Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail
Volume 6, Number 1, 2011 France-Québec Guest-edited by Anne Gillet and Guy Bellemare
Table of contents (7 articles)
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Présentation du numéro
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Les institutions du marché du travail et les inégalités inter-catégorielles : une comparaison France-Canada
Samir Amine
pp. 5–19
AbstractFR:
L’évolution des inégalités, au détriment de la main d’oeuvre non qualifiée, est certainement l’une des tendances les plus préoccupantes parmi celles auxquelles ont à faire face les grandes économies occidentales. Néanmoins, cette dégradation ne s’est pas traduite de la même façon dans tous les pays. En effet, dans les pays anglo-saxons, les écarts de revenus se sont accentués tandis que dans les pays de tradition beveridgienne, on parle des inégalités en termes d’accès à l’emploi. L’objet de cet article est, d’une part, de proposer une réflexion sur les causes et les explications de cette évolution défavorable aux catégories les moins formées. D’autre part, dans le cadre d’une comparaison France-Canada, nous allons étudier l’interaction entre les politiques publiques sur le marché du travail et la forme des inégalités présente dans chacun des deux pays. Dans cette perspective, nous comparons les effets de trois régulations publiques, à savoir les allocations chômage, le salaire minimum et l’impôt négatif, sur les performances de l’économie et plus particulièrement sur l’emploi et la formation des salaires.
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La mixité en emploi au Québec... Dans l’angle mort chez les moins scolarisés?
Marie-Josée Legault
pp. 20–58
AbstractFR:
Dans cet article, je démontre, d’une part, que le marché du travail est encore grandement divisé selon le genre au Québec (théorie de la ségrégation sexuelle des emplois) mais que, d’autre part, les conséquences matérielles de cette division sont très différentes selon le niveau de scolarité. En effet, dans les emplois qui exigent le moins de scolarité, les femmes paient plus cher la division sexuelle des emplois que dans ceux qui en exigent davantage. À la différence des emplois plus qualifiés, les emplois les moins qualifiés présentent une très grande différence de salaires selon qu’ils sont principalement masculins ou féminins. Qui plus est, cette différence est un phénomène généralisé et favorise les emplois masculins.
Cet écart de rémunération en faveur des hommes, dans les emplois requérant un secondaire V ou moins, ne présente qu’une très légère tendance à la baisse, alors que les écarts entre hommes et femmes, dans les emplois requérant un niveau de scolarité plus élevé, sont nettement à la baisse. Comme le niveau de rémunération de l’emploi n’est pas la seule dimension qui en définit la qualité, ni encore le seul critère de choix des candidats, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a mis au point une typologie de la qualité de l’emploi qui a pour grande vertu de permettre de comparer tous les emplois salariés (les travailleurs autonomes en sont exclus) d’un territoire économique donné, entre eux et à travers le temps, et aussi de comparer des groupes de travailleurs détenant des caractéristiques particulières (sexe, âge, statut syndical, origine ethnique) au point de vue de la qualité des emplois détenus.
En résumé, la typologie de qualité de l’emploi de l’ISQ présente un écart défavorable aux femmes dans les emplois de bonne qualité, quoiqu’à la baisse entre 1997 et 2007. Lorsqu’on décompose les groupes des hommes et des femmes selon le niveau de scolarité (dernier diplôme obtenu), on constate que l’écart défavorable aux femmes touche bien plus gravement les femmes les moins scolarisées. La démonstration permet de constater l’échec partiel des deux politiques québécoises d’équité en emploi et d’équité salariale.
Cet article vise à établir l’existence d’un fait ignoré parce que jamais démontré, tant par les féministes que les administrateurs publics. Pourtant, les enjeux théoriques de cette démonstration sont doubles. D’abord, pratiquer l’analyse différenciée de la rémunération selon le genre et le niveau de scolarité à la fois permet de mettre en évidence un phénomène sous-estimé tant dans la théorie du capital humain que dans la théorie de l’overcrowding effect en matière d’écart salarial entre hommes et femmes. Cela permet de remettre en cause certains acquis de la théorie générale de la ségrégation sexuelle, qui utilise les deux dernières pour expliquer les effets salariaux de la ségrégation, ou encore les liens entre ségrégation professionnelle et iniquité salariale. Ensuite, cet examen permet de soulever des questions relatives aux limites de l’action collective du mouvement des femmes en matière d’équité salariale. Compte tenu de l’espace requis pour les traiter, ces enjeux seront traités dans un autre article.
L’article démontre enfin que trois voies d’action souvent invoquées, à l’heure actuelle, permettent peu d’espoir pour contrer ce phénomène particulier : l’application de la Loi sur l’équité salariale, la négociation collective et la promotion interne. Néanmoins, ce problème touche près de 500 000 femmes au Québec, après 25 ans de pratique des programmes d’accès à l’égalité et près de 15 ans d’application de la Loi sur l’équité salariale. En revanche, la voie des programmes d’accès à l’égalité, mieux exploitée, pourrait permettre un certain progrès.
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Les travailleurs indépendants et leur rapport au travail à l’épreuve de l’impératif de l’activité : occasions de subjectivation ou de contrainte?
