertu de laquelle nous n’avons jamais abdiqué quoi que ce soit et encore moins accepté que notre titre et nos droits soient éteints. Et pourtant ce chemin de fer va être construit sur notre territoire.

Il y a cinq autres compagnies minières qui sont venues frapper à ma porte : Century Iron Mines, Quest Rare Minerals, […], Adriana Resources … et j’en oublie. Est-il possible que ces compagnies-là s’installent chez nous comme LIM et New Millenium ? Je dirais que, pour ce qui est du Québec, il y en a peut-être deux qui le pourront.

Est-ce qu’on a dit « oui » à ça ? Et est-ce qu’on va dire « oui » à ça ?

Je n’en suis pas sûr cette fois-ci. Et je m’explique : quatre-vingt-quinze milles carrés de territoire innu ont déjà été engloutis par la Convention de la Baie James. C’est du territoire ça ! Voilà ce que nous a coûté, dans les années 1970, le fameux projet de la Baie James. Et elle n’est pas réglée, cette question-là avec M. Charest ! Ça fait trente-cinq ans qu’on est assis autour de la table de négociation ! Et personne ne veut changer une virgule, dans cette convention-là. Je ne suis pas sûr que ces minières, qui ont frappé à ma porte, vont consulter le peuple. Alors, est-ce qu’on va dire « oui » à M. Charest ? Pas sûr de ça !

Je n’ai jamais été aussi convaincu, en tant que chef, que je dois me battre, contester le Plan Nord ! Et je vais le faire ! Parce que le peuple m’a demandé de le faire ! C’est lui qui a le pouvoir, pas moi !

L’environnement, c’est une question qui nous préoccupe. On ne veut pas que le territoire innu dans son ensemble ressemble à la Lune, une planète avec plein de cratères ! Ou qu’il tombe à l’abandon comme on en a eu l’expérience avec l’Iron Ore ! C’est pas vrai qu’on va revivre ça ! Je vous le dis, puis je suis bien sérieux quand je vous parle. Je pèse mes mots !

Soit que M. Charest rouvre la Convention de la Baie James, soit …

Et quand il parle d’A.D.N. québécois ! Je m’excuse, mais l’A.D.N. des Premières Nations existait avant l’arrivée des Européens. Il a oublié cette partie de l’histoire. Vous l’avez tous entendu parler de l’A.D.N. québécois. Mais qui vit dans cette partie du nord du Québec ? La nation crie, les Inuits plus au nord, les Innus comme moi, et nos voisins naskapis. Alors, où elle est, cette majorité de la nation québécoise qui occuperait ce territoire-là depuis la nuit des temps ?

Monsieur Charest, je vous le dis ici, en cette heure et en ce lieu précis : si vous gouvernez à partir du Sud, à partir de Québec, je gouverne encore le Nord, moi ! C’est ça, le message. Et je n’ai pas consenti à votre plan… Nord.

C’est ça le message politique. Et le peuple va se tenir debout, et se battre. Comme n’importe quel peuple de ce monde qui défend ses droits.

[M. McKenzie commence à parler des emplois qui sont rares au Sud et il rappelle que le premier ministre du Québec a manqué de respect quand il a dit aux étudiants d’aller en chercher au Nord, mais il ne développe pas cette question… On lui indique de nouveau qu’il doit terminer sa conférence…]

La conclusion… Si vous me permettez, c’est bien important ce que je vais vous dire.

La question économique et la signature d’ententes, c’est une chose, mais j’ai l’obligation et le devoir de vous raconter une histoire. O.K. ? Parce qu’il y a une autre chose que l’on oublie souvent quand les Premières Nations signent des ententes économiques avec des promoteurs… Une chose qu’on a vécue, nous, avec l’Iron Ore et qu’on vient de revivre quand ces nouvelles compagnies ont débarqué il y a trois ou quatre ans et qu’elles ont été chez nous en mode « exploration ». En fait il y en a deux. Deux obstacles. La discrimination au travail, c’en est une. Et l’autre, qui est quasiment pas contrôlable – il n’y a que des gens comme vous et moi qui, ayant ces problèmes-là, vont avoir assez de volonté pour les contrôler –, c’est la drogue, la boisson que prennent nos jeunes.

À quoi bon pour moi, chef McKenzie, signer des ententes, même à coups de millions, quand la jeunesse est malade ? Quand elle crie au secours et que, de toute façon, elle n’aura pas d’emplois parce que, pour des raisons de sécurité, il y aura des tests de dépistage de drogue qu’elle ne réussira pas ?

À quoi ça sert ? Dites-le moi ! À quoi ça sert tout ça ?

Méchant défi ! Méchant défi.

Pour ce qui est de la discrimination, je vais vous conter une histoire. Bien des Innus, tout comme des gens d’autres Premières Nations, se sentent minoritaires dans ces compagnies-là. Et souvent – c’est un trait des Premières Nations – au lieu de se défendre, ils aiment mieux, comme on dit en bon québécois, « se fermer la gueule ». Et puis… ils lâchent la job. Ce qu’ils n’auraient pas voulu faire.

