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Le monde de la stabilité relative des années 1970 créée par le système de production fordiste et des politiques économiques de type keynésien a été remplacé dans les années 1990 par un monde fondé sur le principe de la flexibilité (Singh, 2004). La mondialisation, accélérée par les nouvelles possibilités de circulation et de communication, a rendu possible la progression des relations de marché vers un niveau qui leur permet de se soustraire partiellement d’une réglementation étatique (Vendramin et Valenduc, 2000; Barbier et Nadel, 2000).

À l’ère de la mondialisation, beaucoup des acquis des luttes sociales menées les siècles précédents pour rendre acceptables les relations de travail sont devenus caducs, car ces dernières débordent du champ réglementé par ces acquis (Rinehart, 2001). La concurrence internationale, l’affaiblissement des syndicats, le désinvestissement de l’État de ses fonctions sociales, le développement des technologies d’information et de communication ont transformé aussi, et d’une manière impressionnante, le travail concret (Negura, 2006). À l’obtention de leur diplôme d’études, les jeunes devront s’insérer dans un marché de l’emploi marqué par ce contexte économique.

Les jeunes francophones face au monde du travail

La connaissance du marché de l’emploi exerce une influence significative sur la qualité des décisions des jeunes à l’étape de l’insertion socioprofessionnelle, et ce, déjà à la fin de leurs études secondaires. Des recherches (Germeijs et Verschueren, 2006; Van Esbroeck, Tibos et Zaman, 2005; Patton et Creed, 2001) démontrent l’importance d’une prise de décision éclairée sur le choix professionnel des jeunes en fin d’études secondaires pour leur réussite pendant les étapes suivantes, que ce soit l’entrée sur le marché du travail ou la poursuite des études collégiales et universitaires. D’autres études (Samson et Gazzola, 2007; Germeijs et Verschueren, 2007; Guichard, 2001; Ireh, 2000) ont montré le rôle et l’importance de l’éducation à la carrière et de l’orientation professionnelle dans le développement des stratégies nécessaires pour assurer la transition de l’école vers le marché de l’emploi. L’incompréhension des barrières professionnelles et les biais des sources d’information consultées par les jeunes, que ce soit les parents, l’école, les amis ou les médias, constituent selon plusieurs chercheurs (Hargrove, Inman, et Crane, 2005; Constantine, Wallace et Kindaichi, 2005) des facteurs de l’indécision professionnelle.

La qualité des informations que les jeunes reçoivent n’assure pas un passage certain vers un emploi satisfaisant. Des auteurs insistent aussi sur l’importance d’une bonne représentation de ses propres valeurs et priorités (Dalzin, 2007; Munson, 1992). De cette manière, le sentiment « d’inaccessibilité de l’avenir » des lycéens français étudiés par Le Blanc et Laguerre (2001) serait lié systématiquement à certaines anticipations professionnelles. Selon ces auteurs, l’avenir est représenté par les jeunes en fonction de la perception de leur capacité de faire face à des situations professionnelles diversement valorisées.

Les décisions à cette étape critique de la vie des jeunes finissants des écoles secondaires de langue française de l’Ontario se complexifient davantage à cause de leur situation linguistique minoritaire. Comme les possibilités d’emploi qui se présentent à eux offrent pour la plupart un milieu de travail anglophone, ils sont obligés de faire un choix difficile entre le désir d’utiliser leur langue maternelle dans la réalisation de leurs « ambitions démesurées » (Laflamme et Dennie, 1990) et la réalité linguistique contraignante du marché de l’emploi. Malgré ce phénomène, à notre connaissance, aucune étude n’a été faite sur cette réalité des jeunes francophones de l’Ontario dans le contexte plus spécifique du rôle de la représentation sociale du travail dans le processus d’insertion professionnelle.

Le but du présent article est d’explorer le support représentationnel de l’étape du choix d’étude en relation avec les possibilités d’emploi des jeunes finissantes et finissants des écoles secondaires de langue française de l’Ontario, et ce, avec trois objectifs : montrer les connaissances des finissants quant à la situation générale sur le marché du travail, identifier la finalité recherchée de leur insertion professionnelle, et enfin, comprendre le rôle de la spécificité minoritaire francophone des jeunes dans ce processus.

Les représentations sociales comme cadre théorique

Comme les représentations sociales constituent « une forme de connaissance courante, dite de sens commun, dont la spécificité tient au fait qu’elle est socialement générée et partagée » (Jodelet, 1993, p. 323), ce cadre théorique nous a paru le plus approprié pour atteindre nos objectifs de recherche. Trois aspects spécifiques des représentations sociales justifient notre intérêt pour ce concept. Premièrement, les représentations sociales sont, comme on le voit dans cette définition de Jodelet, « une forme de connaissance courante », créée dans le processus de communication sociale et qui est ainsi intersubjective. Les jeunes communiquent entre eux au sujet de leur avenir professionnel et ils échangent des informations au sujet du marché du travail. Ils reçoivent aussi des informations des adultes de leur entourage : des parents, des enseignants ou d’autres personnes de référence. Des informations sont recueillies par les moyens de communication de masse : à la télévision, à la radio et, sans doute, sur Internet. Autrement dit, les jeunes se retrouvent dans un bain d’informations qui participent à la constitution de leur vision du monde du travail, vision que l’on pourrait comparer avec d’autres « formes de connaissances », comme, par exemple, les connaissances scientifiques. Cet aspect « descriptif » des représentations sociales remplit une fonction importante : elle permet de comprendre et d’expliquer la réalité sociale (Abric, 1994).

