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Les recherches et analyses accumulées au fil des années par les sciences sociales peuvent et doivent aider à donner des clefs d’interprétation objectives à des conditions de travail et de vie souvent vécues sur un mode purement subjectif et sur le registre meurtrissant de l’autoculpabilité

Lallement, 2007

Jusqu’aux années 1980, le burn-out demeure essentiellement le propre des milieux professionnels axés sur le relationnel et le soin, à savoir les professions de santé et d’assistance sociale.[1] Au cours des récentes décennies, bon nombre d’auteurs ont publié sur le sujet, surtout aux États-Unis, mais aussi au Canada et en France, démultipliant presque d’autant les catégories socioprofessionnelles considérées comme « à risque ». Si bien que de nos jours, plus aucune profession ne semble mettre l’individu à l’abri d’une « brûlure » professionnelle[2]. Les vétérinaires s’en plaignent (Stockner, 1981), le personnel en soins infirmiers (Bourbonnais et collab., 1999; Duquette et Delmas, 2001), les commerciaux (Hollet, 2006), les éleveurs laitiers (Lourel et Mabire, 2008), les cadres (Levinson, 1991), les médecins (Davezies et Daniellou, 2004; Levasseur, 2003; Truchot, 2006; 2002; Maranda et collab., 2006), les travailleurs sociaux (Ravon, 2009; Bernier, 1994), les enseignants (Houlfort, 2010; Carpentier-Roy, 1992) de même que les politiques (Schneider, 2001). Commentant l’importante vague de recherches publiées ces dernières années, Truchot conclut que

si le burn-out a été d’abord conçu comme une catégorie particulière de stress chronique spécifique aux individus « impliqués » professionnellement auprès d’autrui, on considère aujourd’hui qu’il peut frapper l’ensemble des individus au travail, quel que soit le contenu de leur activité.

2006, p. 313

Certains rangent même les sportifs de haut niveau (Dale et Weinberg, 1990) et les mères au foyer (Guériault, 2004) dans les catégories socioprofessionnelles considérées comme à risque de burn-out.

L’ampleur de son retentissement au sein des différents corps professionnels a aussi été chiffrée. Au Québec, une étude conduite auprès des médecins a démontré que 47,6 % des femmes et 44,6 % des hommes présentaient un stade avancé d’épuisement professionnel (Crépeau, 2003). Chez les enseignants, une enquête pancanadienne a dévoilé que plus de 10 % d’entre eux souffrent d’un stress et d’un niveau d’épuisement professionnel nuisibles à leur travail (King et Peart, 1992). Plus récemment, les résultats des travaux de Houlfort (2010) ont montré que la santé mentale des enseignants pratiquant au Québec s’était quelque peu dégradée au fil des ans. Près de 60 % des enseignants sondés, sur un échantillon total de plus de 2000, présentaient des symptômes d’épuisement professionnel au moins une fois par mois, tandis qu’ils étaient 20 % à en faire l’expérience au moins une fois par semaine. Quant aux intervenants sociaux québécois — les psychologues, les travailleurs sociaux, les éducateurs —, ils afficheraient selon Fecteau (1999) beaucoup de signes de fatigue, d’épuisement et de démotivation : 25 % à 50 % d’entre eux ont obtenu un résultat élevé aux différentes échelles de mesure du burn-out[3].

Curieusement, la prolifération du nombre de recherches sur le burn-out a eu pour effet d’élargir la constellation des symptômes associés à cette forme du pathologique. En parcourant la littérature, on s’aperçoit en effet qu’une série étonnante de symptômes sont de nos jours associés au burn-out, entre autres, insatisfaction, irritabilité, rigidité, insomnie, ulcères, maux de dos, migraines, abus d’alcool et de médicaments, troubles conjugaux et familiaux, condescendance, paranoïa, absentéisme, renouvellement de personnel et moral bas. [4] La liste établie par Cherniss (1980) se compose quant à elle de vingt-huit symptômes, parmi lesquels figurent « la résistance élevée à aller travailler chaque matin », « regarder souvent l’heure », « éviter de discuter avec les collègues de travail », et « se faire du souci pour soi » [5].

À l’évidence, le tableau clinique qu’on lui reconnaît recoupe sous plusieurs points des phénomènes sur lesquels la psychiatrie s’est déjà penchée, tels le stress, le syndrome de fatigue chronique (SFC), l’anxiété et la dépression. Surtout, la nature protéiforme de sa symptomatologie — Cathébras (1991) la qualifie de « nébuleuse floue » — n’est pas sans rendre problématique la question du lien effectif entre cette gamme apparemment disparate de symptômes (Bibeau, 1985). Son tableau clinique englobe en effet des réalités si générales et communément partagées qu’on peut supposer qu’il complique de bien des manières, en pratique, la possibilité d’un départage précis entre les personnes « atteintes » et celles « indemnes ». C’est d’ailleurs ce type de considérations qui, au milieu des années 1980, a conduit Larouche à se demander « si le burn-out est un mythe, une mode, une nouvelle appellation de la dépression, une faillite de l’estime de soi ou une maladie? » (1985, p. 149).

