C’est en septembre 2022, à l’âge vénérable de 89 ans, que Jean Richard, professeur émérite de l’Université Laval, publiait ce testament spirituel inspiré par l’anthropologie philosophique de Paul Tillich (1886-1965). Avec plus de quarante années de recul sur l’oeuvre de Tillich, Richard prend un peu de hauteur dans cet ouvrage pour cerner ce qui ne va plus aujourd’hui avec la question religieuse. Quelque chose à propos de l’idée de la religion « ne tient plus la route aujourd’hui » (p. 4 ; aussi p. 112 et p. 147). Richard veut redonner, à l’instar de Tillich, ses lettres de noblesse à la religion ; elle qui a souvent été accusée de canaliser des « superstitions et absurdités » (p. 104). Richard précise les deux convictions qui motivent sa démarche. Ce ne sont pas simplement les convictions d’un intellectuel, mais surtout celles d’un homme de foi habité par la certitude que la religion peut apporter des réponses pertinentes aux questions préoccupantes actuelles. L’auteur est persuadé que s’impose aujourd’hui l’urgence d’une profonde réinterprétation de la pensée religieuse, laquelle a été entreprise admirablement par le philosophe et théologien Paul Tillich. Une obsession féconde traverse le livre et en constitue le fil rouge : nettoyer le fait religieux de toute trace supranaturaliste. Dans le cadre tillichien, la religion est entendue comme « autotranscendance de la vie sous la dimension de l’esprit » (p. 119). Richard déploie sa démonstration en six chapitres. Globalement, il présente trois corrélations par lesquelles l’analyse permettra de débusquer les éléments supranaturalistes et naturalistes de la religion. Il expose notamment la méthode de corrélation qui structure toute la pensée du philosophe et théologien luthérien. Cette méthode n’est pas simplement une correspondance entre deux réalités différentes (comme la vie et l’Esprit). Tillich tente plutôt de saisir le fondement de l’être suivant une analyse de l’existence humaine (p. 101). Aussi, s’agit-il de rejoindre la réalité de Dieu, du Christ et de l’Esprit, respectivement à partir d’une analyse de l’être, de l’existence et de la vie. Trois analyses se succèdent ; à propos de Dieu, à propos du Christ et à propos de l’Esprit. La démarche étant toujours de souhaiter dépasser le supranaturalisme et le naturalisme de façon à dévoiler l’autotranscendance de la vie. La conception de deux mondes – l’un naturel et l’autre surnaturel – fait problème. Richard montre les insuffisances de la réponse naturaliste. Si le naturalisme refuse le dualisme de deux mondes juxtaposés, et si Tillich reconnaît une certaine transcendance dans le naturalisme, il remarque que celui-ci peut risquer de s’enfermer sur lui-même. Tillich présente la transcendance du divin comme autotranscendance du créé. « La transcendance divine se trouve désormais conçue comme immanente au monde » (p. 5). Cette réflexion a pour but de sauvegarder le « noyau dur » de la religion et de le rendre signifiant (p. 1). Il importe de préserver la dimension de profondeur de l’existence, la dimension religieuse. En purgeant la religion de ce qui la travestit, les travaux de Tillich permettent de montrer la pertinence et l’urgence de la religion pour notre temps. Tel est l’ambition de Richard : « C’est donc mon propre jugement que j’exprime ici à la suite de Paul Tillich, et ce faisant, je n’ai d’autre objectif que d’aider les autres à formuler le leur » (p. 139). La première corrélation traitée par Richard est celle de l’être et Dieu ; Dieu comme fondement de l’être. Richard entreprend sa démarche avec « deux textes précurseurs ». Un premier texte est tiré d’un cours de théologie de Tillich donné à Leipzig et à Dresde en 1927-1928. Un second texte est tiré d’un cours …
Jean Richard, Paul Tillich. Au-delà du naturalisme et du supranaturalisme, Québec, Presses de l’Université Laval, 2022, 147 p. ISBN 9782763758954[Record]
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Réjean Boivin
Université du Québec à Trois-Rivières