La discrimination

L’histoire que je vais vous conter, je l’ai vécue, moi. En tant que pilote d’avion. Un des premiers de la nation innue. C’était en 1979. Mais ce que j’ai vécu dans ces années-là, ça se passe encore dans les chantiers, que ce soit celui de la rivière Romaine, chez nous, dans ma cour, ou ailleurs…

Il y a deux ans, le téléphone ne dérougissait pas : « Chef ! Chef ! Chef ! Chef ! Chef ! Chef ! » Hommes et femmes. Entre dix-huit et trente-cinq ans : « Je me fais pas respecter, dans mon travail. Je fais rire de moi ! » « Ah ouais ? j’ai dit, ils vont savoir qui mène ici. O.K. ? Tu n’as pas de respect dans ton travail ? Ils vont le savoir par la bouche du chef. » J’ai convoqué tous ces supérieurs-là. On n’était pas rendus à la négociation alors et encore moins à la signature des ententes économiques. On était loin de tout ça !

Qu’est-ce que ça veut dire ce dont je vous parle ici ? Ça veut dire que c’est un point majeur à régler entre le peuple québécois et nous, les Autochtones. C’est bien beau d’avoir de l’emploi et de la formation… Mais pas avec cette épreuve-là qui existe dans les chantiers miniers, hydroélectriques et autres. Un jour, je l’ai vécue… Peut-être que parmi vous il y en a qui l’ont vécue aussi, que vous soyez québécois, anglophone, peu importe… J’ai vécu cette épreuve et elle me reste encore comme une blessure.

Je suis pilote d’avion, ça fait deux ans que j’accumule des heures de vol, que je bâtis mon expérience. Je suis à Saint-Michel-des-Saints, je m’apprête à faire voyager deux couples. Je ne sais pas trop d’où ils venaient, sans doute de la région au nord de Laval. Des gens à l’aise, financièrement. Les deux couples arrivent devant l’avion, et l’un des hommes me dit : « Monsieur, êtes-vous asiatique ? » [rires] Je savais que vous alliez rire ! Je lui réponds : « Non, je suis un fier Innu autochtone qui a réussi dans ce métier-là pour vous transporter avec respect. Je suis votre pilote. » Le monsieur dit : « Ouain, mais là, j’suis plus sûr, là. – Pardon ? – J’suis plus sûr. » Il s’en va voir mon patron et, du quai où les avions sont amarrés, je le voyais, à la fenêtre du bureau. Entre mon boss et le client, ça se parlait, ça se pointait. Puis, à un moment donné, mon boss arrive avec le client, puis il dit : « Monsieur, voyez-vous, les Blancs qui sont pilotes dans ma compagnie, là ? Il y en a quinze, ici, sur le quai. Puis l’Indien dont vous me parlez, là, c’est mon meilleur, O.K. ? Ou tu prends cet avion-là puis tu fermes ta boîte, ou tu décrisses (excusez-moi l’expression, là)… ou tu t’en vas. »

Qu’est-ce qui est arrivé ? Non, il n’est pas parti. Il est revenu, mais à reculons. Il ne s’est même pas excusé. Tous embarquent. Les dames embarquent. Les messieurs embarquent…. Je pilotais un avion de neuf passagers, et eux, ils sont quatre ! Et l’homme qui n’aimait pas les Indiens, qu’est-ce qu’il a fait ? D’habitude, le pilote est tout seul dans le cockpit, le poste de pilotage. Lui, il prend la peine de venir s’asseoir à côté de moi ! Et en plus, il me tourne le dos ! Tout le long du voyage. Moi je me disais : « Faut-tu être malheureux, dans la vie ! » [rires] Alors qu’il y avait un siège dans la cabine qu’il aurait pu occuper…

Deux jours plus tard, il faut que j’aille les chercher. Il fait mauvais. Il fait mauvais… Et mon patron me dit… Il dit : « Regarde, il est tannant, il est à la radio, il veut partir, il veut partir avec ses affaires. » J’ai dit : « C’est correct. » Alors mon patron me dit : « Réal, je te demande pas de forcer la nature – parce qu’il fait vraiment mauvais – mais au moins d’essayer. » J’ai dit : « Je vais essayer. Mais, j’ai dit, je le fais pour vous, monsieur le patron parce que ce que vous avez fait vendredi, devant moi, de m’avoir défendu, ça me réchauffe le coeur. » Puis, j’y suis allé. De peine et de misère, je me suis rendu à leur campement. Gros chalet.

Vous savez, hein, quand on [mot inaudible] nos enfants, comment ils sont… Ils sont piteux, hein ? Ils étaient comme ça [la tête basse]. Ils embarquent dans l’avion.

[… nouveau message demandant à M. McKenzie de terminer. Réplique. rires dans la salle.]

Non, s’il vous plaît, c’est sérieux ! C’est important, ce que vous écoutez ici ! Vous voulez connaître la position des Premières Nations sur le Plan Nord ? Vous l’avez devant vous, je suis entrain de vous la dire. Alors je vais prendre quelques minutes de plus pour finir mon histoire.

