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Dans Adolescentes et mères, Johanne Charbonneau présente les résultats d’une de ses recherches sur les réseaux sociaux des mères adolescentes. L’auteure s’intéresse plus précisément aux trajectoires de vie des mères adolescentes et à la dynamique des relations au sein de leur réseau social. En adoptant une telle perspective, elle espère conduire le lecteur à une compréhension globale de la réalité de ces femmes.

D’entrée de jeu, l’auteure présente le débat contemporain qui existe au sujet de la maternité adolescente : constitue-t-elle un problème social? D’une part, certains auteurs semblent adopter un discours pathologique pour aborder ce phénomène. Ils insistent ainsi sur l’ampleur de la problématique (augmentation du nombre de grossesses à l’adolescence, hausse des recours à l’avortement, etc.), tout en soulignant les conséquences négatives de la maternité adolescente (ex. : abandon scolaire). Ils soulignent également l’irresponsabilité des mères adolescentes (manque de maturité et d’habiletés parentales, incapacité de prévoir les conséquences à long terme de la maternité). D’autre part, certains auteurs présentent l’argument de la relativité historique pour montrer que la maternité adolescente est adaptée au monde contemporain, c’est-à-dire à un monde dans lequel les relations sexuelles ont lieu à un âge plus précoce. Ils soulignent également le fait que la maternité adolescente peut avoir des conséquences positives à long terme et que les mères adolescentes sont des personnes tout à fait responsables, car elles sont capables d’agir pour le bien-être de l’enfant (p. 20-23).

Au deuxième chapitre, l’auteure affiche clairement sa position : elle se situe hors du débat contemporain. Elle s’intéresse plutôt à décrire les différentes façons d’être mère à l’adolescence en étudiant diverses trajectoires de vie. En laissant parler les mères et en présentant une diversité de cas, l’auteure espère trouver le juste milieu entre la « vision du problème social » et « l’angélisme des mères adolescentes ». Dans ce chapitre, l’auteure présente aussi les divers paramètres de sa recherche. Elle explique avoir voulu, dans son étude, décrire des histoires de maternité pendant une longue période (p. 57). Pour ce faire, trente-deux femmes de la région de la Montérégie ont été interviewées entre 1996 et 1997. Elles devaient avoir eu leur premier enfant avant l’âge de vingt ans et la naissance de cet enfant devait avoir eu lieu au moins quatre ans avant le moment de l’enquête (p. 58-59).

Au troisième chapitre, l’auteure expose les arguments et les motivations des femmes qui ont décidé de garder leur enfant. L’analyse des résultats montre que la venue de l’enfant, dans la vie d’une adolescente, peut être tout aussi bien accidentelle que planifiée. Dans le second cas, il peut tout aussi bien s’agir d’un projet commun (notamment, si un couple existe déjà) que d’un projet personnel. Il semble que le projet d’enfant puisse permettre à certaines mères adolescentes de réaliser leur vocation. L’enfant répondrait toutefois avant tout aux besoins affectifs des mères adolescentes. Même si la décision finale leur appartient, les mères adolescentes précisent avoir été influencées par leur entourage, notamment, lorsque celui-ci leur fournissait un modèle de carrière maternelle. Les mères auraient ainsi plus d’influence que les conjoints dans la prise de décision. Les politiques gouvernementales pourraient aussi influencer leur décision, par exemple, en rendant les procédures d’adoption plus difficiles.

Les quatrième et cinquième chapitres présentent l’analyse fine de trois types de trajectoires de vie des mères. L’auteure illustre ainsi la diversité des destins possibles à la suite de la naissance de l’enfant durant l’adolescence (p. 106). L’analyse des trajectoires se fait selon trois moments : la période avant la grossesse, la grossesse et la période suivant la naissance (p. 113). L’analyse montre, entre autres, que le contexte d’origine, notamment la disponibilité des ressources de la famille d’origine et l’accumulation d’événements perturbateurs, peut influencer le sens de la trajectoire. D’autres événements ponctuels, (ex. : décrochage scolaire), survenant durant la grossesse, pourraient aussi avoir une telle influence. L’auteure analyse également l’évolution des divers réseaux personnels des jeunes femmes à travers le temps. Elle montre notamment que l’aide de la famille d’origine s’avère primordiale lors de la grossesse et des premiers mois suivant la naissance (p. 138).

Par la suite, au chapitre six, l’auteure étudie plus en profondeur les relations-clés de la mère adolescente avec son entourage : la relation mère fille, la relation conjugale et les relations avec les autres membres du réseau. Il semble que les mères et les conjoints des mères adolescentes jouent les rôles les plus importants en ce qui a trait à l’aide reçue. L’aide de la mère serait toutefois plus constante que celle du père (p. 177). Ce dernier offrirait, à l’occasion, un transport d’urgence. Il servirait aussi de motivation en ce qui a trait aux loisirs (p. 180). La mère, quant à elle, servirait de modèle aux adolescentes et serait également une source importante d’instruction. L’aide des autres membres du réseau des mères adolescentes serait plutôt ponctuelle et ne permettrait pas de répondre aux besoins quotidiens des mères adolescentes.

Le chapitre sept propose une analyse des ressources publiques et communautaires utilisées par les jeunes femmes. Les résultats semblent montrer que les mères adolescentes utilisent davantage les services institutionnels que l’indique la documentation disponible sur ce sujet. Cette utilisation serait toutefois restreinte aux premiers mois ou aux premières années suivant la naissance de l’enfant (p. 197) et les femmes interrogées semblent surtout apprécier l’aspect financier et pratique de l’aide publique (p. 199).

Puisque cette recherche a été effectuée pour le Centre Jeunesse de la Montérégie, des adolescentes vivant en milieu urbain (Longueuil) et en milieu rural (Acton Vale, Bedford, etc.) ont été interviewées. Leurs différents milieux de vie, urbain et rural, sont ainsi comparés au chapitre huit. Il semble que le milieu rural donne lieu à certaines solidarités familiales, notamment, en ce qui a trait au transport. En milieu urbain, il semble que le voisinage ne soit pas une source d’entraide (p. 211). Toutefois, les résultats montrent que le réseau des adolescentes vivant en milieu urbain comprend plus de professionnels des services sociaux et de santé que celui des adolescentes vivant en milieu rural (p. 213).

En conclusion, l’auteure remet en question la pertinence des interventions précoces visant à prévenir la maternité adolescente. L’auteure explique que les mesures généralement prises pour prévenir cette dernière (information sur la contraception, résumé des conséquences néfastes à long terme, etc.) ne tiennent pas assez compte de l’importance du rôle que joue l’entourage dans la prise de décision des mères adolescentes. Elles semblent aussi nier que les mères adolescentes puissent choisir délibérément leurs carrières de mères (p. 219). Enfin, l’auteure conclut ce propos en soulevant le paradoxe selon lequel la société se lamente à la fois d’un taux de fécondité faible et du phénomène de maternité adolescente (p. 220). Ce livre représente une source d’information considérable pour les intervenantes et intervenants qui agissent auprès des mères adolescentes, car elle permet de comprendre la dynamique du soutien disponible et des ressources utilisées par les jeunes femmes quelques années après la naissance de l’enfant.