Deuxièmement, notre intérêt pour l’étude du discours des jeunes travailleurs sous l’angle des représentations sociales s’explique par la possibilité que ce cadre théorique nous offre d’anticiper les comportements de nos répondants dans le processus d’insertion professionnelle. Pour Abric (1994), les représentations sociales guident les comportements et les pratiques sociales en mobilisant toute une dynamique symbolique. Elles participent directement à l’élaboration de la finalité de la situation qui aide à orienter le comportement dans la direction représentée (Codol, 1969). Des auteurs (Balnaves, Caputi et Oades, 2000) montrent comment les personnes anticipent les actions par la formulation d’une construction « totale » de la réalité. Il faut que les jeunes, à ce moment critique de leur vie, aient une représentation claire des caractéristiques du travail qu’ils cherchent, et ce, avant même de s’y aventurer. Flament (1994) parle dans ce contexte de l’aspect « prescriptif » des représentations sociales.

Troisièmement, en tant que connaissances « socialement générées et partagées », les représentations sociales sont liées naturellement à un groupe social. Non seulement les personnes appartenant au même groupe ont-elles des chances accrues d’être soumises aux mêmes types d’informations, mais elles ont aussi besoin de renforcer une image positive de leur appartenance de groupe en interprétant ces informations à leur manière (Tajfel et Turner, 1979). Le fait d’être jeune, de venir de l’Ontario et surtout d’être francophone doit nécessairement imprimer une perspective spécifique du discours de nos répondants sur le travail. Cette touche spécifique pourrait nous éclairer sur la signification des stratégies que nos jeunes francophones d’Ontario élaborent pour faire face à un contexte de travail dans des milieux majoritairement anglophones. Il est connu que les représentations sociales ont la fonction identitaire (Abric, 1994) de préserver l’unité symbolique du groupe et de lui accorder une image positive (Doise et Lorenzi-Cioldi, 1994) dans les rapports « d’asymétries positionnelles[1] » (Tafani, Audin et Apostolidis, 2002) avec le groupe majoritaire. Nous nous proposons de comprendre comment cet aspect identitaire de la représentation sociale du travail peut nous renseigner sur les pratiques mises en place par les jeunes Franco-Ontariens à l’étape de leur insertion socioprofessionnelle.

Méthodologie

L’objet de recherche appelle une démarche méthodologique de nature qualitative. En effet, l’intention poursuivie n’est pas d’expliquer un phénomène, mais bien de le comprendre dans toute sa complexité et sa richesse. À cette fin, l’approche phénoménologique de recherche a été retenue. Elle consiste à laisser surgir le sens que le sujet accorde à son expérience (Giorgi, 1997).

La recherche phénoménologique tire sa source du courant philosophique initié par Edmund Husserl (1950). Pour cet auteur, la question de la connaissance ne tient pas tellement au fait de sa possibilité, mais bien aux conditions qui assurent sa véracité. En phénoménologie, le point crucial de la connaissance repose sur l’expérience subjective des choses. Cette perspective épistémologique accorde ainsi à la réalité un attribut essentiellement phénoménal, puisque cette dernière prend une forme, une apparence et un sens dans la mesure où une conscience l’expérimente. En d’autres termes, la phénoménologie investit le vécu d’un caractère absolu et limite le monde transcendantal, c’est-à-dire à l’extérieur du sujet, dans la sphère de la contingence ou de la relativité.

L’on comprend pourquoi le concept de « saturation des données » est inexistant en recherche phénoménologique. Le but du chercheur phénoménologue n’étant pas d’accumuler des données essentiellement factices afin d’atteindre un point de saturation sur le plan de l’information, mais bien de varier les possibilités de ces données afin d’en dégager les constituants. En d’autres termes, la visée eidétique évite aux chercheurs l’accumulation des données. Mais cette même visée le force à percer l’apparence de ces données afin de faire émerger les significations essentielles. Dans ce contexte, selon Giorgi (1997), les expériences de quatre à six participants seraient suffisantes pour assurer la réussite de la variation imaginative.

Sujets participants

La sélection des sujets participants a été faite en fonction de la procédure suivante. D’abord, toutes les écoles secondaires de langue française de l’Ontario ont été invitées à participer. Huit d’entre elles ont montré leur intérêt de participer à la recherche. De ce nombre, quatre ont été retenues, et ce, afin de favoriser la représentation géographique et sociale de la population francophone de l’Ontario : une école du centre est de l’Ontario, une d’Ottawa et deux de la région de Toronto. Chaque école participante s’engageait à désigner un responsable qui devait publiciser la recherche et recruter les sujets participants. Pour être éligibles, ces sujets devaient terminer leurs études secondaires en juin 2006. Le responsable devait recruter, autant que possible, un nombre égal de sujets masculins et féminins. Tous devaient être volontaires.