C’est un forum autochtone, à ce que je sache ? [applaudissements…]

Elle est humaine, la question dont je vous parle, O.K. ? Elle est au-delà des questions économiques.

Alors, on arrive à destination. Je débarque. Poli comme je le suis de nature (parce que mes grands-parents m’ont toujours appris le respect des autres, peu importe la couleur…), je tends la main aux dames pour les aider à descendre de l’hydravion. Pas besoin de vous dire que les messieurs, je les laisse s’arranger avec leurs troubles, hein ? [rires, surtout féminins]

Et, là, c’est la morale de l’histoire, chers amis. Écoutez bien ça : le monsieur qui n’aimait pas l’Indien, cet Indien qui était allé le mener à destination dans le beau temps, en toute sécurité… Le monsieur qui, au retour, malgré le mauvais temps, est rentré à bon port en toute sécurité, grâce à l’expérience du pilote qui vous parle… (Dix-huit mille heures à mon actif. Dix-huit mille heures de vol. C’est du vol en… !) …

Donc, cet homme débarque… Puis, là, il vient me voir. Et il met sa main dans sa poche. Moi, je sais ce qu’il va faire ! Le fameux pourboire… Il tire quelque chose de sa poche. Il avait des « bruns », comme on dit en bon québécois, hein ? Des cent piastres. Là, je le vois, du coin de l’oeil : « Un, deux, trois… ». Il arrête à trois cents ! Lui, il se dit : « Trois cents, ça doit être suffisant pour ce que je lui ai fait endurer vendredi. » Pauvre lui ! Pauvre lui ! « Voir si ça se monnaye, quelque chose comme ça ! » que je me dis en moi-même… Là, il vient me voir, puis il me tend ça.

« Mon cher monsieur, je lui dis, regardez : ça n’a pas de valeur monétaire, ce que vous m’avez fait. Le sang qui coule dans mes veines, vous l’avez attaqué. Alors, gardez ça dans vos poches et je ne veux plus en entendre parler. »

Vous savez, de son vivant mon défunt père m’a laissé un précieux conseil. En fait il m’a dit deux choses, mon père : « Si tu veux gagner le respect des autres, peu importe leur couleur, il faut que tu le fasses toi-même : reste respectueux. » Et l’autre chose qu’il m’a dite – c’était après la fermeture des mines, quand il m’a montré les trous de mines –, il m’a dit : « Mon garçon, un jour viendra… ! » Il s’est arrêté là. Je l’ai regardé : « Qu’est-ce qu’il veut dire par là, lui, “un jour viendra” ? »

Mais ce jour-là est arrivé il y a… un an ! Puis, ce que mon père voulait me dire, c’est que tous les gisements qu’il y a là, d’autres compagnies viendront un jour et voudront les exploiter. C’était ça, son message avant qu’il meure.

Alors, après que j’eus dit à cet homme de remettre l’argent dans sa poche, sa femme est venue le voir et elle lui a dit : « Tu sais comment je t’aime, hein, mon mari. Mais ce que tu as fait vendredi, là, je n’aurais jamais souhaité le voir ! Ne le refais plus jamais, s’il te plaît. J’ai beau t’aimer toute ma vie, là ! Mais ne fais plus jamais ça, s’il te plaît. À cette heure, tu devrais t’excuser devant le pilote, puis qu’on s’en aille parce que… c’était très clair, ce qu’il nous a dit ! »

C’est ça, la morale de l’histoire.

Et, pour revenir aux compagnies minières, ce que j’ai fait, je vous le conte ici : au lendemain de la signature de l’entente, j’ai dit au boss de Labrador Iron Mines : « Je veux que tu réunisses tous tes employés, autochtones et non autochtones. » Il y en avait de partout : du Québec, du Nouveau-Brunswick, de Wabush, de Goose Bay, toute la gang… Innus du Labrador, Innus de Uashat, Innus de Matimekush, nos voisins naskapis… Ils étaient tous là, assis, comme vous êtes là. Et j’ai conté l’histoire que je viens de vous conter…

Silence total dans la salle.

Et je leur ai dit : « Je ne veux plus répondre au téléphone et entendre parler de harcèlement au travail puis de discrimination… j’ai assez à faire chez nous au quotidien à régler le problème des logements, celui de l’éducation et tous les autres dossiers. Je n’ai pas le temps de venir vous parler ici pour vous conter des histoires de morale. Vous allez nous respecter. Vous êtes partis, vous êtes revenus. Vous serez toujours des invités ici, mais pas des propriétaires comme, nous, on l’est. Vous êtes revenus vers nous. Puis j’implore le respect entre Innus et non-Autochtones qui ont trouvé de l’emploi… » Et j’ai ajouté : « J’ai encore beaucoup de gens chez nous qui attendent leur tour d’avoir du travail dans ces compagnies-là ! »

Alors, c’est ça, le message. C’est ça que j’avais à vous dire. Moi, je maintiens le cap.

Il y a un slogan qui dit : « Ne perdez pas le Nord », mais il y en a un autre qui dit : « Sans le consentement des Premières Nations du Québec, le Plan Nord est un plan mort[6] ! »

Merci à vous.