Revue multidisciplinaire sur l'emploi, le syndicalisme et le travail
Volume 9, Number 1, 2014 Syndicalisme et relations du travail face à l’incertain et à l’ébranlement des institutions régulatrices du travail Guest-edited by Jean-Michel Denis and Sid Ahmed Soussi
Table of contents (7 articles)
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Présentation du numéro : syndicalisme et relations du travail face à l’incertain et à l’ébranlement des institutions régulatrices du travail
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Se former pour prévenir. Les représentants syndicaux des CHSCT face aux risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques
François Féliu and Ludovic Jamet
pp. 6–22
AbstractFR:
Cet article interroge la mise en oeuvre des démarches de prévention des risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) dans la région Haute-Normandie. L’accent sera mis ici sur les enjeux de formation des représentants syndicaux pour participer de manière active à ces démarches. Il s’agit de comprendre comment les représentants syndicaux se forment aux enjeux de prévention des risques CMR et comment les connaissances qu’ils acquièrent leur permettent ensuite de développer différentes pratiques syndicales. Par la formation, les acteurs s’approprient de nouvelles compétences pour se mobiliser autour de ces questions et enclencher ensuite des dynamiques de prévention. Seulement, s’inscrire dans ces dynamiques de formation reste soumis à de multiples contingences. Les acteurs peuvent également lier de nouvelles relations avec des acteurs institutionnels (rôle de l’inspection du travail, de la Carsat, des médecins du travail, etc.), ce qui contribue, pour les représentants syndicaux notamment, à leur ouvrir de nouvelles perspectives dans les relations professionnelles qu’ils entretiennent avec les employeurs.
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Le renouvellement paradoxal de la pratique syndicale : l’exemple des dimensions mentales de la santé au travail
Corinne Delmas
pp. 23–50
AbstractFR:
La diffusion des questions de santé mentale au travail dans les organisations syndicales et les entreprises mobilise les registres scientifiques et les univers académiques et professionnels. L’enjeu d’une proximité renforcée avec les salariés et le terrain a nécessité un renouvellement des pratiques syndicales. Cette rupture est parfois explicitement recherchée, comme le montre l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom, qui illustre la volonté de produire une information crédible et des discours audibles dans d’autres univers sociaux. Occupant un double positionnement, syndical et scientifique, et contribuant à la promotion d’une expertise des risques psychosociaux, il atteste les collaborations entre chercheurs et militants, ce souci de proximité et les nouvelles pratiques syndicales. Son action et les résistances rencontrées montrent en même temps combien cette rupture expose les syndicats à des tensions entre deux dimensions centrales de l’activité syndicale : d’une part, entre action et compréhension des situations et, d’autre part, entre droit individuel et droit collectif. Ces tensions, les limites de l’expertise des risques psychosociaux et la publicisation ambiguë des questions de stress et de souffrance révèlent les difficultés persistantes à penser et à agir sur le travail.
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Gestion des relations professionnelles, gestion de l’application de la loi. Quand les sourds négocient leurs conditions de travail
Sylvain Kerbourc’h and Sophie Dalle-Nazébi
pp. 51–76
AbstractFR:
Afin de donner accès à l’emploi à une population de travailleurs marginalisés, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renforce la loi de 1987 et augmente les contributions financières des entreprises de plus de 20 salariés ne respectant pas le taux de 6 %. Elle rappelle différents droits, comme ceux de compensation et d’aménagements de postes de travail, et reconnaît officiellement dans le secteur de l’éducation la Langue des signes française pratiquée par des personnes sourdes. Bien que novateur, ce cadre législatif n’apporte pas toutes les ressources nécessaires, ni ne résout les inégalités et discriminations. À partir de groupes de travail avec des salariés sourds et d’une centaine d’entretiens avec d’autres travailleurs sourds, leurs collègues, des managers, responsables des ressources humaines, médecins du travail, mission Insertion Handicap et syndicats, nous exposerons les incertitudes qui marquent les relations professionnelles de ces salariés. Nous mettrons en évidence la difficulté à identifier les interlocuteurs susceptibles de contribuer à l’amélioration de leurs situations, en évoquant notamment les initiatives autant que les évitements de la part de syndicats, la recherche d’interlocuteurs à l’extérieur des entreprises et, d’une manière générale, la relecture locale des responsabilités et référents dans une systématique négociation des conditions d’application de la loi.