Pour la présente étude, les témoignages de 13 participants ont été retenus. Ce nombre rencontre l’exigence de la présence de plusieurs expériences de vie, ce qui assure la diversité et la richesse du matériau de base. Des 13 sujets, tous des Ontariens nés dans des familles où le français était la langue parlée à la maison, 7 étaient de sexe masculin et 6 de sexe féminin. L’âge moyen était de 17,5 ans. Toutes les participantes et tous les participants avaient l’intention de poursuivre des études postsecondaires.

Procédure de cueillette des données

Les sujets ont participé à une entrevue semi-structurée. Le guide d’entrevue les invitait à explorer les thèmes suivants : 1. Les valeurs associées au travail (les critères du choix professionnel : le salaire, la possibilité d’avancement, l’importance du français comme langue de travail, etc., et l’étique du travail); et 2. La connaissance du monde du travail (l’importance des études, la connaissance des conditions de travail et la familiarité avec les évolutions de l’emploi). Les entrevues ont été conduites par un chercheur de l’équipe durant le mois de mai 2006. Les témoignages étaient enregistrés sur bande audio et retranscrits par la suite aux fins d’analyse.

Procédure d’analyse des données

Les données recueillies ont été analysées selon la procédure élaborée par Karlsson (1993). Appelée aussi méthode « EPP », cette procédure se divise en cinq étapes distinctes, visant chacune à soustraire les éléments significatifs de l’expérience des sujets participants.

La première étape consiste à s’approprier le témoignage du sujet participant. À ce stade, l’analyse proprement dite n’a pas encore débuté. Il s’agit pour le chercheur de bien saisir ce que le sujet a exprimé tout au long de son témoignage et d’éclairer la signification de chaque partie du texte à la lumière de son ensemble. En fait, le chercheur doit entrer dans l’univers du sujet participant, tel qu’exprimé dans le texte.

À la seconde étape, le chercheur divise le texte en plusieurs unités de sens. Cet exercice exige que le chercheur se colle à ses matériaux, qu’il discerne et distingue toutes les modulations de sens qui ressortent. Au terme de cette étape que l’on pourrait qualifier de micro-analyse, le chercheur aura entre ses mains plusieurs unités de sens liées entre elles et appartenant à un grand tout. Les résultats ainsi obtenus constituent le matériel de base à partir duquel le chercheur poussera plus à fond son analyse lors des étapes subséquentes.

Le chercheur entreprend véritablement l’analyse du texte à la troisième étape. C’est à ce stade qu’il procède à la réduction phénoménologique. En clair, le chercheur sépare les faits à l’état brut du sens que le sujet accorde à ces mêmes faits : « The researcher is interested in the meaning which imbues facts » (Karlsson, 1993, p. 97). Le projet phénoménologique commence à prendre forme, puisque le chercheur met en lumière le sens que le sujet participant accorde à son expérience.

La quatrième étape engage l’analyse dans un tournant décisif. Le chercheur remanie les unités de sens qu’il a déjà identifiées et reformulées dans ses propres termes; à ce titre, il peut écarter certaines unités ou, si besoin est, les fondre dans de nouvelles. Ce remaniement vise à formuler la structure individuelle (situated structure) du phénomène étudié. Cette structure devrait s’appuyer sur les éléments constitutifs du phénomène.

La cinquième étape marque le passage de la structure individuelle du phénomène à sa structure générale (general structure). Il s’agit, en fait, de fondre en une structure générale les éléments communs à toutes structures individuelles.

Pour assurer la validité de la procédure d’analyse, tout le processus a été fait par une équipe de deux chercheurs. Il s’agit d’une procédure consensuelle où les membres de l’équipe participent à l’élaboration des constituants de l’expérience de participants et des participantes. Un premier chercheur analyse les témoignages. Ce premier chercheur présente les résultats de son analyse à un second chercheur. Les résultats sont discutés, transformés et travaillés jusqu’à l’atteinte d’un consensus (Hill, Thompson, Nutt et Williams, 1997).

Résultats de l’analyse : structure générale de l’expérience

Après une analyse transversale des thèmes de l’entrevue, nous avons observé la récurrence de trois idées qui semblent être des constituants essentiels de la vision que les élèves ont du travail. D’abord, celui-ci est perçu comme une réalité précaire. En même temps, et c’est le second élément constitutif, il est aussi un espace de réalisation de soi. Finalement, l’analyse phénoménologique laisse apparaître l’identité franco-ontarienne en général et le bilinguisme en particulier comme une composante importante de leur insertion socioprofessionnelle.