On l’aura deviné, le scepticisme et la suspicion qu’éveille le diagnostic du burn-out ne datent pas d’hier. Mais ce débat n’est peut-être pas ce qui apparaît le plus intéressant d’un point de vue sociologique. Avec Loriol (2000), nous pensons qu’il n’y a pas lieu en effet de faire du moralisme sur le courage des uns ou la faiblesse des autres, par exemple, en remettant en doute la « véracité » des symptômes ou le bien-fondé des motifs de la plainte du burn-out par le rappel des difficultés ou pénibilités soi-disant infiniment plus grandes auxquelles étaient livrés les travailleurs de la période industrielle. L’essentiel à propos du burn-out est sans doute de prendre au sérieux le phénomène social qu’il représente pour chercher à comprendre ce qu’il révèle de la société contemporaine et, en particulier, de l’expérience que l’individu fait du travail de nos jours. Les instruments de mesure du burn-out, si abondamment mobilisés par la littérature scientifique et le domaine de l’intervention sociale, constituent pour cela un riche matériau empirique.

Le présent article comporte un double objectif. À partir de l’étude de trois de ces principaux instruments de mesure — modèle de Maslach et Jackson, modèle de Siegrist et modèle de Karasek —, il vise à mettre en lumière à quel point les facteurs psychosociaux utilisés par ces modèles pour appréhender le burn-out et en estimer la prévalence, loin de représenter des besoins psychologiques fondamentaux de l’homme, sont davantage le reflet des injonctions et contraintes qui caractérisent l’expérience du travail contemporain. De même, alors que ces facteurs psychosociaux ne sauraient être du seul ressort de l’individu, l’article cherche à montrer que les interventions pratiquées auprès des personnes « à risque » ou « en processus » de burn-out s’en tiennent la plupart du temps au seul périmètre de la psychologie et de la responsabilité individuelles.

Nouveaux instruments de mesure, nouveau mal-être

Il existe à ce jour une quantité appréciable de définitions du burn-out et presque autant d’outils pour en mesurer la prévalence, les unes n’allant généralement pas sans les autres. C’est d’ailleurs là une particularité du burn-out : « le syndrome se dessine en même temps que s’élaborent des instruments de mesure » (Canouï et Mauranges, 2008, p. 52). Ce sont en effet les « tests » de prévalence du burn-out conçus principalement par les chercheurs en sciences sociales[6] qui, d’hier à aujourd’hui, ont le plus significativement contribué à définir et à documenter cette figure du pathologique.

Notre propos s’en tient à trois de ces instruments de mesure : celui de Maslach et Jackson (1996), celui de Siegrist (1996) et celui de Karasek (Karasek et Theorell, 1990). Cette sélection paraît pertinente puisque ce sont ces instruments qu’ont mobilisés majoritairement les études conduites ces dernières années, au Québec et en France, sur le phénomène du burn-out[7]. Avant de les approcher individuellement, précisons déjà que chacun d’eux appréhende le burn-out en procédant au préalable à la décomposition du syndrome en une suite assez succincte de facteurs psychosociaux reconnus interférer positivement avec les risques d’apparition de la pathologie. Dans le cas des modèles de Siegrist et Karasek, c’est à partir desdits facteurs sélectionnés, et de la force plus ou moins grande du lien de causalité qui les unit, qu’ils proposent d’évaluer la prévalence du burn-out qui caractérise une situation de travail donnée. Quant à l’échelle de Maslach et Jackson, c’est l’intensité avec laquelle se manifestent lesdits facteurs psychosociaux qui sert à mesurer le niveau d’épuisement professionnel d’un individu. L’expertise évaluative ou diagnostique de ces instruments de mesure ne tient donc pas compte du contenu de la plainte les mots employés par les individus pour penser et dire ce qui leur fait mal ou les fatigue — étant donné qu’ils établissent en aval les indicateurs, ici les facteurs psychosociaux, qui servent à déterminer la prévalence de la pathologie. Après les avoir passés rapidement en revue, nous verrons que, loin de désigner des besoins psychologiques fondamentaux de l’individu, ces différents facteurs psychosociaux s’avèrent plus exactement le produit d’une contingence sociohistorique particulière, et qu’en ce sens, ils constituent de précieux indices sociaux de ce à quoi réfère, de nos jours, l’expérience normale du travail comme envers du burn-out[8].

Modèle de Maslach et Jackson: épuisement émotionnel, dépersonnalisation et réduction de l’accomplissement personnel

Le modèle de Maslach et Jackson (1996) découpe le burn-out selon trois de ses manifestations types : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et l’accomplissement personnel. Ces trois manifestations se déclinent ensuite en un total de 22 sous-items recueillis par la méthode du questionnaire, et à chacun desquels est assortie une cotation en sept points (0 = jamais et six = tous les jours) permettant de calculer un indice plus ou moins avancé d’épuisement professionnel.