EN:
In order to give access to employment to a population of marginalized workers, the French law of February 11th, 2005 for the Equality of rights and opportunities, the participation and citizenship of disabled persons has strengthened the law of 1987 and increased the financial contributions of businesses with more than 20 employees not respecting the rate of 6%. This law underlines various rights, such as those of compensation and reasonable accommodation, and officially recognize the education of the French Sign Language practiced by deaf people. Although innovative, this legislative framework does not provide all the necessary resources; neither does it solve the inequalities and discriminations. From a working group with deaf employees and about a hundred discussions with other deafs workers, their colleagues, managers, Human Resources representatives, occupational physicians, Mission Insertion Handicap and trade unions, we will be outlining the doubts towards the professional relationships of these employees. We will highlight the difficulty to identify the interlocutors who could contribute to the improvement of their situations. Also, we will refer in particular to the initiatives provided as well as the avoidance on the part of trade unions, the search for interlocutors outside companies, and, in a general way, the reinterpretation of local responsibilities and referents in a systematic negotiation of the conditions of application of the law.
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Restructurations financières : transformation des relations collectives de travail et montée des incertitudes
Frédéric Michel and Jean Vandewattyne
pp. 77–93
AbstractFR:
Cet article a pour point de départ une restructuration financière intervenue en 2010-2011 dans une entreprise chimique de la région de Mons-Borinage en Belgique.
Dans une première partie, les notions de restructurations économiques et financières sont appréhendées à travers un relevé de la littérature économique et managériale. Il en ressort que les restructurations financières se distinguent notamment par leur caractère offensif (conquête de nouvelles positions de marché) et leurs objectifs purement financiers (rentabilité accrue).
Le cadre national et local dans lequel est intervenu la restructuration fait ensuite l'objet d'une présentation. Cette contextualisation est en effet fondamentale pour comprendre le déroulement de la restructuration mais aussi ses enjeux et ses conséquences.
Dans une dernière partie, les auteurs s’attachent à l’analyse de la restructuration. Contrairement aux précédentes restructurations, celle de 2010-2011 ressort comme étant clairement financière. Partant de ce constat, les auteurs mettent alors en discussion certaines conséquences possibles des restructurations financières sur les relations collectives de travail et le rapport à l’emploi des travailleurs.
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Continuités et mutations de la régulation paritaire en France : éléments pour une analyse des stratégies patronales
Michèle Tallard and Catherine Vincent
pp. 94–115
AbstractFR:
Les institutions paritaires peuvent être analysées comme des formes spécifiques de relations entre les organisations patronales et syndicales dont l’objet est la gestion d’éléments de la relation salariale déléguée par l’État, ce dernier gardant un rôle plus ou moins important de contrôle. L’objectif de cet article est d’analyser les mutations dans les formes d’engagement des organisations patronales dans la gouvernance des institutions paritaires de la protection sociale et de la formation professionnelle. Ces mutations, qui trouvent leur origine dans les transformations du système productif (montée des activités de service au détriment des activités industrielles), dans celles du marché du travail (précarisation, individualisation…) ainsi que dans les reconfigurations de l’État-providence, ébranlent les institutions paritaires. L’analyse part d’une réinterprétation dans le contexte français des analyses de Streeck (1991), pour réévaluer, à l’aune des logiques d’influence et de cohésion, les formes de construction historique de la stratégie patronale de la régulation paritaire – au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour la protection sociale et au tournant des années 1970 pour la formation professionnelle continue. L’articulation de ces deux logiques éclaire également les transformations de la conception du paritarisme portée par le patronat. Toutefois, ce renouvellement stratégique est insuffisant pour protéger la régulation paritaire de l’intervention étatique qui cherche à en faire un appendice de l’action étatique.
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Formation professionnelle et régulation tripartite au Maroc : entre volontarisme politique, négociation sociale et partenariat économique
Driss El Yacoubi and Éric Verdier
pp. 116–138
AbstractFR:
Depuis trente ans, le Maroc connaît un développement notable de la formation professionnelle. Cet article analyse les configurations d’acteurs qui l’ont porté, en prenant en compte la construction de l’État social marocain et du système de relations professionnelles, les liens avec la politique d’éducation et, enfin, l’inscription de la formation dans les stratégies de développement économique. Une première période, courant jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, est caractérisée par une prééminence de l’État qui confine les autres acteurs à un rôle, au mieux, subalterne. Durant la seconde période, les gouvernements successifs promeuvent, sous l’influence croissante de l’Union européenne, une gouvernance tripartite (État, patronat, syndicats) qui s’avère fort incomplète : émerge une co-régulation de l’État et des employeurs, le premier disposant de la légitimité et des ressources d’un pouvoir politique sans guère de partage, les seconds, d’une capacité d’influence croissante au fil du temps. Considérant le rôle secondaire des syndicats, mieux vaudrait, à ce stade, parler d’un tripartisme supplétif de l’action de l’État. Cette régulation « à la marocaine » trace un chemin original au sud de la Méditerranée, en mettant progressivement en place des forums de débat public où se confrontent différentes visions de la formation professionnelle.