Le marché du travail : un avenir incertain et précaire

Pour les répondants, les nouvelles réalités économiques ont provoqué une précarisation du marché du travail. Selon eux, cette précarisation rend difficile la projection dans l’avenir étant donné que la vie professionnelle future est incertaine, fluctuante ou difficile à prévoir : « Bon, on ne peut pas prévoir l’avenir là. Fait que comme on a vu avec Nortel, tu n’as aucune idée quand tu vas être mis à pied. » (S1). Cette précarité de l’emploi est vécue comme une fatalité qui s’impose et dicte ses conditions, et ce, indépendamment de la volonté du sujet participant : « Même si tu travailles bien, t’as aucune idée de ce qui se passe derrière les rideaux. […] Donc, si je me fais licencier, c’est vraiment à cause de situations exceptionnelles, si on veut ». (S2).

Le projet vocationnel demeure toujours possible. Mais pour qu’il soit réaliste, il importe d’accepter l’insécurité inhérente au marché de l’emploi : « Bon! La possibilité d’être mis à pied c’est quelque chose de très possible. […] Mais tu prends la vie comme elle te vient, puis tu fais du mieux que tu peux. » (S3). En d’autres termes, l’incertitude associée au travail complique l’élaboration du projet professionnel, mais elle ne l’empêche pas : « Donc, la mise à pied est certainement une possibilité. […] Pis il faut vivre avec ça. » (S4). Les participants sont aussi conscients que les changements technologiques accentuent cette précarité : « Avec les robots et tout ça, on ne sait jamais quel domaine va disparaître. […] Donc, il y a toujours cette crainte. » (S2).

La reconnaissance de cette fatalité gruge le sentiment d’autonomie personnelle. La précarité ou la difficulté de prévoir ce que sera l’avenir professionnel est ressentie comme une dépossession qui rétrécit la possibilité de faire des choix : « Ben, je pense qu’il faut faire attention au domaine saturé. Comme moi, j’ai plusieurs amis qui veulent s’en aller en game design. […] Si on s’en va dans un domaine saturé, on risque d’avoir des problèmes. » (S4). En d’autres termes, l’insertion sur le marché de l’emploi semble exiger l’abdication d’une certaine forme d’autonomie personnelle. Les participants anticipent une perte de contrôle par rapport à leur projet de carrière : « Au début, je voulais aller en programmation, mais ça, c’est saturé comme domaine. » (S5).

En somme, notre analyse révèle chez les élèves questionnés une perception du marché du travail comme une réalité précaire et incertaine. Plus spécifiquement, ils éprouvent une certaine difficulté à prévoir leur cheminement de carrière. En effet, les sujets participants ont le sentiment que les tendances actuelles de l’économie ont mis un terme à l’emploi à vie et qu’ils risquent, un jour ou l’autre, de se retrouver en situation de chômage. Ils ont aussi la conscience que cette précarité s’impose à eux et qu’elle est incontournable.

L’idéal : le travail comme lieu de réalisation personnelle

Pour les sujets participants, le travail est perçu comme un lieu de réalisation personnelle, et ce, dans la mesure où leur occupation sera la source de plaisir et de satisfaction : « Aimer ce que tu fais, parce que c’est le principal. […] Je m’en fous du salaire que j’ai, mais du moment que je fais un travail que j’aime, c’est correct pour moi, comme je veux faire quelque chose que j’aime. » (S6). Dans le même sens, un sujet participant ajoute : « Aimer le travail comme tel […] est probablement la chose la plus importante. » (S4).

Le plaisir associé au travail et la recherche d’une forme de satisfaction personnelle constituent des valeurs essentielles pour les jeunes questionnés. Dans ce contexte, la rémunération semble secondaire : « Oh bien sûr l’argent, mais c’est pas comme mon choix, mon premier choix. […] J’ai besoin de toujours […] que je sois contente d’aller travailler. » (S7). À cela, un autre participant ajoute : « Il faut aussi aimer son emploi. […] Si on le fait juste pour faire de l’argent, je ne pense pas que ça vaut la peine. […] Il faut que tu fasses quelque chose qui t’intéresse… Mais je ne crois pas que si on fait un emploi juste pour l’argent. […] Ça va pas prendre longtemps pour qu’on se fatigue de cet emploi. » (S8).

Selon les témoignages des sujets participants, le travail peut devenir un lieu de réalisation, à condition de la possibilité d’actualisation de leurs valeurs personnelles. En effet, selon les témoignages recueillis, il doit constituer un défi ou un lieu de dépassement : « Il faut que le travail soit un défi. » (S4). Le défi est perçu comme une occasion de dépasser ses limites : « […] un défi, […] des obstacles qui m’aideront à améliorer mon mode de travail, puis pour que je devienne meilleur dans ce que je fais. » (S9). Ce goût du défi se manifeste aussi dans certains projets de carrière : « J’aime être challengé. […] J’aimerais […] faire un voyage de business… dans un pays ou une autre ville. » (S3).

Les répondants et les répondantes désirent exercer aussi une certaine forme de contrôle sur leur emploi. Par exemple, certains d’entre eux privilégient le travail autonome, ou du moins la possibilité de décider eux-mêmes de leur horaire : « J’aimerais m’imposer mon propre rythme de travail. » (S4). Certains désirent une autonomie quasi complète : « Un travail, sans employeur, l’autonomie de faire, de travailler quand je veux. » (S10).