  1. La première dimension que cherche à évaluer le modèle de Maslach est appelée l’ « épuisement émotionnel » (emotional exhaustion). Elle fait référence au ressenti d’une sorte d’assèchement émotionnel : « la personne n’a plus aucun tonus, se traîne tous les jours pour aller à un travail qu’elle considère comme une corvée insupportable » (Neveu, 1995, p. 217). À ce stade, la personne se plaint habituellement d’être vidée, au bout du rouleau, et de subir émotionnellement le travail.

  2. La deuxième dimension réfère à un changement de comportement vis-à-vis du patient ou du bénéficiaire qui laisse place, par exemple, à une attitude affichant un détachement plus marqué qu’à l’habituel. C’est ce que Maslach appelle la « dépersonnalisation », à savoir la prise de distance affective du travailleur à l’égard des personnes dont il a la responsabilité (Truchot, 2004). Il ne s’agit pas d’un trouble dissociatif qui endommage la conscience de soi au sens entendu par le DSM-IV, mais plutôt d’un comportement qui reflète le développement d’attitudes impersonnelles, détachées, négatives, cyniques, envers les personnes sur lesquelles portent ses interventions, élèves, patients ou clients (Truchot, 2004).

  3. La troisième des dimensions associées au modèle de Maslach est celle qui demeure à ce jour la plus discutée dans le milieu scientifique. Il s’agit de la réduction de l’accomplissement personnel au travail, qui se traduit généralement par un désengagement et une démotivation profonde à l’égard du travail (Lourel et Gueguen, 2006). Si la valeur heuristique de cette troisième dimension du modèle ne fait pas l’unanimité parmi les chercheurs, c’est parce qu’aux yeux de certains trop peu d’études sont parvenues à une corrélation positive entre cette troisième dimension et les deux précédentes. Pour Leiter (1993), par exemple, l’accomplissement personnel réfère à une dimension « en marge », sinon entièrement indépendante du noyau dur du burn-out. Tandis que Cordes et Dougherty (2001, cité par Lourel et Gueguen, 2006) arguent qu’elle correspond davantage à un trait de personnalité qu’à une dimension de l’épuisement professionnel.

Malgré ces quelques réticences du milieu scientifique, l’instrument MBI en 22 items de Maslach et Jackson (1996) demeure à ce jour le plus mobilisé à l’échelle internationale en matière de recherche sur le burn-out. D’après les chiffres de Schaufeli et collab. (1998), près de 90 % des recherches empiriques conduites jusqu’à ce jour sur le burn-out utilisent cet instrument aux propriétés psychométriques jugées généralement satisfaisantes.

Modèle de Siegrist : le problème de l’adéquation entre efforts et récompenses

Le modèle déséquilibre effort/récompense élaboré par Siegrist à la fin des années 1980 postule qu’une situation de travail qui sollicite des efforts élevés qui seront récompensés par de faibles marques de reconnaissance est susceptible d’entraîner des réactions pathologiques sur les plans émotionnel et physiologique. Les faibles reconnaissances peuvent être d’ordre économique (un salaire insuffisant), social (un manque d’estime et de respect au travail) ou organisationnel (l’insécurité d’emploi, de faibles perspectives ou sécurité d’emploi).

Toujours d’après ce modèle, si l’individu consent de façon générale à engager des efforts dans son travail, c’est entre autres parce qu’il s’attend à ce que son activité professionnelle lui rapporte des récompenses « expressives », comme de l’estime de soi ou un sentiment d’auto-efficacité. En effet, d’après Siegrist, lorsqu’une situation de travail empêche une telle réciprocité entre les efforts consentis et les récompenses obtenues, l’individu risque de voir son estime de soi miné, de subir un stress émotionnel qui, en s’intensifiant, est susceptible d’évoluer vers d’autres manifestations pathologiques parmi lesquelles figure le burn-out[9].

Plus exploité au Canada qu’en France, le modèle de Siegrist a récemment été utilisé par Hollet (2006) pour le compte d’une enquête menée auprès de 220 commerciaux d’une importante compagnie d’assurances française. Ses résultats ont pu faire la démonstration d’un lien significatif entre une situation de déséquilibre efforts-récompenses et le niveau d’épuisement professionnel manifesté par ces derniers. Dans son étude, Hollet a d’ailleurs examiné trois systèmes de récompenses sociétales — l’argent, l’estime et le contrôle du statut — qui lui font conclure que « l’absence de réciprocité en termes d’argent et d’estime alliée à des efforts personnels perçus comme élevés sont à l’origine d’une expérience stressante » (2006). Mais les travaux relatifs au modèle de Siegrist ont surtout permis de documenter les risques psychosociaux liés aux professions médicales (Lourel et Mabire, 2008). Par exemple, une étude célèbre menée par Bakker et collab. (2000) auprès d’un échantillon de 204 infirmières a établi un lien étroit entre le déséquilibre efforts-récompenses et le risque d’épuisement professionnel.

