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Datant des années 1960 et 1970, la désinstitutionnalisation se traduit par la réduction des services médicaux offerts dans les institutions psychiatriques et par la communautarisation de ressources de santé et de services sociaux. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches dans le champ des sciences sociales. Dans Désinstitutionnalisation psychiatrique en Acadie, en Ontario francophone et au Québec 1930-2013, les codirecteurs Marie-Claude Thifault et Henri Dorvil tentent avec des auteures ou auteurs provenant de différents horizons (criminologie, histoire, sociologie, travail social et sciences infirmières) d’établir une analyse sociohistorique et transversale du phénomène. Divisé en six chapitres encadrés d’une introduction et d’une conclusion, l’ouvrage se veut donc un recueil de différentes perspectives et études portant sur le sujet. Amplement illustrée d’exemples tirés du vécu des patients, l’analyse emprunte une perspective diachronique fondée sur une évolution des services destinés aux individus présentant des symptômes psychiatriques. Elle confirme l’échec de la désinstitutionnalisation, plus particulièrement dans les communautés francophones au Nouveau-Brunswick, en Ontario et au Québec. En cours d’analyse, l’ensemble des auteures ou auteurs traite des dimensions structurelles, des différents mécanismes de régulation sociale et des rapports de pouvoir qui ont marqué l’institutionnalisation psychiatrique et ses transformations.

Introduction

D’entrée de jeu et à leur titre de coauteurs, Thifault et Dorvil présentent de manière exhaustive le contenu de l’ouvrage et les prises de position adoptées au fil des chapitres. L’idée dominante de l’ouvrage se dévoile rapidement, à savoir, les conséquences de l’offre institutionnelle de soins psychiatriques tant sur les individus que sur les différents mécanismes de régulation sociale. Dès lors, la corrélation s›établit entre les inégalités socioéconomiques et les relations de pouvoir au sein de la société.

Chapitre 1 — Le second conflit mondial et la genèse de la désinstitutionnalisation au Canada, 1939-1961

Alexandre Pelletier-Audet et André Cellard abordent dans ce chapitre la période de 1939 à 1961, laquelle coïncide avec la Deuxième Guerre mondiale et l’enclenchement d’une première vague de désinstitutionnalisation. En raison de plusieurs changements survenus quant aux pratiques institutionnelles et aux conceptions sociales sur la maladie mentale, cette période demeure d’une importance capitale. Ainsi, à la suite de cet événement historique majeur qu’a été la Deuxième Guerre mondiale, les individus internés en raison de leurs problèmes de santé mentale ont davantage été admis dans la société. Selon Pelletier-Audet et Cellard, ce fait est attribuable, entre autres, au nombre important de vétérans qui souffraient de troubles mentaux et qui pouvaient désormais être traités dans la communauté grâce au développement et à l’utilisation massive des neuroleptiques dans le traitement des problèmes psychiatriques. Des progrès en psychiatrie et en psychologie ont également contribué à modifier les perceptions sociales de la maladie au cours de cette période. Enfin, parallèlement à ces changements, l’État reconnaissait dorénavant le patient psychiatrique comme un être humain que l’on doit aider. Cette reconnaissance étatique se traduisait, notamment, par un changement dans les lois et par les termes qui y étaient utilisés.

Chapitre 2 — Des molécules dans la fosse aux serpents

Signé Isabelle Perreault et Michel Guilbault, ce deuxième chapitre jette à son tour un regard sur la période ayant débouché sur cette première vague de désinstitutionnalisation. Les auteurs y présentent différents courants de pensée ayant marqué et réformé les domaines de la sociologie, de la psychiatrie et de la psychologie. En dépit de ces réformes et de la mise à jour qu’elles ont entrainée dans la classification des maladies mentales, le traitement de ces dernières demeurait fondé essentiellement sur la psychopharmacologie et sur l’institutionnalisation. Comme l’illustrent les deux études de cas évoquées par Perreault et Guilbault, les traitements s’avéraient lourds de conséquences et leurs effets secondaires importants restreignaient le fonctionnement des patients. Ainsi, lorsque les hôpitaux psychiatriques ont été désengorgés et le suivi assuré plutôt par consultations externes, nombre de patients se sont retrouvés mésadaptés et incapables de fonctionner. Ce faisant, ils étaient perçus comme étant dangereux et ils étaient exclus de la sphère sociale malgré les différents traitements, dits prometteurs, qu’ils avaient subis.

Chapitre 3 — Sortir de Saint-Jean-de-Dieu

Les conséquences de cette première vague de désinstitutionnalisation sur les patients sont étayées davantage dans ce troisième chapitre. Marie-Claude Thifault et Martin Desmeules y présentent six études de cas de patients qui ont été hospitalisés au cours de cette période à l’Hôpital psychiatrique Saint-Jean-De-Dieu au Québec. Bien que leurs diagnostics et leur vécu diffèrent pour chacune de ces personnes, elles ont en commun une inaptitude à fonctionner dans la société. Ainsi, elles vont et viennent entre l’Hôpital, les foyers d’accueil et leur résidence familiale. À la source de ces études de cas, les notes d’évolution mentale des patients mettent en lumière la question de la dépendance institutionnelle. Thifault et Desmeules évoquent à travers ce chapitre la relation de pouvoir entre l’expert et le malade, la parole de ce dernier étant complètement négligée.