Martine D’Amours and Laurie Kirouac
pp. 59–78
AbstractFR:
L’article s’intéresse au développement de « nouvelles » attentes individuelles à l’égard du travail dans la modernité avancée. Loin de se limiter à son rôle instrumental, le travail est de manière croissante investi d’aspirations à la liberté, à la créativité et à l’autonomie. Si ces aspirations sont largement répandues chez les travailleurs indépendants québécois qui font l’objet de notre étude, nos résultats suggèrent que les individus sont inégaux devant la possibilité de les réaliser, en raison d’un important différentiel de ressources socialement construites. La contribution principale de l’article consiste à cerner les raisons d’être de ce différentiel à l’aide du concept d’épreuve, puisé dans l’outillage théorique développé par Boltanski et Thévenot (1991), puis Boltanski et Chiapello (1999) et reformulé par Périlleux (2001). En cas d’échec ou simplement pour éviter d’échouer à l’épreuve de son maintien en activité, le travailleur indépendant semble poussé à réaliser une série d’adaptations qui viennent précisément contredire, ou du moins compromettre, les aspirations précitées. Pour un grand nombre de travailleurs, indépendants ou salariés, la concrétisation de ces attentes semble impossible sans un renouveau de la critique sociale.
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Construction socio-historique de la fonction « maîtrise » (contremaître, superviseur) et identification de figures professionnelles
Anne Gillet
pp. 79–99
AbstractFR:
Dans le monde du travail, la « maîtrise » (appelée aussi « contremaître » dans certains milieux industriels) constitue souvent le premier niveau d’encadrement, identifié entre la population d’exécution et la population cadre. Elle est le premier maillon hiérarchique dans l’organisation du travail, entre le « marteau et l’enclume » selon l’expression convenue. Malgré l’importance numérique de ce groupe professionnel au sein de la population active et sa place essentielle dans les organisations du travail, peu de recherches sociologiques s’y sont finement intéressé ces quarante dernières années. Cet article s’attache à montrer la construction socio-historique de la maîtrise (ou contremaître). Or, l’histoire de cette fonction apparue dans l’industrie au XVIIIème siècle, de cette catégorie socio-professionnelle, est complexe à étudier. Il n’existe pas véritablement d’« histoire de la maîtrise » aussi importante que celles de la classe ouvrière (Noiriel, 1986), du patronat ou des cadres (Boltanski, 1982). C’est à partir de travaux d’analyses secondaires et de recherches sociohistoriques éparses, de travaux divers sur le travail et son organisation, que nous avons retracé la construction de cette fonction liée à l’histoire du travail et des organisations. Nos analyses permettent de construire rétrospectivement différentes figures socioprofessionnelles de la maîtrise qui se sont développées à travers le temps dans nos sociétés occidentales. Elles se sont formées et ont évolué en fonction des changements des conceptions du travail, des organisations du travail, des fonctions et des profils des autres catégories de personnel. Le rôle originel de la maîtrise comme organisateur de la main d’oeuvre est clair : elle est un niveau hiérarchique intermédiaire dans un système vertical d’organisation. Puis, les transformations du monde du travail modifient les rôles de la maîtrise. Nous constatons l’apparition de plusieurs figures professionnelles construites à travers le temps. Nos recherches menées en France et au Québec soulignent la coexistence actuelle de différents types de maîtrise dans les organisations, dont les caractéristiques professionnelles sont proches des figures construites historiquement.
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Investisseur institutionnels publics, socialisation de l’investissement et emploi : les apports d’une analyse comparée France - Québec
Frédéric Hanin and Lilia Rekik
pp. 100–124
AbstractFR:
Cette recherche est basée sur une étude comparative de deux investisseurs institutionnels publics en France (la Caisse des dépôts et consignations) et au Québec (la Caisse de dépôt et placement). Elle vise à dégager les dispositifs collectifs mis en oeuvre par ces acteurs pour remplir leur mandat de développement de l’emploi et des industries. La mise en évidence de l’architecture de gestion de ces investisseurs institutionnels publics permet dans un second temps de questionner l’évolution de leur identité. Les deux cas étudiés en France et au Québec illustrent deux trajectoires possibles de la financiarisation : une trajectoire de financiarisation par le retrait de l’État pour assurer la prédominance de l’objectif de rendement financier sur le développement économique et une trajectoire de financiarisation par l’ingérence de l’État dans la structure institutionnelle pour contourner les missions d’intérêt général.
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Désinstitutionnalisation des relations professionnelles ?
Aline Conchon, Marni Dressen and Frédéric Rey
pp. 125–146
AbstractFR:
Dans différents champs de la vie sociale, les chercheurs s’accordent à constater la désinstitutionalisation comme caractéristique première du changement à l’oeuvre. Pour vérifier la réalité de cette tendance dans le domaine des relations professionnelles, les auteurs analysent les processus de reconfiguration engagés à partir des années 1980 à trois niveaux de la régulation de la relation de travail : l’entreprise, la branche et le territoire local. Au départ, ces trois terrains présentent une grande variété de degré d’enracinement des institutions des relations professionnelles, qu’il soit particulièrement prononcé à La Poste, absent dans le secteur de la course urbaine et inégal sur le site de Saint-Nazaire. Par la suite, l’étude des logiques d’acteurs donne à voir des mouvements de reconfiguration qui invitent plutôt à conclure à une évolution convergente vers une institutionnalisation ou réinstitutionnalisation des systèmes de relations professionnelles, évolution dans laquelle l’État joue un rôle structurant.