Modèle de Karasek : équilibrer demandes psychologiques et autonomie décisionnelle

Le modèle développé par Karasek et Theorell postule que le fait d’avoir peu d’autonomie dans l’exécution de tâches lourdes, en série ou de précision et d’être confronté en même temps à des demandes psychologiques élevées peut engendrer chez le travailleur une insatisfaction susceptible de contaminer l’ensemble de sa vie. Dans certains cas, cette insatisfaction peut être si forte qu’elle arrive à déclencher certains problèmes de santé mentale et physique (Karasek et Theorell, 1990). Les demandes psychologiques font référence à la quantité de travail à accomplir ainsi qu’aux contraintes mentales et temporelles liées à ce travail. L’« autonomie — ou latitude — décisionnelle » désigne pour sa part la capacité à prendre des décisions dans le cours de son activité professionnelle et, surtout, la possibilité d’être créatif et d’utiliser et développer ses habiletés. D’après le modèle, la conjugaison d’une faible autonomie et d’une forte demande psychologique — appelée « tension au travail » ou « job-strain » — représente la situation professionnelle au potentiel le plus pathogène pour l’individu, tant sur le plan de la santé physique (ex. problèmes cardiovasculaires) que mentale (burn-out, etc.). Jusqu’à maintenant, le modèle a été corrélé à la dépression, à la détresse psychologique, à l’épuisement professionnel et à la consommation accrue de psychotropes (Vézina, 2008). Les travaux de Karasek ont par exemple démontré que les employés vivant une forte demande psychologique et une faible latitude décisionnelle présentaient un risque quatre fois plus élevé de souffrir de dépression et de burn-out, comparativement à des employés qui n’avaient pas fait face à ce type de contraintes (1979).

Les facteurs psychosociaux comme révélateurs de la forme « normale » et « pathologique » de l’expérience du travail contemporain

On le voit bien, ces trois modèles empruntent dans l’ensemble au même procédé méthodologique : ils proposent d’appréhender les causes du burn-out par l’observation des interactions entre certaines variables contextuelles (organisationnelles, principalement) et certaines autres variables individuelles (psychologiques, principalement) [10]. D’ailleurs, note Vézina (2008), la capacité de ces modèles à isoler et à mesurer certaines dimensions psychosociales de l’environnement de travail réputées présenter un risque pathogène pour les travailleurs est d’une grande utilité sociale. Dans le domaine de la santé publique, par exemple, ce type de modèle permet de réduire la complexité de la réalité psychosociale du travail à quelques-unes de ses dimensions dont le lien avec la santé est scientifiquement avéré, facilitant ainsi l’élaboration et la mise en oeuvre d’interventions efficaces au sein des milieux de travail.

Sans démentir l’importance de leur aspect utilitaire, il semble néanmoins important d’attirer l’attention sur le fait que ces modèles transigent en partie avec des composantes de la psychologie individuelle qui présupposent, de façon plus ou moins explicite, l’idée d’une nature humaine relativement immuable, dotée de besoins — physiologiques, psychologiques et sociaux — devant être, d’une façon ou d’une autre, respectés. En effet, chacun de ces modèles laisse entendre que le burn-out serait en quelque sorte le résultat de conditions de travail — environnement social ou organisationnel — qui ne parviennent pas à répondre adéquatement à un certain nombre de besoins rattachés à une lecture ontologique du sujet social (Loriol, 2003, p. 461) : autonomie décisionnelle (Karasek), estime de soi (Siegrist), accomplissement de soi (Maslach et Jackson).

Pourtant, loin de désigner et de problématiser des besoins fondamentaux de l’homme, les efforts et les récompenses que cherche à saisir le modèle de Siegrist, l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et l’accomplissement personnel évalués par celui de Maslach et Jackson, de même que l’autonomie décisionnelle et les demandes psychologiques mesurées par le modèle de Karasek sondent plus exactement des dimensions de la subjectivité au travail inextricablement liées à une contingence sociohistorique particulière. En d’autres termes, ce dont « a besoin » l’individu et, éventuellement, ce qui lui « fait mal » en situation de travail représentent des réalités infiniment perméables aux fluctuations et mutations sociales. Rappelons à ce propos la contribution de Mauss qui a mis en relief le caractère social de la subjectivité, en montrant notamment que l’expression des affects de l’individu « est le produit » et « prend forme » dans un contexte et selon des règles sociales qui permettent leur reconnaissance et leur utilisation à des fins variées[11]. Or, que révèlent ces facteurs psychosociaux sur l’expérience du travail contemporain?

Premièrement, ces modèles envisagent tous le travail comme l’occasion de rétributions expressives, qui outrepassent le registre des apports matériels associés classiquement à l’activité productive — rémunération et protections sociales (Castel, 1995). Ces retombées expressives du travail, aussi appelées « postmatérielles » (Méda, 2010), prennent la forme d’un accomplissement de soi (Maslach et Jackson), d’une autonomie décisionnelle (Karasek) et d’une estime de soi (Siegrist)[12]. Deuxièmement, la représentation de l’expérience de travail sous-jacente à ces modèles engage chaque fois, sans distinctions claires, les compétences et capacités à la fois personnelles, subjectives et professionnelles du travailleur. En effet, c’est bien en échange d’une mobilisation de soi et de ses affects (Maslach et Jackson), d’efforts psychologiques et pratiques (Siegrist) et de demandes psychologiques (Karasek) que le travail est annoncé comme vecteur de gratifications expressives diverses, conçues comme favorables à la santé mentale de l’individu.