D’autres espèrent de la flexibilité : « Un emploi pour moi, un emploi idéal pour moi, serait un emploi flexible. […] Donc, c’est moi qui vais choisir de terminer une journée plus tôt. » (S11). Certains espèrent devenir leur propre patron : « […] d’avoir ma propre entreprise. […] Pis c’est moi qui est le boss, c’est moi qui fais les décisions. » (S7). Toujours dans le même sens :

« C’est toi ton propre boss, ça, c’est l’emploi idéal. » (S1).

En somme, l’analyse révèle que les sujets participants se représentent le travail comme un lieu de réalisation personnelle. Cette réalisation est possible dans la mesure où les répondants espèrent éprouver une certaine forme de plaisir dans l’accomplissement de leurs tâches professionnelles. Selon les participants, différentes conditions doivent être réunies afin que le travail devienne un lieu de réalisation personnelle et une source de plaisir. D’abord, il doit favoriser le dépassement de soi, échapper à la routine et offrir la possibilité de relever des défis. Aussi, les répondants aspirent à une occupation professionnelle où ils seront en mesure de jouir d’une certaine marge d’autonomie et de flexibilité.

De l’idéal à la réalité : le bilinguisme comme moyen d’adaptation

Les sujets participants sont conscients de la précarité du marché de l’emploi et ils sont aussi animés par la quête de se réaliser via leurs activités professionnelles futures. Ils entrevoient un avenir incertain. Malgré cela, ils espèrent un travail comme lieu de dépassement et source de satisfaction.

Selon eux, le bilinguisme est une qualité qui est de nature à rehausser le niveau d’employabilité et à favoriser l’atteinte des objectifs de carrière. Dans ce contexte, ils perçoivent leur maîtrise du français et de l’anglais comme un moyen de favoriser leur processus d’insertion socioprofessionnelle.

Mais l’appartenance à la communauté francophone n’est pas pour autant instrumentalisée ou uniquement appréciée sous son angle économique. Cela est clair, l’identité francophone ne fait pas de doute dans leur esprit. Les témoignages analysés le démontrent : « […] parce que je suis francophone. » (S1). Il y a aussi un attachement à la langue : « Faut qu’on garde notre langue vivante. Donc, je pense que c’est quelque chose d’important. » (S5). La condition minoritaire est assumée : « Pis, j’ai été élevé dans une minorité, pis c’est vraiment ce que je suis. » (S1).

Simultanément, cette identité francophone comporte aussi une dimension bilingue. Si pour certains, cette dimension dilue leur identité francophone : « Je ne pourrais pas dire francophone, mais bilingue. » (S3), l’analyse des témoignages révèle un attachement à la langue anglaise : « Moi, je dirais que oui c’est important de parler français, mais autant c’est important de parler anglais. » (S5) ou à la qualité d’être bilingue : « Comme je veux rester bilingue, je n’aimerais pas perdre mon français. » (S1). Cet attachement à la langue anglaise peut être aussi amplifié par une certaine forme de conformisme social : « Parce que c’est plus cool de parler anglais pour beaucoup de monde. » (S1).

Cette différence identitaire est vécue d’une manière positive par les participantes et les participants : « Mais je suis fière d’être francophone… franco-ontarienne. » (S1). Et ce sentiment de fierté est ressenti partout au Canada : « Comme si j’irais vivre au Québec, je serais encore fière d’être franco-ontarienne. » (S1). Cette différence est vécue comme un plus par rapport aux anglophones qui sont perçus comme surtout unilingues : « Je connais tellement d’amis qui sont anglophones qui me regardent et disent […] t’es tellement chanceuse. […] Les gens francophones ont cet avantage. » (S3).

Le désir de conserver cet avantage de la maîtrise des deux langues officielles est relativement fort : « Je veux rester bilingue. J’aimerais pas perdre mon anglais non plus parce que ce serait un gros désavantage. » (S1). Pour certains, un emploi qui nécessite le bilinguisme serait une manière pratique de conserver leur connaissance du français : « […] à cause que mon français n’est pas parfait, pis je veux avoir l’habilité de parler le français. […] So, si je travaille en anglais, ben je ne vais pas pouvoir pratiquer mon français. […] So je vais le perdre. » (S7).

Si le bilinguisme est perçu comme un avantage, les participantes et les participants sont très conscients du fait que la maîtrise de l’anglais constitue une nécessité absolue pour obtenir un emploi en Ontario : « Il faut regarder la réalité. Le reste du monde pratique les métiers en anglais. » (S11). Certains sont bien conscients qu’ils auront probablement à travailler surtout ou uniquement en anglais : « Si j’étais obligé de parler en anglais, […] ça ne changerait pas grand-chose à ma vie. » Pour certains, l’anglais est la langue de la vie sociale et le français la langue de la vie privée : « Je pourrais avoir quand même une vie francophone à la maison. Je ne perdrais pas mon français de cette manière-là. » (S1).

En somme, les participantes et les participants éprouvent un réel sentiment de fierté par rapport à leur identité de francophones, mais ils se perçoivent en même temps comme bilingues. Pour eux, le bilinguisme constitue un atout, de nature à favoriser leur insertion socioprofessionnelle.

