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Le manque de représentation légale en Ontario cause des difficultés à de nombreuses personnes, surtout aux femmes qui, souvent plus vulnérables, se retrouvent dans des situations financières précaires. Plusieurs membres de la profession juri- dique et du secteur communautaire se penchent sur le problème.

Depuis les dernières années, la représentation juridique fait l’objet de quelques études. En Ontario, de 50 à 70 % des parties à un litige en droit de la famille ne sont pas représentées, dû à un manque de ressources financières (Macfarlane, 2013). Au Canada, le taux horaire des services d’une avocate ou d’un avocat varie entre 195 $ pour celle ou celui admis au Barreau depuis 2012 et 380 $ si admis en 1992 ou avant (Santry, 2013). La note finale pour une cause fluctue selon la complexité et la durée de la procédure; pour un procès de quelques jours, elle se chiffre entre 38 000 $ et 125 000 $.

Le manque de représentation légale a des conséquences directes sur les personnes. Selon une étude, dans 40 % des cas, un problème juridique s’accompagne de difficultés de nature sociale ou de problèmes de santé qui y sont directement liés (Stratton et Anderson, 2006).

Les besoins juridiques des femmes francophones de l’Ontario ne sont pas toujours bien définis ou compris, car peu d’études à ce jour ont abordé ce sujet de façon explicite. Ces dernières peuvent vivre une discrimination systémique sur de multiples plans, que ce soit à cause de leur statut social en tant que femmes, d’un pouvoir économique inférieur à celui des hommes ou de l’insuffisance de services de qualité dans leur langue. Nombreux sont les obstacles qu’elles ont à surmonter pour avoir accès à des services juridiques dans les divers domaines de droit. La majorité d’entre elles ne sont pas admissibles à l’aide juridique et ne peuvent se payer des frais juridiques qui sont souvent hors de leur portée. Elles ont de plus à composer avec la froideur, la lenteur et la complexité du processus judiciaire. Faute d’accès à des services juridiques, ces femmes finissent souvent par abandonner leur cause, renonçant ainsi à leurs droits. Et en se représentant elles-mêmes, elles se rendent plus vulnérables face aux stratégies de la partie adverse. Enfin, l’absence de représentation a pour effet de ralentir le processus judiciaire et peut entraîner des conséquences graves, comme plonger les femmes et les enfants dans la pauvreté.

Les défis que peuvent rencontrer les femmes victimes de violence aux prises avec un litige en droit de la famille

La plupart des femmes francophones qui ont besoin de services juridiques à la suite d’une séparation ou d’un divorce diront que c’est une véritable course à obstacles que d’obtenir l’aide et le soutien nécessaires. Elles se sentent démunies et impuissantes face aux injustices et les obstacles à surmonter sont nombreux :

  • la méconnaissance des lois, des procédures judiciaires et des services disponibles;

  • le manque d’avocates ou d’avocats qui acceptent des certificats d’aide juridique;

  • le manque d’avocates ou d’avocats francophones;

  • le nombre insuffisant d’heures des certificats d’aide juridique en droit de la famille;

  • les taux horaires trop élevés des avocates ou des avocats du secteur privé;

  • l’incompréhension par le système judiciaire de la dynamique de la violence faite aux femmes;

  • le recours aux méthodes alternatives de règlement de conflit telles que la médiation, alors qu’il y a un grand déséquilibre de pouvoir entre les parties;

  • l’aliénation parentale;

  • le consentement à des ententes désavantageuses par manque de soutien et d’information et par manque de ressources financières;

  • les procédures complexes de la Cour de la famille en Ontario;

  • le non-respect des ordonnances émises par la Cour de la famille.

Le projet du Centre de services juridiques

En 2013, Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) a lancé son nouveau projet de Centre de services juridiques pour les intervenantes et les femmes victimes de violence qui utilisent les services offerts par les centres membres. Le Centre de services, situé à Ottawa, offre présentement des services virtuels d’information juridique en droit de la famille à tous les membres d’AOcVF et à leurs bureaux satellites partout en province. Les services sont donc offerts par webdiffusion ou par conférences téléphoniques. Le service d’information juridique est offert par une travailleuse d’appui juridique en droit de la famille. Cette dernière fournit aux femmes victimes de violence et aux intervenantes des services de consultation et d’information sur les lois et les procédures judiciaires qui portent sur le droit de la famille. Ce service a donc deux composantes :

  1. Un service d’information juridique en droit de la famille pour les intervenantes du réseau d’AOcVF;

  2. Un service d’information juridique en droit de la famille aux usagères des centres du réseau d’AOcVF et des centres qui ont signé un protocole d’entente avec AOcVF.

Le service d’information juridique en droit de la famille pour les intervenantes

Les intervenantes ont accès à un service de consultation avec la travailleuse d’appui juridique. Ce service leur permet de poser des questions en lien avec le droit de la famille et de recevoir de l’information juridique en français, de même que diverses ressources spécifiques à leurs suivis auprès des femmes.