En clair, la représentation du travail sous-jacente à ces trois instruments de mesure du burn-out fait référence à une activité qui, d’une part, sollicite et mobilise explicitement les capacités subjectives et personnelles de l’individu[13], et d’autre part, rétribue sa force de travail par des récompenses de nature majoritairement expressive. Ces derniers laissent entendre en outre que c’est cette fragile équation entre implication subjective et rétribution expressive qui, au moins en partie, participerait à produire la forme « normale » et « pathologique » de l’expérience contemporaine du travail. En effet, selon les modèles de Maslach et Jackson, de Siegrist et de Karasek, l’individu à l’abri du burn-out serait précisément celui qui, tout à la fois, se mobilise subjectivement dans son travail et s’autoproclame en retour suffisamment rétribué, surtout en matière de récompenses expressives — épanouissement de soi, autonomie décisionnelle, reconnaissance ou estime de soi. À l’opposé, ces modèles suggèrent implicitement que c’est lorsque l’un ou l’autre des termes de cette équation entre rétributions expressives et exigence organisationnelle d’une mobilisation de soi vient à faire défaut que le terrain de l’expérience du travail apparaît alors propice à la manifestation du burn-out.

De sorte qu’au-delà de leurs spécificités respectives, tout se passe comme si une sorte de constante parcourait la conception du travail sur laquelle reposent ces différents instruments de mesure du burn-out : c’est chaque fois une mobilisation de soi dans le travail non agencée à une somme suffisante de rétributions essentiellement « expressives » qui est désignée interférer positivement avec le risque de burn-out. Cette dernière interprétation fait d’ailleurs écho aux travaux récents du Dr Frenette qui, reprenant les termes de Freudenberger[14], définit le burn-out comme « un état de fatigue ou de frustration causé par le dévouement à une cause, à un mode de vie ou à une relation qui n’a pas répondu aux attentes » (Delbrouck, 2008, p. 77) [15].

Toutefois, à en croire Truchot (2006, p. 314), la validité de cette interprétation appartiendrait dans les faits à l’histoire récente :

Si, dès le moment des premières publications, on pouvait conclure qu’une implication trop forte conduisait au burn-out[16] alors qu’une réduction des exigences professionnelles représentait un moyen efficace de prévenir ou d’enrayer ce syndrome, depuis peu, certains avancent que l’engagement au travail, loin de provoquer du burn-out, est une source de motivation, d’auto-efficacité et finalement de bien-être, tant physique que psychologique.

Ainsi, nous dit Truchot, contrairement au temps des premières études qui expliquaient le burn-out par le surmenage professionnel auquel se livraient certains travailleurs (Loriol, 2000), les plus récents travaux donnent à penser que l’engagement dans le travail, à condition, devrait-on ajouter, qu’il rapporte son lot de récompenses expressives — estime, reconnaissance, sentiment d’autoefficacité, accomplissement, etc. —, pourrait de nos jours aussi signifier « le strict opposé du burn-out » (2006). Or, comment comprendre cette évolution récente des causes de la pathologie? Cet engagement de soi dans le travail harmonisé à des récompenses expressives est-il imputable au seul registre des aspirations et initiatives individuelles? Le succès que connaissent les préceptes managériaux d’organisation du travail dans les différents secteurs d’emplois nous convainc du contraire.

La mobilisation de soi dans le travail et ses rétributions expressives : leitmotiv de l’organisation productive managériale

Tel qu’il est organisé et conçu de nos jours, le travail commande plus intensément que jadis une implication subjective de la part du travailleur. Rappelons que dans le modèle taylorien de production, tous les ouvriers étaient considérés comme interchangeables, et donc, règle générale, les particularités subjectives des travailleurs se retrouvaient délibérément aplanies et expurgées du procès de production (Bertaux-Wiame et Linhart, 2006). C’était là une manière pour les employeurs de réduire et de maîtriser les comportements humains (Budd, 2004), un préalable nécessaire, pensaient-ils, à la réalisation de leurs objectifs en matière de gains et de productivité. Ce modèle n’encourageait pas non plus l’engagement de soi dans l’activité : les intérêts de classe étaient jusqu’alors suffisamment marqués et défendus comme tels pour que fusse maintenue une délimitation claire entre les intérêts des salariés et ceux des dirigeants et des propriétaires d’usine.

À l’opposé des méthodes tayloriennes d’organisation du travail qui transigeaient avec des ouvriers souhaités « passifs » et « interchangeables » (Dardot et Laval, 2009), les pratiques calquées sur les principes managériaux d’organisation de la production mettent intentionnellement au travail les compétences techniques et professionnelles de l’individu, mais aussi le registre plus informel de ses compétences, axé sur ses capacités personnelles et subjectives. Plus précisément, et c’est là une différence de taille avec le modèle productif précédent, les pratiques inspirées des propositions managériales valorisent une participation bien sentie des travailleurs à la bonne marche des affaires, laquelle prend généralement la forme d’un engagement personnel affiché et soutenu vis-à-vis des projets et objectifs de l’entreprise.