Discussion des résultats

Connaissances de l’évolution du monde du travail

Les jeunes questionnés se représentent le marché du travail comme une réalité à la fois précaire et incertaine, où l’emploi stable et protégé est de plus en plus rare; ils estiment que ce phénomène est incontournable. Comment cette vision se compare-t-elle avec la représentation du monde du travail véhiculée dans la littérature scientifique?

Selon des chercheurs (Fournier, Bourassa et Béji, 2003; Mitchell et Gee, 1996), la recherche du premier emploi aujourd’hui, comme d’autres événements critiques de la vie (Mitchell et Gee, 1996; Skolnick 1998) etc., n’est plus un moment précis et repérable, mais plutôt un processus complexe et non linéaire. Beaucoup de jeunes travaillent à temps partiel pendant leurs études secondaires ou postsecondaires avant même qu’un emploi stable ne soit envisagé (Brandstatter et Farthofer, 2003; Storikov et Vondracek, 1997). En même temps, les personnes ayant un emploi stable retournent de plus en plus aux études pour acquérir de nouvelles compétences (Krahn, 1996). De cette manière, les transitions école-travail sont désormais multiples et bidirectionnelles alors que les trajectoires professionnelles ascendantes ne sont plus la norme dans le monde actuel du travail (Lefresne, 2003; Laflamme et Baby, 1993). Nos données démontrent que les jeunes participants à notre enquête sont conscients de cette instabilité qui les attend sur le marché de l’emploi.

Les nouvelles réalités dans les entreprises (Negura, 2006) font en sorte que l’accès à un emploi stable n’est plus généralisé. Au cours des dernières décennies, le taux de placement dans un emploi à durée indéterminée a diminué constamment (Bédard et Grignon, 2000). En effet, même si les jeunes arrivent à obtenir un emploi permanent, on observe un allongement du temps nécessaire pour une insertion satisfaisante sur le marché du travail. En même temps, la période d’insertion au travail des jeunes d’aujourd’hui se caractérise par l’occupation de plusieurs emplois temporaires (Fournier, Pelletier et Beaucher, 2003). La précarité de l’emploi est constamment mise en relief dans le témoignage de nos répondants, ce qui démontre une bonne correspondance de leur représentation du marché du travail avec le discours scientifique.

Selon Thiessen (2001), on observe un déplacement vers le haut quant à la scolarité minimale demandée par les employeurs. « Les jeunes qui détiennent un diplôme d’études postsecondaires prennent la place des diplômés du secondaire qui, ensuite, s’approprient les emplois qui auparavant étaient offerts aux sortants du secondaire » (Thiessen, 2001, p. 68). En conséquence, les jeunes sans diplôme postsecondaire, et surtout les décrocheurs des écoles secondaires, ont de plus en plus de difficultés à trouver un emploi convenable (Shaienks, Eisl-Culkin et Bussière, 2006). Tous les jeunes que nous avons interrogés ont bien intériorisé cette réalité. Comme preuve, ils ont tous pris la décision de continuer leurs études postsecondaires. D’après leurs témoignages, l’importance des diplômes postsecondaires est largement reconnue par leurs collègues aussi.

Selon Béji et Fournier (2006), même les jeunes qui réussissent à obtenir un premier emploi stable sont assez souvent obligés de revenir régulièrement aux études. La nouvelle économie fondée sur le savoir exige que la main-d’oeuvre se recycle et se perfectionne constamment (Lesemann et Goyette, 2003). L’apprentissage continu devient ainsi la norme dans le monde de travail actuel et est une nécessité pour ceux qui y oeuvrent (Bournazel, 2001). Par conséquent, la formation initiale, très importante pour accéder à un emploi qualifié, ne garantit plus sa pérennité, une réalité qui correspond en général à la représentation énoncée à plusieurs reprises dans le discours des finissants des écoles secondaires participant à notre enquête.

Notre analyse démontre donc que le discours des finissantes et des finissants des écoles secondaires reflète une bonne connaissance de la situation globale du marché du travail. Cependant, cet aspect représentationnel n’oriente pas à lui seul les jeunes dans ce contexte de transition. Il est important d’analyser également l’aspect prescriptif de leur représentation sociale du travail pour se constituer une idée des fondements des pratiques mises en place. Pour cela, nous avons étudié l’image que les jeunes ont du rôle que ce dernier doit avoir idéalement dans leur vie. Nos résultats indiquent que la réalisation personnelle est cette réalité symbolique qui mobilise les jeunes dans leur quête d’un bon emploi. Comment la valorisation par les jeunes Franco-Ontariens de la réalisation personnelle par le travail correspond-elle à la tendance actuelle d’évolution de sa représentation sociale dans le monde postindustriel?

La représentation sociale du travail et la réalisation personnelle

En effet, d’autres enquêtes montrent aussi que les jeunes recherchent de plus en plus un emploi où ils peuvent réaliser leur capacité d’une manière autonome. Les études sur les représentations sociales du travail des années 1980 (Bérud et coll., 1985; Salmaso et Pombeni, 1986; Grize et coll., 1987) entrevoyaient déjà l’apparition, dans le champ représentationnel, des éléments faisant allusion à cette dimension, même si le noyau central demeure encore très matérialiste.