Le service a aussi comme mandat de développer et d’offrir des formations en droit de la famille, entre autres, en personne, au moyen de webinaires ou via des modules de formation en ligne.

Au cours des dernières années, le Centre de services a aussi développé des ressources éducatives et pratiques en droit de la famille et il continuera à en développer afin de répondre aux besoins des intervenantes qui accompagnent les femmes dans leurs démarches légales à la Cour de la famille. Par exemple, de l’information juridique sur le Web par le biais de la Campagne Femmes ontariennes et droit de la famille et sur le site Web droitsdesfemmes.ca. On retrouve aussi sur ce site un forum de discussion où la travailleuse d’appui juridique et l’avocate du Centre de services publient de l’information sur le droit de la famille à l’intention des intervenantes et répondent à leurs questions.

Les services d’information juridique offerts aux femmes francophones de l’Ontario

Accompagnées ou non par les intervenantes des organismes partenaires dans les régions, les femmes francophones peuvent se rendre dans l’un des centres membres d’AOcVF pour y consulter la travailleuse d’appui juridique du Centre de services. Celle-ci leur fournira à distance de l’information en lien avec leurs démarches en droit de la famille et sur les procédures à la Cour de la famille. Elle répondra à leurs questions, les dirigera vers des ressources appropriées, leur indiquera les formulaires à remplir, leur expliquera les étapes du processus juridique et les aidera à établir un plan de sécurité spécifique à leurs démarches légales. Les femmes peuvent consulter plus d’une fois la travailleuse d’appui juridique qui fera un retour sur leurs démarches. Le service est gratuit et confidentiel.

Le développement du Centre de services juridiques à moyen et à long terme

Le projet est présentement à une étape embryonnaire; le financement reçu par AOcVF ne permet pour l’instant que d’offrir de l’information en droit de la famille. Il y a une volonté et un besoin d’amener ce projet à une autre étape afin d’assurer pour les femmes francophones de l’Ontario l’accès à plus de services en droit de la famille et dans d’autres domaines de droit.

Le manque de représentation juridique est un enjeu qui se fait sentir dans plusieurs domaines de droit, mais particulièrement en droit de la famille. En Ontario, il y a peu de services de représentation juridique en droit de la famille, et encore moins en français. Ceux qui existent exigent des critères financiers assez stricts qui font en sorte que la plupart des femmes avec lesquelles le Centre travaille ne peuvent y avoir accès.

Les services qu’AOcVF aimerait développer offriraient une représentation juridique, des conseils juridiques pour les femmes francophones victimes de violence, tout en ayant une composante d’accompagnement et de soutienassurée par une intervenante spécialisée en violence conjugale.

Quelques modèles semblables à celui que nous voulons mettre en place existent déjà, entre autres, le Luke’s Place Support and Resource Centre for Women and Children, le Jared’s Place Legal Advocacy and Resource Centre for Women et le Barbra Schlifer Commemorative Clinic. Ces trois centres ont un mandat régional, contrairement à AOcVF qui a un mandat provincial. Or, ce mandat provincial, la distance et le manque de financement soulèvent certains défis pour le projet d’AOcVF, qui pourrait être composé d’un service de représentation et offrir des conseils juridiques en fonction des cas individuels, de même que du soutien émotionnel; idéalement, chaque région serait aussi dotée d’une équipe composée d’une avocate ou d’un avocat et d’une agente de soutien à la Cour de la famille.

Conclusion

Les femmes victimes de violence ont souvent besoin de mieux connaître les lois, leurs droits, les procédures judiciaires et les services disponibles. Les situations qu’elles vivent et les démarches légales à entreprendre sont pour elles une grande source de stress ou d’anxiété. Aussi, il leur arrive d’avoir de la difficulté à retenir les informations reçues. Un soutien émotif doit donc accompagner celui plus pratique axé sur la compréhension du système judiciaire. Le fait de pouvoir parler à d’autres femmes qui ont vécu des situations semblables les aide beaucoup.

L’autoreprésentation comporte plusieurs dangers et peut nuire à leur cause. Et encore plus quand elles doivent transiger directement avec l’ex-conjoint agresseur ou avec l’avocate ou l’avocat de celui-ci. Se représenter seules rend les femmes plus vulnérables face à la partie adverse. La représentation et les conseils juridiques sont deux composantes primordiales dans leur accès à la justice; une information propre à leur cause et le recours à une avocate ou à un avocat leur assureraient de meilleurs résultats.

L’information, des conseils juridiques, une représentation, l’accès à l’aide juridique ou à des services juridiques abordables en français, du soutien émotionnel et la sécurité sont des éléments dont les femmes victimes de violence ont besoin au moment d’entamer une procédure à la Cour de la famille. Il est certain que le service que nous offrons et les autres services connexes qui existent permettent d’améliorer l’accès à la justice, mais ils ne suffisent pas et les besoins des femmes francophones de l’Ontario demeurent criants. Un service idéal regrouperait l’ensemble de ces éléments. AOcVF souhaite un jour offrir un tel service aux Franco-Ontariennes et ainsi remédier aux injustices auxquelles font face certaines d’entre elles.