Pour ce faire, elles ont recours à différents mécanismes de convocation de soi au travail — ce que Clot (1995) appelle des « prescriptions subjectives » —, dont la forme est appelée à varier en fonction des situations de travail. Par moments, cette convocation de soi passe par une nécessaire adhésion de la personne à des valeurs proches de celles privilégiées par l’entreprise. Une telle symétrie des valeurs est jugée cruciale, notamment pour sa façon de stimuler la formation d’un sentiment d’appartenance à l’entreprise privée comme publique qui ne se restreint plus comme autrefois au collectif de travail, mais cherche au contraire à inclure presque indistinctement l’équipe patronale (Ferreras, 2007). Fournier résume en ces mots l’action de ce type de mécanisme : « depuis l’atelier de production jusqu’au bureau de frontoffice, [le travailleur est amené] à intégrer le projet, l’image et les objectifs de l’entreprise » (2007). Au fond, la mutation dont procède ce mécanisme de convocation de soi au travail correspond à ce que Boltanski et Chiapello identifient comme le passage du « savoir-faire » au « savoir-être » (1999). Sensible à cette dernière thèse, Périlleux préférera parler de « subjectivation du travail » (2003). Loin d’être anodine, cette évolution des exigences organisationnelles a, entre autres effets, celui de limiter la possibilité pour les travailleurs d’occuper des positions de retrait dans leur activité professionnelle — « je fais mon travail, mais juste comme il faut » (Lallement, 2007, p. 74).

Cette transformation du registre des exigences organisationnelles, désormais résolument dirigées vers les potentialités et capacités proprement personnelles et subjectives du travailleur, ne serait d’ailleurs pas le propre de l’entreprise privée. Certaines études soutiennent en effet que les travailleurs évoluant dans les services publics s’y retrouveraient aussi confrontés. Que ce soit à l’école ou dans le domaine du travail social (Ravon, 2009), « l’intensification de l’engagement subjectif au travail et la mise au travail d’affects » sont de plus en plus envisagées comme des compétences centrales aux yeux des gestionnaires (Périlleux, 2003). L’enquête menée par Lantheaume et Hélou (2008) auprès des professeurs de collège et de lycée de l’Éducation nationale française conforte cette dernière conclusion. De fait, les auteurs ont remarqué à quel point la perte de légitimité tendancielle que connaît l’institution de l’éducation française (Dubet, 2002) incombe aux professeurs une charge de travail supplémentaire qui fait directement appel à la ténacité de leur engagement vis-à-vis de l’institution. En effet, face à un enseignement pour lequel les parents et élèves ne se gênent plus de demander des justifications et à une institution apparemment moins unifiée qu’autrefois, les enseignants paraissent souvent n’avoir d’autres choix que de délaisser leur rôle d’agent exécuteur pour celui d’acteur institutionnel « actif » — être apte à confectionner des règles locales tant pour la vie de classe que pour celle de l’établissement —, s’ils veulent redorer leur légitimité institutionnelle (Lantheaume et Hélou, 2008). Selon ces mêmes auteurs (2008, p. 81), cette évolution historique « marque un système où l’injonction d’engagement de soi dans le travail s’est accrue, comparable à ce qui se fait dans le cadre du nouveau management dans le secteur privé ».

En échange de cette exigence de mobilisation de soi, les méthodes managériales proposent de rétribuer l’individu par des récompenses expressives en assimilant l’activité de travail rentable et efficace à un modèle d’accomplissement et de réalisation de soi (Boltanski et Chiapello, 1999; Ehrenberg, 1991). Elles stimulent pour cela la créativité et l’initiative du travailleur, qu’elles alignent sur les objectifs productifs à atteindre, en tenant pour acquis qu’il y a une conjonction souhaitable et possible entre les aspirations individuelles et les objectifs d’excellence de l’entreprise, entre le « projet » personnel et celui de l’entreprise (Dardot et Laval, 2009).

À notre avis, cette transformation des pratiques gestionnaires contribuerait possiblement à expliquer qu’aucune sphère professionnelle ne soit aujourd’hui envisagée comme entièrement à l’abri du burn-out. Depuis que l’exigence d’un engagement de soi plus soutenu dans le procès de travail a tendance à migrer de l’entreprise privée vers le service public, une large catégorie de travailleurs serait en effet encouragée à vivre son rapport au travail sous le registre « vocationnel » [17] — c’est-à-dire à faire corps avec le travail, à s’y donner corps et âme, etc. — et, ce faisant, s’exposerait au risque d’une brûlure professionnelle. Car, si tous conviennent aujourd’hui que les métiers du relationnel et du soin ont été les premiers aux prises avec le burn-out et qu’ils figurent encore à ce jour parmi les plus exposés à la pathologie, c’est précisément parce qu’ils impliquent une pratique professionnelle souvent vécue comme une « vocation », où « il est facile de donner plus que de recevoir » (Pezet-Langevin, 2003). C’est que, renchérit Salengro (2005, p. 155), se retrouvant confrontés à la difficulté « de se donner sans s’investir avec sa personnalité et son affectivité, [tout le problème est pour ces travailleurs] de garder la juste distance par rapport à quelque chose que l’on idéalise et que l’on veut rejoindre ». Sans ce dosage de l’investissement de soi par le maintien de cette « juste distance » avec le travail, ces travailleurs risquent l’épuisement professionnel.