Dans l’étude de Bérud et coll. (1985), effectuée en Suisse dans les années 1980 sur des apprentis, la représentation sociale du travail est encore organisée autour de l’objectif de subsistance. Il est ainsi un moyen de gagner sa vie; cependant, quelques éléments moins fréquents montrent une ouverture pour l’idée d’un travail qui contribue à l’épanouissement personnel. Il est intéressant d’observer qu’à cette époque, le travail prototypique était manuel et salarié (Salmaso et Pombeni, 1986). Les meilleurs exemples donnés par les répondants étaient le travail en usine et celui du mineur et du maçon. L’argent et l’économie familiale représentaient un pôle puissant de l’espace représentationnel du travail chez les répondants d’une autre enquête, effectuée en France cette fois, par Grize et coll. (1987). Cependant, un autre pôle, qui réunissait ses aspects humains, comme le plaisir ou la reconnaissance, émergeait déjà.

Cette configuration représentationnelle a pris une autre dimension dans les années 1990, alors que, dans les études effectuées par Flament (1994b, 1996), la représentation sociale du travail se montre beaucoup plus « idéaliste ». Celui-ci commence à être défini par les répondants comme un concept organisé sur deux éléments centraux : le plaisir et la rémunération. En même temps, l’auteur remarque que, si la rémunération apparaît comme très importante dans les réponses autodistributives, le plaisir apparaît plus souvent dans les réponses libres. Cette dynamique représentationnelle indiquerait, selon l’auteur de l’analyse, une transformation de la représentation sociale du travail vers l’intégration d’une vision plus idéaliste de celui-ci, fondée sur le plaisir et l’accomplissement de soi.

Clémence (1998) découvre aussi, malgré la constance de la dimension économique, une accentuation du caractère humain du travail comme facteur d’épanouissement personnel, surtout chez les professionnels. De cette manière, la quête de réalisation personnelle identifiée chez nos jeunes participantes et participants pourrait constituer la continuation de cette humanisation de la représentation sociale du travail observée au cours des dernières décennies dans plusieurs pays postindustriels.

La représentation sociale du travail et l’identité bilingue

Les données que nous avons obtenues mettent également en relief l’affirmation chez les élèves francophones interrogés de l’importance de la connaissance des deux langues officielles du Canada, malgré le témoignage répété de l’attachement à la langue française. En effet, le bilinguisme est considéré comme un avantage important détenu par les francophones à la recherche d’un emploi.

La réalité de la bilinguisation de l’identité des francophones dans le contexte minoritaire a été étudiée par plusieurs auteurs (Bernard, 1991; Bernard, 1998; Castonguay, 1999; Gérin-Lajoie, 2001). L’interprétation des conséquences de ce phénomène pour la minorité francophone au Canada est cependant contradictoire. Si pour certains l’identité bilingue est vue comme une première étape d’un processus d’assimilation au groupe majoritaire anglophone (Castonguay, 1999; Bernard, 1998), pour d’autres ce n’est pas nécessairement le cas. Pour Gérin-Lajoie (2001), cette relation établie entre une identité bilingue et l’assimilation au groupe dominant anglophone est trop simpliste. Selon elle, il faut prendre en compte le contexte spécifique qui détermine les pratiques langagières dans le milieu minoritaire, dans le sens de ce que Breton (1994) appelle les « différences contextuelles ».

Le milieu du travail est l’un de ces contextes linguistiques particuliers qui, étant donné la spécificité de l’Ontario, est largement anglophone, comparativement à la France ou au Québec. En même temps, le monde du travail ontarien a aussi une spécificité par rapport au contexte des marchés du travail purement anglophones, comme le marché américain, par exemple. Cette spécificité se résume par l’existence d’une part non négligeable d’un marché où la connaissance du français est encore obligatoire, tant dans le public que dans le privé.

Il s’agit d’abord des organisations où la langue de travail est le français par la nature de leur mission, comme les commissions scolaires, les hôpitaux et les organismes communautaires qui sont dédiés au bien-être de la population francophone de l’Ontario. Dans certaines régions de la province, des petites et moyennes entreprises oeuvrent aussi en français. Finalement, certaines fonctions exercées dans de grandes organisations, surtout dans le domaine de la communication avec le public, exigent une main-d’oeuvre bilingue. À titre d’exemple, le gouvernement fédéral, un employeur important au Canada, exige d’une bonne partie de ses fonctionnaires la connaissance de deux langues. En effet, 67,4 % des francophones en Ontario ont déclaré utiliser leur langue maternelle en milieu professionnel (Office des affaires francophones et Statistique Canada, 2005). Ainsi, la connaissance du français, qui pourrait être vue dans d’autres contextes comme peu importante dans le milieu minoritaire, constitue dans le contexte de l’insertion professionnelle un avantage évident. En Ontario, comme ailleurs au Canada anglais, cet avantage prend des contours réels, surtout dans le cas des francophones, car leur statut minoritaire les oblige à fonctionner dans différents contextes linguistiques (Breton, 1994), ce qui leur permet de maîtriser parfaitement les deux langues.

