Réponses aux auteurs et autrices

Sécularisation au Japon et texture du religieux[Record]

  • Maxime Polleri

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  • Maxime Polleri
    Université Laval

La sécularisation est un thème récurrent du numéro spécial « Religion et société dans le Japon moderne et contemporain », compilé par le professeur Adam Lyons. Ce sujet s’avère particulièrement présent dans le phénomène des pèlerinages de fans de culture populaire tel qu’il est illustré par Ian Reader (2024) et dans les formes d’accompagnements spirituels décrites par Timothy Benedict (2024), où les soins associés au kokoro (le coeur) deviennent des véhicules alternatifs afin d’administrer des suivis à saveurs religieuses qui ne passeraient pas dans la société japonaise. En tant qu’anthropologue formé à éviter les ethnocentrismes – tendance à juger une autre culture à partir des normes de nos propres cultures – je me suis longtemps interrogé sur ce que la notion de sécularisation, concept grandement influencé par le christianisme, représentait à l’intérieur du Japon. Par sécularisation, parle-t-on d’une perte de pouvoir des instances religieuses, d’une transition du religieux au public, ou d’un effritement des valeurs et codes moraux associés aux religions ? Si nous parlons d’une perte d’influences concrètes de la religion, il convient de mettre en lumière de telles influences dans la société japonaise. En tant qu’anthropologue, le degré de ces influences m’apparaît comme drastiquement différent de celui des contextes européens et nord-américains, ce tout particulièrement dans les pays influencés par le christianisme. Par exemple, la confession du catholicisme a eu une autorité de longue haleine sur plusieurs aspects clefs de la société québécoise tels que les moeurs sexuelles, l’éducation, voire les coopératives agricoles. Plusieurs jurons québécois se réfèrent à des objets religieux, comme au fameux « tabarnak », dérivé du terme tabernacle et « asti » du pain sans levain, l’hostie sacramentelle. Ces mots grossiers démontrent bien la pénétration de la religion dans les valeurs morales et les tabous de la société québécoise francophone. Des exemples similaires pourraient être mis en avant dans le cas de l’éthique protestante qui a fortement gouverné les moeurs sexuelles des États-Unis. Au Japon, l’influence de la religion sur ces sphères sociales me semble amoindrie. Par exemple, la religion n’a jamais drastiquement influencé l’éducation, elle n’a pas non plus engendré de tabou sexuel pour le commun des mortels et n’a pas servi de prétexte afin de mener des guerres d’expansion sous couvert de « guerres saintes ». Des idéologies comme le confucianisme ont eu une emprise largement supérieure à celle de la religion, ce tout particulièrement sur la structure de la société japonaise féodale, selon laquelle les classes sociales étaient divisées en quatre catégories : les guerriers, les agriculteurs, les artisans, les marchands. Il convient de noter que le clergé n’apparaît même pas dans ce système hiérarchique imposé par le général en chef des armées (shogun). On retrouve certes une influence de la religion dans la sphère sociale japonaise, mais dans des endroits spécifiques et à des degrés très différents de celle des pays dits « occidentaux. ». Il est plausible qu’une telle différence s’explique par le fait que le Japon n’a jamais subi l’influence d’une religion monothéiste associée à des dogmes religieux sévères qui font écho à une vérité absolue et sans égale. Au contraire, on retrouve historiquement la présence de différentes religions, comme le shinto (comportant plusieurs divinités) ou le bouddhisme, qui ont coexisté tout en étant stratégiquement mobilisées par les élites politiques à des fins particulières. Même aujourd’hui l’appartenance ouverte à un groupe religieux demeure souvent un tabou au Japon, comme le démontre fort bien l’article de Timothy Benedict (2024). L’utilisation du terme kokoro permet en effet aux infirmières de promulguer un type de soins à caractère spirituel qui ne serait pas accepté par les malades s’ils étaient …

Appendices