Or, les exigences productives axées sur la mobilisation subjective et les rétributions expressives sur lesquelles s’alignent bon nombre de milieux de travail incitent à penser que cette difficulté associée au fait de trop investir de soi dans un travail vécu comme une « vocation », qui était jusque-là reconnue comme étant plus ou moins le propre des métiers du relationnel et du soin, aurait tendance à caractériser l’expérience que font du travail beaucoup de nos contemporains. On l’aura compris, il ne s’agit pas ici d’aller jusqu’à prétendre l’existence d’une corrélation directe entre les évolutions qui traversent le procès de travail et la prolifération des cas de burn-out des dernières années. Ces quelques observations visent plutôt à mettre en évidence à quel point les formes de mobilisation de soi dans le travail, assorties à la promesse de rétributions expressives que les instruments de mesure du burn-out susmentionnés proposent tout à la fois d’objectiver et d’évaluer, loin d’être du seul ressort de l’initiative et de la psychologie individuelles, participent plus vraisemblablement d’un contexte productif particulier, avec ses contraintes et injonctions propres.

Voies thérapeutiques du burn-out : primauté de la responsabilité individuelle sur la responsabilité sociale et organisationnelle

Le burn-out apparaît au regard de ses principaux instruments de mesure — ceux de Maslach et Jackson, de Siegrist et de Karasek — comme la sanction clinique résultant d’un déséquilibre problématique entre la mobilisation subjective déployée au travail, stimulée entre autres par les exigences managériales, et les gratifications expressives perçues en retour. La plupart des recommandations thérapeutiques — préventives et curatives — qui parcourent la littérature privilégient pourtant la sensibilisation de l’individu à ses habitudes de vie professionnelle et extraprofessionnelle de même qu’à l’importance de relativiser la place occupée par le travail dans sa vie. À côté, très peu de ces recommandations s’adressent à l’environnement social et productif où évolue le travailleur.

En effet, la littérature foisonne d’astuces, de conseils et de recommandations voués à prémunir l’individu contre une brûlure professionnelle. La plupart du temps, les correctifs à apporter interpellent l’initiative et la responsabilité individuelles, reconnaissant au moins implicitement qu’il appartient à l’individu d’agir sur sa situation, de classer ses priorités, de bonifier ses temps libres, d’appréhender différemment son rôle professionnel ou de modifier son hygiène de vie. Quant aux mesures curatives, elles mettent de l’avant une thérapeutique qui prévoit généralement l’intervention d’un psychothérapeute ou la prise de psychotropes (Massé et St-Arnaud, 2003). Ainsi, que ce soit à des fins préventives ou curatives, l’individu « à risque » ou « en processus » de burn-out est enjoint la plupart du temps de trouver à l’intérieur même de l’espace de sa vie personnelle et de sa psychologie les moyens de sa protection ou de sa guérison[18].

Aux médecins, par exemple, on adresse les recommandations suivantes :

Il apparaît utile de faire un travail sur soi en essayant de classer selon leur priorité les éléments professionnels et personnels, de prendre du temps pour une réflexion personnelle, d’accepter la réalité de la perte d’un patient attachant, d’accepter également que la relation soignant-soigné ne se situe pas d’emblée sur un même plan d’égalité. Au besoin, l’aide d’un médecin du travail, d’un médecin traitant, d’un psychiatre ou d’un psychologue peut être nécessaire. De même l’amélioration de l’hygiène de vie par diminution de la consommation d’alcool ou du tabac utilisés comme « produits relaxants », le traitement de l’insomnie, l’aménagement de moments de détente et une activité physique sont des éléments favorables. En dernier ressort, une décision personnelle de changement de secteur professionnel peut également être une solution. Le travail au sein d’une équipe et la communication de ses sentiments (tristesse, frustration....) sont pour la majorité des auteurs bénéfiques, de même que le partage de ses échecs et de ses succès. Certains trouveront un soutien dans la participation à des formations professionnelles, à une recherche clinique ou dans l’enseignement.

Schraub et Marx, 2004, p. 674

D’autres parmi ces recommandations thérapeutiques, en dépit du fait qu’elles engagent pour partie l’institution médicale et la collectivité en général, n’en demeurent pas moins ostensiblement redevables de la responsabilité de l’individu et de sa psychologie.