Chapitre 4 — Le langage du care et les politiques de santé mentale de l’Ontario, 1976-2006

Sandra Harrisson et Marie-Claude Thifault consacrent le quatrième chapitre aux soins en santé mentale en Ontario, de 1976 à 2006, et plus particulièrement dans le seul établissement de santé francophone de l’Est ontarien, l’Hôpital Montfort, où le processus de désinstitutionnalisation a aussi suivi son cours. L’hospitalisation pour des raisons de santé mentale a lieu dans des hôpitaux généraux et est de courte durée. Les politiques de santé mentale de l’époque prônent plutôt le recours aux soins ambulatoires et l’utilisation de consultations externes. À l’aide de la théorie du care, Harrisson et Thifault critiquent le fait que la fragmentation des services gouvernementaux ait accordé une trop grande part de responsabilités aux individus qui souffrent de problèmes de santé mentale et à leurs familles. De plus, les résultats obtenus dans le cadre de l’étude, notamment les statistiques sur les admissions des patients, témoignent de l’inefficacité de la réorganisation des services en santé mentale en Ontario.

Chapitre 5 — Psychiatriser la souffrance

Dans ce cinquième chapitre, Nérée St-Amand et Jean-Luc Pinard traitent de la santé mentale au Nouveau-Brunswick en s’appuyant sur une étude effectuée à l’aide de différentes littératures et d’entrevues réalisées auprès d’individus aux prises avec des problèmes de santé mentale. Les auteurs déplorent la violence dont sont victimes les personnes psychiatrisées, particulièrement celles des minorités francophones de l’Acadie. Selon St-Amand et Pinard, cette violence est attribuable à des causes structurelles, soit aux inégalités socioéconomiques ainsi qu’aux inégalités linguistiques omniprésentes dans le système de santé au Nouveau-Brunswick. Malgré la réalisation de différentes commissions d’enquête portant sur les soins en santé mentale, l’inaction du gouvernement est persistante puisqu’il choisit d’investir dans la création d’institutions psychiatriques plutôt que dans la création d’un filet de sécurité sociale. Cela précarise énormément la population acadienne, ses conditions de vie et par conséquent sa santé mentale.

Chapitre 6 — La désinstitutionnalisation au Québec, 45 ans plus tard

Les chapitres précédents portent en très grande partie sur le contexte qui a mené à la désinstitutionnalisation au cours des années 1960 et 1970 et sur ses conséquences. Dans ce sixième et dernier chapitre, Marie-Ève Carle, Lauri Kirouac et Henri Dorvil se penchent plutôt sur les défis actuels liés à la réorganisation des services sociaux et de santé au Québec, et ce, en s’appuyant sur le point de vue des usagers. Les auteurs constatent que les méthodologies, tant thérapeutiques que de recherche, ont évolué au fil du temps et que l’expertise professionnelle est moins privilégiée, faisant place au savoir expérientiel. Malgré ce changement fondamental, les témoignages des personnes interrogées démontrent les difficultés du système à prendre en charge les individus, tant sur le plan des dimensions sociales et économiques que psychologiques. Pour Carle, Kirouac et Dorvil, il s’agit de dimensions qui sont indissociables et qui nécessitent par conséquent une intervention concertée.

Conclusion

Signé Martin Pâquet, le chapitre de conclusion vise essentiellement à établir les différents paradoxes épistémologiques sur la recherche portant sur la désinstitutionnalisation. Historiquement, l’individu qui souffre de problème de santé mentale est considéré comme un simple objet de recherche plutôt qu’un acteur de changement. Ce faisant, une relation de pouvoir s’est installée entre l’individu et l’expert. Cette relation de pouvoir est également perpétuée par la logique économique qui prévaut dans les établissements de santé et de services sociaux et qui transforme la personne souffrant de problèmes de santé mentale en une simple cliente. Pâquet incite les historiennes ou historiens, tout comme les travailleuses ou travailleurs sociaux, les médecins et les administratrices ou administrateurs des services sociaux ou de santé, à se conscientiser quant aux inégalités occasionnées par ces rapports de pouvoir. L’expérience humaine doit être au coeur de la recherche, mais aussi au coeur de l’administration des services.

Réflexion

Désinstitutionnalisation psychiatrique en Acadie, en Ontario francophone et au Québec 1930-2013 permet de comprendre non seulement l’évolution des services de santé mentale dans le contexte canadien-français, mais aussi leur administration actuelle. Il s’agit donc d’un outil précieux pour toute personne intéressée par ce domaine. Le contenu et la structure de l’ouvrage le rendent accessible à toutes et à tous. De plus, les étudiantes et les étudiants qui cherchent constamment à établir des liens entre la théorie et la formation pratique apprécieront certainement sa lecture puisqu’il regroupe plusieurs mises en situation tirées du vécu de personnes psychiatrisées. Ces mises en situation permettent de visualiser la répercussion des différentes pratiques institutionnelles sur la population au fil du temps. Enfin, les diverses pistes de réflexion proposées par les auteures et auteurs collaborant à l’ouvrage contribuent à éveiller l’esprit critique des lectrices et des lecteurs, notamment en les conscientisant aux différentes formes d’oppression dont sont victimes les personnes aux prises avec un problème de santé mentale, particulièrement dans un contexte francophone minoritaire.