Comptes rendus

Framing Borders: principle and practicality in the Akwesasne Mohawk Territory, Ian Kalman. University of Toronto Press, 2021, 238 p.[Record]

  • Simon Dabin

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  • Simon Dabin
    Stagiaire postdoctoral, CIÉRA, UQAM

Il serait possible de définir la frontière entre deux États, à la fois comme une fiction géographique et une réalité juridique, qui délimite leur souveraineté nationale respective. Cependant, quand cette frontière sépare deux États coloniaux d’établissement, telle que la frontière canado-américaine pour les peuples d’Haudenosaunee (la confédération qui regroupe notamment la nation mohawk) par exemple, elle est aussi un acte colonial dont l’établissement finit par nier de factoet de jure l’existence des souverainetés autochtones (74). Dès lors, pour les Akwesasronon (les habitants d’Akwesasne), le fait de traverser quotidiennement la frontière devient une interaction perpétuelle (131) avec le nationalisme banal des États coloniaux d’établissement du Canada et des États-Unis (dans le sens où la frontière symbolise réellement et fictivement l’imposition de la souveraineté de ces États). Ainsi, étudier la manière dont les Akwesasronon et les agents frontaliers interagissent, mais surtout interprètent, rendent sens de leurs interactions, considèrent ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire, justifient leurs actions selon leurs idéologies (19), permet à Ian Kalman, à partir d’une ethnographie et d’entretiens (27-28), de rendre compte de la confrontation et/ou des expressions des nationalismes tant mohawks que coloniaux. Pour résumer l’ouvrage, l’auteur dessine tout d’abord les contours géographiques d’Akwesasne en tant que territoire « flexible » et « complexe » dans lequel les frontières nationales, communautaires et provinciales prennent un sens différent selon les acteurs et les lieux de résidence (chap 2 : 37-58). Cette situation s’explique par l’histoire de l’établissement de la frontière et de la communauté. Toutefois, l’auteur semble adhérer à la perspective selon laquelle l’histoire est un processus social (Trouillot 1995 : 23) par lequel les acteurs vont utiliser et cadrer l’histoire en fonction des buts et des objectifs poursuivis (chap. 3 : 59-79). Ainsi, si la géographie d’Akwesasne est flexible, l’histoire l’est tout autant. Toutefois, les interactions entre les agents frontaliers et les Akwesasronon sont encadrées depuis les années 80 par la néo-libéralisation des services frontaliers. Elles sont surtout caractérisées par une distanciation qui s’est amplifiée entre les agents frontaliers et les Akwesasronon à mesure du renforcement de la frontière à partir du 11 septembre 2001. Cette distanciation entre les acteurs va jusqu’à la séparation en 2009, alors que les Akwesasronon vont manifester contre l’établissement d’un programme renforçant les pouvoirs des agents frontaliers canadiens (l’Initiative d’armement des agents de l’ASFC) (chap 4 : 80-114). Si les relations semblent avoir été rétablies depuis, elles restent, de l’aveu de tous, loin d’être positives (113). Le chapitre 5 (115-147) permet de raconter la manière dont les Akwesasronon sont amenés à faire l’expérience des frontières canadiennes et américaines. Alors que pour la majorité d’entre nous, la frontière équivaut au poste frontalier (lequel marque concrètement notre entrée sur un territoire par notre interaction avec l’agent frontalier), elle est perçue, pour les Akwesasronon, comme invisible et n’existe que lorsqu’ils doivent se déclarer aux postes frontaliers disséminés dans la communauté (121). Au-delà de nous faire comprendre la manifestation du contrôle des deux États sur la vie quotidienne des Akwesasronon, le chapitre est intéressant car il permet à l’auteur de présenter la perspective traditionnelle des Mohawks en matière de frontière. Notamment, il compare les politiques frontalières occidentales avec le protocole traditionnel d’Haudenosaunee en matière de régulation des mouvements de populations dans les territoires des nations de la confédération (140-146). Ce n’est finalement qu’au chapitre 6 (148-183) que l’auteur nous présente la manière dont les agents frontaliers et les Akwesasronon parlent de leurs interactions. Il ressort de ce chapitre l’apport empirique principal de cet ouvrage, à savoir que dans leurs interactions avec les agents frontaliers, les Akwesasronon n’activent pas systématiquement leur identité (157). En somme, …

Appendices