Le bilinguisme des jeunes francophones qui terminent les études secondaires se manifeste, dans le cadre de la représentation sociale du travail étudiée, comme un élément important qui prend une dimension identitaire au moment où il amplifie l’image positive de leur groupe d’appartenance. Selon Tajfel et Turner (1979), les individus essaient de créer et de maintenir une identité sociale positive, laquelle est le résultat d’une comparaison favorable entre le groupe d’appartenance et les autres groupes significatifs.

Lorsque l’identité sociale ne permet pas une image positive de soi, les personnes peuvent quitter leur groupe pour rejoindre un groupe plus valorisé. Autrement, pour rendre leur groupe plus attractif, elles cultivent des distinctions positives. Le bilinguisme des francophones pourrait être une de ces distinctions qui amplifient l’image positive du groupe dans le contexte de l’insertion professionnelle. Les jeunes francophones sont mieux préparés pour faire face à l’instabilité et à la précarité du marché du travail grâce à leur connaissance du français et, implicitement, grâce au bilinguisme. La connaissance du français devrait être ainsi très importante pour ces jeunes, tant sur le plan identitaire que pour l’aspect pratique.

Dans ces conditions, le bilinguisme des jeunes francophones en contexte minoritaire pourrait renforcer leur identité francophone. Ce phénomène explique nos résultats, ainsi que les résultats d’autres recherches (Gérin-Lajoie, 2001), qui confirment l’importance de la langue française et de la culture française pour la majorité des jeunes francophones ontariens, malgré l’affichage de leur bilinguisme dans leur discours.

La distinction au travail

La représentation sociale du travail des élèves n’est pas fondée sur une expérience professionnelle. En effet, l’emploi que les quelques élèves ont pu avoir l’occasion d’exercer est souvent temporaire et non qualifié. De plus, le travail est normalement une activité moins importante dans la vie des jeunes par rapport aux études, qui constituent évidemment leur occupation principale. Finalement, il a un rôle plutôt instrumental dans la vie des jeunes : son but est de financer leurs loisirs. Tous ces facteurs éloignent les jeunes d’une vision « adulte » du travail.

Cependant, ce ne sont pas les pratiques sociales qui mobilisent la représentation sociale du travail des élèves, mais la projection des ambitions personnelles dans un contexte perçu d’un emploi. Les jeunes se font plutôt la représentation d’un travail idéal possible dans un avenir incertain. Il s’agit d’une négociation permanente entre leur désir et la réalité, une réalité qu’ils ne peuvent pas encore connaître par la pratique. Ils alimentent alors leur représentation de cette réalité du travail grâce aux informations qui leur sont disponibles par différentes sources : la famille, les amis, l’école ou les médias.

Mais pour les jeunes, ces informations prennent une signification particulière : elles participent à la construction de l’image qu’ils se font de leur place future dans l’univers du travail. Voilà pourquoi la perception d’un marché de l’emploi instable et précaire doit être contrebalancée par des arguments solides de distinction positive. Pour les jeunes Franco-ontariens, la connaissance du français constitue une compétence structurale importante qui confirme un avantage dans le contexte actuel très compétitif du marché de l’emploi. La dimension identitaire de l’appartenance au monde francophone prend alors sa signification distinctive dans une dimension pratique, la connaissance du français comme avantage sur le marché de l’emploi, renforçant ainsi en retour la dimension identitaire.

Conclusion

Notre étude a révélé trois aspects de la représentation sociale du travail des finissantes et des finissants des écoles secondaires de langue française de l’Ontario. L’aspect « descriptif » de la représentation sociale étudiée confirme un niveau assez élevé de conformité des éléments de base de la représentation des jeunes interrogés — notamment la précarité et l’instabilité du monde du travail — avec la représentation scientifique du monde du travail qui se dégage de la littérature consultée. L’aspect « prescriptif » de cette représentation sociale montre que les participantes et les participants à notre enquête reproduisent une dynamique de valorisation de l’affirmation personnelle par le travail, dynamique qui s’accentue depuis quelques décennies chez les jeunes de plusieurs pays postindustriels (Inglehart, 1997). Finalement, l’aspect « identitaire » de la représentation sociale du travail a mis en relief l’importance de la connaissance du français comme élément qui renforce chez les jeunes francophones participants une image positive de leur groupe d’appartenance dans le contexte spécifique d’insertion socioprofessionnelle.

L’importance de cette recherche consiste dans l’étude du rôle de la représentation sociale du travail dans le choix de carrière des élèves à la fin de leurs études secondaires. La représentation sociale identifiée montre un potentiel positif de construction d’un projet professionnel réaliste, mais ambitieux (Laflamme et Dennie, 1990) chez ces jeunes francophones provenant du milieu minoritaire. De plus, cette recherche montre comment la distinction identitaire des élèves franco-ontariens s’affirme dans le processus spécifique d’élaboration du rapport au monde de l’emploi. Le sentiment d’avoir l’avantage de la connaissance du français stimulerait selon nos résultats une affirmation plus forte de l’identité francophone chez ces élèves.