Au niveau institutionnel, des implications collectives, des groupes de paroles, des discussions éthiques peuvent être institués dans les services. Il sera aussi question d’une action visant à une formation en communication et management réclamée, par exemple, par des oncologues britanniques. Pour les soignants confrontés, sur leur lieu d’exercice professionnel, à une charge psychique importante, il s’agira lors de groupes de paroles de pouvoir bénéficier d’un temps de verbalisation et d’écoute, de mise en mots de situations vécues et reconnues comme émotionnellement fortes, générant des mécanismes de défense face à l’angoisse suscitée par la maladie grave. Les soignants évoquent la nécessité de bien faire circuler l’information et de réduire les actes complémentaires induits par une mauvaise organisation. De même, les responsabilités non reconnues par l’institution ainsi qu’une organisation sans adhésion volontaire doivent être évitées.

Schraub et Marx, 2004, p. 676

Certaines études sont d’ailleurs venues confirmer les bienfaits thérapeutiques associés à ce type de recommandations. Dès 1981, une enquête menée auprès de plus de 700 médecins canadiens avait entre autres conclu que

les médecins les plus heureux sont ceux qui passent le plus grand nombre d’heures avec leur famille, qui prennent le plus de vacances et qui ont une vie intérieure intense. […] Le médecin en voie d’épuisement ne s’accorde ni repos, ni loisirs, ni soins corporels; il consacre peu de temps à l’affection de ses proches, de ses enfants; il néglige de se recréer avec les amis, de prendre des vacances.

Larouche, 1985, p. 149

Les travaux de Geurts, Rutte et Peeters (1999) ont tendance à valider cette dernière conclusion. Ils ont entre autres démontré que l’interface vie au travail/vie privée était positivement corrélé aux troubles du sommeil ainsi qu’à deux dimensions du burn-out, à savoir l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation[19]. Plus récemment, une étude menée auprès d’une cohorte de médecins généralistes et spécialistes belges a montré que, d’un point de vue statistique, avoir des enfants et s’en occuper augmentent la probabilité de ne jamais connaître un état de burn-out. Il ressort également de cette étude qu’une personne qui consacre au minimum cinq heures par semaine à un passe-temps est mieux protégée contre le burn-out (Claes et Selleslagh, 2001) [20]. En France, la théorie de Cherniss sur les orientations de carrière corrobore l’idée selon laquelle un individu qui valorise l’activité professionnelle et le développement de ses compétences en général, incluant ses intérêts personnels, est plus protégé que les autres du burn-out (Galam, 2007).

Significative ou non, la corrélation entre, d’un côté, ces solutions qui interpellent à différents degrés la psychologie et l’initiative individuelles et, de l’autre, le risque de souffrir d’un burn-out ne saurait à elle seule épuiser l’ensemble de ses voies préventives et curatives. D’autres variables, cette fois intimement liées à la responsabilité sociale et organisationnelle, ont aussi prouvé leur efficacité thérapeutique. Il ressort en effet des études sur la santé au travail que le fait de pouvoir déterminer soi-même son nombre d’heures de travail de même que de pouvoir choisir son horaire augmente la satisfaction retirée du travail, et ce faisant, intensifie le bien-être ressenti (Truchot, 2004). Cette idée d’une flexibilité des horaires a aussi été documentée par d’autres chercheurs (Ballard et Seibold, 2006; Estryn-Béhar, 1997; Prévost et Messing, 2001; Tremblay, 2007; 2006) qui ont confirmé qu’une organisation pas trop lourde du travail constituait un avantage certain pour les individus (Déraps, 2008). Bien que leur valeur thérapeutique soit concluante, ces solutions qui relèvent de la responsabilité sociale et organisationnelle ont pourtant occupé jusqu’ici un espace résolument marginal tant au sein de la littérature que dans le champ de l’intervention sociale.

Que retenir de ce tour d’horizon du burn-out comme phénomène social et pathologique? Déjà, que les critères en apparence neutres de ses principaux instruments de mesure sont en réalité le reflet de quelques-unes des injonctions et contraintes qui parcourent l’expérience que l’individu fait du travail aujourd’hui. On l’a vu, tout indique que le burn-out sanctionne, sur le plan clinique, une mobilisation de soi dans le travail non agencée à une somme suffisante de gratifications essentiellement « expressives », alors même que l’engagement de soi dans le procès de production sous promesse de réalisation de soi est le leitmotiv des méthodes managériales autour desquelles s’organise une bonne part des milieux de travail contemporains. Également, quelles que soient les recommandations à mettre de l’avant ou les interventions à pratiquer pour prémunir l’individu contre une brûlure professionnelle, l’essentiel est sans doute de rappeler que si nommer une maladie est généralement le prélude à tout changement pour les personnes qui en souffrent, la manière de le faire est chaque fois le reflet des idéaux, des craintes et des lignes de fracture propres à une société (Cathébras, 1997). Cette « irruption du social dans les théories et la pratique médicale ne devrait pas se faire à l’insu des médecins », juge Cathébras (1997, p. 813.). Nous pensons qu’il serait souhaitable qu’il en soit de même pour les travailleurs sociaux. C’est même là un préalable indispensable pour que le burn-out cesse d’être vécu dans le « registre meurtrissant de l’autoculpabilité » (Lallement, 2007).